Vaccination par le BCG: une querelle franco-française ou un réel débat?

Vaccination par le BCG: une querelle franco-française ou un réel débat?

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Dossier thématique

Éditorial

Presse Med. 2006; 35: 1723-4 © 2006. Elsevier Masson SAS Tous droits réservés

Vaccination par le BCG : une querelle franco-française ou un réel débat ? Dominique Gendrel

Hôpital Saint Vincent de Paul-Cochin, Paris (75)

Correspondance : Dominique Gendrel, Hôpital Saint Vincent de Paul-Cochin, 2 ter rue d’Alésia, 75014 Paris. [email protected]

L’

article de Daniel Lévy-Bruhl [1] publié dans ce numéro de La Presse Médicale fait le point sur les décisions récentes des autorités sanitaires prises à propos du BCG et sur les raisons qui sont à l’origine de ces décisions. Mais la réalité du terrain est complexe, et il existe des risques de dérives importants en raison des transformations récentes de la présentation du vaccin et des possibles complications locales.

Multipuncture, voie intradermique et réactions locales

tome 35 > n° 11 > novembre 2006 > cahier 2

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Actuellement, la vaccination par le BCG ne peut se faire que par voie intradermique, comme cela se fait partout, et comme le recommandent l’OMS et les sociétés savantes. En France, jusqu’en 2005, le BCG se faisait principalement par multipunctures (ou bague en plastique). Même si cette technique n’avait jamais été formellement validée par des études, elle était complètement acceptée par les autorités sanitaires et plus de 90 % des BCG en France se faisaient de la sorte, y compris dans les structures publiques dépendant du ministère de la Santé. Le fabricant de ce vaccin “BCG par bague” en a interrompu la production, car il ne répondait pas à des normes précises: dose délivrée, efficacité réelle, etc. La seule solution pour les médecins, puisque le BCG est obligatoire en France pour l’entrée en collectivité, est donc de vacciner par voie intradermique. Le BCG intradermique peut être responsable de complications locorégionales, allant du simple écoulement persistant d’une petite papule cutanée à une “BCGite” importante avec infiltration cutanée et ganglion satellite. On admet que le nombre de complications régionales avec adénopathies est de 1 % environ, voire un peu plus, comme le précise Daniel Lévy-Bruhl [1]. En fait, cela dépend non seulement de la technique d’injection intradermique, mais aussi de la souche de BCG. Une campagne de vaccination au Mozambique dans les années 1980 avait entraîné 6 à 10 % d’adénopathies dues à un BCG dont les conditions de fabrication avaient changé [2]. Ces complications sont plus fréquentes si la technique est mauvaise. Faire une injection intradermique à un jeune enfant impose une contention par une ou deux personnes en plus du vaccinateur. Si l’enfant bouge, une partie de la dose peut être injectée en sous-cutané, ce qui est souvent à l’origine de “BCGite” localisée. Les médecins français ont peut-être perdu l’habitude au cabinet de la voie intradermique, ils sont surtout démunis car

Gendrel D

seule la mère du nourrisson est là pour assurer la contention. Et depuis plusieurs mois les consultations de pédiatrie des hôpitaux voient un nombre croissant de complications locales du BCG. Cellesci ne sont pas sévères, mais la cicatrisation est longue et une suppuration chronique dure souvent plusieurs mois. Une étude est en cours pour évaluer le nombre de ces complications locorégionales. On peut discuter les causes, parler de mauvaise formation, mais ce risque local conduit beaucoup de médecins et de pédiatres à discuter cette vaccination. En raison de l’obligation du BCG et des complications possibles, des dérives existent déjà et risquent de se répandre rapidement. La plus grave est celle de faux certificats: le médecin indique avoir fait le BCG, sans l’avoir pratiqué, ou après une tentative unique, sans injection efficace car l’enfant a bougé. Inutile de se voiler la face, et l’auteur de ces lignes a pu le constater lui-même: des médecins lui ont fréquemment rapporté ces états de fait. L’autre conséquence est le discrédit possible jeté sur l’ensemble des vaccins : notre pays n’en a pas besoin. Songeons qu’après les discussions franco-françaises sur l’hépatite B, la couverture vaccinale contre ce virus chez le nourrisson ne dépasse pas 40 % alors qu’elle est de plus de 80 % dans la plupart des pays voisins [3]. La disparition de la vaccination par multipuncture a entraîné de nombreuses discussions à propos du BCG chez les pédiatres et les médecins généralistes qui sont concernés au premier chef: on ne peut faire l’impasse sur les inquiétudes exprimées.

Un vaccin généralisé ou ciblé sur les populations à risque?

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Il faut se garder également de jeter l’opprobre sur le BCG. Ce n’est pas un vaccin parfait, mais tout le monde admet son efficacité, au moins partielle, contre les formes sévères de tuberculose. Le supprimer totalement entraînerait une augmentation des cas de tuberculose. Les chiffres globaux de l’endémie tuberculeuse en France sont trompeurs car il existe une importante disparité régionale (incidence élevée en Île de France) et sociale (incidence élevée dans les familles immigrées en provenance des pays de forte endémie). C’est pour cette partie de la population où l’incidence de la tuberculose est élevée, qu’on ne peut pas supprimer totalement et partout la vaccination par le BCG. La France reste le dernier pays en Europe, avec le Portugal, où une vaccination généralisée par le BCG est prônée. Surtout, cette vaccination est obligatoire. Notre pays est riche d’une population immigrée. Ce n’est pas la stigmatiser que dire que les cas de tuberculoses se voient majoritairement chez les patients issus de l’immigration en raison de la forte endémie dans les pays d’origine et de leurs mauvaises conditions économiques en France [4]. Le choix n’a pas été fait par les autorités sanitaires d’une vaccination des groupes à risque, c’est-à-dire les populations immigrées. De plus, la querelle franco-française s’est envenimée dès que certains ont évoqué la possibilité de vacciner des populations ciblées: les choisir serait faire preuve de discrimination. Il ne s’agit pas là encore de stigmatisation ou de discrimination. Nous vaccinons contre la fièvre jaune ou la typhoïde les sujets qui partent en zone d’endé-

mie. Nous recherchons le paludisme ou des pathologies parasitaires en fonction de la zone de provenance: il ne s’agit pas de discrimination, mais de pratiques médicales habituelles. Rappelons également qu’un groupe à risque n’est jamais évoqué; il est pourtant l’un des plus importants. C’est celui des professions de santé, médecins et infirmières, et de leurs enfants. Ceux-là aussi doivent avoir reçu le BCG et être surveillés pour la tuberculose: il ne s’agit pas non plus de discrimination. Centrer l’indication de la vaccination par le BCG sur des populations à risque, comme le font tous les pays voisins, n’est pas une discrimination, mais un choix possible de santé publique qui mérite discussion.

Un vaccin obligatoire La question importante est le caractère obligatoire du BCG pour l’entrée à l’école ou en crèche qui tranche avec toutes les législations européennes et la loi Kouchner sur les droits du malade. En matière de tuberculose, l’enfant n’est qu’exceptionnellement contagieux, il est rarement bacillifère et ne crache pas. Le BCG n’est pas un vaccin “altruiste” protégeant l’entourage contre une transmission par le sujet vacciné, comme les vaccins anti-rougeoleux, anti-varicelleux voire anti-pneumococcique ou anti-méningococcique. L’enfant n’est pas contagieux, mais les parents tuberculeux le sont. L’important réside dans la lutte antituberculeuse globale: le BCG en fait partie, mais n’en est qu’un élément. Son caractère obligatoire a peut-être été utile autrefois, mais actuellement il n’apparaît que comme un moyen de coercition et de contrôle, sans justification en termes de santé publique. Les discussions autour du BCG ne sont pas seulement une querelle franco-française, ni un affrontement entre “gentils” médecins de terrain et “méchantes” autorités sanitaires. Il s’agit de l’exemple d’un débat de fond qui doit être mené sur les politiques vaccinales, leurs cibles potentielles, et leur caractère obligatoire ou non. C’est parce que le BCG ne peut être abandonné qu’il faut être précis et convaincant. Des recommandations rigides des autorités, contestées, à tort ou à raison, par les médecins libéraux qui ont la charge d’appliquer une politique de santé, n’auront qu’un effet délétère sur l’ensemble de la politique vaccinale si des propositions acceptables par le plus grand nombre ne sont pas dégagées. Le pays de Pasteur, à causes de maladresses, n’a pas besoin d’apporter des arguments supplémentaires aux trop nombreux détracteurs des vaccins.

Références 1 2 3 4

Lévy-Bruhl D. BCG : attitudes actuelles. Presse Med. 2006; 35: 1733-8. OMS 2000, Informations complémentaires sur la sécurité des vaccins. www.who.int/vaccines-documents/DocsPDF00/www584.pdf Direction générale de la santé. Guide des vaccinations. 2006: p. 183-95. Che D, Bitar D, Desenclos JC. Épidémiologie de la tuberculose en France. Presse Med. 2006; 35: 1725-32.

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