Un patient atteint d’une leucémie à tricholeucocytes

Un patient atteint d’une leucémie à tricholeucocytes

ordonnance commentaire Un patient atteint d’une leucémie à tricholeucocytes Françoise COUIC-MARINIERa,* Un patient âgé de 59 ans, porteur d’une leuc...

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Un patient atteint d’une leucémie à tricholeucocytes Françoise COUIC-MARINIERa,*

Un patient âgé de 59 ans, porteur d’une leucémie à tricholeucocytes, se présente à l’officine dans le cadre du renouvellement d’un interféron alpha. Ce médicament est prescrit sur une ordonnance de médicaments ou de produits et prestations d’exception dont le pharmacien doit observer les règles d’archivage.

Docteur en pharmacie

François PILLONb Pharmacologue

© 2015 Publié par Elsevier Masson SAS

Mots clés - immunothérapie ; interféron alpha ; leucémie à tricholeucocytes ; ordonnance d’exception ; paracétamol

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A patient with hairy cell leukaemia. A 59 year-old patient with hairy cell leukaemia arrives at

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the pharmacy with a repeat prescription for interferon alpha. This drug is on a prescription for special drugs or products and services for which the pharmacist must follow specific filing procedures.

5 rue Aristide-Maillol, 87750 Panazol, France

Service de pharmacologie clinique, Faculté de médecine Laënnec, 8 rue GuillaumeParadin, 69008 Lyon, France

© 2015 Published by Elsevier Masson SAS

Keywords - hairy cell leukaemia; immunotherapy; interferon alpha; paracetamol; special prescription

L

F Sur le plan épidémiologique, il s’agit d’une maladie rare qui représente environ 3 % des leucémies de l’adulte. L’âge moyen de survenue est de 50 ans et la prédominance est masculine, avec un sex-ratio de 4. L’hémogramme montre une pancyto pénie profonde dans 90 % des cas (leucopénie ; anémie normochrome, normocytaire,

© Elsevier Masson

a leucémie à tricholeucocytes est une affection rare de l’adulte. Il s’agit d’un syndrome lymphoprolifératif B caractérisé par une infiltration du foie, de la rate et de la moelle osseuse par une cellule particulière, le tricholeucocyte. Cet envahissement est responsable des deux manifestations de la maladie : la splénomégalie et la pancytopénie.

Figure 1. Prescription de paracétamol et de pravastatine.

Actualités pharmaceutiques • n° 546 • mai 2015 •

arégénérative ; thrombopénie) et le frottis retrouve des tricholeucocytes, c’est-à-dire des lymphocytes de grande taille. F Les complications de la maladie sont les suivantes : • infections telles que septicémie à Gram négatif, pneumopathies graves (tuberculose, mycobactéries, légionelloses, pneumocystose, aspergillose) ; • anémie, parfois due à une hémorragie ; • vascularites avec purpura infiltré et arthralgies, souvent associés à une infection, notamment mycobactérienne ; • lésions ostéolytiques ; • lésions cérébro-méningées ; • ascite chyleuse. La médiane de survie est de l’ordre de 50 mois. F Le traitement et le pronostic de la leucémie à tricholeucocytes ont été révolutionnés par l’utilisation de l’interféron alpha. À la dose de 3 millions d’unités (MU), 3 fois/semaine en sous-cutané, pendant 12 mois, le taux de réponse est supérieur à 70 % (normalisation des paramètres sanguins), avec obtention d’une rémission complète dans 10 à 30 %

© 2015 Publié par Elsevier Masson SAS http://dx.doi.org/10.1016/j.actpha.2015.03.002

*Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (F. Couic-Marinier).

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Encadré 1. Archivage d’une ordonnance

d’exception Le pharmacien doit conserver le quatrième volet d’une ordonnance d’exception (le volet 1 est conservé par l’assuré ; les volets 2 et 3 doivent être joints à la feuille de soins en vue du remboursement, l’un d’entre eux étant destiné au contrôle médical). En cas de renouvellement de l’exécution de l’ordonnance, une copie de cette dernière doit être conservée après exécution et apposition des mentions (une autre copie doit être adressée à l’Assurance maladie).

les paramètres légaux ; elle est donc recevable. F L’ordonnance comportant le paracétamol et la pravastatine (figure 1) est, elle aussi, datée et signée, donc recevable. Les médicaments sont prescrits sous leur dénomination commune internationale (DCI) et seront délivrés ainsi.

Questions préalables indispensables des cas (normalisation de la biopsie médullaire). La rechute est fréquente à l’arrêt du traitement, justifiant un traitement d’entretien à petites doses (3 MU/semaine ou quinzaine).

Profil du patient Le patient est un homme âgé de 59 ans, cadre supérieur dans une banque. Il s’est senti fatigué durant quatre mois avant de consulter. Son médecin traitant a fait pratiquer un hémogramme retrouvant une leucémie à tricholeucocytes.

Antécédents Le patient présente un certain nombre d’antécédents, notamment une chirurgie de la vésicule biliaire il y a quatre ans et une hypercholestérolémie familiale traitée par pravastatine, mais aucun autre facteur de risque cardiovasculaire.

Historique médicamenteux Le patient est traité depuis dix ans par pravastatine 20 mg, médicament qu’il tolère bien (pas de douleur musculaire, bonne tolérance hépatique). Ce traitement est efficace sur ses paramètres lipidiques.

Recevabilité des ordonnances F L’ordonnance d’exception (encadré 1) (Roféron® : 3 MU, 3 fois/ semaine en sous-cutané, pendant 1  mois) émane d’un médecin hématologue. Elle est datée, signée (avec prescription initiale hospitalière valable un an) et comporte tous

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« Prenez-vous d’autres traitements (même en automédication) ? » Réponse : « Pas en ce moment. » « Y a-t-il eu des changements dans votre traitement ? » Réponse : « Non. » « Ressentez-vous des frissons après les injections d’interféron ? » Réponse : « Oui. »

Question posée par le client « Auriez-vous quelque chose de naturel mais d’efficace pour calmer mes angoisses, surtout la nuit ? » Réponse : « Oui, je peux vous proposer des huiles essentielles douces et relaxantes qui ont prouvé leur efficacité et leur innocuité même dans des services hospitaliers, comme un mélange à respirer : 2 gouttes de mandarine verte et 1 goutte de camomille romaine sur un mouchoir ou sur vos poignets, aussi souvent que nécessaire, et notamment lorsque vous sentez monter une crise d’angoisse. » [1].

Analyse du traitement F Roféron® : il s’agit d’un interféron alpha-2a. Les interférons sont des cytokines produites par des macrophages et les lymphocytes non T, non B, et ayant trois actions principales : • immunomodulatrice, portant sur l’immunité cellulaire ; • antiproliférative ; • antivirale. Les interférons alpha-2a et alpha-2b possèdent des indications dans le traitement de certaines leucémies, lymphomes et autres pathologies

cancéreuses. L’objectif est de s’opposer à la prolifération anarchique des cellules cancéreuses en stimulant le système immunitaire. La posologie de l’interféron est fonction de la pathologie. Dans la leucémie à tricholeucocytes, elle est de 3 MU, 3 fois/semaine en souscutané, pendant 12 mois, puis 3 MU/semaine ou quinzaine. F Pravastatine : cet inhibiteur est sélectif et compétitif de l’hydroxyméthyl-glutaryl-coenzyme A (HMGCOA) réductase, enzyme responsable de la synthèse du mévalonate, précurseur des stérols (en particulier du cholestérol) synthétisés au niveau hépatique. Cette enzyme accroît le nombre de récepteurs à haute affinité pour les lipoprotéines de basse densité (LDL) sur la surface des hépatocytes, qui ont la propriété de capter et de cataboliser les LDL. Les LDL transportent le cholestérol synthétisé dans le foie vers les artères pour le déposer sur les parois, d’où l’appellation simplifiée de “mauvais cholestérol”. La pravastatine permet donc de réduire le taux de cholestérol sanguin et de triglycérides en inhibant leur synthèse au niveau hépatique, mais aussi le taux de LDL, en augmentant significativement et à long terme l’activité des récepteurs. F Paracétamol 500 mg : le paracétamol, également appelé acétaminophène, doit son nom à la contraction de para-acétyl-amino-phénol. Il appartient à la classe thérapeutique des antalgiques antipyrétiques non salicylés. Son mécanisme d’action complet reste inconnu, plus d’un siècle après sa découverte, en 1889, par l’Allemand Karl Morner.

Effets indésirables F Roféron ® : toxicité hématologique (neutropénie, thrombopénie), syndrome pseudogrippal (asthénie, fièvre, myalgie, arthralgie durant 72 heures), toxicité digestive (anorexie, nausées, vomissements, diarrhées), toxicité sur le système

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nerveux central (vertiges, somnolence, irritabilité, dépression), troubles visuels (rétinopathies), désordres thyroïdiens. Les troubles sont réversibles en quelques mois, même en cas de poursuite du traitement. F Pravastatine : troubles de la fonction hépatique, crampes musculaires, allergies cutanées, troubles sexuels, chute de cheveux. D’autres effets indésirables nécessitent l’arrêt du traitement : • cytolyse hépatique (arrêt des statines si alanine aminotransférase [ALAT] ou aspartate aminotransférase [ASAT] > 3 N) ; • douleurs musculaires ou des tendons importantes, rhabdomyolyse (arrêt des statines si créatine phosphokinase [CPK] > 5 N). F Paracétamol 500 mg : éruption, rougeur cutanée et atteinte hépatique en cas de surdosage.

Suivi du traitement F Surveillance de l’efficacité : • diminution de la pancytopénie et de la splénomégalie liées à la leucémie à tricholeucocytes (absence de tricholeucocytes sur le frottis sanguin et d’anomalie au niveau du myélogramme sous traitement par interféron) ; • normalisation de l’exploration d’une anomalie lipidique sous pravastatine. F Surveillance de la tolérance : • réalisation d’une numérationformule sanguine (NFS) tous les 15 jours ; • bilan biologique tous les mois (hémostase, bilan hépatique et rénal, glycémie et calcémie) ; • bilan thyroïdien tous les trois mois ; • bilan ophtalmologique avant la mise sous traitement, puis régulièrement ; • suivi des transaminases annuellement (pravastatine) et dosage des CPK en cas de douleurs musculaires.

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Médicaments d’automédication à proscrire F Il n’existe pas d’interaction ou d’association déconseillée avec les interférons. Cependant, en raison de leur toxicité sur le système nerveux central, il est conseillé d’éviter l’association avec les analgésiques centraux (codéine). F De manière générale, il est préférable d’exclure toute automédication en présence de ce genre de pathologie. Par exemple, la prise d’antipyrétiques est fortement déconseillée avant d’avoir consulté le médecin. De même, il convient d’informer le patient de la nécessité de ne pas abuser de médicaments à base de paracétamol car ce principe actif peut masquer la fièvre, élément de surveillance de l’éventuelle survenue d’infections. F Tout traitement à base de millepertuis (même homéopathique audelà de 4 CH), inducteur enzymatique qui réduit, au bout d’une dizaine de jours, l’efficacité de l’ensemble des traitements du patient, est proscrit. F Le jus de pamplemousse blanc ou vert, inhibiteur de l’isoenzyme CYP 3A4 du cytochrome P450, est fortement déconseillé lors de la prise de pravastatine.

Chronobiologie du traitement (sauf indication médicale contraire) F Roféron® : l’administration doit se faire le soir afin de minimiser le syndrome pseudogrippal. Le médicament se conserve au réfrigérateur (entre + 2 et + 8 °C) et ne doit pas être congelé (encadré 2). La seringue préremplie doit, pour sa part, être conservée dans l’emballage extérieur, à l’abri de la lumière. F Pravastatine 20  mg  : un comprimé le soir, avec ou en dehors des repas, avec un verre d’eau. F Paracétamol 500 mg : deux à trois fois par jour, à renouveler si besoin toutes les quatre heures.

Encadré 2. Des précisions

indispensables F Conserver le Roféron® au réfrigérateur entre + 2 et + 8 °C. F Consulter le médecin en cas de fièvre, de signes cliniques infectieux, d’asthénie, d’arthralgies et de symptômes dépressifs (tristesse, ralentissement psychomoteur, idées suicidaires).

Référence [1] Schieber S. Les huiles essentielles en milieu hospitalier. Application dans le service de soins intensifs hématologiques de l’hôpital Pasteur de Colmar. [Mémoire de diplôme d’État de docteur en pharmacie]. Strasbourg: Faculté de pharmacie; 2013. www.gattefosse.com/media/ document/these-sophieschieber-colmar-dv.pdf

En cas d’oubli, si celui-ci date de moins d’une heure, la dose habituelle doit être prise ; au-delà, il convient d’attendre la prochaine prise et de ne jamais doubler la dose.

Conseils associés F Afin de prévenir le syndrome pseudogrippal lié à la prise d’interféron, il est conseillé d’administrer le médicament le soir et de réaliser une prémédication par paracétamol. Il est également nécessaire d’assurer une hydratation suffisante pendant toute la durée du traitement. La prise de vitamine C (1 fois/ jour) durant le traitement par Roféron® permet aussi de prévenir le syndrome pseudogrippal, tout comme l’utilisation de l’huile essentielle de ravintsara, notamment le soir de l’injection (massage de la plante des pieds avec trois gouttes pures ou diluées dans un peu d’huile végétale). F Il convient d’éviter de conduire sous interféron en raison de la toxicité du médicament sur le système nerveux central. F Les interférons sont administrés par voie sous-cutanée, en changeant de point d’injection à chaque fois. F Lors de la délivrance, la tenue d’un cahier de suivi des injections de Roféron® est conseillée afin de clarifier le schéma thérapeutique et d’améliorer l’observance. w Déclaration d’intérêts  Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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