ÎCas clinique © Masson, Paris 2006 - Rev Pneumol Clin 2006 ; 62 : 175-178
Tumeur maligne de la gaine d’un nerf périphérique : une lésion rare du médiastin postérieur
F. Sukkarieh1, A. Van Meerhaeghe2, P. Delrée3, P. Brasseur1 175 1
Service d’Imagerie Médicale, 2 Service de Pneumologie, CHU André-Vésale, Rue de Gozée 706, B-6110 Montigny-le-Tilleul, Belgique. 3 Institut de Pathologie et de Génétique, B-6280 Loverval, Belgique. Correspondance : P. Brasseur, à l’adresse ci-dessus.
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Résumé
Summary
Nous présentons un cas de tumeur maligne de la gaine d’un nerf périphérique (MPNST), qui s’est développée dans le médiastin postérieur chez un homme de 52 ans. Le diagnostic de cette tumeur rare est difficile, car la symptomatologie clinique des lésions bénignes et malignes d’un nerf périphérique est souvent identique, constituée de douleurs électives et d’érosions osseuses. De même, l’imagerie médicale ne permet pas toujours une distinction nette entre ces deux formes. Le diagnostic définitif est histologique, mais reste délicat en raison de la grande hétérogénéité du tissu tumoral. L’IRM et la tomodensitométrie (TDM) sont les examens de base : ils localisent et caractérisent les lésions, et la TDM guide avec précision les biopsies. Le traitement est avant tout chirurgical. La survie du patient, plus de 5 ans après la découverte de la lésion, est inhabituelle, car ce type de sarcome est souvent très agressif, avec un taux élevé de métastases et de récidives locales après exérèse.
Malignant peripheral nerve sheath tumor in the posterior mediastinum
Mots-clés : Tumeur médiastinale. Tumeur neurogène. Tumeur maligne de la gaine d’un nerf périphérique.
Key-words: Mediastinal tumor. Neurogenic tumor. Malignant peripheral nerve sheath tumor.
L
es tumeurs neurogènes représentent 20 % des masses médiastinales chez l’adulte et 35 % chez l’enfant ; elles constituent 75 % des lésions du médiastin postérieur [1]. Elles se divisent en tumeurs du système nerveux sympathique, surtout fréquentes chez l’enfant et l’adolescent, et en tumeurs des nerfs périphé-
We report the case of a 52-year-old male patient who developed a malignant peripheral nerve sheath tumor (MPNST) localized in the posterior mediastinum. The diagnosis of this rare tumor is difficult because the clinical presentation of the benign or malignant types is often similar, i.e. elective pain and bone erosions. Similarly, radiological procedures do not always allow distinction between the two types. MNR and CT-scan are the first line procedures: they localize and characterize the lesions, and CT-scan can also be a guide for biopsies. Histological diagnosis is required, but diagnosis can be compromised by the heterogeneous nature of the tumor. Surgical treatment should be undertaken whenever possible. Survival was unusually long in our patient, more than 5 years after discovery of the MPNST. This type of sarcoma is often very aggressive with frequent development of local recurrences and metastases.
riques. Ces dernières comprennent deux formes bénignes, les schwannomes et les neurinomes, tandis que les formes malignes, plus rares, sont représentées essentiellement par les tumeurs malignes des gaines des nerfs périphériques (malignant peripheral nerve sheath tumors ou MPNST) [2].
Tumeur maligne de la gaine d’un nerf périphérique dans le médiastin postérieur
Nous présentons un cas de cette lésion, au diagnostic délicat et au pronostic souvent sévère.
Observation
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En juin 1999, un homme de 52 ans consultait pour des douleurs thoraciques postérieures et inférieures gauches apparues depuis 2 semaines. Il s’agissait d’un patient obèse (128 kg pour 1,70 m), traité depuis 5 ans par pression positive continue pour un syndrome d’apnée-hypopnée. En mai 1996, après une chute, alors qu’il était sous anticoagulants pour des embolies pulmonaires, il avait développé un épanchement pleural gauche sanglant, considéré comme post-traumatique. Après évacuation de cette collection, la tomodensitométrie (TDM) de contrôle n’avait montré aucune lésion pulmonaire ou médiastinale sous-jacente. Lors de l’épisode de juin 1999, la TDM révélait une masse paravertébrale inférieure gauche, accolée aux 6e, 7e et 8e vertèbres dorsales et à l’arc postérieur des côtes correspondantes (fig. 1). Ses diamètres, en coupes transversales, étaient de 58 x 43 mm. Un examen par résonance magnétique (IRM), pratiqué en juillet 1999, ne montrait pas d’extension au niveau du canal rachidien ou du tissu pulmonaire avoisinant. Le patient refusait tout autre examen et quittait l’hôpital. Il revenait consulter en mai 2002, toujours pour des douleurs thoraciques postérieures gauches, devenues insupportables depuis quelques jours. Le scanner thoracique
Figure 1. - Tomodensitométrie thoracique sans contraste, réalisée en procubitus. Coupe transversale à hauteur de D7 : volumineuse masse tissulaire paravertébrale gauche, à contours bien limités. La lésion n’érode pas les structures osseuses et n’infiltre pas le parenchyme pulmonaire.
montrait une augmentation de la masse médiastinale postérieure, dont les diamètres étaient de 82 x 53 mm. Une tomographie par émission de positons (PET-scan) était en faveur d’une lésion maligne, mais excluait d’autres localisations suspectes. Le patient acceptait alors une biopsie à l’aiguille, sous contrôle tomodensitométrique. L’analyse histologique concluait à une tumeur sarcomateuse, tandis que l’étude immunohistochimique montrait une réaction positive à la Leu 7 et négative à la S-100protein. La masse était enlevée en juillet 2002. Elle s’était développée à partir du 7e nerf intercostal gauche. Le diagnostic histologique définitif était celui de tumeur maligne de la gaine des nerfs périphériques (MPNST), de grade II selon la classification de Coindre (fig. 2). Les marges chirurgicales étaient saines à 1 cm. Depuis, le patient a été revu régulièrement, et les derniers examens, TDM et PET scan réalisés en janvier 2005, n’ont montré aucun signe de récidive locale ou de dissémination métastatique, avec un recul de 30 mois après l’intervention et de 65 mois depuis la découverte de la masse.
Discussion Les cancers des nerfs périphériques sont appelés tumeurs malignes de la gaine des nerfs périphériques (malignant peripheral nerve sheath tumors, MPNST). Leur identification est délicate en raison de leur diversité cellulaire ; aussi les anciens termes de « sarcome neurogénique », « neurofibrosarcome », « schwannome malin » ont-ils été abandonnés parce que trop spécifiques [3, 4]. Ces tumeurs, souvent de haut grade, représentent 5 à 10 % des sarcomes des tissus mous [3], et leur incidence dans la population générale est de 0,001% [5]. Dans la moitié des cas, elles sont associées à une maladie de Von Recklinghausen ou neurofibromatose de type I (NFI) ; 5 % des patients atteints par cette affection génétique vont présenter une dégénérescence maligne d’un neurofibrome [1]. Dix pour cent des MPNST sont radio-induites et surviennent, après un délai moyen de 15 ans, dans un territoire irradié chez des patients ayant subi une radiothérapie [4, 5]. Les autres cas, soit environ 40 %, sont sporadiques, apparaissant sur un neurofibrome isolé ou sur un nerf apparemment normal, comme chez notre patient. Ces tumeurs se manifestent à l’âge adulte, surtout entre 20 et 50 ans, mais surviennent plus tôt dans les cas de neurofibromatose [5, 6]. Elles frappent n’importe quel nerf périphérique, mais on les retrouve avec une plus grande fréquence dans la partie haute des membres, dans les plexus brachial et sacré et dans le rétropéritoine. Le nerf le plus souvent touché est le sciatique [5, 7].
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177 Figure 2. - Coupe histologique. Grande cellularité de la tumeur, constituée de cellules allongées, à noyau hyperchromatique et fusiforme. Ces cellules sont relativement monomorphes et se disposent en fascicules. Il existe une activité mitotique significative (trichrome bleu ; x 400).
Ces lésions, souvent profondes, peuvent atteindre un diamètre de plusieurs centimètres au moment de leur découverte. Elles se manifestent par des douleurs spontanées croissantes et des troubles sensitivo-moteurs qui varient en fonction de leur localisation. Souvent sphériques ou fusiformes, elles restent longtemps bien limitées [5], ce qui leur donne un aspect faussement bénin. Chez notre patient, la tomodensitométrie localisait une lésion à contours réguliers dans le médiastin postérieur, au niveau de la gouttière costovertébrale gauche. Cette masse, développée à partir du 7e nerf intercostal gauche, n’envahissait pas les structures osseuses, pulmonaires ou médiastinales de voisinage. Le diagnostic différentiel doit discuter les lésions qui se développent habituellement dans le médiastin postérieur [1]. Dans 75 % des cas, il s’agit de tumeurs d’origine nerveuse, atteignant soit les chaînes ganglionnaires sympathiques, soit les nerfs périphériques. Dans le premier groupe, on peut rencontrer des ganglioneuromes (bénins), des neuroblastomes (malins) et des ganglioneuroblastomes (semi-malins). Ces différentes néoplasies atteignent surtout l’enfant ou l’adolescent [8]. Le second groupe est constitué de tumeurs développées sur les nerfs périphériques : les schwannomes et les neurofibromes représentent 80 % des cas et sont bénins, tandis que les lésions malignes sont constituées par les MPNST. Les autres masses médiastinales postérieures à exclure sont les méningocèles (souvent associés à la neurofibromatose), les kystes neuro-entériques, les foyers d’hématopoïèse extra-médullaire (en cas d’anémie hémolytique chronique) et les adénopa-
thies paravertébrales d’un lymphome ou d’un séminome [1]. La distinction entre tumeurs bénignes et malignes d’un nerf périphérique est délicate sur le plan clinique, car elles peuvent toutes se manifester par des douleurs électives et des érosions osseuses de voisinage [9]. D’autre part, les MPNST gardent longtemps des contours réguliers, bien limités, d’aspect bénin [10]. Une croissance rapide est un élément suspect, mais les lésions profondes, dans les régions paravertébrales du médiastin postérieur ou du rétropéritoine, ne sont décelées que tardivement, et il est donc impossible de préciser la rapidité de leur évolution. Dans notre observation, c’est la biopsie à l’aiguille, sous contrôle tomodensitométrique, qui a permis d’établir la nature de cette masse. La situation paravertébrale de la lésion, sa taille, sa croissance et la présence d’un fragment de nerf périphérique inclus dans le prélèvement tumoral étaient des arguments supplémentaires pour l’identification d’une tumeur maligne de la gaine d’un nerf intercostal. Le diagnostic histologique des MPNST est difficile, en raison du caractère hétérogène des tissus cancéreux. Ces tumeurs peuvent présenter une différenciation épithélioïde, glandulaire ou mélanotique et, dans 15 % des cas, contiennent des foyers de métaplasie cartilagineuse, osseuse ou musculaire [2]. Aussi, le diagnostic différentiel histologique envisage souvent la possibilité d’autres atteintes sarcomateuses, tels que le fibrosarcome, le sarcome synovial monophasique, le rhabdomyosarcome ou le léiomyosarcome [5]. Leur nature est
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établie après une étude de leur ultrastructure par microscopie électronique et par des analyses immunohistochimiques qui montrent notamment une réactivité à la protéine S-100 (positive seulement dans 50 % des MPNST) et au CD 57 (Leu 7) [2]. En ce qui concerne l’imagerie médicale, l’étude du médiastin postérieur est fondée avant tout sur la tomodensitométrie et l’IRM, qui précisent l’une et l’autre la localisation, la taille, les contours de la lésion et ses rapports avec les organes voisins, sans permettre cependant d’en affirmer avec certitude la nature maligne ou bénigne [11-14]. En effet, toutes les tumeurs neurogènes peuvent présenter des calcifications, ainsi que des zones de nécrose kystique et d’hémorragie, qui donnent un aspect hétérogène même aux lésions bénignes [1]. D’autre part, les lésions malignes gardent souvent des contours bien limités, ce qui leur donne un aspect faussement bénin [1, 10]. L’intérêt de ces techniques est autre. La tomodensitométrie permet de guider une biopsie par ponction, tandis que l’IRM montre un éventuel envahissement des tissus mous et des structures osseuses de voisinage, ou l’extension d’une lésion d’un nerf intercostal dans le canal rachidien, avec formation d’une tumeur en sablier [1]. Le PET-scan est utile dans la surveillance périodique des malades atteints de neurofibromatose, qui représentent une population à haut risque ; enfin, il révèle une éventuelle dissémination métastatique. En effet, comme beaucoup de sarcomes, ces lésions sont très agressives et présentent fréquemment (40 à 68 % des cas) des métastases hématogènes : poumons, os, plèvre [4, 7, 10]. Le traitement est avant tout chirurgical : il est important d’enlever toute la lésion en gardant des marges saines, afin d’éviter une récidive locale de la tumeur rapportée dans 40 à 65 % des cas [4, 7, 10]. La radiothérapie et la chimiothérapie sont utiles dans le traitement des métastases, ou lorsque l’ablation de la masse n’a pas été totale [6]. Quoi qu’il en soit, les MPNST ont un pronostic sévère : les taux de survie à 5 ans sont de 52 % en moyenne [4], mais retombent à 15 % si la tumeur siège dans une région paravertébrale, d’accès chirurgical difficile, où l’exérèse est souvent incomplète [3]. La taille de la néoplasie au moment de sa découverte est également liée à la probabilité de survie à 5 ans : 54 % pour les lésions dont le diamètre est inférieur à 5 cm, et 16 % pour les diamètres supérieurs [5].
Conclusion Les tumeurs malignes des gaines des nerfs périphériques représentent une cause rare de masse du médiastin postérieur. Leur identification est difficile, tant du point de vue de l’imagerie médicale que de l’anatomopathologie. Leur pronostic est souvent sévère. La survie prolongée de notre patient, sans récidive ni métastases, 30 mois après l’opération et 65 mois après la découverte de la lésion, s’explique probablement par la malignité modérée de la tumeur (grade II), ce qui est rare pour ce type de sarcome. Références 1.
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