«Un conte vrai ou l'histoire de Pierrot

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ENFANT ET SOCII~TI~ ...

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ENFANT ET SOCII~TI~

<( u n c o n t e v r a i )) ou I'histoire de Pierrot
II n'est pas facile de s'occuper des enfants des autres. Mais c'est la profession que nous avons choisie, nous, les professionnels de renfance. II est aussi difficile de comprendre et d'entendre les enfants et leurs families quand ils sont eux-m6mes en difficulte pour s'entendre el se comprendre. Aussi faut-il savoir les ecouter dans ce qu'ils peuvent nous apprendre de leur vie, a nous les professionnels.

Cette histoire s'adresse a u x professionnels de l'enfance afin qu'ils soient moins sourds ~ leurs paroles e t a leurs souffrances.

Un petit mot de Pierrot a u x cc G r a n d e s P e r s o n n e s

Mesdames, Messieurs les <
~

J ' a i m e r a i s d i r e c e q u e j ' a i m e o u c e q u e je n ' a i m e pas ; ce que pense un enfant qui vit chez cette Vieille Dame. Au fait, je ne sais pas qui c'est, si ~a existe, si elle est dans la salle... Enfin, peu importe, comme les copains, je dis : %Je suis ~ la V G A ,, *, sans savoir ce que ga veut dire, mais je m~en fous... C'est vrai que quelquefois, quand je dis avec d'autres copains : ~Je suis de la VGA ,,, on se sent plus fort, mais d'autres fois, quand d'autres ils disent : ~ II est de la VGA ~,, ils ont l'air de pas trouver ga bien... Enfin... * VGA, Fondation Vie au Grand Air (association qui accueille des enfants confi~s a I' ASE). 477

ENFANT ET SOClI~TI~ Les Grandes Personnes, tous tant que vous ~tes, vous &es marrants... I1 y en a qui disent : ~r I l f a u t d o n n e r la parole a u x e n f a n t s !... ,, comme si on ne savait pas parler... Moi, je sais parler !... Je ne me rappelle pas depuis quand, sans doute quand j'&ais chez ma nourrice, enfin ga fair tr~s, tr~s longtemps. Je sais parler, crier, gueuler, dire que je suis quelquefois en col6re, que j~ai envie des fois d*aller voir ma m6re quand ce n'est pas le week-end, des fois je pr6f~re aller au foot, des fois que mes parents y exag~rent, des lois que c'est les dducateurs (ga, c'est des hypocrites), ils n'en ont rien ~i foutre de moi et qu'ils nous emmerdent... Ils ont pas besoin de me donner la permission de parler... Quand j'ai envie, je parle. Je sais quand m~me que tout ga, c'est pas bien, et que les G r a n d e s P e r s o n n e s y c o m p r e n n e n t rien. Ils prennent tout ce que je dis comme quelque chose contre eux, rues parents, ma nourrice, m e s ~ d u c a t e u r s . . . Y p e n s e n t q u e q u a n d je dis ~ Oui ,,, ou quand je dis ~ Non ,,, qu'une fois sur deux, je mens. C'est vrai que quelquefois, je suis tr&s en col&re contre les dducateurs, ces mecs qui sont paySs pour nous obliger ~ nous laver les dents, faire notre lit, et aller ~i l'4cole... Mais quelquefois aussi, quand Nicole, m o n 8ducatrice prSf&Se, d i e me fait un c~lin le soir, je me dis : ~ C'est b & qu'elle soit pas .na .nSre, elle aura# gtg vache.nent gentille / ...... Mais si je le lui dis, je connais la rdponse tout sec : (~ffe suis p a s t a .nare. Ta .nare, elle peut pas s'oecuper de toi pour le moment... ,,. Je le sais bien t o u t ga ; je connais la musique... Alors si c'est ga que vous appellez ~ Donner la parole aux enfants ,,... Dans ma t~te, t o u t ga c'est tr~s e m b r o u i l l & . . Toutes ces iddes, tout ga, ga se cogne. Des lois, je me demande si j'aime mieux ma nourrice que ma m~re ?... encore que ma nourrice, m~me si je lui en ai fait baver, elle aurait pu me garder encore un peu. Enfin, c'est pas de sa faute il paragt ; elle m'a dit que c'est une assistante sociale qui lui a dit que je serais m i e u x en internat... De quoi elle se m61e celle-l~i ! Elle est venue me voir plusieurs fois, d i e m'a fait parler. Encore une qui veut donner la parole aux enfants... Je lui ai dit tout ce que je pensais... Enfin, je lui ai fair croire... Elle a parl~ avec ma Tara. J'ai un peu &out~, j'ai pas tout compris : elle a parl~ de ~ prise en charge dducative ,,, ~, de projets pgdagogiques... ,, ; c'est u n p e u c o m m e q u a n d on rentre en 6 ~ qu'on vous parle Anglais pour la prem i t r e lois !... Moi, ga c'est vrai, je travaillais pas bien ?i l'&ole ; j'aimais pas m o n instit', s u r t o u t celui de l'ann~e derni~re ; il me regardait de travers ; peut-~tre parce que j~&ais chez ma Tara, et que les autres ~taient chez leurs parents, alors j'en sais rien... I1 y avait D~d~ qui faisait des conneries avec moi ; celui-l~i il 478

4tait chez ses parents,,m~me qu'il me racontait les racl4es qu'il prennait par son p6re ; et l'instit', il l'aimait pas non plus. Avec D4d4, on parlait beaucoup ; des fois il me disait 9 ~ Moi je prdffrerais 8tre chez une Tata, car avec des parents, si tu savais, ils gueulent tout le temps... ,,. Alors j'ai pens4, les enfants c'est toujours malheureux, quand ils vivent avec les Grandes Personnes. L ' A s s i s t a n t e Sociale, celle que je vous dis l~i, elle est revenue chez ma Tata - mSme que ma Tara, elle avait les larmes aux yeux... La dame m'a dit : ~ Tu sais, Pierrot, je co.nprends que tu sois triste ,, (qu'est-ce qu'elle en salt), ,~ on a bien rgflgchi, f e n ai parld avec ta Ma.nan, ton p~re est au courant aussi ,, (pour stir, je savais que celui-l~t, il n'en avait rien foutre). ~(Je vais te faire visiter un dtablisse.nent o~ il y a d~autres enfants, et tu y seras tr~s bien ,, (encore une qui savait m i e u x que moi si j'y serai bien) ,~ tu apprendras .nieux ~ l'~cole, parce qu'ici, c'est un peu diffieile ,,(c'&ait pas difficile, c'est moi qui n'avais pas envie d'apprendre). Mais je me suis d i t : <
ENFANT

ET SOCII~TI~ aussi des grands enfants. C'&aient mes soeurs puisqu'elles vivaient chez ma Tara. Je les aimais bien. Elles sont grandes maintenant. I1 y e n a encore une qui est l~t quand je vais en week-end. I1 y avait plusieurs dames qui venaient me voir : une qui parlait avec ma Tata, qui lui demandait c o m m e n t j'allais, si j'&ais sage, si je dormais bien ; je trouvais qu'elle s'occupait beaucoup de moi ; c'$tait bien d'un c8t$, mais de l'autre, je me demandais si dans toutes les maisons, il y avait des dames qui venaient demander c o m m e n t allaient les enfants. I1 y avait une autre dame, que j'appelais M a m a n . Elle Stair jeune et jolie, m i e u x h a b i l l & que ma Tata, mais pas toujours ; elle disait quelquefois : ~ Quand tu seras plus grand, je pourrais te reprendre ~.

Je ne comprenais pas bien pourquoi elle ne pouvait pas m a i n t e n a n t . C'est vrai que les enfants petits, c ' e s t e n c o m b r a n t , T a r a le d i s a i t s o u v e n t . M e <~r e p r e n d r e ~, c'est qu'elle m'avait eu petit, mais j'avais aucun souvenir. C'est normal disait T a t a : ~ Ta M a m a n est restge long(emps sans venir te voir ,, ;

mais longtemps, je ne sais pas ce que c'&ait. J'allais ~i la maternelle, et j'avais du mal ~i savoir quand on &ait, le m a t i n ou l'apr~s-midi. Dans le fond de moi-m~me, je ne le disais pas, mais je n'avais pas envie de devenir grand, parce que je savais pas o~a j'irais chez m a M a m a n , m ~ m e si je disais aux c o p a i n s : ~ Q u a n d je serai grand, j ' i r a i chez ma M a m a n ~.

Parfois m a M a m a n , elle venait avec d e s Messieurs. C'&ait quelquefois les m~mes plusieurs fois, puis ga changeait. Ils 6talent tous gentils, mais je sentais qu'il fallait rien en dire ; c'dtait pas pour moi. Le regard de Tata sur ces Messieurs en disait long, mais d'un c o m m u n accord, nous n'en parlions pas. C'&ait mieux comme ga, des lois qu'elle n'aurait pas dt~ contente de ma Maman...

Ah ! Oui ! Paree que il faut que je vous dise : ~ Les G r a n d e s Personnes, vous a v e z v r a i m e n t des dr~les d'idges ~, :

Quand j'&ais petit, la Dame qui venait me voir, et voir ma Tata (je dis la Dame parce que ne sais plus le nora parce qu'il y e n a eu au moins trois dames quand j'6tais chez ma Tata), et bien la Dame, elle m'avait amen~ voir une autre dame, celle-l~ dans un bureau, on disait une p s y c h o l o g u e de la DASS. Moi je croyais que LADASSE, c'&ait son nom. Celle-l~i, je l'ai vue plusieurs fois, j'ai pas compris pourquoi. Elle &ait gentille, elle me faisait dessiner, mais je sais pas ~t quoi elle servait, parce qu'fi l'&ole aussi je dessinais. Et puis d i e me d i t : r vais te raconter ton histoire ~,. J'avais compris <> moi. J'&ais c o n t e n t parce que j'aimais beaucoup les histoires, m~me que je m'en inventais le soir dans mon lit, sans le dire fi personne. - Elle me dit : ~ Tu sais que tu es chez une dame qui n'est pas ta v r a i e M a m a n ,,. - ~ N o n bien s~r, je sais puisque je suis chez ma Tara ~. - ~ A v a n t quand tu es nd tu dtais avec ta M a m a n et ton Papa, et puis, ils ne s'entendaient pas et ils se disputaient. Et puis ils se sont sgpargs, et ta M a m a n ne pouvait pas s'occuper de toi ; a/ors elle t'a mis chez ta Tata. Et la Dame qui vient te voir, c'est ta v r a i e M a m a n ,,. - ~ A h bon ,, lui ai-je dit, ~ parce qu'il y e n a une fausse quelque part ,,.

- Et elle de me rdpondre : ~( Non, je te dis fa pour que t u n e crois pas que ta Tata, c'est ta vraie M a m a n ,,. - ~ A h ! fa je m'en fous, je voudrais surtout que fa soit ma vraie Tata. Alors je vais lui demander ce soir ,,. -

Quand je rentrais le soir, je demande ~t Tara:

~ Dis donc, est-ce que tues ma v r a i e Tara ? >>.

- <.

Quand j'&ais plus grand, Maman vient me voir, et me dit qu'elle me prendra en week-end, qu'elle avait une maison et que je pourrais venir de temps en temps. J'&ait tr~s content. Je m'irnaginais une grande maison sur les Champs-Elys&s, ou ~ cSt~ de la Tour Eiffel parce que Maman habitait Paris. Tata m'avait bien habill6. La Dame qui venait me voir des fois p o u r savoir si j'allais bien, est venue me chercher. Elle avait une belle voiture, et die m'accompagnait chez ma Maman. J'avais un peu peur... ; elle essayait de me distraire dans la voiture ; mais moi, je pensais 9 r162Pourvu queje revienne chez ma Tata ,,... Apr~s tout, c'~tait bien comme ~a avant : Maman, elle venait, elle m'apportait des bonbons, et puis le soir elle repartait. Mais je chassais cette id&, parce que je trouvais qu'elle 6tait pas gentille mon idle pour ma Maman, et je disais : ~ Pierrot, tu

Vraiment, ces Grandes Personnes ont de drSles d'iddes pour parler de ca, d u vrai ou du faux. Je pense que c'est pour pas qu'on se pose des questions c o m m e n t ga v i e n t les e n f a n t s . Moi je m'en fiche ; je le sais, bien avant que ma Tata m'en ait parlS, et la p s y c h o l o g u e aussi. C ' e s t J u l i e qui m ' a dit l'6cole. Ce qu'il y a, c'est qu'il y a quelque chose que je comprends pas bien, c'est que Julie m'a dit (elle est plus grande que moi), et elle, elle vit chez ses parents, elle dit : ~ Les parents, ils f o n t / ' a m o u r

dois gtre content, tu as de la chance d'aller chez ta v r a i e M a m a n ~.

pour leur plaisir, et des lois fa f a i t des enfants, et des lois, fa f a i t pas d'enfants ,,.

Journal de PI~DIATRIE et de PUI~RICULTURE n ~ 8-1992

- ~ Bon / C'est bien. Laprochainefois, je dirai a la dame qu'elle s'occupe de ses oignons, que ma Tata est une vraie Tara parce qu'elle me garde et m'aime, et que le reste, fa m'intdresse pas ,~.

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ENFANT ET SOCII~TE Alors ga, ga me rend triste et en col~re, parce que les Grandes Personnes, les parents quoi, ils s'amusent, ils font l'amour, ils se foutent de nous, et puis tac, des lois on na~t ; on leur avait rien demandS. Julie, d i e m'a dit que pour tous les enfants, c'est pareil...

p a r e n t s , ils v o n t le reconna~tre, des fois q u ' i l s s e r a i e n t pas stirs de v o u l o i r & r e p a r e n t s sans doute !... Remarquez, c'est pas b&e ga de les obliger venir dire qu'ils veulent &re parents, parce que des fois, on se le demande certains oh ils avaient la t&e quand ils sont venus ?... !...

Des fois dest vrai, je me demande p o u r q u o i les p a r e n t s m ' o n t fait ? La psychologue, elle m'a dit que c'&ait normal que je pense comme ga. Alors peut-~tre que pour une fois, celled?i, d i e a servi ?i quelque chose, parce que de me savoir normal, ga m'a rassnr~.

Bref la psychologue, d i e m'a expliqu~ que c'&ait i m p o r t a n t pour moi que je vois ce Monsieur qui m'avait reconnu, et qui &ait mon p~re. C'&ait son point de vue. Dans ma t&e je pensais que c'&ait triste qu'il soit mort Tonton, parce que comme ~a, j'aurais eu un p~re, et ils seraient pas aller chercher quelqu'un dtautre, qui peut-&re, ffavait rien ~ foutre de moi ni de ma m~re, puisqu'il l'avait abandonn~e.

Quand j'allais chez ma m~re, il y avait souvent u n M o n s i e u r . Elle me disait : <~Tu peux l'appeler Papa ,,. Moi, je voulais bien, apr~s tout ; c'~tait pas un nom que j'avais d~fit utilisd. It y avait <, <>. I1 &ait parfois gentil, il me sortait, mais parfois aussi, je sentais qu'il se forgait ; pour faire plaisir ~ ma m~re sans doute. Je lui demandais pourquoi j'&ais pas tout le temps avec eux; elle essayait de trouver des raisons que je trouvais <> des excuses ; mais tant pis, je m'en accommodais, et je ne voulais surtout pas perdre ma TATA... Je lui demandais pourquoi, quand j'&ais petit, elle m~avait mis chez Tata ? Elle m*expliquait que mon p~re l'avait abandonn4e, et qu'elle &ait rest~e seule avec moi, que le juge avait d~cid~ de me mettre chez Tara... Encore une autre personne qui s'occupait de moi !... Je voyais bien que son histoire n ' & a i t pas la m~me que celle de la psychologue LADASSE. Je pensais qu'il y e n avait peut-&re une <~vraie *, c o m m e ils disent la ~>. Alors l~t, elie m'aurait parl6 chinois, que j'aurais pas mieux compris. Maman me parlait souvent d ' u n papa, d ' u n nouveau Papa quand d i e changeait de Monsieur. Et voil5 que la psychologue voulait en trouver encore un autre... Elle a cherch~ oh ?... ,r II t'a r e c o n n u ,,... ???. I1 est v e n u l'&ole ? chez Tata ? parmi d'autres enfants ?... ; pour reconnaitre quelqu'un, il faut l'avoir connu !... Si Uest pas un papa comme un chez Maman, ou si c'est celui qui a abandonn~ Maman, pas possible q u ' i l me reconnaisse : J ' a v a i s trois mois... On change en six ans !... Alors, die a recommenc~ ~ m'expliquer comment venaient les enfants. Et puis quand ils naissent, les 480

Enfin, je ne sais pasce qu'ils ont fait, Minitel et tout ; ils Pont retrouv~... Alors la psychologue m'a parl~ qu'on allait <~o r g a n i s e r des r e n c o n t r e s ,,... (encore des grands mots de Grandes Personnes), pas chez ma Tata, pas chez ma Maman, pas chez lui... Je me demande bien oh ?... Peut-&re qu'il n'avait pas de maison, p e u t - & r e qu*il &ait clochard, ou au contraire quelqu'un de tr~s riche et qu'il voulait pas que je voie sa maison !... Alors je l'ai vu. Moi ga ne m'a rien fait, mais bof ! je sais pas comment vous dire, mais 5 l'&ole apr~s, je pouvais dire que j'6tais comme les autres, parce q u e j'avais u n p~re... Alors, je le vois quelquefois quand je sors en week-end chez lui ; les ~ducateurs, ils m'obligent ?i aller le voir ; quand je serai grand, je ne sais pas si je continuerai ~ le voir... M a i n t e n a n t q u e je suis d a n s le Centre, il y a des jours c'est bien, et puis des jours, c'est pas bien. L'~cole d~j~i, j'aime toujours pas. I1 para~t que c'est o b l i g a t o i t e jusqu'~t seize ans pour t o u s l e s enfants de le terre ? Ca, j'y crois pas trop, parce que ils ont pas ~t~ voir en Afrique si tousles enfants y vont tousles jours !... Je fais du f o o t le mercredi, et des lois aussi le dimanche. L~i, je suis tr~s fort, m~me quTils m'ont dit que j'&ais le meilleur goal qu'ils ont jamais vu. Mais l~t aussi, il faut que je vous raconte... Un jour, je devais m'inscrire en ddbut d'ann6e, comme toujours, et puis la dame qui faisait les inscriptions, etle me dit : ,< Tu es de la DASS ? ,,. Moi, je savais pas bien ce que cela voulait dire - c'&ait je crois un nom d~j?i entendu comme celui de la psychologue que je vous disais la premiere fois qui me faisait dessiner... - Et puis, il y a eu quelqu'un ?i c6t~ qui dit : ~ Les gosses de la DASS, c'est des gosses malheureux qui sont recueillis et qui ont pas de parents ,>. Alors moi, je me suis dit : ~
ENFANT ET SOCIISTI~ Mais pour en avoir le coeur net, je vais demander ce soir ~i l'$duc' qui travaille (pourvu que ce soit N i c o l e que j'aime bien). O n l'appelle au C e n t r e < ; moi, pour rigoler, je dis : <
nos parents. Mais au fond, ils font semblant sans doute, mais ga fait rien. Ca leur fait plaisir d'&re entre Grandes Personnes. Peut-&re que quelquefois, ils nous cassent du sucre sur le dos, peut-&re pas d'ailleurs ?...

- Je rentre ; j'avais d u bol, c'6tait elle... <
Ce que je sais, c'est que ma m~re, je crois, qu'elle aime bien venir pour ga. Et puis le week-end apr~s, quand j'y vais, elle est moins ~nerv~e, elle me dit des choses du Centre que le Directeur il lui a dit ; et puis des lois, c~est pas faux.

- <~L a D A S S , c'est un organisme qui paye les gens pour qu'ils s'occupent de vous. Par exemple, les gducateurJ, le Directeur, Ies dames de service, les secrgtaires, etc. ,>. -

<
Je savais d'ailleurs que Tata, elle &ait payee pour me g a r d e r ; des lois ga me c h a g r i n a i t quand par exemple elle me grondait parce que j'avais fait une b&ise et que j'&ais en col}re. Je me disais : <
M o n p ~ r e aussi, je lui ai dit qu'il y avait des r~unions, mais il m'a dit : <,J'aipas de temps c~perdre avec routes leurs conneries, Pierrot ; Pimportant, dest que tu travailles bien en classe pour que tu ales un mdtier clans la vie. Moi, tu vois, je suis obligd de changer beaucoup de m6tiers ; alors je voudrais pas que tu sois comme moi ,,. Alors, j'ai dit ?i mon p~re : <
ENFANT

ET SOClI~TE Alors on parle et on discute surtout le soir, quand les 8duc' ils prennent le card et qui s'occupent pas de nous, mSme que le Directeur, il les engueule quelquefois parce qu'ils sont de service. On parle des lois de nos parents, mais pas souvent, on discute des dduc', des Assistantes Sociales, des juges ; on compte combien on en a ! Alors il y e n a qui sont champions !... Moi, il y a quelque chose de dr61e que je comprends pas : C'est q u e les e n f a n t s q u i v i v e n t p a s a v e c l e u r s p a r e n t s , ils o n t p l e i n , p l e i n de g e n s q u i s ' o c c u p e n t d ' e u x . . . ? Moi, ~t mon avis : trop, parce qu'ils doivent pas tous s'entendre sur ce qu'il faut faire avec les enfants... La plupart des enfants de la V G A , ils ont u n juge. Moi, j'en ai depuis que je suis tout petit. L~, je ne le connaissais pas, mais moi je pr~fdrais parce que je me disais qu~on y allait pour les b&ises, et m~me quelquefois la Tata, elle disait : ~(ffe le dirai au ffuge ,~, mais je croyais pas que c'dtait vrai parce que Tata, elle allait jamais voir le juge. Ma m~re, OUI, et puis la dame qui venait me voir, aussi je crois. Une lois j'ai demand8 7t ma m8re qu'est-ce qu'elle avait dit au juge ; rile m'a dit : ,~ Oh / tu sais, Pierrot, je lui ai dit que. pour ['instant je ne pouvais p a s t e reprendre, mais q u a n d j ' a u r a i une maison, a/ors OUI ...... Je me demandais pourquoi il fallait voir un

juge pour lui dire ga puisqu'elle me l'avait dSj~ dit ?~ moi ga... Peut-&re que les juges, c'&aient eux qui obligeaient les parents ~ prendre les enfants mSme quand ils n'en avaient pas envie !... Enfin, je n'en sais rien ; c'est une des id&s qui viennent parfois se cogner dans ma t&e. Enfin, j'en sais rien ; mais moi, je me posais beaucoup de questions sur les juges, et t o u t le reste - car c'est vrai, il faut que je vous avoue, c'est que je suis tr~s curieux, m8me petit quand j~&ais chez Tata et Tonton. Des lois, je collais l'oreille dans le trou de la serrure de leur chambre le matin ; pour stir qu'ils parlaient de moi. - Et puis je dois vous dire que j'~tais vachement d~qu, jamais un mot sur moi ; ils parlaient de choses du m&ier de Tonton, ou de tout quoi.., saul de Moi... Enfin bref, p o u r le juge, j'ai d e m a n d d ~t le voir. C'est normal non ? C'&ait mon juge. J'avais un peu p e u r : Je me d e m a n d a i s c o m m e n t il serait son bureau, et puis comment il &ait habilid ? Je pr6parais dans ma t&e les questions : pourquoi il m'avait mis chez Tata quand j'6tais petit, pourquoi m o n p}re, il avait abandonn6 ma mSre ?... lui, il devait savoir ; pourquoi j'&ais darts un Centre ? et puis jusqu'~i quand ? et puis j'avais aussi des choses oh j'&ais pas content : il y avait des 6duc' qu'&aient pas sympas, ils vous privaient de td14 pour un rien ; et puis pour les week-ends, c'&ait qui qui d4cidait ? Je voulais savoir p o u r q u o i qa c h a n g e a i t t o u t le temps ? M o n p~re, est-ce qu'il dtait obligd de me prendre une fois par mois ?... 482

Mon 6duc', il m'accompagnait. J'&ais vachement intimid& D'abord le Tribunal, c'&ait une maison comme j'en avais jamais vue ; je sais pas si c'&ait un ~, Centre ~ pour Juges, mais c'&ait grand avec des couloirs partout. On a attendu avec mon 6duc', et puis on nous a fait rentrer dans le bureau du juge. Mort ~duc', il m'a demand~ : ~ Tu veux que je reste avec toi, ou tu prdJ~res y atler seul ? ,,... Moi je voulais pas aller seul parce que j'avais trop peur, j'avais les boules... Je sais pas pourquoi quand on va voir un juge, t o u t d ' u n coup, il y a toutes les conneries qu'on a faites qui vous reviennent ; c'est c o m m e quand on volt un flic dans la rue, on croit toujours qu'on a fait une b&ise !... Alors mon 8duc', il est venu avec moi, mais quand il est rentr~, j'ai pens8 : ~ Pierrot, c'est b#e, tu pourras pas dire pour la tale, parce que c'est juste cet dduc' qui nous supprime la tglg.. ,,.

Alors le juge, il dtait habill~ c o m m e t o u t le monde, enfin comme t o u s l e s hommes que je vois dans la rue ; il m'a demand~ : -

~r Comment f a v a ? ,~.

- J'ai dit : ~ Bien ,~... - Qu'est-ce que vous voulez que je dise d'autre, quand on vous d e m a n d e comment ga va ; tout le monde r~pond : ~( Bien et VOUS ? )~.

- ,~ Ca se passe bien au Centre pour toi avec tes gducateurs ? ,5.

Je regardais mon 8duc', alors j'ai dit : ~ Ca se passe bien ~. Qu'est-ce que vous voulez que je dise -

d'autre ; j'allais pas lui dire devant mon dduc' que la veille, pour une petite connerie de rien du tout, j~avais 6t6 au lit privd de t~l~, mSme que c'&ait mardi. - ~ Tu vas rdguliarement c/oez ta Maman, chez ta nourrice, et aussi quelquefois chez ton pare ? Et comment fa se passe ? ~.

Je lui ait dit encore : (r Oui ~,. J'allais pas lui raconter que la chatte chez ma Tante avait eu des petits le week-end dernier et que j'avais 6t8 dr61ement content ; ga ne l'intSressait pas ga, sfirement pas. -

Alors, apr~s, il m'a demand4 si je travaillais bien l'&ole, ga c'&ait pas terrible ; jrai dit un peu parce que je savais que les ~duc', ils avaient fair un rapport, et sans doute, ils avaient &rit les derni[res notes du trimestre.., et c'&ait pas la gloire... Je lui ai dit que j'avais fait des efforts parce que c'&ait dcrit en tout petit dans le bulletin, et sfirement, je serai mieux class~ le trimestre prochain. Alors, il a paru content, et il m'a dit : (( C'est bien. Continue a faire des efforts ,,. Puis apr[s, il m'a dit : ~ Est-ce que tu as des questions 2 me poser ? ,7. Alors... l?t.., plus rien, le vide, plus aucune question, et puis apr[s une, tout d'un coup, elle m'est revenue : Journal de PI~DIATRIE et de PUCRICULTURE n~ 8-1992

ENFANT ET SOCII~TI~ - ~ Monsieur le fluge, est-ce que c'est obligg d'aller chez mon pare ? ~,. - ~ Pourquoi tu me demandes fa ? Qu'est-ce qui se passe ? ~. - ~ Oh / bien des lois, f a i un match de foot, et puis des lois ,non pare il a des choses a faire, et puis c'est pas que j'aime pas mon pare, et puis... ,,. T o u t s ' e m brouillait dans ma t~te ; je savais pas quoi dire pour mon p~re, et puis tout le reste parce que apr~s tout, si je voulais pas y aller, peut-&re qu'il croyait pas que je l'aime, et puis il le supprimerait tout sec, et puis ga je ne voulais pas... - Alors, le juge, il m'a dit : ~ C'est important ton p~re ; tu verras s avec les gducateurs pour les sorties, mais moi, je vais le convoquer._ ,~. J'&ais content un peu, mais j'avais peur que m o n p~re, il dise que ga aussi, les juges, c'est des conneries comme les r6unions. - Q u a n d je suis r e v e n u au C e n t r e avec m o n ~duc', j'ai dit : ~ Quand est-ce que je le revois le juge parce que la prochaine fois, s~r, je lui parlerai .I... ,,. Moi, c'est comme ga, et mes copains de la V G A aussi. Des fois, on parle, et des fois on parle pas. Ah ! ce que j'aime pas aussi au Centre, c'est qu'il y en a qui vous posent toujours des questions sur nos parents et tout. Bon d'accord, si on a envie de parler, mais pas sur commande. Quand on rentre de week-end ou de vacances, il y en a qui s o n t c u r i e u x , pire que moi. ~ Qu'est-ce que tu as f a i t avec ta Maman ? ta Tara ? ton Pare ? etc. etc.... ,, et puis, si on veut pas r~pondre : ~ A h ! ~a s'estpas bien passg/,,. Des fois je suis triste, mais je sais pas pourquoi ; c'est quand je reviens de chez

Journal de PEDIATRIE et de PUERICULTURE n ~ 8-1992

Tata, des lois c'est de chez Maman, et puis <~Vous, les G r a n d e s P e r s o n n e s ,,, est-ce que vous savez toujours pourquoi vous &es triste ?... Puisque j'ai la parole, je la garde un peu parce que je suis tr~s tr~s bayard quand je veux, mais vous inquidtez pas, je vais m'arr&er parce que si je devais vous dire tout ce que j'aime, j'aime pas, et ce que j'ai dans la t&e et tout, j'en aurais jusqu'~t demain. N o u s les enfants de la V G A , on a pas besoin qu'on nous donne la parole..., on sait parler... Souvent on nous ~coute pas, mais ga pour stir, je crois que c'est pour tousles enfants de la terre pareil. On est quelquefois m a l h e u r e u x , mais 1~ aussi D4d~, Julie, et les autres, ils nous ont dit qu'ils &aient malheureux aussi. Alors, essayez d e v o u s r a p p e l e t c o m m e n t v o u s dtiez q u a n d v o u s & i e z petit, ce s e r a la m e i l l e u r e f a g o n d e c o m p r e n d r e les enfants... N o u s avec D~d6, Julie, les copains de la V G A et d u foot, o n a r~vd s o u v e n t q u ' i l y avait p l u s d e G r a n d e s P e r s o n n e s , de parents, de juges, d'~duc', et tout, et donc ce serait chouette. Mais quand je me suis r~veill~, je me suis dit que c'&ait pas possible.., la p r e u v e : ~ J ' a i dt~ d e m a n d e r a u n e g r a n d e personne de vous e x p l i q u e r tout fa, autrem e n t vous n'auriez rien compris ,~. ,~ A l o r s , f a i t e s la f g t e ~ la v i e i l l e d a m e de 65 ans, et dites-lui qu'elle p r e n n e pas trop vite sa retraite, p o u r qu'elle nous aide, elle aussi, ~ grand i r ! ,,. Pierrot, La Vie au Grand Air, le 19 fdvrier 1992.

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