Une nouvelle classification OMS des tumeurs (neuro)endocrines digestives

Une nouvelle classification OMS des tumeurs (neuro)endocrines digestives

Annales de pathologie (2011) 31, 88—92 MISE AU POINT Une nouvelle classification OMS des tumeurs (neuro)endocrines digestives The new WHO classificati...

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Annales de pathologie (2011) 31, 88—92

MISE AU POINT

Une nouvelle classification OMS des tumeurs (neuro)endocrines digestives The new WHO classification of digestive neuroendocrine tumors Jean-Yves Scoazec a,∗, Anne Couvelard b , pour le réseau TENpath (réseau national d’expertise pour le diagnostic anatomopathologique des tumeurs neuroendocrines malignes de l’adulte, sporadiques et familiales) a

Service central d’anatomie et cytologie pathologiques, hospices civils de Lyon, hôpital Édouard-Herriot, 3, place d’Arsonval, 69437 Lyon cedex 03, France b Service central d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpital Bichat, AP—HP, 75018 Paris, France Accepté pour publication le 31 janvier 2011 Disponible sur Internet le 26 mars 2011

MOTS CLÉS Classification ; Tumeurs digestives ; Tumeurs neuroendocrines

KEYWORDS Classification; Digestive tumors;



Résumé Une nouvelle classification des tumeurs (neuro)endocrines digestives a été proposée dans le cadre de la révision de la classification OMS des tumeurs digestives. Cette classification s’inspire de principes différents de ceux utilisés dans la classification précédente et utilise une terminologie nouvelle. Elle comporte cinq catégories : tumeur neuroendocrine G1 ; tumeur neuroendocrine G2 ; carcinome neuroendocrine à petites cellules ; carcinome neuroendocrine à grandes cellules ; carcinome mixte adéno-neuroendocrine (nouveau terme pour désigner les tumeurs mixtes). L’introduction de cette nouvelle classification modifie les habitudes prises par les cliniciens, devenus familiers avec l’ancienne classification, qui formait la base sur laquelle s’appuyaient le choix de la stratégie thérapeutique et les modalités de prise en charge. Des précautions doivent être prises pour établir la concordance entre l’ancienne et la nouvelle classification et pour reclasser les cas actuellement en cours de suivi. Des recommandations sont proposées pour la rédaction des comptes-rendus anatomopathologiques dans cette phase de transition. © 2011 Publi´ e par Elsevier Masson SAS.

Summary A new classification of digestive neuroendocrine neoplasms has been formulated in the 2010 revision of the WHO classification of digestive tumors. The principles of this new classification are different from those used in the previous one and the terminology is quite novel. Five main categories are recognized: neuroendocrine tumor G1; neuroendocrine tumor G2; neuroendocrine carcinoma, small cell type; neuroendocrine carcinoma, large cell type;

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-Y. Scoazec).

0242-6498/$ — see front matter © 2011 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.annpat.2011.01.001

Classification OMS des TNE digestives

Neuroendocrine neoplasms

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mixed adenoneuroendocrine carcinoma (a new term for mixed tumors). This new classification will change the habits of the clinicians, familiar with the previous classification, which formed the basis for deciding the therapeutic strategy and the type of patient management. Attention must be paid when establishing the concordance between the new classification and the previous one and when reclassifying a previously diagnosed case, now under follow-up. Recommendations are proposed for the redaction of the pathological reports in this period of transition. © 2011 Published by Elsevier Masson SAS.

Presque chaque année, la classification des tumeurs (neuro)endocrines digestives s’enrichit ou se modifie. En 2006 et 2007, il s’agissait de l’apparition de la notion de grade histologique et des propositions de classification TNM faites par l’European NeuroEndocrine Tumor Society (ENETS) [1,2]. En 2009, il s’agissait de la première classification TNM pour ce type de tumeurs officiellement proposée par l’Union Internationale contre le cancer (UICC) [3,4]. 2010 ne déroge pas à la règle, et cette fois, la nouveauté est d’importance puisqu’il s’agit de la réactualisation de la classification de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [5]. La précédente classification OMS des tumeurs endocrines gastro-entéro-pancréatiques datait de 2000 [6]. De minimes précisions avaient été apportées en 2004, et ce, uniquement pour les tumeurs endocrines pancréatiques [7]. Largement utilisée en Europe, la classification « OMS 2000 » était devenue peu à peu la pierre de touche de la prise en charge des tumeurs (neuro)endocrines digestives et les cliniciens avaient pris l’habitude de l’utiliser pour décider certaines de leurs indications thérapeutiques. La classification OMS 2000 était cependant peu populaire et peu employée dans le reste du monde, où il lui était reproché ses a priori terminologiques, sa complexité, son mélange des genres (mélange de classification histologique et de stadification, mélange de critères histologiques et cliniques) et son manque de précision (notamment dans la définition des critères de différenciation) [8]. La publication d’une nouvelle classification OMS des tumeurs digestives [9] était donc l’occasion d’actualiser la classification des tumeurs endocrines digestives et d’y incorporer les évolutions récentes. Le produit final n’est cependant pas un toilettage, mais une véritable refonte de la classification précédente et cette refonte est amenée à bouleverser les habitudes acquises par les pathologistes et les cliniciens.

Nouvelle classification OMS : les catégories La nouvelle classification OMS [5] propose de reconnaître quatre catégories de tumeurs (neuro)endocrines digestives (Tableau 1) : • les tumeurs neuroendocrines G1, définies comme des tumeurs neuroendocrines bien différenciées, présentant un index mitotique inférieur à 2 et un index de prolifération Ki67 inférieur ou égale à 2 % ; selon les recommandations OMS, l’index mitotique doit être évalué dans au moins 50 champs au fort grandissement (de 2 mm2 chacun selon l’OMS) et exprimé pour dix champs alors que l’index Ki67 doit être évalué à l’aide de l’anticorps MIB-1 en comptant le pourcentage de cellules positives dans 500 à 2000 cellules tumorales après avoir repéré les zones de plus fort marquage nucléaire ;

ces recommandations diffèrent légèrement de celles de l’ENETS [1] mais les seuils retenus sont identiques ; • les tumeurs neuroendocrines G2, définies comme des tumeurs neuroendocrines bien différenciées, présentant un index mitotique compris entre 2 et 20 et un index de prolifération Ki67 compris entre 3 et 20 % ; • les carcinomes neuroendocrines, définis comme des tumeurs peu différenciées, susceptibles de se présenter sous deux types : ◦ les carcinomes neuroendocrines à petites cellules, ◦ les carcinomes neuroendocrines à grandes cellules. Il s’y ajoute la catégorie des tumeurs mixtes, où un contingent (neuro)endocrine est associé à un contingent non (neuro)endocrine : ces tumeurs changent également de nom, pour s’appeler désormais « carcinomes mixtes adénoneuroendocrines ».

Principes et terminologie La philosophie de la nouvelle classification OMS des tumeurs neuroendocrines digestives s’articule autour de trois axes : • une distinction nette entre classification histologique et stadification : la nouvelle classification OMS est purement histologique et doit être complétée, comme pour n’importe quelle autre tumeur, par le stade TNM, puisque celui-ci est désormais disponible [1—3] ; • la prise en compte de la difficulté à séparer les tumeurs bénignes des tumeurs malignes et la volonté de souligner l’existence d’un risque de malignité inhérent à toute tumeur (neuro)endocrine bien différenciée (même s’il est parfois très faible) ; c’est ce qui explique que les termes de « tumeur bénigne » ou de « carcinome » soient désormais exclus de la classification des tumeurs bien différenciées ; on peut cependant regretter que la notion de risque de malignité, effectivement bien adaptée à l’expérience clinique, n’ait pas été mieux soulignée, comme elle l’est par exemple pour les tumeurs stromales gastro-intestinales où une vraie évaluation du risque de

Tableau 1 La classification OMS 2010 des tumeurs neuroendocrines digestives. WHO classification (2010) of digestive neuroendocrine tumors.

Tumeur neuroendocrine, G1 Tumeur neuroendocrine, G2 Carcinome neuroendocrine À petites cellules À grandes cellules Carcinome mixte adéno-neuroendocrine

90 Tableau 2 (2010).

J.-Y. Scoazec, A. Couvelard Comparaison entre les classifications OMS des tumeurs neuroendocrines (TNE) thoraciques (2004) et digestives

Comparison between the WHO classifications of thoracic (2004) and digestive (2010) neuroendocrine tumors.

TNE thoraciques OMS 2004

Carcinoïde

Carcinoïde atypique

TNE digestives OMS 2010

Tumeur neuroendocrine G1 (ou carcinoïde)

Tumeur neuroendocrine G2

malignité est proposée sur des critères simples (localisation, taille, index mitotique) [10] ; • l’importance clinique de l’évaluation du grade histologique (qui reste défini selon les seuils proposés en 2006 par l’ENETS [1]) : celui-ci est mis au premier plan dans la classification des tumeurs bien différenciées puisqu’il détermine les noms des deux catégories de ces tumeurs ; dans le même temps, la notion même de différenciation, qui était mise en exergue dans la classification précédente, n’apparaît plus ici qu’en filigrane : le critère de différenciation reste bien l’un des critères utilisés pour définir les nouvelles catégories OMS, mais le nom de ces catégories ne fait plus référence au caractère bien ou peu différencié de la lésion. La mise en œuvre de ces principes s’appuie sur des choix terminologiques parfois déroutants, dont certains traduisent des concepts novateurs mais dont d’autres ne font que refléter des compromis « politiques » : • le terme neuroendocrine, condamné par la classification OMS 2000, mais resté très en faveur outre-Atlantique, est réhabilité : il faut reconnaître que le terme endocrine était trop vague (il s’applique aussi aux tumeurs thyroïdiennes et surrénaliennes) et que le terme « neuroendocrine » est en pratique le seul disponible pour désigner l’ensemble des tumeurs épithéliales dérivant des cellules endocrines peptidergiques du tube digestif, du pancréas, des voies respiratoires et d’autres lieux ; • le terme carcinoïde, réservé par la classification OMS 2000 aux tumeurs fonctionnelles associées à, ou révélées par, un syndrome carcinoïde, est susceptible d’être à nouveau utilisé comme synonyme de « tumeur neuroendocrine bien différenciée », indépendamment de son siège et de ses caractères fonctionnels : cette réhabilitation, même si elle est conforme à l’usage américain et aux habitudes des pneumologues, apparaît regrettable, car source de confusion et d’imprécision ; • le terme anglo-saxon de « neoplasm » (les termes franc ¸ais équivalents de néoplasme et de néoplasie ne sont pas encore très familiers) est utilisé pour désigner collectivement l’ensemble des tumeurs neuroendocrines digestives, afin de souligner leur risque inhérent de malignité, quelle que soit leur présentation clinique et leurs caractéristiques histologiques au moment de leur diagnostic ; • le refus d’utiliser les termes de tumeur bénigne ou de carcinome pour les lésions neuroendocrines bien différenciées reflète le concept que dans ce type de lésions, l’aspect histologique n’est pas prédictif du comportement biologique et de l’évolution clinique ; c’est exact, mais pour toutes les autres tumeurs épithéliales, il reste habituel d’utiliser des terminologies différentes pour distinguer, au moment de leur diagnostic, les tumeurs bénignes (en pratique non invasives) et les tumeurs malignes (en pratique invasives) ; l’utilisation des termes

Carcinome neuroendocrine à grandes cellules Carcinome neuroendocrine à grandes cellules

Carcinome neuroendocrine à petites cellules Carcinome neuroendocrine à petites cellules

« adénome » et « adénocarcinome » reste un élément essentiel pour guider rapidement et simplement la prise en charge clinique du patient. Ce point de repère simple fera donc défaut dans le cas particulier des tumeurs neuroendocrines digestives. Les choix terminologiques et les principes adoptés dans la nouvelle classification des tumeurs neuroendocrines digestives font que celle-ci ressemble étrangement à la classification des tumeurs neuroendocrines pulmonaires, en vigueur depuis 2004 [11]. Il est désormais facile d’établir des correspondances, quasiment terme à terme, entre les deux systèmes (Tableau 2).

Les implications pratiques Il est certain que la nouvelle classification OMS des tumeurs neuroendocrines digestives bouleverse les habitudes des cliniciens. Ils regrettent en particulier l’abandon de la mise en évidence du caractère bien ou peu différencié dans la terminologie proposée. L’identification rapide du caractère « peu différencié » d’une tumeur (neuro)endocrine est particulièrement importante en raison de ses implications pratiques : une telle lésion est en effet une urgence thérapeutique relevant d’une prise en charge spécifique. La réponse à ces critiques est que le terme « carcinome neuroendocrine » sera désormais réservé aux seules tumeurs peu différenciées, qui seront donc faciles à repérer. Les cliniciens regrettent aussi souvent que la catégorie « tumeur neuroendocrine, G1 » regroupe un spectre étendu de tumeurs relevant de prises en charge très différentes, de l’incidentalome bénin de découverte fortuite jusqu’à la tumeur métastatique avancée. La réponse à cette critique est qu’il faut désormais s’habituer, comme pour tout autre type de tumeur, à intégrer le stade TNM dans les critères décisionnels. Cette intégration n’est cependant pas facilitée par l’existence de deux systèmes TNM potentiellement concurrents (celui de l’ENETS et celui de l’UICC) et par le manque de pertinence clinique de certains choix de l’UICC (notamment pour les tumeurs neuroendocrines de l’appendice et du pancréas) [12]. Dans cette phase de transition entre les deux classifications OMS, plusieurs points nécessitent une attention particulière : • le terme de carcinome est désormais « officiellement » réservé aux tumeurs malignes peu différenciées : c’est une différence importante avec l’OMS 2000, qui risque d’entraîner des confusions, voire des erreurs de prise en charge, puisque le diagnostic de tumeur neuroendocrine peu différenciée débouche sur une thérapeutique spécifique à mettre en œuvre en urgence ; la mauvaise interprétation du terme de « carcinome » selon la nou-

Classification OMS des TNE digestives Tableau 3 tives.

91

Correspondance entre la classification OMS 2000 et la classification OMS 2010 des tumeurs endocrines diges-

Correspondence between the 2000 and 2010 WHO classifications of digestive neuroendocrine tumors.

OMS 2010

OMS 2000

Tumeur neuroendocrine G1

Tumeur endocrine bien différenciée de comportement bénin Tumeur endocrine bien différenciée de comportement incertain à index mitotique < 2 et index Ki67 ≤ 2 % Carcinome endocrine bien différencié à index mitotique < 2 et index Ki67 ≤ 2 % Tumeur endocrine bien différenciée de comportement incertain à index mitotique compris entre 2 et 20 et/ou index Ki67 compris entre 3 et 20 % Carcinome endocrine bien différencié à index mitotique compris entre 2 et 20 et/ou index Ki67 compris entre 3 et 20 % Carcinome peu différencié à petites cellules Pas de catégorie correspondante Tumeur mixte

Tumeur neuroendocrine G2

Carcinome neuroendocrine à petites cellules Carcinome neuroendocrine à grandes cellules Carcinome mixte adéno-neuroendocrine

velle classification peut ainsi amener à sous-traiter ou à sur-traiter certains patients ; • la reclassification des cas anciens selon les nouvelles règles ne se fait pas de manière automatique, de catégorie à catégorie, mais au cas par cas : attention donc aux conséquences éventuelles sur la prise en charge des patients ; un guide est donné dans le Tableau 3. En pratique, comment assurer la continuité de la prise en charge des patients et éviter des ruptures dans le dialogue entre pathologistes « moralement » tenus d’appliquer les nouvelles règles du jeu et cliniciens excédés par des modifications trop fréquentes de ces règles ? L’OMS ellemême donne des pistes, sous forme de recommandations pour la rédaction des comptes-rendus (dont s’inspire le Tableau 4). Ces recommandations ont pour objectifs de faciliter la phase de transition actuelle (il est conseillé par exemple d’indiquer simultanément les deux classifications OMS 2000 et 2010) et de préserver les chances de répondre, sans trop de difficultés, aux évolutions futures (il est recommandé d’indiquer les valeurs absolues des index de prolifération afin de permettre une reclassification ultérieure en cas de changement des valeurs seuil). Il est en effet certain que la nouvelle classification OMS des tumeurs 2010) endocrines digestives n’est qu’une étape. Se profile déjà un affinement des critères définissant les grades histologiques, Tableau 4 Items minimaux devant figurer dans le compte-rendu de l’examen anatomopathologique d’une tumeur neuroendocrine digestive. Minimal data for the pathological report of digestive neuroendocrine tumors.

Arguments diagnostiques Arguments morphologiques Arguments immunohistochimiques Classification OMS 2010 (OMS 2000 entre parenthèses) Grade histologique Valeurs absolues de l’index mitotique et de l’index de prolifération, si évaluables pTNM UICC (7e édition, 2010) (ENETS entre parenthèses, notamment pour les localisations de l’appendice et du pancréas)

tenant compte notamment de la localisation anatomique de la tumeur primitive. En conclusion, il faut évidemment se réjouir des progrès rapides effectués dans la qualité et la précision de la classification des tumeurs endocrines gastro-entéro-pancréatiques mais uniquement tant que ces progrès débouchent sur une meilleure prise en charge des patients sans y ajouter des complexités inutiles et préjudiciables !

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

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