Bloc crural continu après chirurgie du genou : pharmacocinétique de la bupivacaïne

Bloc crural continu après chirurgie du genou : pharmacocinétique de la bupivacaïne

© Masson, Paris. Ann Fr Anesth Reanim, 9 : 322-325, 1990 ARTICLE ORIGINAL Bloc crural continu apr s chirurgie du genou : pharmacocin6tique de la bup...

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© Masson, Paris. Ann Fr Anesth Reanim, 9 : 322-325, 1990

ARTICLE ORIGINAL

Bloc crural continu apr s chirurgie du genou : pharmacocin6tique de la bupivaca'ine Continuous femoral nerve block after knee surgery" pharmacokinetics of bupivacaine M. EST#:VE, Y. VEILLETTE, C. ECOFFEY, E.E. ORHANT D6partement d'Anesth6sie-R6animation, H6pital de Bic#tre, Universit# Paris-Sud, 94275 Le Kremlin-Bic#tre Cedex

R#SUMI2 : Dix patients ASA 1 et 2, ~g6s de 16 ~ 56 ans (moyenne +_ SD : 37 + 17 ans) et subissant une chirurgie du genou, sont 6tudi6s. A la fin de l'acte chirurgical r6alis6 sous anesthfsie g6n6rale, il est mis en place un cath6ter p6ridural dans l'espace crural. Apr~s un contr61e radiologique, un bolus de 2,5 m g - k g -~ de bupivacaine h 0,5 % adr6nalin6 est inject6. Une perfusion d'entretien est r6alis6e pendant 48 heures avec de la bupivacaine ~i 0,125 % non adr6nalin6e h la dose de 0,25 mg• kg i . h-1 Le score de la douleur mesur6 h l'aide d'une 6chelle visuelle analogique est de 5,0 _+ 1,9 avant le bloc crural. I1 diminue de faqon significative de la 6~ h la 48e heure. Les concentrations plasmatiques de la bupivacaine obtenues aux 24~, 36e et 48~ heures sont significativement plus 61ev6es que les concentrations obtenues ~ 30 minutes, 1, 6 et 12 heures. La concentration moyenne de bupivacaine ~t l'6tat stable est de 1,78 + 0,59 p,g-ml ~. La clairance de la bupivacaine est de 2,59 _+ 0,91 ml. min -~- kg ~. Aucune complication neurologique n'est observ6e. Mots-cl6s : ANESTHI~S1E .(TECHNIQUES): anesthdsie Iocordgionale, bloc crural ; ANESTHI~SIQUES (LOCAUX) : bupivaca[ne ; CHIRURG1E : genou ; P H A R M A C O L O G I E : pharmacocindtique.

INTRODUCTION L e b l o c 3 e n 1 d 6 c r i t p a r WINNIE p e r m e t d e b l o q u e r les n e r f s c r u r a l , o b t u r a t e u r e t f 6 m o r o c u t a n 6 a v e c u n e s e u l e i n j e c t i o n [18] ; il s ' a g i t d ' u n e m6thode d'analg6sie postop6ratoire propos6e apr6s c h i r u r g i e d u g e n o u [3, 8, 11, 13]. L a raise e n p l a c e d'un cath6ter permet, en p6riode postop6ratoire, la r 6 i n j e c t i o n d ' a n e s t h 6 s i q u e s l o c a u x e n b o l u s o u e n p e r f u s i o n c o n t i n u e [2, 12]. P e u d e d o n n 6 e s s o n t c o n n u e s e n c e q u i c o n c e r n e la p h a r m a c o c i n 6 t i q u e de l'administration continue et prolong6e de bupiv a c a / n e p a r v o i e c r u r a l e . S e u l e s les c o n c e n t r a t i o n s p l a s m a t i q u e s d e b u p i v a c a i n e j u s q u ' ~ la 16 e h e u r e s o n t c o n n u e s [2]. L e b u t d e ce t r a v a i l est d ' 6 t u d i e r la p h a r m a c o c i n 6 t i q u e d e la b u p i v a c a i n e a d m i n i s t r 6 e p e n d a n t 48 h e u r e s p a r v o i e c r u r a l e c h e z d e s patients apr6s chirurgie du genou.

PATIENTS ET METHODES Dix patients ASA 1 et 2 ayant subi une chirurgie ligamentaire du genou ou de l'extr6mit6 inf6rieure du f6mur sont

Requ le 28 novembre 1989, accept6 apr6s r6vision le 30 mars 1990.

6tudi6s apr6s lcur consentement ainsi que l'accord du Comit6 d'6thique de l'h6pital. Les patients 6tudi6s sont fig6s de 16 56ans (moyenne _+ SD : 37 + 17 ans) et p6sent de 56 h 100 kg (69 + 15 kg). Tous les patients b6n6ficient d'une anesth6sie g6n6rale de type <>pendant la chirurgie. Cette anesth6sie associe thiopental, fentanyl, v6curonium, anesth6siques halog6n6s et un m61ange protoxyde d'azote-oxyg6ne (F[o2 30 %). A la fin de l'anesth6sie, un cath6ter pdridural 18 gauge (Minipack-Portex ®) est mis en place dans l'cspace crural, selon la technique de perte de r6sistance [2]. Le cath6ter est introduit de 15 20 cm, en direction c6phalique et son positionnement correct est contr616 radiologiquement en sallc de r6veil par une injection de 7 h 10 ml de produit iod6 (Iopamiron 200 ®). Une heure apr~s la sortie du bloc op6ratoire et cotation de la douleur initiale, un bolus 2,5 m g - k g -~ de bupivacai'ne 0,5 %, adr6nalin6 au 1/200 000 e (soit 0,5 ml • kg -1) est inject6. Une perfusion d'entretien est r6alis6e avec de la bupivacafne 0,125 % non adr6nalin6e, ~ la dose de 0,25 mg. kg l- h -1 pendant 48 h (0,2 ml • kg -~ • h-~). Trois heures apr~s le d6but de la perfusion, si l'analg6sie est insuffisante le d6bit de perfusion peut ~tre augment6 de 20 %. L'analg6sie spontan6e est cot6e ~t l'aide d'une 6chelle visuelle analogique, gradu6e de 0 (absence de douleur) ~ 10 (douleur maximale). La cotation de la douleur est faite avant l'injection de bupivacaine puis toutes les douze heures jusqu'h la 48~ h. En cas de douleurs imporTir6s ~ part : C. Ecoffey.

BUPIVACA'I'NE ET BLOC CRURAL CONTINU

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tantes (augmentation de 50 % sur l'6chelle visuelle), de la morphine (5 mg) est inject6e par voie sous-cutan6e. Pour l'6tude pharmacocin6tique, des pr61~vements de sang veineux sur tube sec sont faits 30 rain, 1, 6, 12, 24, 36 et 48 h apr6s la dose de charge. Les pr61~vements sont centrifug6s et le s6rum est congel6. La mesure des concentrations plasmatiques de bupivacai'ne est effectu6e par chromatographie en phase gazeuse [1]. La concentration moyenne h l'6quilibre ainsi que la clairance de la bupivacaine sont calcul6es. La clairance est extrapol6e ~ partir de la formule divisant la quantit6 de bupivacaine perfus6e par la concentration plasmatique a F6quilibre. Des signes de toxicit6, en particulier neurologique, sont recherch6s au cours de l'6tude. Des signes locaux sont 6galement not6s: douleurs locales, r6tention urinaire 6ventuelle, signes infectieux. A la 48e h, le cath6ter est retir6 et mis en culture pour t o u s l e s patients. Toutes les valeurs sont exprim6es en valeur moyenne + SD. L'6tude statistique par analyse de variance pour mesures r6p6t6es suivie d'un test t ou d'un test de Newman-Keuls permet de comparer l'6volution de la cotation de la douleur et des taux plasmatiques de bupivacaine (p < 0,05 est consid6r6 comme significatif).

ECHELLE VISUELLE ANALOGIQUE 10 9 8 7 6 5 4 3 2 1 0 0

0,5

1 6 12 24 TEMPS (heure)

36

48

Fig. 1. - - Evolution de l'analg6sie avant et apr6s analg6sie par bloc crural continu avec de la bupivacaine (valeurs moyennes + SD) * p < 0,05 par rapport ~t la mesure avant le d6but de la perfusion crurale et 0,5 et 1 h apr~s.

RESULTATS

Les r6sultats du score de douleur spontan6e sont sch6matis6s sur la figure 1. Le score de douleur, une heure environ apr6s la fin de la chirurgie et avant analg6sie, est de 5,0 + 1,9. I1 diminue de fa~on significative de la 6 e h la 48 e h. Par ailleurs, le d6bit de perfusion de bupivacaine est augment6 de 20 % chez quatre patients (patients 2, 3, 7 et 9). De m6me, trois patients doivent recevoir 10 mg de morphine en 48 h, un patient re~oit 3 0 m g en 3 0 h , et un dernier 5 5 r a g en 3 6 h . I1 faut noter que chez le patient recevant 30 mg de morphine en 30 h, on constate une fuite de liquide anesth6sique autour de l'orifice de ponction. Le protocole est arr6t6 pour ce patient ~ la 30 e h. Les concentrations plasmatiques de bupivacaine sont r6pertori6es dans le tableau I. Celles qui sont obtenues aux 24% 3@ et 48e heures sont significati-

ment plus 61ev6es que les concentrations obtenues ~t 30 min, 1, 6 et 12 h. La concentration moyenne de bupivacaine ~ l'6tat stable est de 1,78 + 0,59 Ixg" m1-1. La clairance moyenne de la bupivacaine est de 2,59 + 0,91 ml • min -1 • kg -1. Aucune complication neurologique grave n'est observ6e. L'un des patients a des acouph6nes 3 h apr6s l'arr6t de la perfusion, c'est-~-dire 51 h apr6s le d6but du protocole. Le taux plasmatique de bupivaca'ine ~ ce moment-lh est de 2,05 ixg • ml -~. Quatre cas de cultures de cath6ters se r6v61ent positifs (staphylocoque epidermitis) sans aucune infection chez le patient. Enfin, un patient a une r6action cutan6e locale avec 6ruption 6ryth6matosquameuse de l'aine et du bas de l'abdomen, ce qui motive l'arr6t de l'6tude h la 30 e h. Enfin, aucune r6tention urinaire n'est observ6e.

Tableau I. - - Concentrations plasmatiques de bupivaca'ine (ixg. ml 1) apr6s administration continue par vole crurale Patient

30 min

1h

1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

0,87 1,5 1,12 0,98 0,39 -0,8 ---0,19 0,18 --

0,83 2,21 1,79 0,98 0,37 0,28 1,04 0,52 0,4 1,63

Moyenne + SD * p < 0,05

versus

6h 1,98 1,38 1,52 0,99 0,43 0,44 1,4 0,79 0,45 0,98

12 h 1,06 1,02 1,18 1,05 1,47 0,84 i,73 1,31 0,74 1,05

0,75

0,94

1,04

1,16

+ 0,47

+ 0,67

± 0,56

+ 0,31

30 min, 1, 6 et 12 h.

24 h

36 h

48 h

2,34 2,01 1,06 -1,67 1,13 2,11 1,78 0,95 1,17

2,37 2,08 1,33 1,35 1,35 1,58 2,84 2,36 -1,87

2,46 1,92 -1,18 1,24 1,43 2,68 2,29 -2,17

1,63 * + 0,53

1,91 * ± 0,58

1,89 * ± 0,61

324

DISCUSSION

Cette 6tude montre que les concentrations plasmatiques de bupivacaine, obtenues lors de l'analg6sie postop6ratoire par un bloc crural continu apr6s chirurgie du genou, sont dans les zones non toxiques, malgr6 une 16g6re diminution de la clairance plasmatique de la bupivacaine. L'int6r6t de cette technique d'analg6sie a 6t6 d6crite ant6rieurement par DAHL et coll. [2] dans une 6tude comparant un groupe t6moin (perfusion de s6rum physiologique) et un groupe recevant une perfusion de bupivaca'ine ; la suppl6mentation en morphine et les scores de douleur ont significativement baiss6 dans le groupe bupivacaine entre la 2e et la 16~ h. Notre 6tude, en l'absence de groupe contr61e, ne permet pas d'affirmer l'efficacit6 analg6sique ; cependant, l'6v01ution des scores de douleur plaide en faveur d'une action antalgique, ce qui, joint au contr61e radiologique, confirme la position correcte du cath6ter et l'impr6gnation des branches du plexus lombaire. De plus, la signification tardive de l'abaissement des chiffres de douleur (6e h) paratt li6e h la relative faiblesse du score initial (5 en moyenne sur l'6chelle de douleur), et surtout ~ une variabilit6 individuelle de ce score de douleur. I1 faut remarquer que peu de patients ont besoin de morphine en compl6m e n t ; par ailleurs, la n6cessit6 de donner un suppl6ment morphinique au cours de l'analg6sie p6ridurale continue a d6j~ 6t6 rapport6e [10]. Le patient recevant 55 mg de morphine ressent une hypoesth6sie nette dans la zone f6morale mais une absence de blocage sensitif dans la zone f6morocutan6e. Si un patient regoit 30 mg de morphine, cela est dfi ?a la n6cessit6 d'apporter un compl6ment d'analg6sie lors de s6ances de kin6sith6rapie active sur kin6th~que. L'6tude pharmacocin6tique montre des concentrations plasmatiques similaires ?~ celles qui sont trouv6es par DAHL et coll. [2]. N6anmoins, cette 6tude s'arr6tait ~ la 16c h. Notre 6tude montre que la concentration h l'6tat d'6quilibre est en fait obtenue 24 h apr6s le d6but de la perfusion de bupivacaine, h des concentrations comprises entre 1,5 et 2 ~g-m1-1. Cependant, les concentrations trouv6es dans notre 6tude sont 61oign6es des taux considdr6s comme toxiques (entre 3 et 4 Ixg • ml -l) [14]. Des 6tudes sur la perfusion continue de bupivacaine ont 6galement 6t6 r6alisdes au cours de blocs plexiques axillaires [15] et interscal6niques [6, 16]. Le travail apr~s bloc axillaire montre des concentrations plasmatiques infdrieures 1,9 Ixg • m1-1, mais cette 6tude a 6t6 arr~t6e ~ la 18~ h [15]. Les doses de l'6tude pr6sente sont semblables h celles qu'on utilise dans les perfusions continues apr6s bloc crural [2, 12]. Dans une autre 6tude, une perfusion continue a 6t6 r6alis6e pendant 52 h, lors de blocs plexiques par voie interscal6nique [6]; eile a montr6 des concentrations

M. ESTEVE ET COLL.

plasmatiques moyennes h l'6tat d'6quilibre de 0,5 _+ 0,1~g • ml-'. N6anmoins, dans cette 6tude les auteurs ont recours ~ la bupivacaine a 0,25 % la dose de 0,1 m g . kg -1 • h -1, done une quantit6 deux fois et demi moindre que celle qui est utilis6e dans notre 6tude. La concentration h l'6tat d'6quilibre n'est pas atteinte ~ la 12e h, c'est-h-dire 4 lois la demi-vie. Cela est parfaitement coh6rent et signifie que la clairance (directement proportionnelle h l'inverse de la concentration sanguine h l'6quilibre) est abaiss6e par l'administration chronique. Une baisse de la clairance de la bupivacaine est effectivement retrouv6e dans notre 6tude. Cette diminution a 6galement 6t6 d6crite chez l'animal apr6s perfusion i.v. continue [7] et chez l'homme au cours d'analg6sies p6ridurale [9] et plexique continues [6]. La baisse de la clairance h6patique de la bupivacaine peut 6tre le r6sultat d'une diminution du d6bit sanguin h6patique e t / o u d'une baisse de la clairance intrins6que de l a bupivaca[ne. Celle-ci a une extraction h6patique faible de 0,38 chez l'homme [14]; c'est pourquoi le d6bit sanguin h6patique influence peu la clairance h6patique. La clairance intrins~que de la bupivaca'ine est d6pendante de la clairance intrins6que de la fraction libre de bupivacaine et de la quantit6 de forme li6e aux prot6ines [17]. La bupivaca'ine est li6e h 95 % aux prot6ines plasmatiques [4]. La fraction libre est diminu6e en p6riode postop6ratoire en raison de l'augmentation des alpha-l-glycoprot6ines acides [15], ce qui entratne une baisse de la clairance. De plus, la diminution de l a clairance intrins6que a d6j~ 6t6 montr6e chez le chien au cours de la perfusion continue de bupivacai'ne [7]. En conclusion, cette 6tude confirme l'efficacit6 de l'analg6sie postop6ratoire spontan6e par bloc 3 en 1 continu ~ la bupivacaine pour la chirurgie du g e n o u . La concentration d'dquilibre est obtenue d~s la 24 e h, h u n niveau 61oign6 du seuil toxique, ce qui confirme la s6curit6 de cette technique (aucun effet ind6sirable grave n'est observ6). Ndanmoins, des 6tudes futures sont n6cessaires, afin de comparer cette technique d'analg6sie d'autres modalit6s, en particulier l'analg6sie p6ridurale continue.

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BUPIVACAINE ET BLOC CRURAL CONTINIJ

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ABSTRACT: Ten ASA Class 1 and 2 patients, aged from 16 to 56 years (mean + SD : 37 + 17 years), scheduled for knee surgery were studied. At the end of the surgical procedure under general anaesthesia, an epidural catheter was inserted in the femoral space. After X-Ray opacification, a bolus of 2.5 mg - kg -I of 0.5 % bupivacaine with epinephrine was injected. A maintenance infusion was performed during 48 hours with 0.25 m g . kg -1- h -1 of 0.125 % bupivacaine without epinephrine. Pain score recorded with an visual analogue scale was 5.0 + 1.9 before femoral block. Pain score decreased significantly from 6 to 48 hours. Plasma bupivacaine levels at 24, 36 and 48 hours were significantly higher than the levels obtained at 30 min, 1, 6 and 12 hours. Mean plasma bupivacaine level at steady state was 1.78 + 0.59 p,g. m1-1. Clearance of bupivacaine was 2.59 + 0.91 m l - m i D 1 kg-~. No neurologic complications have been recorded.