Autisme et information : le cas de l’inventeur méconnu

Autisme et information : le cas de l’inventeur méconnu

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 314–315 Lettre à la rédaction Autisme et information : le cas de l’inventeur méconnu Auti...

119KB Sizes 1 Downloads 91 Views

Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 314–315

Lettre à la rédaction Autisme et information : le cas de l’inventeur méconnu Autism and information: The case of the unrecognized inventor Après la nouvelle donnée par la revue Nature le 9 décembre 2010 (D. Butler, « Trial draws fire: Nobel Laureate to test link between autism and infection »), le journal Le Monde fait connaître le projet auquel est associé le professeur Montagnier : « Des antibiotiques contre l’autisme ? » (11 décembre 2010). Ce traitement d’une même actualité par des publications influentes est l’occasion d’élargir notre propos sur l’information dans l’autisme [1,2], ici aux formulations savantes, et au portrait de « l’inventeur méconnu ». L’hypothèse présentée, étiologie infectieuse et traitement par antibiotiques, mentionne aussi. . . celle de la mémoire de l’eau, extrapolations et rébus qui, réunis, suggèrent l’irrationalité et pourtant n’éclairent pas les médias. La question est donc : comment c¸a marche ? Par le renouvellement de propositions fantaisistes pour cette pathologie, et dans ce cas la diffusion assurée par une autorité scientifique de haut niveau, confortée par la perplexité ou le silence des experts et, on le voit, le recours aux plus grands journaux. L’organisation qui porte le projet (Autism Research Institute, ARI) est de longue date connue pour son prosélytisme. Centre de recherche autoproclamé, il mêle dans ses bulletins et colloques les informations sérieuses et d’autres qui ont sa faveur mais se démarquent du savoir ordinaire. L’institut fondé, animé, et longtemps dirigé par B. Rimland à San Diego (Californie), avec un bilan d’abord estimable, a dérivé ensuite pour se consacrer aujourd’hui à ses idées fixes : privilégier à contre-courant de connaissances mieux assurées les causes environnementales, agression ou agent extérieur, toxique, alimentaire ou. . . infectieux comme dans ce dernier avatar entré en scène. Les options de l’ARI séduisent par la variété de ses propositions, changeantes, hétéroclites, mais avancées avec le concours de professionnels, anonymes ou de grand renom – ici un prix Nobel qui suit des orientations alternatives et soutient une étude hors de son domaine de compétence. Une organisation comme l’ARI a bien compris l’importance des célébrités et des contours flous dans son développement, et de bonnes relations avec des figures de la société,

0222-9617/$ – see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2011.04.005

dans un mélange d’admiration et d’intérêts réciproques. Elle a compris également l’importance d’associations écrans et sous-groupes qu’elle fédère au gré des opportunités, pour exemple dans ce « DAN » cité par les articles (acronyme qui en anglais signifie « Vaincre l’autisme maintenant »), réunion d’approches alternatives disparates et d’objectifs partagés. Le scientifique qui s’engage dans cette voie, par conviction ou bénéfice personnel, est prêt à faire toutes les expérimentations que l’on voudra puis à ne pas en tenir compte si elles sont défavorables. Ses contributions seront opportunément utilisées aussi dans les controverses et rapports suscités, ou pour influencer une revue « prestigieuse ». Sincère ou intéressé, il cautionne et donne un label sur un grand sujet de recherche, l’autisme, une nouvelle fois pris en otage. L’expertise qui devrait facilement tordre le cou à pareille rumeur nécessite du courage ou sera contournée, car l’organisation sait déjouer les avis, déstabiliser spécialistes et comités au motif de leur opposition. Ses membres en charge de la communication externe et de la riposte, agissant hors des voies de la régulation professionnelle, ne craignent pas d’être passibles de mesures disciplinaires et jouent sur l’opinion qui considère l’émoi suscité à propos de troubles graves objets d’un débat brûlant, plutôt que le fond ou la méthode. Ce mode opératoire est aussi celui d’autres associations de parents et fondations qui acquièrent leurs pouvoirs grâce aux dons, mènent des actions sous couvert de la science sans en suivre les principes [1,2], font des profits même, grâce au développement de marchés alternatifs (régimes, micronutriments et vitamines. . .). Comment faire obstacle à la menace de nouvelles souffrances ou retards engendrés par ces expérimentations, ou de nouvelles désillusions à venir ? Le service public peut rompre avec une entreprise suspecte ; hors cadre règlementaire comme ici, c’est différent, avec un organisme qui s’affranchit des règles, crée son propre univers, interroge habilement la limite entre manipulation et liberté individuelle ou scientifique, exigences éthiques et indépendance du chercheur. Enfin, il y a dans cette affaire comme dans les autres rappelées ci-dessus la raison morale pour considérer aussi l’acceptabilité par les usagers, la protection de la liberté du patient et de sa famille, leur capacité à comprendre une fantaisie qui s’exonère du jugement par les pairs.

Lettre à la rédaction / Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 59 (2011) 314–315

Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Sauvage D. Autisme et information. Neuropsychiatr Enfance Adolesc 2010;58:478–9 [lettre].

315

[2] Sauvage D. Autisme, information biomédicale et alliance thérapeutique. Encéphale 2007;33:1–4 [éditorial].

D. Sauvage 6, rue Racine, 37000 Tours, France Adresse e-mail : [email protected]