Bouddhisme et éthique : le cas de l’euthanasie

Bouddhisme et éthique : le cas de l’euthanasie

Éthique et santé (2008) 5, 110—114 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com INTERCULTUREL Bouddhisme et éthique : le cas de l’euthanasie Buddhi...

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Éthique et santé (2008) 5, 110—114 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com

INTERCULTUREL

Bouddhisme et éthique : le cas de l’euthanasie Buddhism and ethical issues: The case of euthanasia M. Forster a,∗,b a

Institut de médecine sociale et préventive, université de Berne, Finkenhubelweg 11, 3012 Berne, Suisse b Faculté de médecine, université Laval, Québec, Canada Disponible sur Internet le 3 juin 2008

MOTS CLÉS Bouddhisme ; Euthanasie

KEYWORDS Buddhism; Euthanasia



Résumé Cet article vise à présenter les principales pistes d’analyse éthique qui ont été proposées en matière d’euthanasie dans la tradition bouddhiste. Les nombreuses branches et cultures issues et influencées par le bouddhisme engendrent une importante hétérogénéité de vues face à de telles questions. Une interprétation prudente de leurs valeurs et enseignements fondamentaux permet, cependant, de discuter la vraisemblance des théories exprimées par la poignée d’auteurs s’étant penchés sur la question. Certains discutent de l’action homicide du professionnel de la santé, se demandant, en particulier, si l’incontesté principe du respect de la vie ne pourrait être relativisé par une compassion à l’égard du patient à l’agonie. D’autres raisonnent dans une perspective de refus de traitement de la part d’un malade, situant donc exclusivement l’enjeu du côté du patient. L’article conclut que l’euthanasie ne serait pas acceptée par le bouddhisme, la question de la cessation des soins ou du refus de traitement étant plus difficile à trancher. Notre revue de littérature n’a pas identifié d’écrits provenant des principaux pays concernés par les mouvements bouddhistes. Il est ainsi difficile d’apprécier la place réelle de l’euthanasie dans le questionnement des théoriciens et professionnels de la santé dont la culture est empreinte de cette tradition. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary This article attempts to analyse ethical issues surrounding euthanasia in the Buddhist tradition. The various cultures and societies in which Buddhism is present have produced a highly diversified set of views concerning such questions. Nevertheless, a cautious interpretation of fundamental values and teachings of Buddhism enables a discussion on the pertinence of theories put forward by the few authors who have addressed this. Some of them discuss the homicidal action performed by health professionals, asking specifically whether the inalienable principle of respecting life should not be moderated by the compassion principle for a dying

Adresse de correspondance. Adresses e-mail : [email protected], mathieu [email protected].

1765-4629/$ — see front matter © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.etiqe.2008.02.006

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patient. Others focus on patient refusal of life-sustaining treatment and thus exclusively analyse the question from the patient’s perspective. This article concludes that Buddhism would not accept euthanasia. On the other hand, the Buddhist view pertaining to interruption of care and patient refusal of treatment is more difficult to ascertain. Finally, since no articles were found from countries where Buddhism plays an important role, it is tricky to evaluate whether euthanasia is an actual concern for theoreticians and health professionals living in such societies. © 2008 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Comment le bouddhisme traite-t-il de questions éthiques ? Cette interrogation, certes légitime, relève d’une candide illusion de simplicité en semblant prendre pour acquis l’unité de vue des multiples traditions bouddhistes. Restreinte au concret exemple de l’euthanasie, une analyse éthique du bouddhisme constitue encore une périlleuse croisière parsemée des écueils de la généralisation ou de l’extrapolation inadéquate, de la négligence d’éléments cruciaux ou de la confusion de concepts. L’ambition de cet article consiste à décrire et analyser les raisonnements proposés par la poignée d’auteurs (en grande majorité occidentaux) s’étant penché sur la question. Pour comprendre quelque peu l’argumentation des membres de ce tout petit monde, nous décrirons succinctement les fondements du bouddhisme et certaines de ses valeurs fondamentales. Les connaisseurs des mouvements bouddhistes, même les moins avisés, critiqueront avec raison le caractère extrêmement partiel et certainement arbitraire de ce portrait, à dessein limité aux éléments les plus pertinents à notre thématique. Sur la base de cette lapidaire description, quelques raisonnements postulés d’une éthique bouddhiste en matière d’euthanasie seront ensuite exposés.

Le bouddhisme : notions fondamentales Le bouddhisme constitue une tradition ancienne fondée sur les enseignements d’un être humain ayant vécu dans le Nord-Est de l’Inde au ve siècle avant notre ère. Vers l’âge de 35 ans, celui-ci réalisa une profonde transformation spirituelle et fut désormais connu sous le titre honorifique de Bouddha (littéralement : « celui qui est illuminé »). Le Bouddha ne prétendait pas que ses enseignements (Dharma) fussent d’origine divine, mais les considérait au contraire comme ancrés dans la nature des choses. Pour les adeptes du bouddhisme d’hier à celui d’aujourd’hui, suivre le Dharma constitue un élément essentiel visant à réaliser la transformation spirituelle effectuée par le Bouddha. Ces enseignements consistent en quatre propositions connues sous le nom des Quatre Nobles Vérités, lesquelles stipulent les principes suivants : • que la vie telle que nous la connaissons est imparfaite et insatisfaisante ; • que les causes de cette insatisfaction sont le désir et l’ignorance ; • qu’un état de perfection existe (le nirvana) ;

• que les moyens d’y parvenir sont de posséder une culture morale et un savoir relatif à une vraie nature des choses, ainsi que de pratiquer la méditation. À la quête du nirvana, les êtres humains sont entraînés dans des cycles de renaissance et de réincarnation (karmasamsara) régis, au même titre qu’une loi de la physique, par la loi du karma. De bonnes ou de mauvaises renaissances ne sont, en consequence, pas perc ¸ues comme des récompenses ou des punitions, mais simplement comme la conséquence naturelle et karmique de certains genres d’action.1 Personne ne succéda au Bouddha et de nombreuses écoles émergèrent après sa mort. Ces différentes branches influencèrent et furent influencées par les cultures avec lesquelles elles entrèrent en contact. Actuellement, le bouddhisme constitue donc une tradition aux multiples visages, au-dessus desquels nulle autorité centrale n’est instituée pour traiter des questions de doctrine ou d’éthique. Il n’existerait pas non plus d’organisation médicale d’inspiration bouddhiste dont la vocation serait de fournir des lignes directrices ou des codes de conduite en matière de soins. À l’instar de tout individu, un professionnel de la santé serait ainsi tenu de suivre sa propre conscience, à la lumière des enseignements écrits, de la coutume et de la tradition, ainsi que des opinions d’ecclésiastiques. S’il est donc erroné de décrire une seule et unique vue du bouddhisme face à une problématique particulière, une certaine cohésion de pensée semble néanmoins exister entre les différentes écoles de pensée en ce qui a trait à l’éthique, particulièrement monastique [1]. Parmi les valeurs morales fondamentales acceptées par toutes les écoles figurent, notamment, le respect de la vie (explicitement visé par le premier des cinq préceptes2 régissant la conduite morale) et la compassion, deux valeurs que nous allons sommairement présenter ici. Les enseignements du bouddhisme étant ancrés dans les lois de la nature, le respect de la 1 Le karma est souvent comparé à une graine, un résultat du karma étant désigné par les termes vipaka et phala, qui signifient respectivement mûrissement et fruit. Une action est donc perc ¸ue comme une graine qui, tôt ou tard et en tant que partie d’un processus naturel de maturation, engendrera certains effets. 2 Les quatre autres étant les suivants : éviter de voler, éviter les conduite sexuellement déviantes, éviter de mentir et maintenir une sobriété.

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vie constituerait un impératif moral universel, généralement considéré comme le plus important. L’action de tuer mènerait ainsi au pire résultat karmique, à condition toutefois d’être intentionnelle. Le bouddhisme semble, en effet, analyser un problème humain en se basant sur la volonté motivant un acte, laquelle déterminerait la nature d’une graine karmique. Une action devrait donc être intentionnelle pour avoir des conséquences karmiques, marcher par mégarde sur un insecte n’en produisant par exemple pas. Le premier précepte serait, en revanche, violé si quelqu’un tuait sur ordre d’une autre personne, le commanditaire comme l’exécutant de l’homicide s’exposant aux conséquences de la loi du karma [2]. Le respect de la vie à ses débuts fait, en outre, tendre le bouddhisme à proscrire l’avortement, voire la « pilule du lendemain » (l’ovule fécondé ayant un potentiel de vie), mais non la contraception ou les méthodes de procréation médicament assistée, dans la mesure où l’intégrité de l’œuf fécondé est préservée [2—4]. L’éthique du bouddhisme se fonde, notamment, aussi sur la bienveillance et la compassion, produits de la générosité. La compassion réside en l’aspiration que les êtres soient libres de souffrance [2]. Bien que son importance soit variable au sein des différentes traditions, la valeur de la compassion demeurerait centrale en siégeant aux côtés de la sagesse [5]. La personne mourante doit ainsi être accompagnée par la famille et les proches, qui doivent exprimer leurs sentiments de compassion et alléger la souffrance du mourant. Il est finalement parfois possible que la compassion puisse modérer le principe du respect de la vie, par exemple, dans le cas d’un avortement motivé par des craintes pour la vie de la mère.

Bouddhisme et euthanasie L’euthanasie est communément définie comme un acte intentionnel causant la mort d’un patient dans un contexte de soins médicaux. Malheureusement, bon nombre d’auteurs s’étant exprimés sur les questions d’éthique bouddhiste, tendent à assimiler l’euthanasie au refus de traitement de la part d’un patient à l’agonie. Il est donc fort difficile de comparer les vues exprimées, qui ne portent souvent pas sur le même objet. Nous décrirons tout d’abord les opinions de Keown [1,4,6,7], reprises par Harvey [2] et Barnes [5], lesquelles mettent l’accent sur l’action homicide du professionnel de la santé. Seront ensuite détaillées les positions de Kapleau [8] et Lesco [9], auteurs qui raisonnent plutôt dans une perspective de refus de traitement, se situant donc du côté du patient.

L’euthanasie et le professionnel de la santé Selon Keown, on ne trouve pas dans les sources bouddhistes fondamentales de terme désignant l’euthanasie, dont la

moralité n’aurait jamais été discutée de manière systématique. Malgré tout, puisque les moines, à l’instar du Bouddha lui-même [3], posaient des gestes thérapeutiques, ceux-ci se trouvaient parfois confrontés à des circonstances mettant la valeur de la vie en question. Ces circonstances sont détaillées dans certaines histoires de cas incorporées dans les règles du Vinaya, corps de littérature canonique ayant pour principal but de régler la vie monastique.3 L’un de ces préceptes canoniques interdit explicitement au moine d’enlever intentionnellement la vie d’un être humain, ainsi que de l’assister ou de l’inciter à le faire.4 La rubrique ayant trait à ce précepte regroupe quelques cas dans lesquels des moines jouent un rôle direct ou indirect dans la survenue de la mort. Il résulterait de ces anecdotes une attitude morale favorisant systématiquement l’existence, même dans les situations où sa valeur pourrait être mise en doute, imposant donc au moine un fort strict respect de la vie. Ce respect est du reste souligné dans l’un des cas où des moines avaient suggéré par compassion à l’un des leurs aux portes de la mort que le décès lui serait préférable — suggestion bien sûr condamnée par le code. Ce cas se révèle particulièrement important pour l’euthanasie, puisque son idée première repose sur le postulat que la mort est préférable à la vie, surtout, comme le dit le précepte, lorsque l’existence semble « mauvaise et difficile ». Selon Keown, le précepte du Vinaya et les cas qui s’y rapportent prohibent l’annihilation de la vie et interdiraient tant l’euthanasie que le suicide assisté. Le bouddhisme reposant aussi sur la notion d’intention pour juger de la moralité d’un acte, les aspects actifs et passifs de l’euthanasie seraient pareillement prohibés : leur but commun et immédiat est, en effet, de causer la mort. L’éthique bouddhiste face à l’euthanasie serait dès lors motivée tant par le premier précepte que par le précepte canonique contre la destruction de la vie humaine, lesquels limiteraient substantiellement la portée du devoir de se comporter avec compassion envers tous les êtres sensibles. En d’autres termes, la finalité ou l’intention de l’acte de tuer primerait sur le résultat spécifique compassionnel visant à alléger les souffrances d’un humain. La fermeté de cette argumentation est tempérée par Florida [10], qui ne voit pas dans l’interdiction de prendre la vie un principe rigide. Se ralliant à Becker [11], Florida affirme que la nature éthique de tout acte réside d’une volonté moins immédiate de son auteur. L’homicide ne serait pas justifié s’il était motivé par la passion, la cupidité ou l’ignorance, mais pourrait devenir acceptable au cas où il serait commis pour une cause légitime, justifiant donc possiblement l’euthanasie. L’intention compassionnelle ultime de l’homicide primerait ainsi sur la volonté plus proximale de causer la mort. Florida critique aussi l’usage abusif du Vinaya par Keown et rappelle que ces règles concernent avant tout la conduite des moines, plutôt que celle de la population générale à laquelle appartiennent les professionnels de la santé. Malgré tout, cet auteur reste prudent sur la question de l’euthanasie,

3 Relevons que le Vinaya (littéralement : discipline) constitue un code complétant les règles du Dharma, si bien que ces deux termes sont souvent exprimés de pair, Dharma-Vinaya 4 Le précepte est à ce sujet fort clair en décrivant cette incitation : « mon brave homme, quel besoin as-tu de cette vie mauvaise et difficile ? La mort serait meilleure pour toi que la vie (. . .) ».

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allant même jusqu’à se demander si un homicide exempt de passion, de cupidité et d’ignorance ne se révélerait être qu’une hypothèse théorique. Auteur plutôt apparenté à la pensée de Keown, Ratanakul [12] estime sur ce point qu’un homicide par compassion ne constituerait qu’une illusion, le vrai motif de l’euthanasie étant en fait la répugnance envers la souffrance d’une personne à l’agonie. L’euthanasie comprendrait dès lors toujours de mauvaises conséquences karmiques, tant pour la personne commettant l’homicide que pour le malade l’ayant demandé. Les arguments de l’auteur qui motivent les adverses effets karmiques frappant le patient ne sont hélas pas clairement détaillés. Ratanakul semble toutefois plus prudent en matière de cessation de traitements médicaux susceptibles de prolonger sans espoirs raisonnables la vie d’un mourant, parfois qualifiée d’« euthanasie passive ». Relatant avec beaucoup d’éloquence le cas de la fin d’un fort réputé ecclésiastique thaï (Buddhadasa, décédé en 1993 des suites d’un accident cérébrovasculaire), Ratanakul semble hélas assimiler cette question au respect de directives anticipées (testament biologique),5 ce qui complique l’interprétation de son opinion. L’acharnement thérapeutique serait toutefois à éviter, en raison d’une agressivité sur le corps [13].

se serait lui-même qualifié « d’incomparable médecin » [3]. Certaines écoles expriment d’ailleurs explicitement l’idée que toutes les maladies ne sont pas causées par le karma [2,12]. Ajoutons, enfin, que l’argument de l’interférence karmique, appliqué avec rigueur, interdirait, en outre, une atténuation de la douleur. Un second argument avancé par Lesco suggère que l’euthanasie ne serait pas acceptable, en raison des moyens utilisés pour la pratiquer. Administrer d’hautes doses de narcotiques est présenté comme une manière compatissante et idéalisée de mourir. Les Bouddhistes seraient en profond désaccord avec cet idéal de mort comateuse. La manière de mourir est ressentie comme un lien vital entre cette vie et les existences subséquentes et requièrent impérativement un état de conscience. Force est d’admettre avec Keown [4] que cet argument réfère plutôt à la manière dont les malades en phase terminale doivent être soignés. L’exigence de la clarté d’esprit pourrait, de plus, être reprise en faveur de l’euthanasie, puisqu’un patient pourrait choisir de mourir avant que son mal ne lui enlève sa raison ou sa conscience. Cet argument prohiberait donc l’euthanasie par administration de narcotiques à hautes doses, mais non par d’autres formes.

L’euthanasie et le patient

Conclusions

Certains auteurs, tels que Kapleau [8] et Lesco [9] ne s’appuient pas sur le raisonnement du Dharma-Vinaya pour supposer de l’attitude bouddhiste face à l’euthanasie, se basant plutôt sur la notion de la signification de la mort. Le point commun de leur raisonnement consiste à affirmer que, puisque la mort ne constitue pas une fin, la souffrance ne cesse pas par la survenue du décès prématuré, mais continue au contraire jusqu’à ce que le karma l’ayant engendrée s’efface. Si une intervention humaine empêchait la maturation du karma de prendre effet dans la présente vie, il faudrait à nouveau y faire face, peut-être dans des circonstances moins avantageuses. Il serait ainsi préférable d’affronter la souffrance sans en abréger la durée pour permettre une pleine expression du karma. Lesco ajoute que la non interférence avec le karma n’exclut pas une intervention de compassion visant à alléger la souffrance physique avec des analgésiques ou à atténuer la détresse mentale. Le bouddhisme favoriserait donc les soins palliatifs au détriment de l’euthanasie. Tel que relevé par Keown [4], l’argumentation basée sur l’interférence avec le karma est grevée de problèmes, ayant notamment trait à la place du traitement. Affirmer que la maladie émane toujours du karma implique qu’une affection traitée devient une maladie repoussée à une vie future. Traiter interférerait donc avec le karma. Néanmoins, les moines ayant traditionnellement été impliqués dans les soins de santé, il serait raisonnable d’affirmer qu’il n’existe pas de conflit entre le traitement d’un malade et la doctrine du karma. Dans de nombreux textes, le Bouddha est d’ailleurs désigné comme « le roi des médecins » ou « le maître des médicaments » et

L’analyse des vues bouddhistes en matière d’euthanasie est singulièrement compliquée par l’absence de consensus régnant au sujet de la définition de cet acte, de la sélection et de la portée des différentes sources bouddhistes, de même que par leur interprétation.

5 Bouddhadasa étant plongé dans un profond coma, on décida finalement de respecter les vœux exprimés par ce dernier quelques années auparavant. On cessa donc de maintenir le moine artificiellement en vie.

Il se dégage cependant quelques indices qui permettent de penser que l’euthanasie ne serait pas acceptée par le bouddhisme,6 la question de la cessation de soins ou du refus de traitement étant sujette à caution. Relevons que les raisonnements d’auteurs appartenant à la nébuleuse keownienne se réclament l’école Theravada qui prédomine en Asie du Sud et qui est réputée plus conservatrice que le mouvement innovateur du Nord, le Mahayana. La prudence s’impose également, puisque notre revue de littérature n’a pas porté sur des écrits provenant des principaux pays concernés par les mouvements bouddhistes. Nous ignorons ainsi dans quelle mesure l’euthanasie est présente dans le questionnement éthique des différents théoriciens et dans la pratique quotidienne des professionnels de la santé de tradition bouddhiste. Le caractère partiellement au moins spéculatif des raisonnements que nous avons présentés pourraient donc être vérifiés et approfondis par une équipe de chercheurs provenant de disciplines anthropologiques, éthiques et médicales. L’apport de ces différentes 6

Un auteur (van Loon LH. A Buddhist Viewpoint. In: Oostuizen GC, Shapiro HA, Strauss SA, editors. Euthanasia. Cape-town: University Press; 1978) semble, cependant, accepter la légitimité de l’euthanasie, peut-être même contre le gré du mourrant. Le raisonnement qui mène à cette surprenante conclusion n’a pas été exposé ici car il semble unanimement rejeté, d’une manière implicite ou explicite.

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branches permettrait de fournir un ancrage théorique à l’analyse du phénomène de l’euthanasie, dont le contenu et la pratique devraient être davantage définis. Tel que suggéré par Sass [14], il serait, en outre, profitable d’analyser de telles problématiques à la lumières de perspectives interculturelles, l’échange de vues et d’expériences entre chercheurs et praticiens d’horizons culturels différents se révélant sans aucun doute indispensable à une meilleure compréhension générale des grandes questions éthiques de notre l’ère.

Références [1] Keown D. End of life: the Buddhist view. Lancet 2005;366: 952—5. [2] Harvey P. An introduction to Buddhist ethics. foundations, values and issues. Cambridge University Press; 2000. [3] Tanigushi S. Methodology of Buddhist biomedical ethics. In: Camenish P, editor. Religious methods and resources in bioethics. Kluwer Academic Publishers; 1994.

[4] Keown D. Buddhism and bioethics. New York: Palgrave; 2001. [5] Barnes M. Euthanasia: Buddhist principles. Br Med Bull 1996;52:369—75. [6] Keown D. Buddhism and bioethics. An analysis of Buddhist views relating to abortion, euthanasia and criteria of death. London: Macmillan and New York: St Martin’s Press; 1995. [7] Keown D. Suicide, assisted suicide and euthanasia: a Buddhist perspective. J Law Relig 1998—1999; 13: 385—405. [8] Kapleau P. The wheel of life and death. New York: Doubleday; 1989. [9] Lesco P. Euthanasia: a Buddhist perspective. J Relig Health 1986;25:51—7. [10] Florida RE. A response to Damien Keown’s suicide, assisted suicide and euthanasia: a Buddhist perspective. J Law Relig 1998—1999; 13: 413—6. [11] Becker CB. Buddhist views of suicide and euthanasia. Philos East West 1990;40:543—56. [12] Ratanakul P. To save or let go: Thai Buddhist perspectives on euthanasia. In: Keown D, editor. Contemporary Buddhist ethics. London: Curzon Press; 2000. [13] Réseau européen de coopération scientifique « médecine et droits de l’homme » de la Fédération européenne des réseaux scientifiques. La santé face aux droits de l’homme, à l’éthique et aux morales. Éditions du Conseil de l’Europe; 1996. [14] Saas HM. Asian and Western bioethics: converging, conflicting, competing ? Eubios J Asian Int Bioeth 2004;14:12—22.