L’Encéphale (2010) 36, 187—188
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
ÉDITORIAL
Autisme, information, déontologie Autism, information, deontology
Dans une tribune du Monde1 intitulée « halte à la désinformation », Mme le Dr C. Eliacheff nous interrogeait sur l’information dans le domaine de l’autisme, après deux articles du même journal en 2008 également en soutien de la méthode appelée packing ou de ses promoteurs. Le premier2 en décrivant une pratique « qui ignore les dogmatismes et autres querelles de chapelles », le second3 à l’appui de conceptions anciennes de l’autisme. Soit en effet des messages inverses ou brouillés. Les scientifiques aussi ont parfois du mal à réguler leur communication pour l’autisme comme ils le font dans d’autres domaines. Ils croient que les nouvelles idées remplacent logiquement les anciennes, mais ici l’idéologie ne fonctionne pas comme cela, elle monte la garde, prompte à s’établir fermement sur le nouveau terrain par les alliances, les ralliements, les discours rassembleurs. La compétition entre opinion et raison excite les passions et étouffe la vérité. Un autre exemple de dissonances de l’information pour l’autisme est celui des pratiques alternatives4 . Pour s’en tenir à la période récente, une controverse a concerné, à grande échelle dans les pays anglosaxons, la vaccination rougeole, oreillons, rubéole (ROR). Organisations de parents et médias, convaincus par un petit nombre de médecins et psychologues, ont soutenu que ce triple vaccin pouvait être à l’origine de l’autisme, ou bien que l’augmentation du nombre de vaccins est en correspondance avec celle
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Le Monde, 28 mai 2009, p. 19. Le Monde, 4 avril 2008, pp. 1 et 9. 3 Le Monde, 19 avril 2008, suppl. livres, pp. 1 et 5. 4 Sauvage D., Autisme, information biomédicale et alliance thérapeutique. L’Encéphale 2007;33:1—4 (éditorial).
de l’incidence des troubles autistiques, une affirmation pourtant sujette à caution5 . Mais le manque de preuves n’empêche pas d’exprimer des certitudes. De fait, beaucoup de personnes (au Royaume-Uni) refusent aujourd’hui ce triple vaccin ou d’autres et exposent la population aux risques des infections de l’enfance, bien que de nombreuses études et rapports d’experts concluent qu’il n’y a aucun lien entre la vaccination ROR et l’autisme. Les propositions nutritionnelles variées sont également en expansion. Des usages sont anciens (vitamines, oligoéléments) et leur utilisation raisonnée, quoi que d’un effet discuté, compatible avec le maintien d’une relation thérapeutique confiante par ailleurs. Moins anodines et plus contraignantes sont les préconisations d’exclure de l’alimentation la caséine (protéine du lait) et/ou le gluten (composant des farines de céréales). Dans les deux cas (potions ou régimes), ces allégations ont pour origine des observations d’abord ponctuelles ou anecdotiques, puis des hypothèses vagues dérivées de connaissances des relations alimentation, intestin, cerveau. Ici, l’avis des pédiatres devrait dire les indications s’il y en a, ou lever les affirmations litigieuses, mais l’information moderne renforce l’influence des démarches intéressées et l’observation réfléchie ne suffit pas. Une partie de l’opinion exige des essais contrôlés, conteste les résultats jugés décevants, fait ressurgir les interrogations puis des investigations répétées qui alimentent la rumeur. Méthodes et hypothèses alternatives développent aussi leur propre univers par la voie de bulletins, journaux, conférences pour véhiculer des idées, exactes ou non, sans possibilité pour l’usager d’analyser les
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0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009. doi:10.1016/j.encep.2009.10.002
5 Lenoir P. et al., Sur la prévalence de l’autisme et des troubles envahissants du développement. L’Encéphale 2009:35:36—42.
188 sources et de reconnaître le prosélytisme. Les associations de familles reconnues qui tentent d’assurer une régulation sont contournées par une myriade de petits groupes et « colloques » qui échappent au contrôle. Bien sûr des modes éducatifs ou psychothérapeutiques, au sens large, figurent aussi au nombre des pratiques non conventionnelles. La controverse ouverte à propos du packing est originale en ce qu’elle émane de l’institution, soutenue et orchestrée par elle. Elle concerne donc notre communauté. C’est sur ce dernier point que réside le problème dans un champ peu maîtrisé par les différents acteurs publics, professionnels et associatifs. La vraie nature du dossier est identifiable (thérapeute tout puissant, cf. ci-dessous, tactique d’affrontement ou de rupture, encadrement théorique, stratégie d’influence). Un essai thérapeutique1 connaîtrait les écueils signalés plus haut : gagner du temps et une reconnaissance, sans effet sur des observations et conclusions toujours contestées. La doctrine n’a pas vocation à être évaluée, elle occupe le terrain, frappe fort. Elle se soucie peu de laisser le champ libre aux méthodes dont la pertinence est mise en doute, la confusion lui est profitable, comme le bruit de fond du « tout se vaut ». Clairement, il y a nécessité d’organiser l’information du public avec une signalétique sans équivoque des compétences et pratiques. Les services spécialisés dotés d’un centre de documentation sur l’autisme distinguent pour l’usager les nouvelles tout venant, simplement mises à disposition, celles validées par des collaborateurs rattachés à l’hôpital, à l’université, à la recherche et identifient la propagande. Cette valeur ajoutée est la raison d’être des centres qui peuvent aussi, en cas d’interrogation persistante, à fortiori de litige, être un lieu où le particulier, le praticien, ont la possibilité de rencontrer un spécialiste disponible pour s’investir dans une fonction d’arbitrage ou de conciliation.
Information et déontologie Elles sont liées dès lors que les praticiens sont concernés et dans le cas du packing sur la place publique. Une vigilance sur les banques de données et un système de veille permettent à notre communauté professionnelle d’enraciner des critères de véracité et de déontologie, pour une mission de communication médicale dont les avis ne puissent être facilement ignorés ou retournés (appels aux médias, pétitions, rapports de force). Pour l’autisme, les médecins savent qu’ils doivent compter sur des résistances, avancer vers une harmonisation sans chercher l’unanimité, par des coopérations renforcées, sur la base d’un fond d’actions indiscutables, ouvertes à la coopération internationale.
La croisière continue. . .
Éditorial monde de l’autisme, institué le régime de la connaissance en lieu et place de la loi du plus fort, développé une culture de compromis entre les parties dont les traditions sont différentes et les références antagonistes. Ne l’oublions pas et acceptons que les irréductibles poursuivent leur croisière, sans conscience des risques, à charge pour leur capitaine, s’il croise un iceberg, de feindre la surprise, irréprochable donc victime, selon le sens de l’intervention de Mme Eliacheff1 .
Toujours la même histoire. . . Au-delà de cette question du moment, l’autisme semble voué aux luttes diffuses et à l’excitation des esprits avec chaque « nouveauté ». La Lettre de psychiatrie franc¸aise de mai 2009 se fait aussi l’écho de l’affaire en cours du packing6 dans un article intitulé « le pack : une torture ? Notre réponse : un énorme éclat de rire ». On y lit : « N’ayons pas peur de dire non plus que les explications techniques que nous nous donnons mutuellement pour en parler sont de l’ordre de l’intime le plus extrême; nous ne pouvons pas le partager avec la famille, ni avec les proches, simplement parce que, d’une part, nous abordons des techniques relationnelles complexes qui demandent beaucoup d’entraînement et de solidité (c’est comparable au pilotage d’un avion), et d’autre part, parce que cela mobilise une dimension de la personne tellement intime que la partager, même avec les parents, ne peut que faire perdre à la personne sa propre identité ». La même Lettre donne l’information de journées d’« actualisation des connaissances sur l’autisme »7 pour les médecins. Ces « actualités » n’ont pourtant que 30 années de plus, déjà connues de tous, seulement défraîchies et empâtées par le cumul des données. Sur le fond pas de révélation, pas de nécessaire repentir. Les professeurs, les célébrités, les « noms » savent cela. Pourquoi imposent-ils à l’opinion un autre entendement ? D’où vient qu’ils font passer pour actuel ce qui a la nouveauté du jeu de l’oie ? C’est que le dernier avenir entré en scène est donné à la nouvelle génération pour présage du futur « bon vieux temps ». Avec l’assurance que l’on reste entre soi, que rien ne change (l’argument du programme cité). Puis, quand on écrira l’histoire de cette époque, une fois recouverte par le brouillard et tous les bruits fondus en un seul bourdonnement, pouvoir dire « étaient présents ». Il n’y a pas de plaisir à être en dysharmonie avec ses amis et l’intransigeance isole. Pour autant, l’opinion peut être éclairée : qui abuse ou se laisse abuser ? Qui trouve bénéfice dans un certain commerce avec les neurosciences du moment ? « D’où vient leur tendresse ? Problème ! . . . Qui diable est-ce qu’on trompe ici ? ». D. Sauvage 6, rue Racine, 37000 Tours, France Adresse e-mail :
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S’il n’y a pas de quoi être béat sur ce qui est fait à ce jour pour l’autisme, les acteurs de bonne volonté ne doivent pas non plus montrer trop d’humilité : en 50 ans professionnels et usagers ont mis fin à l’isolement et à l’ignorance du
Disponible sur Internet le 1 d´ ecembre 2009
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La Lettre de Psychiatrie Franc ¸aise, mai 2009, pp. 9—11. La Lettre de Psychiatrie Franc ¸aise, mai 2009, pp. 1 et 4—5.