Motricité cérébrale 30 (2009) 7–14 www.em-consulte.com
Sphère buccofaciale
Vécu de la gastrostomie d’alimentation chez l’enfant handicapé cérébral : enquête auprès de 11 familles Experience of the gastrostomy feeding in the disabled child brain: A Survey of 11 families M. François a,*, V. Gautheron b, F. Varlet a b
a Service de chirurgie pédiatrique, CHU de Saint-Étienne, 42055 Saint-Étienne cedex 02, France Service de médecine physique et rééducation fonctionnelle, CHU de Saint-Étienne, 42055 Saint-Étienne cedex 02, France
Résumé Les enfants handicapés cérébraux présentent des troubles de la déglutition et des troubles alimentaires conduisant à la dénutrition et ses conséquences. La gastrostomie d’alimentation est proposée à ces enfants depuis de nombreuses années. Le but de cette étude était de comprendre le vécu des enfants et de leur famille avant et après cette intervention. Pour cela, nous avons créé un questionnaire qui a été soumis à 27 familles d’enfants opérés dans notre service entre 1988 et 2006. Onze familles ont répondu. La gastrostomie est un traitement qui satisfait plus de 80 % des parents des enfants handicapés cérébraux. Elle permet une amélioration du bien-être physique, du bien-être psychique et des relations avec l’entourage de ces enfants. # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Abstract Disabled children have cerebral swallowing disorders and eating disorders leading to malnutrition and its consequences. The gastrostomy feeding is proposed for these children for many years. The purpose of this study was to understand the experiences of children and their families before and after the intervention. To do this, we created a questionnaire which was submitted to 27 families of children in our service operated between 1988 and 2006. Eleven families have responded. The gastrostomy is a treatment that satisfies more than 80% of parents of children with disabilities brain. It allows for improved physical well-being, psychological well-being and relations with the entourage of these children. # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Enfant handicapé ; Gastrostomie ; Satisfaction Keywords: Disabled child brain; Gastrostomy; Satisfaction
1. Introduction
* Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (M. François).
Le handicap cérébral de l’enfant est rare, dominé par la paralysie cérébrale qui touche deux enfants pour 1000 naissances, soit chaque année 1500 enfants parmi les 700 000 qui naissent en France [1,2].
0245-5919/$ – see front matter # 2009 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.motcer.2008.10.004
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1.1. Les troubles digestifs de l’enfant handicapé cérébral Les troubles de la déglutition sont difficiles à traiter et peuvent être particulièrement pénibles pour l’enfant et son entourage : parents et soignants, avec parfois la nécessité d’une lutte s’apparentant à un « gavage » pour permettre une alimentation orale, avec des conséquences à l’évidence néfastes pour les relations psychoaffectives de l’enfant [3]. Le reflux gastro-œsophagien (RGO) est plus fréquent chez les enfants paralysés cérébraux (26– 91 %) que chez les enfants normaux (5–7 %). Une étude de Spiroglou et al. comparant deux groupes d’enfants paralysés cérébraux avec et sans RGO montre une différence entre les deux groupes avec une majoration significative de dénutrition et anémie chez les patients présentant un reflux. On note également, dans cette étude, des infections pulmonaires et une carence martiale plus fréquentes [4]. Les facteurs prédisposant au RGO sont la scoliose, l’immobilité, les traitements anticonvulsivants, la présence d’une sonde nasogastrique ou d’une gastrostomie et la dénutrition [5]. 1.2. Conséquences des troubles digestifs La dénutrition touche 13 à 52 % des enfants paralysés cérébraux. Elle est responsable :
de troubles de la croissance et du développement ; de la diminution de la force musculaire ; du déficit immunitaire ; du retard de cicatrisation ; de la déminéralisation osseuse et fractures ; de l’altération des fonctions digestives, cardiaques et pulmonaires ; de troubles comportementaux telles que l’irritabilité, l’apathie et la dépression [6]. La dénutrition entraîne souvent l’impossibilité d’envisager des actes chirurgicaux notamment orthopédiques, du fait du défaut de cicatrisation et de la sensibilité majorée aux infections. Les troubles de la déglutition sont responsables d’encombrements bronchiques et de pneumopathies d’inhalation. 1.3. La gastrostomie Les indications de la gastrostomie sont représentées par :
les troubles de la déglutition dès qu’ils ont entraîné des troubles respiratoires ; une prise alimentaire par voie orale difficile ; une perte de poids avec ou sans dénutrition ; un refus alimentaire [7]. Une étude menée par l’American Academy for Cerebral Palsy and Developmental Medecine (AACPDM), publiée en 2003, analyse les différents articles consacrés aux effets de la gastrostomie chez l’enfant handicapé [8]. La plupart des études citées retrouvent une amélioration de la stature et du poids ainsi qu’un meilleur état nutritionnel en relation avec un meilleur apport calorique. D’autres études montrent une amélioration de l’humeur [9], du bien-être et de l’intégration sociale de l’enfant [10,11] ainsi qu’une amélioration de la qualité de vie (QdV) des parents avec un effet positif sur le temps passé à s’occuper de lui, le temps passé à l’alimenter [12] et le stress lié aux repas [13]. Les complications majeures de la gastrostomie sont retrouvées entre 17 [13] et 39 % [11] dans les séries publiées. Elles incluent occlusion sur bride intestinale, ulcère, péritonite. Les complications mineures représentées par l’inflammation péristomiale et les problèmes mécaniques du bouton de gastrostomie sont retrouvées chez presque 80 % des patients [13]. La plupart des enfants paralysés cérébraux ayant une indication de gastrostomie ont également un RGO et un traitement antireflux est très souvent indiqué, proposé et réalisé en même temps que la gastrostomie. La question du traitement antireflux systématique au cours d’une gastrostomie est ancienne, récurrente et toujours pas résolue [14]. Le traitement antireflux a un effet propre sur la nutrition, les infections pulmonaires et pharyngées ainsi que sur la QdV des enfants paralysés cérébraux [15]. 1.4. Évaluation de la QdV de l’enfant paralysé cérébral en rapport avec l’alimentation L’évaluation de la QdV est complexe car il faut définir la QdV et déterminer quels paramètres observer pour l’évaluer. Le cas de l’enfant handicapé cérébral est encore plus complexe car ces enfants sont en croissance et ne constituent pas un groupe homogène. Les outils d’évaluation se présentent la plupart du temps sous la forme de questionnaires composés de questions à réponse fermée [16]. De nombreux questionnaires sont validés pour l’étude de la QdV des enfants paralysés cérébraux, par exemple, Auquei [17], Qualin [18],
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PedSQL [19]. Ces questionnaires ne peuvent être utilisés que dans des études prospectives et ne sont pas adaptés à notre recherche. Morrow et al. ont étudié les facteurs influençant la QdV des enfants paralysés cérébraux en rapport avec l’alimentation [20]. Ils ont réparti ces facteurs selon cinq thèmes :
accès aux soins ; relation parent–enfant ; bien-être physique ; bien-être émotionnel ; participation sociale.
1.5. QdV des parents ou des proches s’occupant des enfants porteurs de gastrostomie L’influence de la gastrostomie sur la QdV des personnes s’occupant d’enfants paralysés cérébraux est plus facile à évaluer car cette population est plus homogène et est capable de répondre aux questions plus facilement. Sullivan et al. [21] ont montré une amélioration de cette QdV dès six mois après la mise en place de la gastrostomie et une QdV comparable à celle de la population générale après 12 mois. 1.6. But de l’étude Le but de notre étude était de recueillir le point de vue des parents des patients opérés d’une gastrostomie à l’aide d’un questionnaire. 2. Patients et méthode 2.1. Critères d’inclusion Tous les enfants handicapés ayant eu une gastrostomie chirurgicale au CHU de Saint-Étienne entre 1988 et 2007.
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naires validés pour l’évaluation de la QdV pour l’enfant paralysé cérébral ne sont pas adaptés à une étude rétrospective. Nous avons créé un questionnaire de satisfaction adapté à notre recherche. Il s’agit d’un questionnaire d’hétéroévaluation rempli par la personne s’occupant de l’enfant. Le questionnaire est envoyé au lieu de vie de l’enfant et se décompose en plusieurs parties. 2.3.1. Généralités Concernant les données administratives, le poids de l’enfant, son lieu de vie et la personne s’occupant de l’enfant au quotidien. 2.3.2. Questionnaire concernant l’enfant Vingt-six questions à choix multiples conçues sur le modèle du questionnaire Qualin [18]. Ces questions concernent l’état de santé de l’enfant, son bien-être physique, son bien-être émotionnel, sa relation avec ses parents, sa participation sociale. 2.3.3. Questionnaire concernant les parents Onze questions à choix multiples concernent les soins apportés à l’enfant, les relations des parents avec l’enfant et les soignants, l’activité professionnelle et les loisirs. 2.3.4. Questionnaire concernant la gastrostomie Quinze questions à choix multiples concernant le vécu de la mise en place de la gastrostomie, les informations reçues, l’usage au quotidien et les complications rencontrées. 2.3.5. Commentaires libres Une page vierge destinée à recueillir les remarques, questions et commentaires de la personne s’occupant de l’enfant. 3. Résultats 3.1. Revue des dossiers
2.2. Critères d’exclusion Les enfants décédés et les enfants n’étant plus porteurs d’une gastrostomie ont été exclus. 2.3. Analyse des dossiers et envoi des questionnaires Nous recueillons les données administratives et médicales du dossier puis envoyons un questionnaire aux familles des patients sélectionnés. Les question-
Quarante-deux patients ont été opérés dans le service entre 1988 et 2006. Onze enfants décédés à ce jour d’après les données des dossiers et quatre enfants n’ayant plus de gastrostomie ont été exclus. Vingt-sept enfants opérés entre 1993 à 2006 ont été inclus dans l’étude. Un questionnaire a été envoyé au domicile de chaque enfant et les données du dossier ont été recueillies. Onze questionnaires sont revenus remplis sur les 27 envoyés, soit un taux de réponses de 40,8 %.
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3.2. Caractéristiques de la population (n = 11) L’âge moyen au moment de l’intervention est de sept ans (deux jours à 15 ans). Le poids moyen est de 14,9 kg (2–34). Dix patients sont suivis par une équipe de médecine physique et bénéficient d’une rééducation buccolaryngofaciale. Aucun patient n’a un bon état nutritionnel et cinq ont un amaigrissement récent. Trois enfants sont alimentés par sonde nasogastrique et les autres par la bouche. Sept présentent des troubles de la déglutition, six des vomissements liés à un RGO dans cinq cas. Trois ont des infections pulmonaires récurrentes. Le bilan préopératoire comprend dans cinq cas un transit œsogastroduodénal (TOGD), cinq cas une endoscopie et trois cas une pHmétrie. Ce bilan retrouve quatre malpositions cardiotubérositaires, deux œsophagites et six RGO. L’intervention est réalisée en un temps chez dix patients et en deux temps pour un patient (les parents ont refusé la gastrostomie et l’enfant a eu un geste antireflux puis secondairement une gastrostomie). Technique : gastrostomie chirurgicale associée à un traitement antireflux, le plus souvent par cœlioscopie (sept cas) ou par laparotomie (quatre cas). On dénombre une complication immédiate grave (péritonite à j6), une complication immédiate bénigne (abcès de paroi) et six complications tardives toutes bénignes (inflammation péristomiale). Le suivi chirurgical comprenait une consultation entre quatre et six semaines avec TOGD de contrôle pour dix patients. Les résultats chirurgicaux ont montré une amélioration nutritionnelle pour tous les patients avec une augmentation de poids moyenne de 11 kg (0,5–25) avec un recul moyen de six ans (1–11), soit une augmentation moyenne de 1,8 kg par an. 3.3. Questionnaire concernant l’enfant 3.3.1. Bien-être physique Seule une famille estime que l’état de santé de leur enfant s’est dégradé alors que sept constatent une amélioration après gastrostomie. Il n’y a aucune dégradation du poids. Les enfants mangent avec plus de plaisir dans cinq cas mais la question (votre enfant mange avec – beaucoup plus de plaisir – plus de plaisir – autant de plaisir – moins de plaisir – beaucoup moins de plaisir) a été mal comprise (seulement six réponses). Le transit est amélioré dans quatre cas.
Il y a une diminution des infections pulmonaires dans six cas. Les soins d’aspiration nasopharyngée sont allégés pour six enfants. L’effet est bénéfique sur la fatigue dans six cas. Le sommeil de meilleure qualité dans six cas et on note moins de réveils nocturnes pour sept enfants. 3.3.2. Bien-être émotionnel Le bien-être émotionnel de l’enfant est amélioré avec sept enfants moins angoissés et moins énervés et six plus joyeux. La question concernant les capacités de concentration (il peut se concentrer – beaucoup mieux – mieux – de la même manière – moins bien – beaucoup moins bien) n’est pas adaptée et quatre parents n’ont pu y répondre. 3.3.3. Participation sociale La participation sociale est légèrement améliorée par la gastrostomie : quatre enfants expriment mieux leurs désirs et participent mieux en groupe. La participation aux repas familiaux est améliorée pour trois enfants et dégradée pour trois autres. La question concernant l’autonomie (son autonomie vous apparaît – bien meilleure – meilleure – identique – moins bonne – beaucoup moins bonne) n’est pas adaptée : quatre familles n’ont pas répondu et cinq ont répondu qu’il n’y a pas de changement. 3.3.4. Relation parent(s)–enfant La communication entre parents et enfant est améliorée dans trois cas et il y a une diminution des conflits dans quatre cas. Six familles n’ont pas répondu à la question concernant les conflits, deux ont laissé un commentaire : « pas de conflits ». 3.3.5. Soins médicaux Les soins apportés à l’enfant sont moins lourds avec une diminution de la fréquence des hospitalisations et des consultations pour six patients et des traitements moins lourds pour cinq. 3.4. Questionnaire concernant les parents 3.4.1. Soins apportés à l’enfant Les repas sont moins stressants pour neuf familles et le temps passé à s’occuper de l’enfant est diminué pour sept. Les relations entre enfant et parents sont améliorées dans huit cas. Il n’y a pas de différence quant à l’acceptation du handicap de l’enfant. Les sorties sont plus fréquentes après gastrostomie pour deux enfants et moins fréquentes pour quatre.
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3.4.2. Relations entre les proches Dans cinq cas, les relations sont améliorées entre les parents et les autres proches. 3.4.3. Relation avec les « soignants » Aucune famille n’estime qu’il y a de dégradation dans les relations entre parents et soignants et six estiment qu’il y a une amélioration. 3.4.4. Vie sociale Seuls deux parents ont augmenté leur temps de travail professionnel et leur temps libre. La vie sociale des parents est moins bonne pour deux et meilleure pour trois autres.
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3.6. Pertinence des questions La plupart des questions n’ont posé aucun problème de compréhension et des réponses ont été obtenues. Les questions posant le plus de difficultés sont celles liées au déroulement des repas (deux sans réponse), au plaisir de l’alimentation orale (cinq sans réponse) et aux conflits avec les parents (cinq sans réponse). 3.7. Réponses obtenues dans la page « commentaires libres » Dix parents ont rempli la page de commentaires libres.
3.5. Questionnaire concernant la gastrostomie 3.5.1. Décision La décision d’alimentation par gastrostomie a été difficile pour seulement cinq familles. Les raisons évoquées sont la souffrance et les risques liés à l’intervention chirurgicale ; la perte d’autonomie ; la perte des repas, moments privilégiés de la relation entre la mère et son enfant. Trois familles ont mis plus d’un an à se décider. L’information, essentiellement faite par les médecins, a satisfait toutes les familles. 3.5.2. Satisfaction Tous les parents considèrent la mise en place de la gastrostomie comme un bénéfice, aucun ne regrette sa mise en place et tous la conseilleraient à d’autres parents. 3.5.3. Limitation d’activités Seuls quatre parents ont estimé que la gastrostomie limite les activités de leur enfant. Les raisons avancées sont liées aux horaires et à la durée de l’alimentation par la gastrostomie. 3.5.4. Utilisation Huit familles trouvent que l’utilisation de la gastrostomie est facile. Une seule famille a recours à une infirmière à domicile pour les soins. Ces soins durent moins d’une heure par jour pour huit parents. 3.5.5. Complications L’alimentation par gastrostomie ne déclenche aucun symptôme pour sept enfants. Les symptômes constatés sont des ballonnements et des régurgitations. Les complications bénignes sont fréquentes : neuf enfants souffrent d’inflammation péristomiale et trois d’extériorisation de ballonnet du bouton de gastrostomie.
3.7.1. Commentaires positifs Deux familles soulignent la facilité et le contrôle de l’administration des médicaments : famille 1 : « bien leur dire que leurs petits peuvent profiter des bonnes choses au moment des repas en famille et que cela leur apporte beaucoup de confort : plus de médicaments infects par la bouche, donc plus de ‘‘je m’étouffe’’ ou ‘‘je recrache’’. Les médicaments sont donnés aux bonnes doses sans problème. C’est une petite chose mais au quotidien c’est déjà beaucoup. » Six familles expriment une amélioration du confort de l’enfant : famille 3 : « la gastrostomie a en résumé beaucoup amélioré notre vie. Si c’était à refaire, nous le ferions avant » ; famille 4 : « la gastrostomie a été un soulagement pour l’alimentation d’I. » ; famille 5 : « beaucoup de confort gagné pour l’enfant ». Deux familles expriment une diminution de l’anxiété liée au repas : famille 5 : « plus d’énervement au moment des repas » ; famille 8 : « la gastrostomie est un confort pour mon fils car il ne prenait aucun plaisir aux repas, bien au contraire. C’est une grande sécurité pour lui et pour nous. Plus de stress des éventuelles fausses routes, équilibre des repas (pas de carences car il était bien surveillé), pas de risques de déshydratation ».
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Trois familles remercient l’équipe ou le chirurgien. Trois familles pensent que la gastrostomie a allongé la durée de vie de leur enfant : famille 6 : « E. a été d’ailleurs la personne qui nous a le plus motivés pour se faire opérer. Après l’opération, E. n’a plus voulu rien avaler car c’était auparavant bien trop de souffrance pour elle et manifestement elle ne comprend pas pourquoi nous essayons encore parfois. . . Après l’opération, E. était tellement heureuse qu’elle montrait son bouton à tout le monde en soulevant ses vêtements. Au niveau des conflits, nous n’en avons jamais eu car E. est une petite adorable qui est très courageuse. Les repas auparavant étaient source d’angoisse pour nous et pour elle car elle s’étranglait beaucoup. Nous passions deux heures pour les trois repas (2 3 = 6 h) et une heure pour son quatre-heures. E. maigrissait beaucoup et à la fin elle ne voulait même plus boire. . . Sans cette intervention, E. ne serait probablement plus parmi nous. . . » ; famille 7 : « la gastrostomie a apporté un vrai bénéfice à B. qui serait décédée sinon ». 3.7.2. Commentaires négatifs Une famille décrit la souffrance liée à l’intervention : famille 9 : « au début, elle a souffert pour l’opération, c’était très difficile. Mais avec l’aide des médecins, elle reprit aussi vite, ensuite tout allait mieux ». Une famille décrit des ballonnements après alimentation entérale : famille 7 : « pour nous le seul problème est celui du ballonnement important ». Cinq familles décrivent l’inflammation péristomiale : famille 3 : « notre seul problème : les écoulements et l’inflammation qui en découle » ; famille 8 : « rougeurs presque continuelles autour du bouton ». Une famille exprime un manque de communication avec les soignants au moment de l’intervention et le manque de coordination entre les différentes structures de soins : famille 2 : « notre regret est de ne pas avoir été aidés dans les jours qui ont précédé l’intervention et que T. a souffert de rougeurs car le bouton n’était pas adapté
à sa taille. Le chirurgien a fait son travail un point c’est tout ! Mais aucune explication pour les soins et pour nous rassurer sur les changements que cela impliquait. On nous a reproché d’être restés deux jours de plus à l’hôpital alors que T. est polyhandicapé et que les problèmes sont plus importants tels que l’encombrement et l’inconfort digestif. Je suis restée à l’hôpital et pas une infirmière ne m’a montré les soins. Pour les parents, c’est très dur les premiers temps de faire de tels soins sur son enfant et ils ont besoin d’être écoutés. On ne demande pas d’être assistés mais simplement de l’aide pour ce temps d’adaptation. Le problème est un manque de coordination entre l’hôpital et l’association s’occupant des soins à domicile ». Une famille décrit sa solitude dans l’apprentissage des soins. Une famille explique que la durée prolongée de l’alimentation limite les déplacements : famille 5 : « temps trop long de gavage (trois fois 2 h 30). Premier gavage vers 4 h 30 et 5 h (tôt le matin). Cela limite les déplacements, surtout pour les longs trajets ». Pour une famille, la difficulté pour les parents d’accepter qu’une machine nourrisse son enfant : famille 6 : « globalement le bilan est extrêmement positif même si c’est au départ difficile à accepter qu’une machine nourrisse son enfant. Ce n’est pas la perfection (la machine sonne la nuit, fuites au niveau des tubulures, changements de draps et toilette en pleine nuit) mais cela n’a aucune mesure par rapport à ce que nous vivions auparavant ». 4. Discussion 4.1. La sélection est-elle représentative des enfants paralysés cérébraux gastrostomisés ? Cette série exclut les enfants ayant eu une gastrostomie endoscopique et les enfants décédés. Cette série n’est donc pas strictement représentative des enfants handicapés cérébraux gastrostomisés. 4.2. L’évaluation de la satisfaction par questionnaire est-elle fiable ? L’évaluation de la QdV fait appel à des questionnaires validés qui évaluent la QdV à un instant donné.
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Ces questionnaires sont adaptés aux études prospectives. Leur interprétation reste difficile et l’évaluation de la QdV est aujourd’hui remise en question [22]. Nous avons opté pour la création d’un questionnaire de satisfaction avec des questions ciblées sur l’apport de la gastrostomie. La population des enfants étudiés ayant des capacités de communication extrêmement variable, l’utilisation d’un autoquestionnaire s’est avérée impossible. Les réponses nécessitant une participation active des parents, nous avons probablement sélectionné une population de parents très impliqués dans les soins apportés à leur enfant. 4.3. Complications de la gastrostomie
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l’angoisse, un sommeil de meilleure qualité et des capacités de communication accrues. 4.5. QdV des parents Plusieurs études évoquent un gain de QdV des parents s’occupant des enfants polyhandicapés porteurs d’une gastrostomie : Trier et Thomas [6] évaluent le temps passé à alimenter un polyhandicapé à 3,5 heures contre 0,8 heure pour un enfant normal. Nous retrouvons un gain de temps pour 64 % des parents, ce qui a été observé par de nombreux auteurs [13,18,21] ; le stress lié à l’alimentation est diminué pour 82 % des parents dans notre étude comme dans celle de Smith et al. [13].
Les complications de notre série (une complication grave et six bénignes) sont comparables avec celles retrouvées dans la littérature. Smith et al. [13] retrouvent, dans leur série, 20 % de complications majeures (aucun décès) sur 45 enfants. Ils retrouvent également 95 % de complications mineures prédominées par l’inflammation péristomiale et les complications mécaniques du bouton de gastrostomie.
Dans toutes les études, au moins 80 % des parents sont satisfaits de la mise en place de la gastrostomie [13,18,23,24]. Smith et al. [13] montrent que 86 % l’auraient mise plus tôt.
4.4. QdV des enfants
5. Conclusion
André et al. [18] ont utilisé le questionnaire Qualin pour étudier l’influence de la gastrostomie d’alimentation sur la QdV d’enfants polyhandicapés. Sur les 28 enfants, 18 étaient porteurs d’une gastrostomie, un d’une sonde nasogastrique et neuf avaient une alimentation orale. Les auteurs n’ont pas pu montrer de différence significative entre les groupes. Les auteurs ont pu conclure que la gastrostomie ne compromet pas la QdV des enfants polyhandicapés mais n’ont pas pu mettre en évidence de bénéfice de la gastrostomie sur la QdV. De nombreux paramètres influencent la QdV de ces enfants. L’amélioration de l’état de santé est liée à la diminution des conséquences des troubles de la déglutition et de la dénutrition. La diminution du nombre d’infections pulmonaires est retrouvée par Rogers [23] pour 60 % des patients (54 % dans notre étude). La diminution de la fréquence des aspirations est retrouvée dans 36 % des cas par Smith et al [13] (54 % dans notre étude). Peu d’études sont consacrées à l’évaluation des fonctions de participation ou du bien-être psychique de ces enfants car elles sont difficiles à évaluer. Notre étude suggère une meilleure participation sociale de l’enfant et un meilleur état émotionnel liés à une diminution de
La gastrostomie chirurgicale d’alimentation est un traitement qui satisfait plus de 80 % des parents des enfants handicapés cérébraux. Elle permet d’alléger les soins et de diminuer les complications de la dénutrition et des troubles de déglutition. Le bien-être physique, psychique et les relations de l’enfant avec son entourage sont améliorés. Le temps passé par les parents à s’occuper de leur enfant est diminué. Les repas ne sont plus source de conflits ni d’anxiété. Les complications majeures sont rares et le risque encouru est minime par rapport aux bénéfices obtenus. L’inflammation péristomiale est très fréquente et reste source d’anxiété pour les parents. Afin d’obtenir des résultats plus objectifs, il faut réaliser une étude prospective regroupant tous les enfants gastrostomisés avec des évaluations répétées de leur QdV avant et après gastrostomie à l’aide d’un questionnaire validé.
4.6. Satisfaction des parents
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