Traitement chirurgical de la luxation post-traumatique gléno-humérale postérieure

Traitement chirurgical de la luxation post-traumatique gléno-humérale postérieure

© Masson, Paris 2006 J. Traumatol. Sport 2006, 23, 89-95 Mise au point Traitement chirurgical de la luxation post-traumatique gléno-humérale postér...

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© Masson, Paris 2006

J. Traumatol. Sport 2006, 23, 89-95

Mise au point

Traitement chirurgical de la luxation post-traumatique gléno-humérale postérieure F. KHIAMI, K. SUPRUN, E. SARI-ALI, E. ROLLAND, Y. CATONNÉ Service de Chirurgie Orthopédique et Réparatrice, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 47-83 boulevard de l’hôpital, 75651 Paris cedex 13.

La luxation post-traumatique de l’épaule est une situation clinico-radiologique rare et mal connue qui correspond à environ 2 % de l’ensemble des luxations d’épaule [1, 2]. Mais ce chiffre doit probablement être sous-estimé compte tenu des fréquentes lésions méconnues à la phase aiguë. Pourtant, il s’agit d’une entité dont le dépistage clinique reste simple et dont l’imagerie standard et moderne permet un diagnostic fiable et précis. Compte tenu des possibilités thérapeutiques qu’elles soient fonctionnelles, orthopédiques ou chirurgicales, conservatrices ou prothétiques, la luxation post-traumatique d’épaule doit être correctement analysée pour lui adapter un traitement fiable. Néanmoins, compte tenu de la rareté de cette pathologie, les séries sont courtes, souvent rétrospectives, mais ont le mérite de proposer des attitudes qui relèvent plus du consensus que du domaine de la preuve scientifique [3]. En cas de luxation postérieure traumatique, les lésions anatomiques ne sont pas constantes mais

généralement, si l’on considère les lésions de gravité croissante, on pourrait les schématiser par [2] : — Les lésions capsulo-labrales, — les lésions osseuses propres : • humérale (encoche antéro-inférieure de Mac Laughlin) (figure 1), • glénoïdienne (fracture postérieure de la glène) (figure 2). — Les lésions associées : • fracture de la tête (figure 3), • fracture du trochiter, fracture du col chirurgical (figure 4), • rupture de coiffe.

Classification La rareté des luxations post-traumatiques d’épaule fait, à l’heure actuelle, qu’aucune classification fiable et bien définie n’est en cours. Le consensus serait de séparer les fractures luxations des luxations

1 2 FIG. 1. — Encoche humérale antérieure. FIG. 2. — Luxation postérieure et fracture de glène.

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FIG. 5. — Taille de l’encoche humérale [1]. 3 4 FIG. 3. — Fracture-luxation sous-capitale. FIG. 4. — Luxation-fracture du col chirurgical.

pures associées ou non à une impaction céphalique. Cette répartition est capitale puisqu’il s’agit d’une classification radiologique qui, couplée à la durée d’évolution de la luxation, à l’âge du patient, à la taille de l’encoche et à la comminution de l’enfoncement permet de définir une attitude de prise en charge thérapeutique cohérente de cette pathologie difficile à traiter. La taille de l’encoche humérale revêt un caractère pronostique primordial de prise en charge (figure 5). Elle est schématiquement petite (< à 25 %), moyenne (25-50 %) ou grande (> à 50 %) et implique des stratégies thérapeutiques différentes. La durée d’évolution, elle aussi, revêt une importance capitale puisqu’elle peut être considérée comme aiguë si elle est inférieure à 3 semaines ou invétérée si elle est supérieure à 3 semaines avec des pronostics de réduction et des implications thérapeutiques différentes.

Prise en charge thérapeutique La prise en charge thérapeutique d’une luxation postérieure traumatique gléno-humérale n’est pas

univoque et dépend de plusieurs facteurs essentiels.

Luxation pure En cas de luxation pure sans fracture (figure 6), tout le problème est de définir une conduite thérapeutique afin de prévenir la récidive d’une part, et l’aggravation des lésions osseuses, d’autre part. L’importance de l’encoche décide de la conduite thérapeutique. Il faut toujours garder à l’esprit la possibilité d’un traitement conservateur lorsqu’un traitement plus ambitieux n’est pas possible. La demande fonctionnelle peu importante, un terrain défavorable à une intervention chirurgicale ou à une rééducation bien conduite, un déficit de rotation externe (figure 7) minime et bien toléré permettant de porter la main à la bouche ou une épilepsie mal contrôlée sont autant de facteurs pouvant contre-indiquer un traitement chirurgical agressif. La luxation postérieure négligée peut être compatible avec une fonction tolérable, des douleurs peu importantes avec une épaule se comportant comme une arthrodèse d’épaule [6]. La règle est tout de même de pousser les indications opératoires car les résultats sont souvent décevants, notamment sur la rotation externe.

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FIG. 6. — Luxation postérieure avec encoche de taille moyenne.

FIG. 7. — Déficit de rotation externe [3].

Dans les autres cas, tout dépendra de la taille de l’encoche humérale. En présence d’une luxation postérieure traumatique gléno-humérale, la réduction à elle seule peut être source de discussion. En effet, tout dépend du délai de prise en charge et tous les auteurs s’accordent à penser que la réduction orthopédique à foyer fermé est possible avant la 3e semaine [1-3, 6]. La réduction est faite sous anesthésie générale de manière systématique, le malade totalement relâché, souvent en antépulsion-traction-rotation interne. La réduction orthopédique obtenue, la stabilité conditionne l’immobilisation qui est variable selon les équipes. En cas d’épaule stable, l’immobilisation sera en rotation interne parfois en écharpe simple pour deux à six semaines en interdisant la main dans le dos pour six semaines. En cas d’instabilité immédiate, l’immobilisation en rotation externe sera de rigueur pour six semaines (figure 8). Au-delà de la 3e semaine, le tissu de cicatrisation antérieure laisse penser qu’une réduction fermée est vouée à l’échec. Pour Gerber [6], une encoche supérieure à 30 % du rayon de la tête conduit

d’emblée à une réduction à ciel ouvert. Nous pensons que, dans tous les cas, une réduction orthopédique douce peut être tentée mais en cas d’irréductibilité, la réduction ouverte reste de mise. Celle-ci est, pour la plupart des auteurs, conduite par voie delto-pectorale, mais certains lui préfèrent un abord postérieur. Les causes d’irréductibilité sont rarement retrouvées mais, parfois, une interposition de la longue portion du biceps peut en être la cause. La voie antérieure, pour la luxation postérieure, a le triple avantage de contrôler la longue portion du biceps, d’être une voie d’abord simple et peu dangereuse et surtout de pouvoir contrôler le défect cartilagineux antéro-interne de Mc Laughlin en peropératoire. Néanmoins, l’épaule est préparée pour une éventuelle voie postérieure afin de traiter conjointement une fracture importante de la glène postérieure (figure 9).

Petits défects < 25 % Si l’épaule est stable au testing peropératoire avec un même défect inférieur à 25 %, l’immobilisation sera de six semaines en rotation interne, en interdisant de porter la main dans le dos. En cas d’instabilité après testing de la réduction, Cicak [1] recommande le transfert du tiers proximal du tendon du sous-scapulaire dans le défect selon la technique de Mc Laughlin, ou de transférer le trochin selon Neer (figure 10) pour améliorer les conditions de la stabilité associé à une immobilisation en rotation externe pour 3 semaines. Les résultats sont bons ou excellents surtout lorsque c’est le trochin qui est transféré. Les échecs sont pour les encoches > 50 % [4].

Encoche moyenne 25 à 50 % En cas d’encoche de taille moyenne, la réduction est dans tous les cas recommandée à ciel ouvert

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FIG. 8. — Fracture-luxation réduite avec précaution sous anesthésie générale à foyer fermé ; résultat à 6 semaines.

FIG. 9. — Luxation postérieure et fracture postérieure de la glène vissée par voie postérieure.

FIG. 10. — Principe du transfert du sous-scapulaire ou du trochin [2, 3].

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FIG. 11. — Principe de l’allogreffe [2, 3].

FIG. 12. — Principe du relèvement greffe [2, 3].

[5] afin de ne prendre aucun risque de fracture complète de la tête humérale. La discussion essentielle concerne la prévention de la récidive devant une encoche aussi importante. Plusieurs procédures sont décrites avec des résultats plutôt encourageants. Certains recommandent le relèvement de l’impaction [6, 7] (figure 12), mais il n’existe pas de publication dans la littérature [3] ; d’autres conseillent le comblement du défect par le tendon du sousscapulaire [8] ou du trochin [9, 10], de combler le défect osseux par une allogreffe (figure 11), voire de réaliser une ostéotomie de rotation externe de la tête humérale afin d’éloigner le défect capital de la glène. Cette intervention est techniquement difficile, risquant de dévasculariser la tête [4], de diminuer la rotation externe de manière trop importante et de donner des résultats peu satisfaisants. Elle est à réserver à des sujets jeunes chez qui la prothèse d’épaule a été évoquée mais devant des encoches plus larges c’est-à-dire de plus de 50 % du rayon de la tête. La plupart des auteurs l’ont abandonnée [3]. Le transfert du trochin semble donner de meilleurs résultats que l’intervention de Mc Laughlin car la

consolidation est obtenue plus rapidement avec, selon Gerber, une élévation antérieure d’environ 160°, une rotation externe d’environ 40° [6]. La tendance est de proposer le relèvement greffe quand la luxation est inférieure à deux semaines et la transposition quand la luxation dépasse les deux semaines de délai opératoire. Cette attitude cohérente chez le sujet jeune peut aussi s’appliquer chez le sujet âgé (> à 60 ans) mais, chez ce dernier, l’attitude est plus attentiste avec la possibilité d’un traitement chirurgical secondaire agressif dès lors qu’il s’agit d’un traitement orthopédique initial.

Défect large Dans les encoches de plus de 50 % du rayon de la tête, l’âge est un élément prépondérant. Chez le jeune de moins de 60 ans, en France [11], la place est au relèvement greffe autologue afin de préserver au maximum le capital osseux dans l’hypothèse d’une éventuelle arthroplastie ultérieure. Chez les anglo-saxons, l’allogreffe vissée est une solution thérapeutique proposée [1, 2, 4-6]. Cette procédure peut être associée à une ostéotomie de rotation

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(totale s’il existe une lésion de la glène arthrosique), exceptionnellement chez le jeune. La théorie de majorer l’antéversion de la pièce humérale afin de limiter le risque de luxation postérieure est actuellement décriée et nombreux sont les auteurs préconisant une rétroversion habituelle moyennant une réparation du plan capsulaire postérieure [1, 12]. Exceptionnellement, la prothèse n’est pas implantable conduisant à une arthrodèse ou à une résection tête et col (intervention de Jones) [12, 13].

Fracture-luxation postérieure

FIG. 13. — Fracture-luxation postérieure.

externe de la tête humérale afin de protéger la greffe mais l’ostéotomie est techniquement difficile, grevée d’un risque de nécrose qui complique la pose d’une prothèse éventuelle [6]. Il n’y a que très peu de résultats, dont la série de Gerber [6] qui publie quatre allogreffes avec trois bons résultats. La prothèse simple reste le gold standard dans les encoches de plus de 50 % chez le sujet âgé

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En cas de fracture associée sous-capitale du col chirurgical ou du trochiter (figure 13) le but du traitement est, dans un premier temps, de réduire la fracture et de la stabiliser afin de tenter la restitution de l’anatomie qui simplifie la prise en charge en cas de nécrose ou d’arthrose majeure ultérieure. Le traitement des lésions de passage à proprement parler de la luxation postérieure est ensuite entrepris telle une luxation postérieure sans fracture. Les fractures-luxations non déplacées peuvent être traitées exactement comme les luxations isolées mais, en cas de déplacement, la réduction synthèse ou l’arthroplastie (figure 16) dépendront

FIG. 14. — Fracture-luxation postérieure sous-capitale. FIG. 15. — Réduction par voie postérieure, vissage direct avec réparation de la capsule postérieure.

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• grande encoche : relèvement/greffe, allogreffe ou arthroplastie (en privilégiant l’arthroplastie chez le sujet âgé). Le manque d’étude prospective et comparative reflète la rareté de cette lésion, mais les attitudes consensuelles des spécialistes de l’épaule en font une lésion qui peut, à l’heure actuelle, être correctement prise en charge. RÉFÉRENCES

FIG. 16. — Luxation postérieure avec volumineuse encoche antérieure traitée par arthroplastie humérale.

du type de fracture (comminution), de l’âge (terrain, ostéoporose), de l’ancienneté des lésions [3]. On fera tout pour réduire et synthéser une fracture sous-capitale (figures 14 et 15) chez un sujet jeune, chez qui on n’hésitera pas à greffer si nécessaire, alors qu’une arthroplastie peut être de mise chez un sujet âgé, ostéoporotique, à demande fonctionnelle moindre surtout en cas de comminution importante.

Conclusion Le traitement de la luxation postérieure traumatique gléno-humérale reste difficile et ce à plusieurs titres : — dans le dépistage des lésions, — dans le choix et la réalisation des techniques, — dans le compromis entre la stabilité et la durée d’immobilisation. Les fractures-luxations sont réduites à ciel ouvert puis synthésées avec traitement, si possible, des lésions de passage dans le même temps. Les luxations sans fractures peuvent relever : — d’un traitement fonctionnel si l’état du patient est précaire, mais doit dans tous les cas bénéficier d’une tentative de réduction ; — d’un traitement adapté à la comminution de l’encoche, à l’âge du patient et surtout à la taille de l’encoche : • petite encoche : immobilisation ou transfert du trochin/sous-scapulaire, • encoche moyenne : allogreffe, transfert du trochin/sous-scapulaire ou relèvement/greffe de l’encoche,

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