Fait clinique
Ann Chir 2001 ; 126 : 672-4 © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés S0003394401005776/SCO
Un nouveau cas d’adénomatose hépatique traité par transplantation hépatique orthotopique P.J. Yunta1*, A. Moya2, F. San-Juan2, R. López-Andújar2, M. De Juan2, F. Orbis2, J. Mir2 1
Servicio de cirugía general, hospital general « Virgen de la Luz », C/Hermandad Donantes de Sangre 1, 16002 Cuenca, Espagne ; 2 servicio de cirugía y trasplante hepático, hospital universitario « La Fe », avenida Campanar 21, 46009 Valencia, Espagne
RE´SUME´ L’adénomatose hépatique est une entité rare comportant de multiples adénomes (dix ou plus) sans lien avec l’usage des contraceptifs oraux, des stéroïdes anabolisants ou avec la glycogénose. Un nouveau cas est rapporté chez une femme de 23 ans qui consultait pour une masse abdominale et qui avait une adénomatose hépatique diffuse avec plus de 50 adénomes. La suspicion de dégénérescence maligne par l’augmentation de l’alphafœtoprotéine sérique et l’extension de l’adénomatose à la totalité du foie ont conduit à une transplantation hépatique orthotopique. L’examen histologique de la pièce opératoire a trouvé des zones localisées de carcinome hépatocellulaire bien différencié. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS adénomatose hépatique / foie / transplantation hépatique
ABSTRACT A new case of hepatic adenomatosis treated with orthotopic liver transplantation. Hepatic adenomatosis is a rare disease with multiple hepatic adenomas (10 or more), not associated with an history of oral contraceptive use or anabolic steroids use or with glycogen storage disease. A new case is reported in a 23 year-old woman who consulted for an abdominal mass and who had more than 50 adenomas of the liver. The suspicion of malignant transformation by the elevation of the alpha-foetoprotein, and the diffuse affectation of the
Reçu le 30 mai 2001 ; accepté le 2 juillet 2001. *Correspondance et tirés à part : C/Ortega y Gasset nº 8, 1º-D, 16004 Cuenca, Espagne. Adresse e-mail :
[email protected] (P.J. Yunta).
liver, with minimum free parenchyma, suggested to carry out an orthotopic liver transplantation. The definitive histological examination of the surgical specimen confirmed the existence of local areas of hepatocellular carcinoma. © 2001 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS hepatic adenomatosis / liver / liver transplantation
L’adénomatose hépatique est définie par la présence de dix adénomes ou plus dans un parenchyme hépatique sain. Il s’agit d’une entité différente de l’adénome hépatique simple. Cette variante a été décrite par Flejou et al. en 1985 [1], et quelques rares cas ont été rapportés dans la littérature [2, 3] dont certains traités par transplantation hépatique orthotopique [4, 5]. Le but de ce travail était de rapporter une nouvelle observation d’adénomatose hépatique traitée par transplantation et d’esquisser les différentes options chirurgicales possibles. OBSERVATION Une femme de 23 ans consultait pour une masse abdominale. L’examen clinique trouvait une hépatomégalie indurée, non douloureuse. Les taux sériques de transaminases glutamique–oxalacétique (SGOT) et glutamique–pyruvique (SGPT), étaient normaux, de même que la bilirubine totale, les phosphatases alcalines, la gamma-glutamyltranspeptidase, l’antigène carcinoembryonnaire (ACE), et le taux de prothrombine. L’alphafœtoprotéine était à 1 265 ng/mL. L’échographie abdominale montrait de multiples lésions hépatiques surtout au niveau du lobe gauche et des segments
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Adénomatose hépatique et transplantation
L’étude immunohistochimique des tumeurs ne trouvait pas de récepteurs aux œstrogènes. Après un mois, la survenue d’un rejet aigu nécessitait une nouvelle transplantation hépatique. Vingt-sept mois après la retransplantation, la patiente était asymptomatique et sa fonction hépatique était stable. COMMENTAIRES
Figure 1. Le scanner montre de nombreux nodules hypodenses dans le parenchyme hépatique. Le plus volumineux, situé au niveau du foie gauche, mesurait 12 cm de diamètre.
médians du lobe droit, bien limitées, à prédominance hyperéchogène avec parfois une image de nodules dans le nodule ; de plus, il existait une trame de vascularisation artérielle périphérique ainsi que des vaisseaux à l’intérieur des nodules. Le scanner abdominal mettait en évidence un foie tumoral occupé par de nombreuses masses hypodenses, bien limitées (figure 1). L’examen cytologique par ponction montrait une hypercellularité compatible avec un adénome hépatique. Une laparotomie exploratrice était décidée et révélait que la totalité de la surface hépatique était déformée par de multiples tumeurs. Il n’y avait pas d’adénopathie métastatique dans le hile du foie. Des biopsies multiples ont été réalisées. L’examen anatomopathologique permettrait de faire le diagnostic d’adénomes hépatiques multiples : la tumeur comportait de gros cordons d’hépatocytes sans élément suspect de malignité, avec un noyau régulier et clair et un cytoplasme vésiculeux. Les vaisseaux intratumoraux étaient de moyen calibre. Une transplantation hépatique était pratiquée deux mois après la consultation de la patiente. L’examen macroscopique du foie explanté trouvait plus de 50 adénomes hépatocellulares dont la taille variait de 1 à 12 cm, dans un parenchyme hépatique sain, sans cirrhose. À l’examen microscopique les tumeurs étaient bien limitées, non encapsulées, et quelquesunes avaient de petites zones localisées de carcinome bien différencié, sans invasion vasculaire.
L’adénomatose hépatique est une entité rare qui diffère de l’adénome isolé ou multiple, caractérisée par la présence de dix tumeurs ou plus sur un foie sain. Histologiquement, les adénomes sont identiques dans les deux formes. Cependant, l’adénome isolé est souvent lié à différentes situations : l’usage prolongé des contraceptifs oraux, de stéroïdes anabolisants, de danazole ou associé à des tumeurs ovariennes féminisantes, à une glycogénose type I, à un diabète sucré. L’étiologie de cette entité n’est pas connue. L’adénomatose a été initialement décrite sans différence selon le sexe [1], mais il existe une prédominance chez la femme, ainsi que dans l’adénome isolé [2, 3]. L’adénomatose n’a pas de rapport avec l’emploi des œstrogènes, mais il convient de chercher des récepteurs pour cette hormone sur la pièce. En cas d’immunoréactivité avec ce type de récepteur, il serait indiqué d’instituer un traitement au tamoxifène (antagoniste œstrogénique) et même de réaliser une ovariectomie chirurgicale. L’adénomatose peut entraîner des douleurs par l’effet de masse ou bien par hémorragie intratumorale. Lorsque ces complications n’apparaissent pas, il est possible d’adopter une attitude conservatrice, mais il faut prendre en compte le risque d’une dégénérescence maligne. La douleur et l’hémorragie sont des phénomènes fréquents (autour de 70–80 % et de 50–60 %, respectivement), alors que la dégénérescence maligne est rare. Le meilleur traitement de l’adénomatose n’est pas clairement défini. L’attitude va depuis l’observation dans les petites tumeurs jusqu’à l’embolisation, la résection chirurgicale conservatrice et enfin la transplantation hépatique orthotopique [4, 5]. Le traitement définitif pour cette entité, semble être chirurgical, mais quand poser l’indication opératoire ? La plupart des auteurs pensent qu’on doit opérer les tumeurs symptomatiques. Le risque de devenir symptomatique et le risque de dégénérescence maligne augmentent proportionnellement avec la taille
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des tumeurs ; ainsi doit-on opérer les adénomes symptomatiques et ceux qui sont de grande taille. Les tumeurs de 5 cm de diamètre ou plus doivent être extirpées, mais quand les lésions sont multiples (plus de dix pour nous) se pose la question du geste chirurgical à réaliser : lobectomie hépatique, résections segmentaires multiples ou hépatectomies atypiques avec conservation d’un segment hépatique suffisant en cas d’adénomes petits, bien localisés ou peu nombreux ? Ou transplantation hépatique en cas d’atteinte de la totalité du foie ? Des résections étendues ont été décrites jusqu’à 90 % du parenchyme hépatique avec de bons résultats [6]. En cas de conservation d’un lobe hépatique avec de petits adénomes, le patient doit être soumis à une surveillance régulière ; ces adénomes peuvent augmenter en taille ou en nombre et il pourrait être nécessaire de faire ultérieurement une transplantation. Certains auteurs réservent la transplantation et ne la conseillent qu’en cas de complication après une résection hépatique partielle : hémorragie ou apparition d’un carcinome [2]. En raison du petit
nombre de cas décrits d’adénomatose dégénérée en carcinome hépatocellulaire, l’attitude doit être adaptée à chaque patient. Il est impossible d’affirmer que la transplantation hépatique doive être réalisée d’emblée dans l’adénomatose hépatique. RE´ FE´ RENCES 1 Flejou JF, Barge J, Menu Y, Degott C, Bismuth H, Potet F, et al. Liver adenomatosis. An entity distinct from liver adenoma ? Gastroenterology 1985 ; 89 : 1132-8. 2 Ribeiro A, Burgart LJ, Nagorney DM. Management of liver adenomatosis : results with a conservative surgical approach. Liver Transpl Surg 1998 ; 4 : 388-98. 3 Yoshidome H, McMasters KM, Edwards MJ. Management issues regarding hepatic adenomatosis. Am Surg 1999 ; 65 : 1070-6. 4 Leese T, Farges O, Bismuth H. Liver cell adenomas. A 12-year surgical experience from a specialist hepato-biliary unit. Ann Surg 1988 ; 208 : 558-64. 5 Chiche L, Dao T, Salamé E, Galais MP, Bouvard N, Schmutz G, et al. Liver adenomatosis : Reappraisal, diagnosis, and surgical management. Eigth new cases and review of the literature. Ann Surg 2000 ; 231 : 74-81. 6 Monaco AP, Hallgrimsson J, McDermot WV. Multiple adenoma (hemartoma) of the liver treated by subtotal resection. Ann Surg 1964 ; 159 : 513-9.