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Traitements médicamenteux de la spasticité en 2009
C. Donzé
Service de médecine physique et réadaptation fonctionnelle, Hôpital Saint Philibert, Lomme.
L
a spasticité est un symptôme gênant présent dans de nombreuses affections neurologiques. L’évaluation est primordiale et permet d’établir des objectifs réalisables avec le patient. Les traitements médicamenteux font appel à différentes molécules administrées per os ou par voie injectable. Ces dernières années, l’arrivée de la toxine botulique dans l’arsenal thérapeutique de la spasticité a permis de revoir plus précisément la place de chacun des traitements de ce symptôme grevant tout particulièrement la qualité de vie des patients. Ces recommandations distinguent cinq volets : la toxine botulique A, les traitements per os, le baclofène intrathécal, l’alcoolisation et une proposition de stratégie thérapeutique par l’intermédiaire d’algorithmes.
Toxine botulique A La toxine botulique A est recommandée en raison de la preuve scientifique de réduction de la spasticité après injection intramusculaire. Son utilisation est possible en 1ère intention en cas de spasticité focale ou multifocale. Correspondance
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Effets r Chez l’adulte : amélioration du nursing et de la motricité active du membre inférieur, sans modification démontrée au membre supérieur. r Chez l’enfant : amélioration de la motricité active des membres inférieurs et supérieurs, et aspect préventif sur les complications orthopédiques secondaires.
Dose r Les unités diffèrent selon les produits utilisés sans équivalence reconnues. r La dose maximale adulte est de 500 U Allergan pour le Botox ®, 1500 U Speywood pour le Dysport® et pour l’enfant : 20 U Allergan/kg pour le Botox® et 30 U Speywood/kg pour le Dysport®. r La dose initiale est plus faible et des doses maximales par muscles sont proposées.
Précautions d’emploi r Repérage par électrostimulation nécessaire voire par échographie pour les muscles profonds ou non stimulables. r Injections réalisées par une équipe formée spécialisée avec analgésie locale ou générale. r Traçabilité recommandée. r Pas de surveillance médicale immédiate nécessaire après le geste. r Évaluation des résultats entre 3 et 6 semaines après l’injection. r Délai minimum de 3 mois entre deux injections à renouveler tant que l’efficacité existe. r Dosage des anticorps non recommandé. r Établir un carnet de suivi et une fiche d’informations à remettre au patient.
Effets indésirables Exceptionnels, ils surviennent généralement 3 semaines après l’injection (syndrome botulique, troubles de déglutition) et nécessitent une consultation médicale immédiate.
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Les études sur l’efficacité de la toxine A sont surtout de niveau 2 et concernent pour la plupart l’accident vasculaire cérébral (AVC) chez l’adulte et l’infirmité motrice cérébrale (IMC) chez l’enfant. Son indication reste plutôt symptomatique, ce qui permet d’élargir son utilisation aux autres pathologies neurologiques induisant une hypertonie spastique. Dans la majorité des études, les techniques d’injection (repérage anatomique, électrostimulation, échographie) diffèrent, ce qui induit indubitablement un biais dans les résultats. L’effet de la toxine A sur la marche n’est pas spectaculaire et les résultats des études sont contradictoires (Burbaud et al., 1996 ; Reiter et al., 1998 ; Yelnick et al., 2003 ; Rousseaux et al., 2005 ; Rosales et al., 2008). Les capacités fonctionnelles sont finalement peu étudiées et quelques études ont évalué la satisfaction et la qualité de vie (Burbaud et al., 1996 ; Rousseaux et al., 2007). Chez l’enfant, l’effet sur la marche est démontré, mais l’efficacité sur la motricité active du membre supérieur n’est pas évaluée précisément (Lowe et al., 2006 ; Mall et al., 2006 ; Scholtes et al., 2007). La recherche d’anticorps est peu étudiée dans la littérature (Gordon et al., 2004 ; Koman et al., 2001), de plus l’interaction entre la présence d’anticorps et l’inefficacité n’a pas été recherchée. La tolérance reste excellente, il est toutefois recommandé de porter une attention particulière aux enfants polydéficients après une injection sous anesthésie générale.
Traitements per os Chez l’adulte, deux molécules ont fait la preuve d’une efficacité sur la réduction analytique de la spasticité (score d’Ashworth) : le baclofène et la tizanidine. Le baclofène est recommandé en 1ère intention dans la sclérose en plaques (SEP) et la spasticité d’origine médullaire. La tizanidine fait l’objet d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) et est recommandée en seconde intention en cas de contrindications, d’effets secondaires ou d’inefficacité du baclofène. Les résultats des études concernant le
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dantrolène ne permettent pas de le recommander (Katrak et al., 1992). Les autres molécules utilisées en pratique courante hors AMM (benzodiazépines, gabapentine…) n’ont pas fait la preuve d’une efficacité dans cette indication et ne sont donc pas recommandées.
Effet r Effet dose-dépendant, réservé aux spasticités diffuses, gênantes, non recommandé dans l’AVC en phase aiguë. r Chez l’enfant, seul le baclofène dispose de l’AMM après 6 ans, mais les données de la littérature à disposition ne permettent pas de le recommander (Scheinberg et al., 2006). Le diazépam hors AMM est recommandé avec prudence et sur une courte durée (Mathew et al., 2005).
Dose r Titration progressive. r Réévaluation à distance nécessaire en cas de traitement au long court. r Dose maximale journalière : 120 mg baclofène. r Diminution progressive des doses de 10 à 15 mg/semaine pour le baclofène et de 4 mg/semaine pour la tizanidine.
Précautions r Effets délétères sur l’organisme en phase de récupération mis en évidence sur les modèles animaux implique une prudence d’utilisation dans l’AVC à la phase aigue et après poussée de SEP. Les études évaluant le baclofène concernent toutes la SEP. Une seule étude de niveau 2 (Scheinberg et al., 2006) a été jugée recevable avec un effet démontré sur la spasticité analytique (score d’Ashworth) sans effet sur la fonction. La dose moyenne efficace est de 70 à 80 mg (Brar et al., 1991), les effets secondaires sont fréquents (28 % de sédation). La tizanidine a été étudiée principalement dans la SEP, plus rarement dans l’AVC et la spasticité d’origine médullaire. L’effet est démontré à partir de 16 mg/jour avec 50 % d’effets secondaires (tolérance dose-dépendante). Il n’y a pas d’intérêt démontré à asso-
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cier les deux traitements (United Kingdom Tizanidine Trial Group, 1994).
Baclofène intrathécal Le baclofène intrathécal est un traitement efficace de la spasticité. Il est recommandé chez le blessé médullaire et dans la SEP surtout en cas d’hypertonie des MI diffusant au tronc.
Effets r Amélioration des postures, du nursing, de l’autonomie. r Diminution des douleurs.
Dose r Tests de pré-implantation nécessaires et évaluation 4 heures après. r Dose test : 50 μg chez l’adulte, 25 μg chez l’enfant (dose-test maximale : 150 μg chez l’adulte et 100 μg chez l’enfant). r Adaptation des doses sur 6 à 9 mois après implantation.
Précautions d’emploi r Information du patient primordiale sur l’observance, les contraintes, les bénéfices attendus et les risques encourus. r Pas de contre-indications formelles en cas d’escarres, de matériel d’ostéosynthèse rachidien. r Surveillance de la croissance rachidienne chez l’enfant (risque de scoliose).
Sécurité r Les risques principaux sont les surdosages, aussi la surveillance des paramètres vitaux est recommandée dans les 3 heures suivant l’implantation. r Nécessite une équipe médicochirurgicale spécialisée (surveillance des risques : déplacements de cathéter, infection, sevrage…). Les études évaluant le baclofène intrathécal ont été réalisées surtout dans la SEP, de façon moindre dans les autres pathologies neurologiques (AVC, traumatismes crâniens, pathologies médullaires). Les doses efficaces sont variables de 20 à 1 020 μg/jour
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chez l’adulte (Azouvi et al., 1996 ; Ben Smail et al., 2006). Les critères d’évaluation sont plus fonctionnels (postures, nursing, transferts). L’efficacité sur la marche n’est pas concluante car évalué sur des petits échantillons dans des études peu rigoureuses sur le plan méthodologique (Remy-Neris et al., 2003).
Alcoolisation/phénolisation L’alcool et le phénol ont une action sur la spasticité au plan analytique (score d’Ashworth) par neurolyse chimique. Ces produits nécessitent une préparation hospitalière. La préférence est aujourd’hui au phénol glycériné permettant une diffusion moindre du produit limitant ainsi les douleurs lors de l’injection. Il s’agit d’un traitement de seconde intention à discuter en équipe pluridisciplinaire spécialisée, en raison du risque de fibrose gênante pour un geste chirurgical ultérieur. Ce traitement doit être précédé d’un test par bloc moteur anesthésique local. Le repérage par électrostimulation, plus ou moins l’échographie est nécessaire. Une anesthésie locale ou générale est conseillée en raison du caractère douloureux de l’injection. Aucune étude n’est disponible sur les doses recommandées. Le rapport bénéfice/risque n’a pas été évalué à ce jour par l’AFSSAPS. Une 1ère injection inefficace est considérée d’emblée comme un échec thérapeutique et doit faire discuter la chirurgie (neurotomie sélective). Ce traitement a été plutôt évalué dans l’AVC dans des études de niveaux 4 essentiellement. L’effet perdure 6 mois. Ce traitement permet d’améliorer certaines capacités fonctionnelles et le nursing (Kong et al., 1999 ; Kirazli et al., 1998). La place de ce traitement chez l’enfant reste discutée à l’heure actuelle.
Stratégie thérapeutique générale À côté des traitements médicamenteux, la prise en charge de la spasticité doit inclure
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les autres approches notamment rééducative. Ainsi la kinésithérapie est le traitement de base. Utilisant des techniques de postures spécifiques et d’étirements, elle permet d’éviter les complications orthopédiques, mais n’a pas d’action au long cours. L’appareillage peut être nécessaire chez l’enfant mais aussi chez l’adulte afin de potentialiser l’action des traitements médicamenteux et dans un but préventif des rétractions muculo-tendineuses. La verticalisation mécanique passive des patients « non marchant » limite également les conséquences de la spasticité en procédant à un étirement passif des muscles spastiques. Enfin et surtout la gestion des épines irritatives représentées par les troubles vésicosphinctériens, la constipation, les troubles trophiques et cutanés, reste une priorité dans la prise en charge de ce symptôme.
cularités de ce symptôme complexe est sa fluctuation au cours de la journée nécessitant une adaptation des doses. C’est pour cette raison qu’un programme d’éducation thérapeutique spécifique de ce symptôme peut s’avérer nécessaire. Enfin, même si les algorithmes proposés en fonction de la pathologie semblent un peu contradictoires avec la philosophie du document qui prône le symptôme « spasticité » et non pas l’étiologie, ils permettent de guider le praticien et le patient dans le choix des thérapeutiques.
Conclusion
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Il s’agit d’une très bonne mise au point sur les traitements médicamenteux de la spasticité aujourd’hui disponibles. Si les recommandations sont claires et se rapportent à une revue de littérature assez exhaustive, un point n’est cependant pas abordé: la place des cannabinoïdes dans le traitement de ce symptôme. Or quelques études récentes font état d’une certaine efficacité sur la spasticité de ces molécules notamment dans la SEP. Lakan et al., en 2009, dans une revue de six études contrôlées randomisés ont conclu que les traitements à base de cannabidiol et ou de δ9-tétrahydrocannabinol permettent de diminuer subjectivement, mais pas objectivement la spasticité des patients atteints de SEP avec des effets secondaires modérés sans évaluation à long terme. Il faut toutefois relativiser l’efficacité des traitements cités dans les recommandations. En effet, ils sont le plus souvent évalués d’un point de vue analytique et peu sur le plan fonctionnel et qualité de vie, ce qui peut parfois décevoir les patients. L’information sur des objectifs atteignables est garante d’une efficacité thérapeutique. Par ailleurs, une des parti-
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