Utilisation des opioïdes forts dans les douleurs aiguës traumatologiques du sport

Utilisation des opioïdes forts dans les douleurs aiguës traumatologiques du sport

© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés J. Traumatol. Sport 2006, 23, 181-185 Mise au point Utilisation des opioïdes forts dans les doule...

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© 2006. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

J. Traumatol. Sport 2006, 23, 181-185

Mise au point

Utilisation des opioïdes forts dans les douleurs aiguës traumatologiques du sport R. TRÈVES Service de Rhumatologie, CHU Dupuytren, 2 avenue Martin Luther King, 87042 Limoges Cedex.

RÉSUMÉ

SUMMARY

L’auteur présente les données actuelles du traitement des douleurs sévères, telles que l’on peut en observer chez les sportifs victimes d’accidents graves ou tout au moins à l’origine d’une symptomatologie très douloureuse qui imposerait le recours aux opioïdes forts. Seule (ou presque) dans cette indication la morphine est licite. Il s’agit de l’utilisation à court terme dans le but de soulager vite et efficacement. Ce traitement a des revers de tolérance, c’est-à-dire des effets indésirables dont la constipation présente à 100 % doit être systématiquement prévenue. L’auteur part d’exemples pratiques en utilisant des recettes d’utilisation de surveillance. Reste le très important problème d’un tel traitement guère compatible avec les règles du sport de compétition. Mais, un sportif qui souffre, surtout intensément, jeune ou vieux, mérite d’être traité énergiquement.

Use of strong opioids for severe sports trauma victims We present current practices for the treatment of severe pain in victims of severe sports accidents including cases where severe symptoms necessitate use of strong opioids. In France, morphine is exceptionally legal for this indication of severe non-cancer pain. Use must be short-term to relieve pain effectively and rapidly. The risk is tolerance with the undesirable effects of constipation observed in 100% of patients. Preventive measures are needed. Based on practical examples of recipes used by practitioners, we present the problem of employing this type of treatment during sports competitions. It should be noted however that for a patient suffering severe pain, irrespective of age, appropriate and effective treatment is needed.

Mots-clès : opioïdes, douleurs, traumatologie, sports.

Key words: opioids, pain, traumatology, sports.

Introduction

comme la colique néphrétique, la colique hépatique, l’infarctus du myocarde ménagent une place aux opioïdes forts. Doit-on entendre pathologie aiguë comme une pathologie dont l’évaluation de l’intensité est ≥ 7 sur une EVA ou un moment de souffrance intense, peu durable ? Utiliser la morphine (seule thérapeutique autorisée en dehors du cancer avec la buprénorphine) pendant quelques jours définit le concept de cure courte. Une cure courte d’opioïdes forts se définit comme une prescription : — d’emblée ou après essai des autres antalgiques, — pour une période de 7 jours ou moins, — selon un schéma adapté à la pathologie et aux intensités douloureuses.

Le recours aux opioïdes forts (regroupement des analgésiques centraux dits morphiniques, agonistes μ ou agonistes-antagonistes ayant une affinité plus forte que celle de la morphine) en médecine a connu sa traversée du désert. Il reste paradoxal de voir combien les préventions de certains sont restées tenaces contre leur utilisation dans des situations pathologiques chroniques. Pourtant, la littérature est à ce sujet particulièrement diserte. Il est curieux de ne rien lire sur les opioïdes forts dans des pathologies aiguës traumatologiques alors que d’autres situations aiguës Correspondance : R. TRÈVES, voir adresse ci-dessus.

e-mail : [email protected]

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R. TRÈVES

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Quels sont les opioïdes forts autorisés en cure courte dans les affections non cancéreuses ? Les tableaux suivants résument les médicaments ou opioïdes forts permis (tableau I) et ceux qui n’ont pas en 2002 l’AMM (tableau II). Les opioïdes forts utilisables ou maniables dans les maladies aiguës sont : le sulfate de morphine, le chlorydrate de morphine et la buprénorphine. Depuis l’arrivée sur le marché des sulfates de morphine à libération prolongée (LP), l’accessibilité et la prescription des opioïdes forts comme la morphine ont été facilitées par leur présentation orale (maniable) et répartie toutes les 12 heures. Les formes immédiates sont peut-être encore mieux adaptées à une situation aiguë, encore que l’association des deux soit un compromis qui renforce l’efficacité : la forme immédiate est alors utilisée en « interdoses » (ou doses de secours) entre deux prises de forme LP. La buprénorphine avait bénéficié d’une position de pionnière, plus ancienne sur le marché ; elle a permis d’amorcer le recours aux opiacés dans de telles situations. Les prises et l’action plafond ne semblent plus de mise. Elle est moins utilisée. Quant aux formes injectables de chlorydrate de morphine, elles restent très peu utilisées dans la pratique aiguë et courante, sauf en hospitalisation. D’autres analgésiques opioïdes forts ne sont plus guère utilisés dans ces mêmes indications

TABLEAU II. – Autres opioïdes forts sans AMM dans les affections non cancéreuses. Noms pharmacologiques Dénomination commune internationale

Durée Produits légale de Conditonnement commercialisés prescription par boites et dosages (jours)

Hydromorphone SOPHIDONE® LP

28

14 gel

4, 8, 16, 24 mg Fentanyl

DUROGESIC® 25, 50, 75, 100 gamma

28

14 gel

Oxycodone

OXYCONTIN®

28

28

10, 20, 60, 80 mg

aiguës comme la pentazocine, la nalbuphine (non remboursée) l’eubine ou la pethidine.

Précautions à prendre en cas de prescription en cure courte Il faut en premier lieu s’assurer de l’accord des patients (mais est-ce toujours possible dans les situations de grande urgence ?) ce qui, par expérience, s’obtient très aisément, soit parce que

TABLEAU I. – Opioïdes forts autorisés dans les affections non cancéreuses. Noms pharmacologiques Dénomination commune internationale

Chlorydrate de morphine

Sulfate de morphine

Produits commercialisés et dosages

Conditionnement par boîte

Morphine Aguettant amp. Inj. = 10 mg

7

Morphine Cooper amp. Buv.

7

Sauf pompe

Morphine Lavoisier amp. Inj.

7

Portable : 28 j

Morphine Meram amp. Inj.

7

Morphine Renaudin amp. Inj.

7

SKENAN LP® 10, 30, 60, 100, 200 mg

28

14 gel (à 200 mg : 28 gélules)

MOSCONTIN LP® 10, 30, 60, 100 mg

28

14 cp

ACTISKENAN® 5, 10, 20, 30 mg

28

14 cp

SEVREDOL® 10, 20 mg

28

14 cp

28

7 gel

30

2 cp

renouvelable

1 amp

KAPANOL Buprénorphine

Durées légales de Prescription (jours)

LP®

20, 50, 100 mg

TEMGESIC cp à 0,2 mg Amp. A 0,3 mg

Amp. Inj. : ampoule injectable ; Amp. Buv. : ampoule buvable ; Gel : gélule ; Cp : comprimé.

Vol. 23, n° 3, 2006

l’intensité de la souffrance les conduit à s’en remettre à la sagesse ou à l’initiative du praticien, soit parce que les échecs des traitements précédents comme un antalgique d’une autre classe ou un anti-inflammatoire non stéroïdien ont conduit à une impasse thérapeutique. Il faut en second lieu, dès le début du traitement, associer une prévention de la constipation (surtout si le malade est alité) et des nausées et vomissements : il est dommage de devoir interrompre un tel traitement qui peut s’avérer salutaire, à cause de vomissements insupportables ou d’une constipation devenant obsédante. Dans une étude récente [4], nous avons montré sur une série de 132 malades traités en moyenne 6 jours, atteints d’affections rhumatologiques que les nausées et vomissements surviennent chez 38 % des sujets traités très précocement dans les 72 premières heures et que l’utilisation systématique de métaclopramide diminue de 17 % dans le groupe le recevant par rapport au groupe sans métaclopramide. Si cela se présente, il faut ensuite pouvoir admettre l’échec du traitement aux opiacés, c’est-à-dire leur inefficacité ou une insuffisance de résultats sans que pour cela les effets indésirables en soient la cause : rien ne s’oppose à une rotation des opioïdes, c’est-à-dire à un changement de classe au sein du palier III, puisque nous disposons d’autres opioïdes forts. Il convient parfois, et cela procède de cette notion de rotation, de franchir « l’interdit », c’est-à-dire prescrire un opioïde, n’ayant pas encore l’AMM, dans les douleurs non cancéreuses (comme par exemple l’hydromorphone). Il n’est en rien dommageable, une fois l’antalgie obtenue et de manière nette, en quelques jours, de changer de traitement et d’arrêter tout opioïde fort : le risque de dépendance est théoriquement nul. En revanche, il n’est pas reprochable, en cas de besoin, de poursuivre un traitement à base d’opioïdes forts au-delà de la règle arbitrairement fixée de 7 jours, c’est-à-dire de cette cure courte. Il est sûrement utile de rappeler que les opioïdes forts sont autorisés pendant la grossesse alors que l’aspirine et les AINS sont contre-indiqués au cours du 3e trimestre.

UTILISATION DES OPIOÏDES FORTS

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Titration de la morphine par voie orale • Débuter par 10 à 30 mg toutes les 12 heures de morphine à libération prolongée (LP) (une dose différente entre le matin et le soir est évidemment possible en fonction de l’horaire et de l’intensité de la douleur) ; • rajouter des interdoses de morphine à libération immédiate (LI). À proposer au patient toutes les 4 heures si l’intensité de la douleur évaluée par l’EVA est identique ou supérieure à la douleur initiale. La dose au départ est de 10 mg, mais peut être augmentée, représentant classiquement 1/6e à 1/10e de la dose quotidienne de morphine. L’intervalle entre les interdoses peut être raccourci jusqu’à 1 heure si la douleur est intense. Chaque interdose doit être notée sur une fiche de surveillance avec : l’heure, la dose et l’EVA. Au bout de 24 heures : il faut effectuer le calcul de la dose totale de morphine consommée et réajuster en fonction les doses de morphine LP. Prenons un exemple au cours d’une fracture : si le blessé consomme de la morphine LP : 60 mg/24 heures, soit 30 mg matin et soir, surtout 60 mg, la dose totale à administrer sera de 120 mg, ce qui revient par conséquent à augmenter la dose de morphine LP à 60 mg matin et soir et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il n’y ait plus besoin d’interdose. Attention, chez les sportifs âgés : il est préférable de débuter avec uniquement de la morphine LI et à faible dose car le risque d’accumulation de la morphine et la fréquence des effets indésirables sont plus élevés. On prendra soin de vérifier l’état rénal, en particulier de la clairance de la créatinine en ajustant comme suit (tableau III). TABLEAU III. – Adaptation en fonction du bilan rénal. Dose

Intervalle entre les doses

5 mg

4h

Entre 15 ml et 50

2,5 mg

4h

< 15 ml/min

2,5 mg

6à8h

Clairance de la créatinine > 50 ml/min

Comment prescrire en pratique traumatique ?

Titration de la morphine par voie intraveineuse

Envisageons plusieurs situations de prescription : le traumatisé n’a reçu aucun traitement antalgique et un opioïde fort est choisi en première intention. On peut proposer :

Elle suppose une hospitalisation du sportif blessé : la titration par voie IV a pour but d’assurer une analgésie très rapidement. Elle peut être justifiée dans les douleurs très intenses.

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La dose maximale recommandée pour la période de titration est de : 0,05 mg/kg à 0,1 mg/kg. Elle est délivrée de façon fractionnée. Le protocole est le suivant : • diluer 1 ampoule (1 ml) de 10 mg de chlorydrate de morphine dans 9 ml de sérum physiologique (1 ml = 1 mg), • injecter un bolus de 2 mg lentement, puis réinjecter de 2 mg en 2 mg toutes les 6 à 10 minutes jusqu’à sédation de la douleur, • oxygénothérapie systématique au masque (3 l/min), • prescription systématique d’un anti-émétique : — en prophylaxie : dropéridol (0,6 à 1,25 mg en IV), — en curatif si échec du dropéridol : utiliser les sétrons (pas d’AMM) • surveillance de : la conscience, les fréquences respiratoire et cardiaque, la pression artérielle, et évaluation répétée de la douleur. Si la fréquence respiratoire est inférieure à 10/ min ou si le blessé est somnolent et difficile à réveiller, il faut arrêter l’injection de morphine et utiliser de la naloxone (antidote) : dilution d’une ampoule à 0,4 mg dans 9 ml de sérum physiologique et injection IV de 1 ml toutes les 2 minutes jusqu’à correction de la fréquence respiratoire. Chez les sportifs âgés de plus de 65 ans qui ont déjà reçu un antalgique de niveau I, on peut, tout en laissant cet antalgique comme « interdose », leur prescrire l’opioïde selon les schémas du paragraphe précédent. Le sportif a déjà reçu un antalgique de niveau II, c’est-à-dire un opioïde faible comme la codéïne, le dextropropoxyphène ou le tramadol. Dans ce cas, il est préférable de se souvenir que la demi-vie des opioïdes faibles est variable selon le produit. Par exemple : codéïne : demi-vie de 3 heures ; dextropropoxyphène : demi-vie de 6 à 20 heures ; tramadol : demi-vie 5 à 7 heures. Il convient de connaître ensuite les équivalences théoriques des opioïdes faibles en morphine (qui sert alors de référence) : 30 mg de Codéïne : 5 mg de morphine ; 30 mg de dextropropoxyphène : 3 mg de morphine ; 50 mg de tramadol : 8 mg de morphine Ces deux notions ont assurément leur importance, mais il n’est pas très difficile ni délicat de passer d’un niveau II à un niveau III, hormis les cas de surdosage, évitable si on opte soit pour le sulfate de morphine à libération prolongée à la dose de 20 mg 2 fois par 24 heures et non pas de 30 mg, soit par le sulfate de morphine à libération immédiate (choix ici préférable) dosé à 5 mg tou-

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tes les 4 heures, ce qui permet une meilleure adaptation et titration.

Que faire en cas d’effet indésirable ? En cas de somnolence, signe avant-coureur possible d’un surdosage, il faut éviter la prochaine prise ou bien administrer de la naloxone (Narcan®) par voie intraveineuse : bolus toutes les 1 à 2 minutes de 0,04 mg jusqu’à la récupération d’une conscience normale (ce qui est alors quasi immédiat). En cas de nausées et vomissements, prescrire Chlorpromazine : 5 à 10 gouttes × 2 fois/24 heures ou Halopéridol : 2 à 5 mg × 2 fois/24 heures ou Métoclopramide. En cas de confusion ou hallucination, il faut soit réduire la dose des opioïdes forts, soit l’arrêter, soit faire une rotation des opioïdes, soit, en cas de psychotropes déjà associés, les supprimer. Les hallucinations seront ensuite traitées par Chlorpromazine ou Halopéridol. Il faut enfin penser à rechercher une rétention aiguë d’urine ou un fécalome, surtout s’il existe des antécédents d’adénome prostatique ou chez le sujet âgé. Comment concilier prescription d’opioïdes et réglementation anti-dopage ? C’est le sujet de G. Guillaume (chapitre narcotiques).

Conclusion Les opioïdes forts sont déjà utilisés dans certaines situations pathologiques, viscérales, particulièrement intenses ou intolérables comme les coliques néphrétiques ou l’infarctus du myocarde. La disparition des réticences dans ces indications doit inciter à élargir le champ d’action des antalgiques de niveau III dans les affections traumatologiques aiguës. Vouloir prescrire en fonction de l’intensité de la douleur est plus louable que s’escrimer à suivre une graduation progressive des antalgiques en fonction des réponses au traitement : il convient par souci d’efficacité de plutôt choisir un niveau III de l’OMS pour revenir à un palier inférieur. L’enjeu de la cure courte est multiple : être rapidement efficace, soulager au plus vite (ce que nos malades nous réclament) et éviter le passage à la chronicité c’est-à-dire une douleur qui dure plus de 3 à 6 mois (ce qui reste à démontrer dans une grande étude de cohorte pour répondre à cette question centrale et de première importance).

Vol. 23, n° 3, 2006

UTILISATION DES OPIOÏDES FORTS

RÉFÉRENCES [1] BANNWARTH B, SCHMIDT J, QUENEAU P. Antalgiques non, morphiniques Douleurs aiguës, douleurs chroniques, soins palliatifs, MED-LINE, Éditions 2001, p. 102-108. [2] AMERICAN PAIN SOCIETY. Principles of analgesic in the treatement of acute pain and cancer pain. 4e édition 1999. [3] ATTARD AR, CORLETT MJ, KIDNER NJ, LESLIE AP, FRASER IA. Safety of early pains relief for acute abdominal pain. Br Med J 1992; 305: 554-556. [4] SCOTTO DI FAZANO C, VERGNE P, GRILO RM, BONNET C, BERTIN P, TREVES R. Intérêt de la prévention

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des nausées et vomissements chez des patients traités par morphiniques pour des douleurs bénignes d’origine rhumatologique. Rev Fr Pharmaco Clin 2002 ; 57 (5) : 446-449. [5] VERGNE P, BERTIN P, TREVES R, QUENEAU P. Quelle place pour les opioïdes forts dans les douleurs bénignes ? In : P. QUENEAU , G. OSTERMANN : Le médecin, le malade et la douleur. Paris. Masson éd. 2000. [6] PERROT S, BANNWARTH B, BERTIN P, TREVES R et al. Utilisation de la morphine dans les douleurs rhumatologiques non cancéreuses. Les Recommandations de Limoges. Rev Rhum 1999 ; 66 : 651657.

Informations

PRIX MENARINI 2006 DE MÉDECINE DU SPORT Destiné à récompenser une équipe médicale pour ses travaux faisant progresser les connaissances en traumatologie du sport 10000 € Sous la présidence du Pr Jacques Rodineau Thème : « Traumatologie du sport » • remise des travaux finalisés : 15 septembre 2006 • remise des prix le 4 novembre 2006 lors de la 24e journée de Traumatologie du sport de La Pitié-Salpêtrière. Renseignements Mme Laurence Ducrot, 1 rue du Jura Silic 528 94633 Rungis Cedex [email protected]