Annales de pathologie (2012) 32, 300—302
Disponible en ligne sur
www.sciencedirect.com
CAS POUR DIAGNOSTIC
Une tumeur maxillaire du nourrisson A rare infantile maxillary tumor Marie Soulier a,∗, Cécile De Biasi a, Gaëtan Thiery b a
Service d’anatomie et cytologie pathologiques, hôpital d’instruction des armées Laveran, BP 60149, 13384 Marseille cedex 13, France b Service de chirurgie maxillo-faciale, hôpital d’instruction des armées Laveran, BP 60149, 13384 Marseille cedex 13, France Accepté pour publication le 21 juin 2012 Disponible sur Internet le 26 juillet 2012
Observation Une petite fille âgée de quatre mois fut adressée par ses parents à la consultation d’une mission humanitaire pour une tuméfaction du maxillaire (Fig. 1), d’apparition récente et de croissance rapide, gênant l’alimentation et entraînant des difficultés respiratoires.
Figure 1. Tumeur du maxillaire s’étendant jusqu’au plancher de l’orbite. Tumor arising from the maxilla, extending to the orbital floor.
∗
Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. Soulier).
0242-6498/$ — see front matter © 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.annpat.2012.06.007
Une tumeur maxillaire du nourrisson
Figure 2. La prolifération refoule latéralement les bourgeons dentaires (HES × 100). Dental germs pushed laterally by the lesion (HES × 100).
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Figure 4. Contingent épithélioide pigmenté et petites cellules rondes, avec ébauche de différenciation neuro-ganglionnaire (HES × 400). Histology demonstrating both large melanin-containing epithelial cells and small neuroblastic cells, with ganglionic differentiation (HES × 400).
les cellules épithélioïdes et l’expression des marqueurs neuroendocrines CD56, chromogranine et synaptophysine par les petites cellules bleues.
Quel est votre diagnostic ?
Figure 3. Intrication des deux populations cellulaires au sein d’un stroma fibreux (HES × 100). Biphasic cell population within a fibrous stroma (HES × 100).
La patiente subit une exérèse chirurgicale de cette tumeur mal limitée qui s’étendait du maxillaire jusqu’au plancher de l’orbite. Macroscopiquement, le spécimen consistait en de multiples fragments blanchâtres et fermes, le plus gros mesurant 3 cm de plus grand axe. L’examen histologique mit en évidence une prolifération refoulant latéralement les bourgeons dentaires (Fig. 2), mais aussi retrouvée de manière diffuse entre les travées osseuses. Cette prolifération était composée de deux contingents cellulaires intriqués (Fig. 3). Le premier consistait en des cellules épithélioïdes, cubiques, ou aplaties, s’organisant en lobules ou parfois en cavités glanduliformes, au cytoplasme richement chargé de pigment mélanique. Le second contingent était représenté par de petites cellules rondes s’agenc ¸ant en îlots ou travées, à très haut rapport nucléocytoplasmique, dont le noyau comportait une chromatine poussiéreuse. Ces deux contingents contigus étaient disposés au sein d’un stroma collagénique, parfois lâche, parfois fibrillaire, avec par place, une ébauche de différenciation neuro-ganglionnaire des petites cellules (Fig. 4). Une étude immunohistochimique montrait l’expression de marqueurs épithéliaux, telle que la cytokératine 7 par
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Diagnostic Tumeur mélanotique neuroectodermique du nourrisson.
Discussion La tumeur mélanotique neuroectodermique du nourrisson est une tumeur rare, avec près de 370 cas rapportés dans la littérature mondiale depuis sa première description en 1918 comme un « mélanocarcinome congénital » par Krompetcher [1]. Elle sera par la suite rapportée sous 23 différentes dénominations, telles « odontome mélanotique », « hamartome rétinien », « épulis congénital pigmenté », témoignant des incertitudes et nombreuses hypothèses quant à son histogenèse [1,2]. C’est en 1966, devant le cas d’un patient présentant une lésion caractéristique, associée à un taux élevé d’acide vanilmandélique urinaire se normalisant après exérèse, comme on pouvait l’observer dans le phéochromocytome et autres tumeurs dérivées des cellules des crêtes neurales [3], qu’elle sera rattachée à la famille des tumeurs neuroectodermiques de l’enfant et nommée tumeur mélanotique neuroectodermique. C’est une tumeur du nourrisson de moins d’un an, le plus souvent de moins de six mois [1,2], avec un sex-ratio H/F de 1,48/1. Cliniquement, elle se présente comme une masse indolore de croissance rapide au niveau du maxillaire dans plus de 90 % des cas, avec ou sans troubles respiratoires ou difficultés d’alimentation. Des localisations à la mandibule, crâne, cerveau, épididyme, médiastin et pied ont été rapportées [2]. En radiologie conventionnelle, il s’agit d’une plage d’ostéolyse avec des berges plus ou moins nettes, refoulant les bourgeons dentaires. Elle est classiquement hyperdense, avec hyperostose en périphérie en tomodensitométrie. Elle présente un hypersignal T1 et hyposignal T2 en IRM [1]. Histologiquement, elle associe deux contingents cellulaires. Le premier est fait de cellules épithélioïdes s’organisant en lobules, massifs ou structures tubulaires et au cytoplasme chargé de pigment mélanique. Le second est fait de petites cellules basophiles, rondes, à haut rapport nucléocytoplasmique, en nappes, îlots ou travées, avec possible différenciation neuro-ganglionnaire [2]. Parfois, dans certains îlots, les cellules épithélioïdes pigmentées sont disposées à la périphérie et entourent les amas de petites cellules basophiles.
M. Soulier et al. Cette prolifération est mal limitée et s’accompagne d’un stroma fibrocollagénique plus ou moins dense, plus ou moins fibrillaire. En immunohistochimie, les cellules épithélioïdes peuvent exprimer les cytokératines, l’Epithelial Membrane Antigen (EMA), ainsi que vimentine et HMB45, mais pas la PS100. Le contingent à petites cellules exprime de manière inconstante les marqueurs neuroendocrines (chromogranine, synaptophysine, CD56), la Neuron Specific Enolase et Glial Fibrillar acidic Protein (GFAP) [4]. Les diagnostics différentiels sont le rhabdomyosarcome alvéolaire, le lymphome de Burkitt et le mélanome, mais la double population cellulaire et le profil immunohistochimique permettent d’établir le diagnostic sans ambiguïté [1]. Il s’agit d’une lésion considérée comme bénigne, à haut risque de récidive après exérèse chirurgicale, avec un risque de transformation maligne estimé à 6,5 % avec des cas de métastases rapportés [2,4]. Le traitement repose sur une exérèse chirurgicale la plus précoce et complète possible suivie d’une surveillance rapprochée [5]. Une chimiothérapie complémentaire peut être proposée [2].
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Références [1] Agarwal P, Saxena S, Kumar S, Gupta R. Melanotic neuroectodermal tumor of infancy: presentation of a case affecting the maxilla. J Oral Maxillofac Pathol 2010;14:29—32. [2] Madrid C, Aziza J, Hlali A, Bouferrache K, Abarca M. Melanotic neuroectodermal tumour of infancy: a case report and review of the aetiopathogenic hypotheses. Med Oral Patol Oral Cir Bucal 2010;15:e739—42. [3] Borello ED, Gorlin RJ. Melanotic neuroectodermal tumor of infancy, a neoplasm of neural crest origin. Report of a case associated with high urinary excretion of vanilmandelic acid. Cancer 1966;19:196—206. [4] Hamilton S, Macrae D, Agrawal S, Matic D. Melanotic neuroectodermal tumour of infancy. Can J Plast Surg 2008;16: 41—4. [5] Butt FM, Guthua SW, Chindia ML, Rana F, Osundwa TM. Early outcome of three cases of melanotic neuroectodermal tumour of infancy. J Craniomaxillofac Surg 2009;37:434—7.