European Research in Telemedicine/La Recherche Européenne en Télémédecine (2016) 5, 87—95
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ARTICLE ORIGINAL /Télésurveillance médicale
Télésurveillance et profil évolutif de l’électrocardiogramme d’une cohorte noire africaine en milieu professionnel au centre de la Côte d’Ivoire Remote monitoring and evolving profile of the electrocardiogram of a black African cohort in the business environment in the centre of Ivory Coast F. Diby a,∗, A. Adoubi a, A. Gnaba a, P. Ouattara a, K. Ayegnon a, G. Meneas a, D. Manga a, F. Sall a, N. Koffi a, A. Coulibaly a, E. Ehui b, E. Nguessan b, S. Zadi c, W. Oupoh d, K.H. Yangni-Angate a a
Service des maladies cardiovasculaires et thoraciques du CHU de Bouake, Bouaké, Côte d’Ivoire b Ong Wake Up Africa, Bouaké, Côte d’Ivoire c Département d’anthropologie et de sociologie, université Alassane Ouattara de Bouaké, Bouaké, Côte d’Ivoire d Entreprise à Bouake (Centre de la Côte d’Ivoire), Bouaké, Côte d’Ivoire Rec ¸u le 27 avril 2016 ; accepté le 12 juillet 2016 Disponible sur Internet le 25 aoˆ ut 2016
MOTS CLÉS Télésurveillance ; ECG ; HTA ; HVG ; Travailleurs
Résumé Introduction. — La prévalence importante de l’hypertension artérielle (HTA) en entreprise a conduit une entreprise à Bouaké (centre de la Côte d’Ivoire) a rajouté l’électrocardiogramme (ECG) au bilan de santé annuel de son personnel depuis 2010. Matériels et méthodes. — Il s’agit d’une étude rétrospective par l’analyse des commentaires du cardiologue sans relecture de 855 ECG télétransmis de 2010 à 2015 à Bouaké. Les principales anomalies retrouvées depuis 2010 ont fait l’objet d’une télésurveillance jusqu’en 2015.
∗
Auteur correspondant. Adresses e-mail : diby fl
[email protected] (F. Diby),
[email protected] (A. Adoubi),
[email protected] (A. Gnaba),
[email protected] (P. Ouattara),
[email protected] (K. Ayegnon),
[email protected] (G. Meneas),
[email protected] (D. Manga),
[email protected] (F. Sall), marieninakoffi@gmail.com (N. Koffi),
[email protected] (A. Coulibaly), ehui
[email protected] (E. Ehui),
[email protected] (E. Nguessan),
[email protected] (S. Zadi),
[email protected] (K.H. Yangni-Angate). http://dx.doi.org/10.1016/j.eurtel.2016.07.001 2212-764X/© 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.
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F. Diby et al. Résultats. — En moyenne, 142,5 ECG ont été télétransmis par an. L’âge moyen était de 42,3 ans ± 8,7. Le pourcentage d’anomalies ECG moyen était de 60,8 % contre 56 % en 2010 et 53 % 2015. Il y avait 10,17 % de patients hypertendus. Les anomalies ECG les plus retrouvées étaient le bloc de branche droit incomplet (BBDI) avec 13,92 % et l’hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) dans 13,85 % des cas. Le taux moyen de progression de ces anomalies était de 29 % pour le BBDI et de 18 % pour l’HVG. Discussion. — Le nombre important de BBDI est en rapport avec l’âge de la population d’étude qui est relativement jeune. L’HVG avec un taux de progression de 18 % retrouvée dans cette population où l’on dénombre 10,17 % d’HTA est un paramètre clinique important à surveiller dans le temps. Conclusion. — La télésurveillance de certains paramètres ECG tels que l’HVG chez ce groupe de travailleurs et particulièrement chez les patients hypertendus est un élément important dans la prise en charge de l’HTA. © 2016 Elsevier Masson SAS. Tous droits r´ eserv´ es.
KEYWORDS Remote monitoring; ECG; Hypertension; LVH; Workers
Summary Introduction. — The high prevalence of hypertension in businesses led a firm in Bouake (center of Ivory Coast) to add the electrocardiogram (ECG) to the annual check-up of its staff since 2010. Materials and methods. — This retrospective study analyzed comments from the cardiologist without any reinterpretation of the 855 ECGs teletransmitted from 2010 to 2015 to Bouaké. The major anomalies found since 2010 were monitored until 2015. Results. — On average, 142.5 ECGs were teletransmitted per year. The mean age was 42.3 ± 8.7 years. The percentage of mean ECG anomalies was 60.8% versus 56% in 2010 and 53% in 2015. There were 10.17% of hypertensive patients. The more recurrent ECG anomalies were incomplete right bundle branch blocks (IRBBB) with 13.92% and left ventricular hypertrophy (LVH) in 13.85% of cases. The average rate of progression of these anomalies was 29% for IRBBB and 18% for LVH. Discussion. — The large number of IRBBBs is related to the age of the relatively young study population. LVH with a growth rate of 18% was found in this population where 10.17% of hypertensive case were counted as an important clinical parameter worth monitoring over time. Conclusion. — Remote monitoring of certain ECG parameters such as LVH in this group of workers, especially in hypertensive patients, is an important element to take into account in the management of hypertension. © 2016 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Le bilan annuel en entreprise est le plus souvent en Afrique noire, la seule opportunité de diagnostiquer des pathologies souvent graves en rapport soit directement avec l’activité professionnelle des agents soit avec l’apparition d’autres facteurs de risques durant la vie professionnelle. Son caractère obligatoire aussi bien pour l’employeur que pour l’employé permet parfois de constituer des cohortes dont le suivi rigoureux durant le parcours professionnel peut être riche d’enseignements quant au diagnostic et au pronostic de certaines situations cliniques pathologiques qui préexistaient ou pas à l’embauche [1]. En Côte d’Ivoire, pays d’Afrique subsaharienne, Koffi et al. retrouvaient une prévalence de l’hypertension artérielle (HTA) en milieu professionnel de l’ordre de 29,7 % à Abidjan en 1995 [2].
Joubert et al. retrouvaient au Botswana en 2014 dans la population urbaine une prévalence de l’HTA à 30 % [3]. Adoubi et al. décrivaient une HTA particulièrement grave chez le sujet de race noire nécessitant parfois une polythérapie à Bouaké [4]. En 2012, Konin et al. rapportaient une prévalence de l’HTA à 17,5 % chez les soignants à Abidjan [5]. Cette prévalence importante de l’HTA en milieu urbain et professionnel africain souligne la pertinence du bilan de santé en entreprise où l’impact du stress peut contribuer à l’émergence de certaines pathologies, notamment cardiovasculaires comme l’HTA et les coronaropathies [6]. L’Organisation mondiale de la santé préconise, par ailleurs, la réalisation d’un électrocardiogramme (ECG) dans le bilan minimal d’une HTA pour dépister l’hypertrophie ventriculaire gauche et une fibrillation atriale [7]. En Afrique noire, l’ECG pourrait donc s’inscrire dans le bilan
Télésurveillance de l’électrocardiogramme en Afrique noire
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annuel systématique de chaque entreprise en égard à la prévalence attendue de l’HTA en entreprise. L’intérêt de cet ECG annuel systématique en entreprise résiderait dans la surveillance de certains paramètres clés susceptibles d’être corrélés à la survenue de certaines pathologies cardiovasculaires durant la vie professionnelle du travailleur. La télésurveillance de ces paramètres ECG clés contribuera à améliorer la prise en charge des pathologies cardiovasculaires en entreprise.
extrasystoles auriculaires [ESA]), les troubles de la conduction (bloc auriculo-ventriculaire [BAV 1, 2 ou 3], bloc de branche complet ou incomplet, gauche ou droit), les anomalies morphologiques (hypertrophie auriculaire gauche [HAG], hypertrophie ventriculaire gauche [HVG], hypertrophie ventriculaire droite [HVD], hypertrophie auriculaire droite [HAD] et déviation axiale gauche [DAG] ou droite [DAD]), les anomalies du segment ST et de l’onde T.
Objectifs L’objectif principal de ce travail était de démontrer la contribution de la télésurveillance à la détection d’anomalies ECG dans ce groupe de travailleurs et d’établir un profil évolutif de ces anomalies ECG au fil des années en vue de mettre en œuvre des mesures préventives. Les objectifs secondaires étaient de déterminer la prévalence des anomalies ECG par année, de préciser la prévalence de l’HTA et de l’hypertrophie ventriculaire gauche, et d’établir un profil évolutif de l’ECG de ces travailleurs.
Matériels et méthodes Dans le cadre du bilan de santé annuel prévu par la loi en Côte d’Ivoire, l’ECG a été introduit dans le bilan systématique d’un groupe de salariés depuis 2010 au centre de la Côte d’Ivoire. En l’absence d’un cardiologue résidant dans l’entreprise, les ECG ont été réalisés par un infirmier spécialisé en cardiologie, puis ont systématiquement été télétransmis à un cardiologue du service de cardiologie du CHU de Bouaké délocalisé à Abidjan en raison de la crise sociopolitique qu’a connue le pays. Chaque tracé ECG télétransmis précisait le sexe, l’âge et le niveau de pression artérielle du travailleur. Une HTA était définie par une pression artérielle systolique ≥ 140 mmHg et ou une pression artérielle diastolique ≥ 90 mmHg. Les résultats de la lecture des ECG ont été systématiquement communiqués au médecin d’entreprise via Internet. Ce procédé a permis de faire l’archivage de ces données cliniques et électrocardiographiques de 2010 à 2015. Nous avons procédé à une étude rétrospective et descriptive de cette base de données par l’analyse des commentaires du cardiologue sans relecture de chacun des ECG télétransmis en corrélation avec les données sociodémographiques des travailleurs (âge et sexe) et le niveau de pression artérielle. Huit cent cinquante-cinq ECG ont été réalisés par ce canal de 2010 à 2015, soit une moyenne annuelle de 142,5 ECG. Tous les ECG durant la période de l’étude ont été interprétés par un seul et même cardiologue. Les données ont été étudiées grâce au logiciel SPSS version 21. L’ECG 1 en 2010 a servi d’ECG de référence pour établir le listing des paramètres télésurveillés sur ces 6 ans. Ainsi, ont été étudiés dans cette cohorte : • les paramètres sociodémographiques tels que l’âge et le sexe ; les paramètres cliniques notamment la présence ou non d’une HTA et la conclusion de l’analyse du cardiologue (ECG normal ou ECG anormal) ; • les principales anomalies ECG à savoir les troubles du rythmes (arythmie complète par fibrillation atriale (ACFA), les extrasystoles ventriculaires (ESV), les
L’HVG a été déterminée par la mesure de l’indice de Sokolow ou par l’indice de Cornell. Un profil évolutif a été dressé pour les principales anomalies retrouvées.
Résultats Le nombre d’ECG télésuivis Le nombre total d’ECG télésurveillés a été de 855 sur les 6 années de télésurveillance. La moyenne annuelle a été de 145,5 ECG pour des extrêmes de 166 en 2010 et 94 téléECG en 2014 (Tableau 1).
Répartition des patients selon le sexe et l’âge moyen Le sex-ratio moyen était de 17,6 sur les six années, ce qui souligne une forte prédominance masculine dans cette entreprise (Fig. 1). L’âge moyen de la cohorte était de 42,3 ans ± 8,7 avec des extrêmes de 23 et 61 ans (Tableau 1). L’âge moyen de la cohorte n’a pas beaucoup varié pendant les 6 années de télésurveillance (Fig. 2).
Répartition des patients selon la présence ou non d’une HTA L’HTA était présente dans 10,17 % des cas avec un pic en 2011, soit 13,53 %. En 2013 sa prévalence a été de 5,59 % (Fig. 3 et Tableau 2).
Conclusion de l’analyse des ECG sur la période de l’étude (le taux d’ECG anormaux dans le temps) Plus de la moitié des téléECG étaient anormaux sur la période de l’étude. Le taux moyen d’ECG anormaux sur la période d’étude est de 60,8 % contre 56 % en 2010 et 53 % en 2015, soit un taux de progression moyen de 1 % (Tableau 3).
Évolution de la conclusion de l’ECG dans le temps La courbe des ECG anormaux a toujours été au-dessus de celle des ECG normaux. La plupart des ECG réalisés étaient anormaux sur la période de l’étude. Deux pics d’ECG anormaux ont été observés en 2013 (72 %) et 2014 (74,7 %) contre 60,8 % en moyenne (Fig. 4). Malgré le fort taux d’ECG anormaux, le taux de progression de ces ECG anormaux étaient relativement faible à 1 %.
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F. Diby et al.
Tableau 1 Profil évolutif du sex-ratio et de l’âge moyen durant la période d’étude. Evolving profile of the sex-ratio and the mean age during the study period. Années
2010 N = 166
2011 N = 133
2012 N = 147
2013 N = 161
2014 N = 94
2015 N = 149
Total N = 855
Sex-ratio Âge moyen, écart-type et extrêmes
14 41,5 ± 9,11 (23—56)
21 41,7 ± 9,3 (24—57)
28 41,5 ± 9,08 (25—58)
15 42,7 ± 9,07 (25—60)
18 43,6 ± 9,9 (23—61)
16 43,6 ± 5,7 (29—58)
17,6 42,3 ± 8,7 (23—61)
Le nombre total d’ECG télésurveillés a été de 855 ECG sur les 6 années de télésurveillance. La moyenne annuelle a été de 145,5 ECG pour des extrêmes de 166 en 2010 et 94 en 2014. Le sex-ratio moyen était de 17,6 sur les six années, ce qui souligne une forte prédominance masculine dans cette entreprise. L’âge moyen de la cohorte était de 42,3 ans ± 8,7 avec des extrêmes de 23 et 61 ans.
Figure 1. Répartition des patients selon le sexe. Distribution of the patients according to sex.
Figure 2. Évolution de l’âge moyen sur la période de l’étude. Evolution of the mean age over the study period.
Télésurveillance de l’électrocardiogramme en Afrique noire
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Figure 3. Prévalence de l’hypertension artérielle (HTA) sur la période de l’étude. Prevalence of hypertension over the study period.
Tableau 2 Évolution du taux d’ECG anormaux. Evolution of the rate of abnormal ECGs. Années
2010 N = 166
2011 N = 133
2012 N = 147
2013 N = 161
2014 N = 94
2015 N = 149
Total N = 855
Taux de Progression des ECG anormaux
Taux d’ECG anormaux (%)
56
55,6
53,7
72
74,7
53
60,8
1%
Plus de la moitié des téléECG étaient anormaux sur la période de l’étude. Le taux moyen d’ECG anormaux sur la période d’étude est de 60,8 % contre 56 % en 2010 et 53 % en 2015 soit un taux de progression moyen de 1 %.
Tableau 3 Prévalence de l’hypertension artérielle (HTA) sur la période de télésurveillance. Prevalence of hypertension over the monitoring period. Années de télésurveillance
2010 N = 166
2011 N = 133
2012 N = 147
2013 N = 161
2014 N = 94
2015 N = 149
Cohorte N = 855
Nombre d’HTA Prévalence de l’HTA (%)
18 10,84
18 13,53
19 12,92
9 5,59
10 10,63
13 8,72
87 10,17
Prévalence et progression des principales anomalies ECG L’étude détaillée des principales anomalies retrouvent plusieurs anomalies à des degrés divers avec un taux de progression parfois très variable (Tableau 3 et Fig. 4). Les anomalies ECG les plus retrouvées étaient le bloc de branche droit incomplet (BBDI) (13,92 %) avec une progression de 29 % et l’HVG (13,85 %) avec une progression de 18 %. Le taux de progression le plus important était celui du bloc de branche droit complet (BBDC) qui, malgré une prévalence de 0,01 %, a eu une progression de 73 %. L’HAG retrouvée dans 3,95 % des cas avait une progression de 64 % et un pic en 2014 (Fig. 4) où le nombre de travailleurs était de 94 contre 142,5 ECG par année en moyenne (Tableau 1).
Deux anomalies ont régressé sur la période d’étude : l’hémibloc antérieur gauche (HBAG) dans 36 % des cas pour un taux de prévalence moyen de 1,75 % et le bloc auriculoventriculaire de premier degré (BAV 1) dans 27 % pour une prévalence moyenne de 0,47 % (Tableau 4). Les extrasystoles ventriculaires sont retrouvées dans 0,77 % avec un taux de progression de 36 %.
Les principales anomalies ECG sur les 6 ans de télésurveillance Le BBDI et l’HVG avec respectivement 13,92 et 13,82 % étaient les anomalies les plus retrouvées dans la cohorte (Fig. 5). L’HAG dans 3,95 %, la DAG dans 2,33 % et l’HBAG dans 1,75 %. Le reste des anomalies étaient en dessous de
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F. Diby et al.
Figure 4. Évolution du taux d’ECG normaux et anormaux. La courbe des ECG anormaux a toujours été au-dessus de celle des ECG normaux. Deux pics d’ECG anormaux ont été observés en 2013 (72 %) et 2014 (74,7 %) contre 60,8 % en moyenne. Evolution of the rate of normal and abnormal ECGs.
Tableau 4 La prévalence et la progression des principales anomalies ECG. Prevalence and progression of major ECG anomalies. Années
2010 N = 166
2011 N = 133
Anomalies (%) Anomalies morphologiques HVG 14,5 9 HAG 6 0 DAG 0 0,8 Troubles conductifs HBAG 4,2 2,3 BBDI 9,6 21,1 0 BBDC 0 0 BAV 1 1,2 Troubles du rythme ESV 0,6 0,8
2012 N = 147
2013 N = 161
2014 N = 94
2015 N = 149
Taux moyen Taux de N = 855 progression
12,9 1,4 3,4
8,7 0,05 2,5
19,2 16,2 4
18,8 0,02 2,7
13,85 3,95 2,23
18 64 65
3,4 8,8 0 0
0,6 9,9 0,01 0,6
0 16,7 0,03 1
0 17,4 0,022 0
1,75 13,92 0,01 0,47
−36 29 73 −27
0,7
2,5
0,01
0,77
0
36
Les anomalies ECG les plus retrouvées étaient le BBDI (13,92 %) avec une progression de 29 % et l’HVG (13,85 %) avec une progression de 18 %. HVG : hypertrophie ventriculaire gauche ; HAG : hypertrophie auriculaire gauche ; DAG : déviation axiale gauche ; HBAG : hémibloc antérieur gauche ; BBDI : bloc de branche droit incomplet ; BBDC : bloc de branche droit complet ; BAV 1 : bloc auriculo-ventriculaire de premier degré ; ESV : extrasystoles ventriculaires.
1 % : il s’agit des extrasystoles ventriculaires (ESV à 0,77 %), le BAV 1 à 0,47 %) et le BBDC à 0,01 % (Tableau 3 et Fig. 6).
HTA et HVG On retrouvait plus d’HVG (13,85 %) que d’HTA (10,17 %) dans cette cohorte (Fig. 7 et Tableau 5).
Discussion Ce travail en milieu professionnel souligne au plan épidémiologique, une nette prévalence masculine (Tableau 1 et Fig. 1) en rapport avec les spécificités sociales de l’Afrique noire où l’instruction était jusque là reservée uniquement
aux hommes. La spécificité de l’activité réalisée dans cette entreprise expliquerait aussi ce sex-ratio très largement en faveur des hommes. L’âge moyen était relativement jeune à 42,3 ans ± 8,7 avec des extrêmes de 23 à 61 ans (Tableau 1 et Fig. 2). L’entreprise est un cadre idéal de dépistage de maladies chroniques à l’étape infraclinique comme le soulignent Boffa et al. dans l’insuffisance cardiaque au cours de l’étude SCREEN-HF en Australie avec le dosage systématique du NT-ProBNP dans leur cohorte [8]. L’HTA retrouvée dans 10,17 % des cas semble relativement faible dans cette entreprise (Fig. 3 et Tableau 3) et peut être en rapport avec l’âge moyen relativement jeune de cette cohorte contrairement aux autres séries réalisées en Afrique [2,3,5], l’HTA augmentant avec l’âge. Le taux d’ECG anormaux était toujours supérieur à celui
Télésurveillance de l’électrocardiogramme en Afrique noire
Figure 5. Évolution des principales anomalies ECG dans le temps. Les courbes du BBDI et celles de l’HVG étaient au-dessus des courbes des autres anomalies. On note un pic d’HAG en 2014. BBDI : bloc de branche droit incomplet ; HVG : hypertrophie ventriculaire gauche ; HAG : hypertrophie auriculaire gauche ; DAG : déviation axiale gauche ; HBAG : hémibloc antérieur gauche ; BAV 1 : bloc auriculoventriculaire de premier degré ; BBDC : bloc de branche droit complet ; ESV : extrasystoles ventriculaires. Evolution of the main ECG anomalies over time.
des ECG normaux chaque année durant toute la période de télésurveillance (Tableau 2 et Fig. 4). L’étude des anomalies retrouvées montre une prédominance du retard droit incomplet (13,92 %) et de l’HVG (13,85 %) pour des taux de progression respectifs de 29 et 18 % (Tableau 3 et Fig. 4 et 5). Les blocs droits incomplets suggèrent la
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Figure 6. Les principales anomalies ECG sur les 6 ans de télésurveillance. Le BBDI et l’HVG avec respectivement 13,92 et 13,82 % étaient les anomalies les plus retrouvées dans la cohorte. HVG : hypertrophie ventriculaire gauche ; HAG : hypertrophie auriculaire gauche ; DAG : déviation axiale gauche ; HBAG : hémibloc antérieur gauche ; BBDI : bloc de branche droit incomplet ; BBDC : bloc de branche droit complet ; BAV 1 : bloc auriculo-ventriculaire de premier degré ; ESV : extrasystoles ventriculaires. The main ECG anomalies over 6 years of remote monitoring.
recherche de pathologies pulmonaires, d’une cardiopathie congénitale de type communication interauriculaire même s’il demeure l’anomalie ECG la plus fréquente chez l’adulte jeune sans pertinence clinique véritable.
Figure 7. Hypertension artérielle (HTA) et hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) sur la période de l’étude. Hypertension and left ventricular hypertrophy over the study period.
Tableau 5 Hypertension artérielle (HTA), hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) et hypertrophie atriale gauche (HAG). Hypertension, left ventricular hypertrophy and left atrial enlargement. N = 855
2010 N = 166
2011 N = 133
2012 N = 147
2013 N = 161
2014 N = 94
2015 N = 149
HTA N = 87 10,17 % HVG HAG
18
18
19
9
10
13
10,84 % 14,5 % 6%
13,53 % 9% 0%
12,92 % 12,9 % 1,4 %
5,59 % 8,7 % 0,05 %
10,63 % 19,2 % 16,2 %
8,72 % 18,8 % 0,02 %
94 L’HVG peut quant à elle rentrer dans le cadre d’une HTA dont la prévalence avoisine les 30 % en milieu professionnel [2,3] contre 10,17 % dans notre étude. Le Tableau 5 et la Fig. 7 révèlent qu’il y a plus d’HVG que d’HTA tout au long de la télésurveillance. La spécificité de l’ECG chez le sujet de race noire déjà évoquée dans plusieurs études antérieures, notamment avec l’HVG plus fréquente chez le sujet de race noire que chez le sujet de race blanche, expliquerait aussi cette variabilité [9—11]. L’utilisation de l’indice de Sokolow ou de l’indice de Cornell peut aussi expliquer cette variabilité. Il s’agit le plus souvent d’HVG sur des critères de voltage chez des sujets jeunes et une échocardiographie chez les patients hypertendus avec une HVG situerait mieux cette corrélation HTA et HVG dans cette cohorte. La télésurveillance a permis d’apprécier le taux de progression de chacune des anomalies retrouvées (Tableau 3) et de donner l’alerte au médecin d’entreprise. Ainsi, le BBDC avec un taux de prévalence de 0,01 % a connu le taux de progression le plus important de l’ordre de 73 % et impose la recherche de pathologies pulmonaires chez les travailleurs même si sa pertinence clinique est peu avérée car pouvant être considérée comme une variante normale chez les sujets jeunes. En l’absence d’études cliniques sur cette anomalie en Afrique noire, la mentionner dans notre travail, malgré sa faible pertinence clinique pourrait orienter sur des recherches ultérieures sur la spécificité de l’ECG du sujet de race noire. L’HAG et la DAG ont eu un taux de progression, respectivement de 64 et de 65 %. Cela impose la recherche d’une HTA masquée par le médecin d’entreprise chez ces travailleurs par des mesures ambulatoires de la pression artérielle et l’automesure en complément de la mesure habituelle à l’infirmerie de l’entreprise pour dépister une HTA masquée. De fac ¸on rétrospective, la télésurveillance de l’ECG de ces travailleurs peut améliorer le dépistage de l’HTA a posteriori chez les travailleurs de cette entreprise. Enfin, la télésurveillance des ECG peut permettre d’orienter les choix thérapeutiques et d’apprécier la réponse thérapeutique par la mesure de la régression d’anomalies initialement présentes comme l’HVG et mesurer l’impact de certains médicaments tels que les bloqueurs de la rénine et les bloqueurs calciques dans le traitement de l’HTA [7,9—11]. La télésurveillance a permis de noter une progression des extrasystoles ventriculaires de 36 %. C’est un bon procédé de surveillance et dépistage des troubles du rythme et de la conduction relativement faibles dans notre série (Tableau 3). La télésurveillance de l’ECG est un bon procédé pour la prise en charge de la fibrillation atriale [12], même si dans notre série, aucun cas de fibrillation atriale n’a été observé. Certaines anomalies ont connu une régression lors de leur télésurveillance, telles que le BAV 1 (−27 %) et l’HBAG (−36 %) (Tableau 3). Aucun ECG de syndrome coronarien aigu n’a été objectivé lors de la télésurveillance de ces ECG posant encore le problème des cardiopathies ischémiques en Afrique noire ; mais cela reste discutable car il s’agit d’une télésurveillance annuelle d’une cohorte de population jeune, a priori saine et apte au travail et qui est examinée dans le cadre d’un bilan systématique et non devant des signes d’appels fonctionnels tels qu’une douleur thoracique, des palpitations, une dyspnée, et des malaises. Anzouan-Kacou et al. démontraient bien la réalité de
F. Diby et al. l’infarctus du myocarde à Abidjan, avec un retard considérable dans la prise en charge initiale qui survenait généralement après le 3e jour après la douleur thoracique (74 ± 9,6 h) [13]. Le stress professionnel étant un facteur de risque de coronaropathies [6], la télésurveillance réalise un archivage systématique de ces ECG qui deviennent de facto, des ECG de références pouvant être consultés en cas d’évènements aigus cardiovasculaires chez cette population à risque. La télésurveillance est une stratégie dont l’efficacité reste encore à confirmer dans le suivi des maladies chroniques comme l’insuffisance cardiaque [14—16], mais apporte une réelle amélioration dans le diagnostic et la prise en charge de l’hypertension en dehors de l’hôpital [17,18]. En entreprise, la télésurveillance va permettre de fac ¸on asynchrone ou synchrone de déclencher certaines mesures spécifiques et complémentaires dans le cadre du suivi médical des travailleurs en cas d’anomalies constatées qui n’existaient pas au moment de l’embauche. Enfin, la télésurveillance des paramètres ECG peut servir de documents médicolégaux en cas de procédure judiciaire ou de suspicion de maladies professionnelles engageant la responsabilité de l’employeur.
Limites de l’étude L’insuffisance de ce travail réside dans le fait que l’effectif n’a pas été homogène durant toute la période de suivie (de nouvelles embauches et des départs à la retraite ont été enregistrées pendant la période de l’étude). Le nombre variable des travailleurs à chaque bilan annuel pour diverses raisons (congé annuel, mission, permission. . .) a influencé la prévalence de l’HTA et celle de certaines anomalies de même que leur évolution dans le temps. La lecture asynchrone des ECG peut retarder la prise en charge de certaines urgences cardiovasculaires.
Conclusion La télésurveillance des ECG en milieu professionnel permet de faire un archivage important et pertinent pour le suivi à long terme des travailleurs durant leur carrière. La prévalence attendue de l’HTA en milieu professionnel africain fait d’elle un outil pertinent et simple d’amélioration de la prise en charge de l’HTA et de ses complications en milieu professionnel. Le taux de progression des différentes anomalies répertoriées peut orienter dans le déploiement de stratégies préventives spécifiques.
Déclaration de liens d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
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Télésurveillance de l’électrocardiogramme en Afrique noire
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