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Traitement des accidents vasculaires rdthdens
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LE M O U V E M E N T THI~RAPEUTIQUE
Traitement des accidents vasculaires retiniens par Ph.
GIRARD*,Ch. MORLOT,P.
HOUTTEVILLEet A. FOREST
Le traitement des occlusions vasculaires r6tiniennes aigu6s est difficile car la r6tine est u n tissu noble peu r6sistant et car l'obstruction vasculaire art6rielle ou veineuse n'est que tr~s rarement le fait d'un thrombus vrai isol6. Le traitement des occlusions art6rielles retiniennes (OAR) repose sur la papaverine et la xyloca'me en perfusion ; on peut y ajouter de l'h6parine en l'absence de contre-indications ; les fibrinolytiques sont inefficaces. La maladie de Horton est u n e cause tr6s particuli6re d'OAR. Son seul traitement est la corticotherapie massive d'urgence. Le traitement des occlusions veineuses r6tiniennes (OVR). I1 repose surtout sur l'h6parine, la streptokinase n'a pas d'indication ici, l'urokinase peut &re employ6e clans certains cas rares. Son efficacit6 r6elle est douteuse. Dans l'ensemble, il est tr~s rare que le traitement aboutisse ~ une repermeabilisation satisfaisante du vaisseau occlus.
\ Mots cMs : occlusionsart6rielles r6tiniennes,occlusionsveineusesr6tiniennes,traitement.
I. INTRODUCTION Comme le cerveau, la r6tine a une vascularisation double : Le tiers externe superficiel est vascularis6 par le reseau choroidien semblable au r6seau pie merien et aliment6 par les art~res ciliaires courtes, branches de l'ophtalmique ; - Les deux tiers internes profonds sont vascularis6s par l'art~re et la veine centrales de r6tine semblables aux gros troncs art6riels c6r6braux. Dans la pratique le terme <
> ne d6signe que les tableaux pathologiques lids ~t une obstruction brusque des vaisseaux centraux de la r6tine et exclut les troubles aigus li6s h la pathologie du r6seau choroidien.
Nous envisagerons donc successivement le traitement des occlusions art6rielles r6tiniennes et celui des occlusions veineuses r6tiniennes. Auparavant, nous allons faire u n bref rappel anatomique et physiologique.
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Service d'ophtalmologie, h6pital Tenon, rue de la Chine, 75020 Paris, France.
II. RAPPEL ANATOMIQUE ET PHYSIOLOGIQUE 1. L'artere centrale de retine (ACR). C'est une branche de l'art6re ophtalmique ellem6me collat6rale de la carotide interne. Elle p6n~tre dans l'ceil au niveau de !a papille ou t6te du neff optique. C'est une art~re terminale sans suppleance. Dans l'oeil I'ACR et ses branches sont d6pourvues de lame 61astique et ne peuvent pas 6tre le si~ge de 16sions ath6romateuses.
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L'ACR est d6pourvue d'innervation motrice, son d6bit est en fait r6gul6 par les conditions m6taboliques locales: vasodilatation si la PaCO2 augmente et vasoconstriction s i la PaO2 augmente. L'absence d'innervation vasomotrice explique que le seul vasodilatateur r6tinien vraiment efficace est la papav6rine.
2. La veine centrale de retine. Elle se forme h la papille par la r6union des diverses branches p6riph6riques r6tiniennes. Elle se draine dans les veines ophtalmiques puis le sinus caverneux et enfin la jugulaire interne. Elle est d6pourvue d'innervation vasomotrice.
3. Les rapports arterio-veineux dans la retine e t a la papille. Les troncs art6riels et v e i n e u x / t la papille et leurs branches dans la retine cheminent dans l'ensemble parall~lement, mais en se croisant par endroits. Les croisements arterio-veineux ont une grande importance, nous le reverrons.
III. LE TRAITEMENT DES OCCLUSIONS ARTC:RIELLES RE~TINIENNES Quelle qu'en soit la cause, les occlusions art6rielles r6tiniennes (OAR) cr6ent un tableau clinique univoque avec isch6mie aigu6, non h6morragique, des couches internes de la r6tine et n6crose tr~s rapide puisque, au-delg de 20 minutes d'interruption complete du flux sanguin, la destruction r6tinienne est irr6versible (Cogan, 1). On conqoit donc que le traitement d'urgence de tels accidents est en g6n6ral peu efficace, nous allons l'envisager en fonction des diff6rentes 6tiologies des OAR, g savoir embolie, ath6romatose et art6rite oblit6rante.
La Revue de M6decilte interne Ddcembre 1980
Dans tous les cas, le traitement d'urgence repose sur la papav6rine /t la dose de 6 ampoules par 24 heures et la xylocame /t la dose de 3 flacons g 2 p. 100 par 24 heures donn6es en perfusion intraveineuse pendant 24 heures/~ 48 heures dans le but de lever le spasme art6riel constamment associ6 /t l'embole ; l'action de ces drogues est certes limit6e mais leur emploi est facile et peu dangereux. L'h6parine n'est pas capable de dissoudre les emboles, elle est n6anmoins utilis6e en association avec la papav6rine et la xylocaine en donnant des doses qui doublent le temps de Howell et en respectant les contre-indications /t son emploi ; apr6s 24 heures /t 48 heures le relais sera pris par la calciparine pendant 1 /t 2 semaines puis on arr6tera. Les antivitamines K n'ont pas d'indication ici. L'urokinase a 6t6 employ6e dans certains cas sans r6sultat (Offret-Guillermet, 2). Actuellement elle n'est plus utilis6e. Nous n'avons pas de donn6es sur l'utilisation de la streptokinase dans les O A R par embole, mais il est certain que dans cette indication les inconv~nients et les dangers de cette drogue sont bien plus importants que les b6n6fices qu'elle pourrait apporter. Nous voyons donc que le traitement d'urgence des O A R par embolie est tr6s al6atoire car la r6tine est le plus souvent d6truite avant le d6but du traitement et car aucune substance connue ne permet de lyser ces emboles ; le traitement de base repose en fait sur la papav6rine et la xylocaine en perfusion, l'h6parine peut y 6tre ajout6e en respectant les contreindications, les fibrinolytiques ne sont pas utilis6s. La question la plus importante concerne en fait l'avenir des patients, c'est-/t-dire la pr6vention des r6cidives, fr6quentes, qui se font sous forme d'embolie de l'autre ceil ou d'embolie c6r6brale. I1 est donc absolument essentiel devant tout tableau d'occlusion art6rielle r6tinienne, m6me apparemment sans embole, de rechercher systdrnatiq u e m e n t une 16sion embolig6ne sous-jacente (carotide et cceur). Si une telle lesion est retrouv~e, il faut la faire enlever chirurgicalement chaque lois que c'est possible de le faire.
2. Les OAR par atheromatose. 1. Les OAR par embolie. L'embole se loge, selon sa mille, soit dans le tronc de l'art~re centrale, soit plus souvent dans une de ses branches; il est souvent invisible au m o m e n t off le patient consulte, ce qui fait que le diagnostic repose en fair sur l'gtge du patient et sur l'existence d'une 16sion embolig~ne sous-jacente. En effet les embolies r6tiniennes surviennent soit chez des sujets jeunes porteurs d'une 16sion valvulaire cardiaque, soit chez des sujets plus gtg6s atteints d'ath6rome carotidien ou de la crosse, on en a 6galement d6crit des cas chez des patients atteints de m y x o m e de l'oreillette.
I1 s'agit d'occlusions du tronc de I'ACR par obstruction ath6romateuse de cette art6re en arri6re de l'ceil. Cette 16sion ath6romateuse aboutit l'obstruction art6rielle soit progressivement, soit /t l'occasion d'une d6perdition sanguine majeure ou d'un choc prolong6 quel qu'en soit la cause. Le traitement d'urgence est aussi decevant que celui des embolies art6rielles retiniennes. I1 repose 6galement sur la xylocaine et la papav6rine, l'h6parine doit & r e mani6e avec prudence chez ces grands vasculaires souvent gtg6s, les fibrinolytiques ne sont pas indiqu6s. Le traitement preventif n'a ici aucune raison d'&re.
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3. Les OAR par arterite obliterante. Elles sont plus rares que les O A R par embolie ou ath6rome ; elles se voient au cours de la maladie de Horton, diagnostic /t connaitre, car il existe un traitement d'urgence sp6cifique: ta corticoth6rapie massive. La possibilit6 de maladie de Horton doit &re fortement suspect6e lorsque I'OAR survient chez un patient ~ig6, amaigri, souffrant de c6phal6es superficielles touchant le cuir chevelu et chez qui les art~res temporales sont indur6es et douloureuses. Le diagnostic repose sur l'acc616ration de la vitesse de s6dimentation (VS) au-del/t de 80 ou 100 /t la premiere heure et sur la biopsie d'art~re temporale. I1 est 6vident que la seule suspiscion de Horton, 6tay6e dans les heures qui suivent par les r6sultats de la VS en urgence, est une indication absolue ~ traiter d'urgence par corticoth6rapie massive (1,5 m g / k g / j ) pendant plusieurs jours. On diminuera ensuite progressivement les doses en fonction de la VS, une corticotherapie d'entretien /l vie 6tant souvent n6cessaire. Ce traitement s'il reste sans action sur l'oeil atteint est le seul moyen d'6viter l'extension g br~ve 6ch6ance /t l'ceil adelphe, extension qui m~nerait le p a t i e n t / t la c6cit6. Les autres traitements vasodilatateurs anticoagulants fibrinolytiques sont inefticaces ici.
4. Au total. La conduite ~. tenir devant un tableau d'occlusion art6rielle r6tinienne peut se r6sumer ainsi : - Savoir penser/t un Horton avec son traitement sp6cifique corticoth6rapie massive d'urgence ; - Si ce n'est pas un H o r t o n : papav6rine et xylocaine en perfusion plus h6parine en l'absence de contre-indication; dans les suites, rechercher une 16sion embolig~ne sous-jacente.
Ill. LE TRAITEMENT DES OCCLUSIONS VEINEUSES RE~TINIENNES (OVR) 1. Pathogenie des OVR (Coscas, 3).
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L'occlusion de la veine n'est pas le fait d'une thrombose aigu6 isol6e, mais d'un processus complexe etal6 dans le temps et mettant en jeu plusieurs facteurs: r6tr6cissement veineux, soulfrance pari6tale veineuse, anomalies rh6ologiques locales et p e u t - ~ t r e thrombose surajout6e. Le retr6cissement v e i n e u x : il est dfi /l la compression de la veine par l'art&e qui la croise, cette a t t i r e 6tant pathologique, rigide, scl6ros6e chez un patient ~ art6riel r~ et tr~s souvent hypertendu. La souffrance pari6tale veineuse au niveau de ce croisement pathologique se traduit par une proliferation endoth61iale localis6e augmentant le r6tr6cissement. Les anomalies rh6ologiques au niveau de ce croisement sont mal connues mais sfirement importantes, elles se traduisent par un ralentissement circulatoire local. Le thrombus surajout6 a une existence discut6e car il n'est pas indispensable p o u r obtenir exp6rimentalement un tableau d'OVR et car son existence n'a jamais 6t6 prouv6e aux stades initiaux d'une OVR. Quoi qu'il en soit, tous ces facteurs s'intriquent progressivement puis l'obstruction circulatoire s'ins, talle brusquement, r6alisant le tableau clinique de I'OVR.
b) Les cons6quencesdel'occlusion. I1 se produit brusquement un engorgement aigu de la circulation de retour avec eed~me r6tinien et h6morragies plus ou moins marqu6es ; d a n s certains cas, I'OVR est tellement s6v6re que l'hyperpression d ' a m o n t devient consid6rable et aboutit darts ce syst~me vasculaire c l o s / t une diminution importante du d6bit art6riel r6tinien avec isch6mie r6tinienne surajout6e. Une fois pass6 l'accident aigu initial, on peut assister /l une am61ioration spontan6e de la circulation de retour par d6veloppement de vaisseaux collat6raux qui pontent l'endroit de l'obstruction veineuse; cette 6volution s'6tend sur des mois et m6me des ann6es.
c) Les possibilit~s th~rapeutiques. Elles d6rivent des donn6es cliniques ; on peut, soit l u r e r contre l'occlusion elle-m6me dans l'imm6diat, soit lutter contre les cons6quences de l'occlusion, soit enfin tenter de corriger le terrain ~t vasculaire ~ de ces patients.
Elle est indispensable/t connaitre pour comprendre les buts et les limites du traitement.
2. La lutte contre I'obstruction veineuse. a) L' occlusion. Les OVR surviennent dans la quasi-totalite des cas au niveau d'un croisement arterio-veineux, soit dans la papille et c'est la veine centrale qui sera occluse, soit dans la r6tine et c'est la branche veineuse qui sera occluse.
C'est le domaine de l'h6parine et des fibrinolytiques. A l'heure actuelle, ni les unes ni les autres de ces substances n'ont fait la preuve de leur efficacit6 (Coscas, 3), ce qui se comprend puisque le thrombus s'il existe ne joue de toute faqon qu'un r61e d'adjuvant.
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a) Les moyens th#rapeutiques. -
L'h@arine.
Elle est utilisee de la mani~re suivante : sous forme de calciparine/t 3 injections par jour, en d o u b l a n t le temps de Howell pendant 6 /t 8 semaines sans prendre de relais par les antivitamines K. L'efficacit6 de l'h6parine n'est pas prouv6e mais il s'agit d'un traitement relativement peu dangereux et facile /~ surveiller. On pense de plus qu'il a un effet positif sur le d6veloppement des vaisseaux collat6raux. -
Les fibrinolytiques. • L a streptoMnase.
Elle a 6t6 utilis6e par plusieurs auteurs en g6n6ral/t la dose de 100 000 h 150 000 unit6s par heure pendant 48 h e u r e s / t 72 heures. L'absence d'efficacit6 indiscutable et les risques importants li6s g son utilisation (h6morragies locales et g6n6rales et allergie) font que la streptokinase n'est plus utilis6e actuellement. • L'urokinase.
Elle a 6galement 6t6 utilis6e par plusieurs auteurs avec la posologie suivante: 150000 unit6s en 30 minutes initialement, puis 2 0 0 0 unit6s par kilogramme et par heure pendant 12 heures & 24 heures. De m6me que pour la streptokinase, la preuve de l'efficacit6 de ce traitement n'a pas pu 6tre faite (Coscas, 3) et son emploi est actuellement tr6s discut6.
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l a s e r /t argon, faite en milieu sp6cialis6 apr~s 6tude angiographique de la circulation r6tinienne. Le but de ce traitement est de traiter les zones d'oed~me et d'isch6mie r6tinienne chroniques pouvant exister chez certains patients.
4. Le terrain. C'est un 616ment tr6s important. La majorit6 des patients atteints d'occlusion veineuse r6tinienne sont des hypertendus art6riels qu'il importe de bien 6quilibrer. I1 faut 6galement rechercher et traiter les d6sordres biologiques associ6s tr6s fr6quents: hyperuric6mie, hyperlipid6mie et g un moindre degr6 diab6te.
5. Au total. La conduite /t tenir en face d'une occlusion Veineuse r6tinienne peut se r6sumer ainsi : A u m o m e n t de l'accidem initial, h6parine ; dans certains cas rares (atteinte de la velne centrale et monophtalme), urokinase ; parfois abstention (malade vu tardivement) ; Dans les mois qui suivent, parfois laser (milieu sp6cialis6) ; - D a n s tous les cas et toujours, traitement du terrain (HTA),
b) Les indications. Elles peuvent actuellement se sch6matiser ainsi : -
• pas de fibrinolytiques car le risque iatrog6ne est disproportionn6 et les patients sont habitueUement vus / t u n stade tardif, • on utilise donc l'h6parine 6 semaines sans prendre de relais par les antivitamines K, • dans certains cas vus tr6s tardivement apr6s le debut des troubles : abstention ; -
IV. CONCLUSION
Occlusion de b r a n c h e v e i n e u s e :
Occlusion d u tronc de la veine c e n t r a l e :
• pas de streptokinase, • le plus souvent heparine selon le m6me protocole que pr6cedemment, • de plus en plus rarement urokinase que l'on tentera en fait surtout chez les sujets monophtalmes.
Le traitement des accidents vasculaires r6tiniens est difficile p o u r deux raisons: 1. La r6tine est un tissu fragile rapidement d6truit. 2. L'obstruction vasculaire que ce soit sur une art~re ou sur une veine est tr6s rarement un thrombus vrai. Ces donn6es expliquent le peu d'efficacit~ des traitements d'urgence et en particulier les r6sultats m6diocres des fibrinolytiques qui avaient suscit6 beaucoup d'espoir.
3. Lutte contre les consequences de robstruction veineuse. Nous n'en dirons que quelques mots car ce n'est plus le traitement de l'accident vasculaire lui-m6me. I1 s'agit essentiellement de la photocoagulation par
Nous remercions Mile M. Bonnet pour son travail de secretariat.
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SUMMARY
The t r e a t m e n t Of acute retinal vascular occlusions is difficult for two reasons - retina is a fragile tissue, vascular obstruction arterial or v e n o u s is v e r y rarely due to a real isolated thrombus. The treatment o f retinal arterial occlusions (RAO). It is based o n papaverine a n d xylocaine i.v., heparine m a y be added I~ut w e must respect its contreindications ; flbrinolytic drugs are n o t efficient here. T e m p o r a l arteritis is a quite special cause of RAO. Its t r e a t m e n t is based o n massive steroid therapy. The treatment o f retinal v e n o u s occlusions (RVO). It is based chiefly o n heparine, streptoki-
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nase is n o t indicated, u r o k i n a s e m a y be used o n some rare cases, its efficiexicy is dubious. In the whole it is quite rare that treatment leads to the restauration of a good vascular patency.
BIBLIOGRAPHIE 1. COGAN D. G. : Ophthahnic ma~lfestations of systemic vascular disease. 102-126, W. B. Saunders Company ed. Philadelphia, 1974. 2. OFFRET-GUILLE~MET M. : L'urokinase dans l'oblit6ration aigu6 des vaisseaux retiniens ~t propos de 41 observations. ThOse mddecine, Paris, 1976. 3. COSCAS G., DHERMY P. : Occlusions veineuses rdtiniennes. Paris 1978, 76-106 et 405-436; Masson, 6d.