Rev M4d Interne 2003 ; 24 Suppl 2 : 253-254 © 2003 t~ditions scientifiques et m6dicales Elsevier SAS. Tous droits rdserv6s
Une affaire d'ict re.., qui explique tout ! I. M a r i e a, V. K n e l l w o l f a, C. H o u d e n t a, G. R i a c h i b, H. Ldvesque", H. Courtois" D6partement de mddecine internea, service d'hdpatogastroentdroIogieb, CHU Rouen-Boisguillaume, 76031 Rouen cedex, France
LES FAITS CLINIQUES Un patient, fig6 de 59 ans, sans ant6c6dent m6dical ni chirurgical, est hospitalis6 pour un ict~re cutan6oInuqueux. En outre, il pr6sente une fi~vre hecfique ~ 40 °C 6voluant depuis un mois, associ6e ~ des Inyalgies diffuses et 5 une polyarthrite asym6trique, migratrice et fugace, int6ressant les 6paules, les poignets, les articulations In6tacarpophalangiennes et interphalangiennes proximales aux membres sup6rieurs, ainsi que les cbevilles et les genoux aux membres inf6rieurs. Enfin, le patient signale la survenue concomitante d'une toux sbche et d'une alt6ration de l'6tat g6n6ral.(ainaigrissement de 7 kg). A l'admission, l'examen clinique rdv~le une hyperthermie ~ 39,5 °C et un ict~re cutan6oinuqueux. De plus, il existe, d'une part, une diminution du murmure v6siculaire la base gauche ~t l'auscultation pulmonaire et, d'autre part, des arthrites au niveau du genou droit, de la cheville gauche et des articulations interphalangiennes proxiinales des 2~, 3e et 4 ~rayons droits. Les explorations biologiques sont les suivantes: VS 150 mm/h, CRP 355 nag/L, h6moglobine 4,7 mmol/L, leucocytes 19 G/L (90 % polynucl6aires neutrophiles), plaquettes 714 000/min 3, CPK 72 UI/L (N < 200), bilirubine 50 gmol/L, phosphatases alcalines 1 784 UI/L, gammaglutamyltransf6rase 525 UI/L, ASAT 78 UI/L, ALAT 179 UI/L, taux de prothrombine 63 %, ferritin6mie 2 070 gmol/L. L'61ectrophor~se des protides s6riques montre une hypoalbumin6mie ~t 28 g/L et une 616vation des % globulines. Le brian r6nal et l'immuno61ectrophorbse des protides sanguins et urinaires sont normaux. En raison du tableau d'ict~re <
>, une 6chographie abdominale est r6alis6e en urgence, qui s'av~re etre normale. Les h6inocultures, les s6rologies virales (h6patites A, Bet C, cytom6galovims, Epstein-Barr virus, herpes, Parvovirus B 19, coxsackie), bact6riennes (Chlamydia pneumoniae, Mycoplasma pneumoniae, 16gionelle, Brucella, Borrelia burgdoferri) et parasitaires (toxoplasmose) sont n6gatives, de mSme que l'examen cymbactdriotogique des urines. La ponction articulaire du genou droit trouve : protides ~ 46 g/L, leucocytes ?~ 15 0 0 0 / m l n 3 (92 % polynucl6aires neutrophiles) ; la recherche de microcristaux et la bact6riologie sont n6gatives. Le bilan immunologique est 6galement n6gatif: facteurs rhumatoYdes, anticorps antinucl6aires, anticorps anticardiolipine et antiphospholipides, anticorps
anticytoplasme des polynucl6aires neutrophiles, anticorps antimuscle lisse et antimitochondries, anticorps anti-LKM 1 et LKM 2. La radiographie et la toinodensitom6trie thoraciques (Fig. 1) visualisent un 6panchement pleural bilat6ral, prddominant ~tgauche. Les analyses Inicrobiologiques sont ndgatives au lavage bronchoalv6olaire et aux pr61bveinents bronchiques distaux prot6g6s (exainen direct, coloration de Gomori-Grocott et cultures: a6robies/ana6robies, des mycobactdries et Inycologiques). Une ponction pleurale est effectu6e, qui d6tecte un exsudat (protides ?~ 39 g/L), des leucocytes 5 020/into3 ; la bact6riologie est n6gative. Les autres examens paracliniques, comportant une 6chographie cardiaque transoesophagienne, des radiographies osseuses et de sinus, un panoramique dentaire, une flbroscopie gastrique (avec biopsies duod6nales syst6matiques) et un my61ogramme, sont normaux. Une antibioth&apie par voie parent&ate est institu6e associant initialeinent ceftriaxone et ainikacine pendant 5 jours, puis ceftriaxone et ofloxacine pendant 7 jours. Celleci est inefficace, tant sur les manifestations cliniques que biologiques. De fait, compte tenu de l'aggravation des anomalies biologiques hdpatiques, une biopsie h6patique est pratiqude ; cette derni~re objective la pr6sence de nombreux infiltrats inflammatoires portaux (constitu6s principalement de cellules lymphoplasmocytaires) p6n6trant darts les lobules hdpatiques, et de rares ndcroses h6patocytaires.
Fig. 1.
254s
I. Marie et al.
DI~MARCHEDIAGNOSTIQUE En premier lieu, la recherche d'une pathologie infectieuse a 6t6 r6alis6e. Cependant, l'ensemble des explorations compl6mentaires 6tait normal, permettant d'61iminer cette hypoth~se. Les h6mocultures, l'examen cytobactdriologique des urines, les s6rologies bact6riennes, virales et parasitaires, ainsi que les analyses microbiologiques des liquides articulaires et pleuraux, du LBA et des pr61~vements bronchiques prot6gds distaux, 6taient n6gatives. En outre, l'6chographie cardiaque, les radiographies des sinus, et panoramique dentaire de m~me que l'6chographie abdominale 6taient normales, permettant d'exclure un sepsis profond. En second lieu, une maladie syst6mique a 6td 6galement suspectde. Toutefois, la n6gativit6 du bilan immunologique (facteurs rhumatoides, anticorps antinucl6aires...) et de la biopsie de 1' art~re temporale a permis d'6carter cette hypoth~se. En troisibme lieu, la recherche d'une affection n6oplasique sous-jacente a 6t6 aussi effectu6e. Celle-ci s'est av6r6e n6gative ; en effet, les examens paracliniques 6taient normaux, et notamment l'6chographie abdominale, la bronchoscopie, la fibroscopie gastrique et le my61ogramme. En dernier lieu, le diagnostic de maladie de Still a 6t6 6voqu6 chez notre patient, qui pr6sentait cinq critSres (dont 3 majeurs) de la classifcation de Yamaguchi [1] : • une fi~vre hectique ___39°C depuis au moins une semaine ; • des arthrites durant au moins deux semaines ; • une hyperleucocytose sup6rieure ~ 10 G/L, dont 80 % de polynucldaires neutrophiles ; • une augmentation des enzymes h6patiques (alat et asat), non li6e 5 une 6tiologie m6dicamenteuse ; • une absence d'anticorps antinucl6aires et de facteurs rhumato~'des. Dans cette optique, un dosage de la ferritine glycosyl6e a fit6 pratiqu6, qui a mis en 6vidence une diminution du pourcentage de la ferritine glycosyl6e fi 25 %. Le diagnostic final a 6t6 celui d'une maladie de Still, r6v616e par des localisations h6patiques, pulmonaires et articulaires. De fair, une corticothdrapie a fit6 instaur6e, ~ la posologie initialed' 1 mg/kg/j, entrainant une disparition de l'hyperthermie, de l'ict~re et des manifestations articulaires. En outre, le bilan biologique r6alis6 trois semaines aprbs le d6but du traitement a d6cel6 une amdlioration des anomalies biologiques : VS 20 mm/h, CRP < 5 mg/L, leucocytes 7,4G/L, bilirubine 15gmol/L, phosphatases alcalines 261UI/L, gammaglutamyltransf6rase 174UI/L, ASAT 21 UI/L, ALAT 93 UI/L.
DISCUSSION Ddfinie par Bywaters en 1971, la maladie de Still est une affection syst6mique, d'origine inconnue, caract6risde par une fi~vre hectique, un exanthbme et des localisations visc6rales, notamment articulaires, pleuropulmonaires et h6patiques [2, 3].
De fait, les manifestations h6patiques sont fr6quentes an cours de la maladie de Still, leur pr6valence 6tant estim6e 72 % [3-6]. Eltes sont, darts la majorit6 des cas, discrOtes, se traduisant, en r~gle g6n6rale, par : • des perturbations biologiques (616ration des taux sdriques de transaminases) asymptomatiques, qui sont ddpist6es clans 60 ~ 72 % des cas [3-6] ; • une h6patom6galie, qui est d6tect~e chez 4 1 % des patients [3-6]. L'analyse histologique h6patique syst6matique, chez ces patients, met en 6vidence : des infiltrats inflammatoires, compos6s de cellules lymphoplasmocytaires au niveau des espaces portes, associ6s ~ un aspect congestif des capillaires sinusoides et 5 une hyperplasie des cellules de Kfipffer [36]. Toutefois, d'autres complications h6patiques, plus inhabituelles mais potentiellement graves et de mauvais pronostic, ont 6t6 6galement mentionn6es au cours de la maladie de Still [3-6]. Celles-ci peuvent survenir spontan6ment, comme dans notre observation, ou apr~s introduction d'un traitement salicylique ; le r61e des anti-inflammatoires non stdro~'diens dans la gen~se de l'atteinte h6patique demeure mal 6lucid6, mais la majorit6 des auteurs sugg6rent que ces mol6cules pourraient aggraver l'h6patopathie sous-jacente lide ~ la maladie de Still [3-6]. Ces manifestations h6patiques redoutables sont essentiellement repr6sentdes par : • les h6patites ict6riques, comme dans notre observation, qui sont rapport6es chez 3 % des patients [2, 4, 6] ; • les h6patites cytolytiques, engendrant une insuffisance h6patocellulaire pouvant atre associ6e 5 une coagulation intravasculaire diss6min6e [2-6]. L'histologie h6patique visualise, outre les infiltrats inflammatoires portaux, l'existence de n6croses hdpatocytaires 6tendues [3-6]. Finalement, la s6v6rit6 de ces h6patites ict6riques et cytolytiques justifie la surveillance systdmatique et r6guli~re du bilan h6patique chez les patients porteurs d'une maladie de Still. De plus, notre observation de maladie de Still rEv61fie par un ictbre cutan6omuqueux confirme que ce diagnostic doit 6tre suspectC en l'absence d' autres affections h6patobiliaires sous-jacentes (infections...), chez les patients pr6sentant un tableau d' <>associ~ ~ une ~l~vation des tanx sdriques de ferritine (> 1 000 gmol/L).
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