Journal de pédiatrie et de puériculture 20 (2007) 213–216 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
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Autisme : des avancées intéressantes, C. Bruet Ferréol
L’autisme fait partie des troubles envahissants du développement de l’enfant. D’après les données épidémiologiques, pour la plus grande part d’origine anglo-saxonne, on estime qu’environ un enfant sur 1000 est atteint d’autisme, avec un sex-ratio de quatre garçons pour une fille. À ce jour, les spécialistes s’accordent pour penser que ces chiffres témoignent non d’une augmentation de la fréquence, mais de l’évolution des stratégies diagnostiques actuelles.
Aspects cliniques de l’autisme D’après N. Chabane Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Robert-Debré, Paris, France Le syndrome autistique a la particularité d’avoir une extrême hétérogénéité dans sa présentation clinique. La diversité est telle que l’on conçoit à l’heure actuelle ce syndrome comme un spectre, allant de formes sévères et très déficitaires à des formes de haut niveau comme le syndrome d’Asperger ou les phénotypes élargis, qui présentent des caractères sémiologiques similaires à l’autisme sans former de tableaux caricaturaux. Cette extrême hétérogénéité se retrouve tant sur le plan étiologique que clinique. Il n’y a pas aujourd’hui de cause clairement reconnue et l’on conçoit l’autisme comme un trouble multifactoriel.
Un trépied diagnostique L’autisme se caractérise par un trépied diagnostique qui associe : z un déficit des interactions sociales, marqué par une incapacité à prendre en compte les autres ; * Extraits de la conférence du Comité national de l’enfance (Medec).
doi:10.1016/j.jpp.2007.05.002
une absence ou de graves anomalies de la communication, verbale ou non verbale ; z une diminution des activités spontanées et imaginatives, avec des intérêts restreints et des comportements répétitifs, ritualisés... En présence de ces trois éléments diagnostiques chez un enfant de plus de trois ans, on peut parler de syndrome autistique. Il existe cependant d’importantes variations qualitatives de ces trois déficits, le plus souvent liées au développement cognitif de l’enfant. De surcroît, toute une constellation de symptômes associés joue sur la présentation clinique de ce trouble. Les observations mettent en évidence le comportement de retrait global des petits autistes, dont les activités sont restreintes à des stéréotypies dans les formes sévères. Ces enfants éprouvent des difficultés devant tout changement de leur environnement. Ils souffrent d’anomalies auditives et visuelles. Les uns vont ainsi ressentir de l’anxiété à l’audition de certains bruits… Les autres peuvent avoir des conduites d’autostimulation, par exemple en recherchant la lumière. Ils ont une expression émotionnelle pauvre, à moins qu’elle ne soit inadaptée, ce qui les mène à rire devant une situation triste ou à pleurer sans que l’on sache pourquoi. Ils sont parfois victimes de phobies, qui n’ont en général rien de commun avec les traditionnelles craintes enfantines, comme la peur des séparations, du noir ou des monstres. Des événements tout à fait anodins peuvent déclencher chez eux des accès d’anxiété, voire de véritables attaques de panique. Des troubles sévères du sommeil s’associent fréquemment à l’autisme. Les enfants éprouvent d’énormes difficultés à s’endormir, à moins qu’ils ne souffrent de réveils multiples ou d’un réveil bien trop matinal. La plupart du temps, ils se suffisent d’un faible nombre d’heures de sommeil alors que l’on remarque une hyperactivité motrice. z
214 Enfin, ces enfants ont souvent des conduites d’automutilation ou d’hétéroagressivité, motivées par la frustration ou l’intolérance aux changements.
Trois formes de début Les équipes de pédopsychiatrie ont différencié trois formes de début : z une forme très précoce où la symptomatologie apparaît dès les premiers mois ; z une forme qui débute entre un et deux ans, malgré quelques éléments discrets préexistants ; z une forme qui se manifeste après l’âge de deux ans, essentiellement corrélée à certaines pathologies comorbides. La symptomatologie caractéristique de chacune de ces trois formes est aujourd’hui mieux connue.
Zéro à six mois Les premiers mois, les mamans parlent d’étrangeté, d’anormalité, surtout lorsque des maternités antérieures leur permettent de comparer. Ce sont des bébés trop calmes ou, paradoxalement, trop excités, dont on ne peut calmer les pleurs. Ils semblent indifférents aux stimulations sonores. Hochets, boîtes à musique, paroles ou chansons douces n’attirent pas spontanément leur attention. Leur regard a quelque chose d’anormal, avec des yeux qui restent dans le flou ou se fixent sur un détail anodin, sans jamais établir un contact visuel avec le référent affectif. Le défaut d’ajustement est assez fréquent et se manifeste soit par une hypotonie soit par une hypertonie avec refus de contact physique. L’absence ou la rareté du sourire s’ajoutent aux troubles du sommeil ou de l’alimentation pour compléter le tableau clinique. Il est rare que l’on consulte pour un avis diagnostique à cet âge. Une connaissance plus fine de la sémiologie permettrait cependant de dépister la maladie chez des bébés aussi petits.
Six à 12 mois À cet âge, les symptômes caractéristiques de la maladie se précisent. Les parents signalent des réactions paradoxales aux bruits. Les balancements et autres stéréotypies apparaissent clairement. Mais ce qui est tout à fait caractéristique, c’est la nonprise en compte des autres et l’absence d’interaction avec l’environnement. Tout aussi significatif sont la rareté ou l’absence d’émissions vocales spontanées ou en réponse à une stimulation. Les enfants ne se livrent pas à des imitations et ont une gestuelle limitée. Ils sont hypo- ou hypertoniques. Enfin, ils ne réagissent pas à la séparation et donnent l’impression de passer de bras en bras sans jamais s’en rendre compte.
Un à deux ans Les parents signalent le retard ou l’absence du langage oral. Dans d’autres cas, ils sont alertés parce que leur enfant, après avoir émis quelques mots vers 14–15 mois, cesse d’évoluer ou perd la mémoire de ses premiers mots. Il y a un retard dans les acquisitions, une pauvreté des jeux et, là encore, il n’existe pas de conduite d’imitation.
Autisme : des avancées intéressantes Les enfants développent de façon plus envahissante des intérêts particuliers. Ils fixent pendant des heures une lumière ou un objet qui tourne, par exemple. Les stéréotypies deviennent plus nettes et il apparaît des automutilations en réaction à la frustration.
Le CHAT, dès l’âge de 12 mois Si le tableau clinique d’un enfant autiste de quatre à cinq ans ne prête pas à confusion, il en est tout autrement dès lors qu’il s’agit de porter un diagnostic plus précoce. Ces difficultés ont conduit les équipes de pédopsychiatrie à rechercher des critères diagnostiques fiables et à mettre au point un outil spécialisé : le CHAT (Check-list for autism in toddlers, Baron – Cohen). Cet outil diagnostique permet de détecter certains symptômes évocateurs et d’orienter précocement les enfants vers une équipe expérimentée. Il comporte deux grilles. L’une est remplie à l’issue d’un entretien avec les parents à qui l’on pose des questions centrées sur le trépied diagnostique. La deuxième grille retrace l’évaluation faite par une personne qui interagit directement avec l’enfant et apprécie sa capacité à entrer en contact, ses stratégies de communication et ses difficultés dans le développement psychomoteur. Les cotations établies d’après ces deux grilles vont conduire à établir un profil à risque et à orienter l’enfant vers une consultation spécialisée si besoin est. Conçu au départ pour faire le diagnostic d’autisme entre 18 et 24 mois, le CHAT peut se révéler intéressant dès l’âge de 12 mois et a donc sa place à plus grande échelle comme outil de détection. Cet outil diagnostique doit être utilisé dès que l’on a un doute sur le développement de l’enfant. Il évite les arguments faussement rassurants que l’on oppose souvent aux mamans alertées par une anomalie : « On va attendre un peu. », « C’est trop tôt dans le développement. ». Ces atermoiements sont à l’origine de trop de retards diagnostiques préjudiciables à l’enfant. Mieux vaut que l’enfant soit vu, diagnostiqué et rééduqué le plus tôt possible.
Bilan clinique et paraclinique détaillé D’après N. Chabane Service de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, hôpital Robert-Debré, Paris La complexité du bilan clinique et paraclinique d’un enfant dont on suspecte l’autisme impose le recours à une équipe multidisciplinaire : pédiatres, pédopsychiatres, neurologues, généticiens… L’objectif est triple : affirmer la maladie, en évaluer l’ampleur et dépister une comorbidité qui imposerait un traitement parallèle et indépendant.
Faire le diagnostic différentiel Au-delà du repérage de ces critères sémiologiques, la recherche de diagnostic différentiel revêt une importance majeure. Il faut éliminer un déficit sensoriel, surdité ou cécité, et s’assurer qu’il ne s’agit pas d’un trouble spécifique du langage. Il est nécessaire de différencier un retard mental simple, qui se caractérise par un développement retardé mais homogène de l’autisme.
Autisme : des avancées intéressantes Il faut identifier les carences affectives observées chez les enfants insuffisamment stimulés. Ceux-ci vont « redémarrer » dès qu’ils seront dans un environnement propice. Enfin et surtout, il importe de dépister les pathologies neurologiques, métaboliques ou génétiques qui se manifestent par des traits d’autisme. Dans ce cadre entrent les encéphalopathies ou les épilepsies sévères, dont la fréquence est loin d’être anodine.
Une importante comorbidité Si on a longtemps décrit l’autisme comme une entité isolée, on sait aujourd’hui qu’il existe une importante comorbidité avec des pathologies neurologiques, métaboliques ou génétiques. En tête de ces pathologies comorbides figure l’épilepsie, fréquente à divers stades du développement de l’enfant autiste. Dans la petite enfance, on observe des syndromes de West ou de Lennox-Gastaut, puis des épilepsies partielles, dont le dépistage impose la réalisation d’un EEG non seulement de veille, mais aussi de sommeil ou des épilepsies plus classiques. Il est fréquent d’observer sur le tracé EEG d’enfants autistes non épileptiques des anomalies particulières, le plus souvent corrélées avec des troubles du comportement. D’autres grands syndromes ont été associés à l’autisme : les neurofibromatoses, certaines pathologies métaboliques de surcharge, des pathologies chromosomiques et des pathologies infectieuses qui peuvent être pré- ou postnatales. À l’autisme est associé un retard mental chez les trois quarts des enfants.
Un bilan exhaustif bien codifié L’évaluation auditive et visuelle est un préalable indispensable. Aussi au programme, l’examen dysmorphologique doit être réalisé par le généticien clinicien de manière aussi exhaustive que possible. L’examen neurologique s’impose, ainsi que toute une gamme d’explorations complémentaires, bien répertoriée par la HAS en 2006 dans leurs Recommandations pour le diagnostic de l’autisme, publiées en 2006. Entrent dans ce cadre des examens génétiques (caryotype…), des examens métaboliques à la recherche de troubles spécifiques sur certaines protéines ou acides aminés, un EEG de veille et de sommeil, ainsi qu’une imagerie cérébrale aujourd’hui très utile au diagnostic de l’autisme. À ce bilan diagnostique de l’autisme et des pathologies associées s’ajoute une évaluation du degré d’autisme, des caractéristiques du développement et du fonctionnement sociocognitifs de l’enfant. Cette approche s’appuie sur des outils d’évaluation. Certains, comme l’ADI et l’ADOS, constituent des outils diagnostiques standardisés et validés sur le plan international. S’ajoutent des échelles comportementales, comme l’ECA (Échelle des comportements autistiques), ainsi que des échelles de socialisation, d’adaptation et de développement (échelle d’évaluation de l’autisme infantile – CARS).
215 Certains de ces outils permettent d’apprécier le niveau développemental d’enfants dont la communication reste non verbale. Les tests de langage verbal et non verbal se révèlent nécessaires, non seulement pour évaluer les capacités de l’enfant, mais aussi pour proposer des techniques de rééducation adaptée. Un bilan de psychomotricité parachève l’évaluation et les possibilités de l’enfant à s’autonomiser.
Les dernières données en imagerie D’après une communication de M. Zilbovicius Inserm unité 0205, Orsay, France Des progrès considérables ont été faits en imagerie dans la connaissance des lésions neurologiques sous-jacentes à l’autisme. On sait aujourd’hui que ce trouble neurodéveloppemental se caractérise par l’existence d’anomalies anatomofonctionnelles du lobe temporal, qui pourraient expliquer l’un des traits dominants de l’autisme : les altérations de la perception sociale.
Une aire impliquée dans la perception sociale Chez les enfants autistes, les études basées sur la tomographie à émission de positons (TEP) ont montré une hypoperfusion focalisée dans une zone précise du lobe temporal : le gyrus et le sillon temporal supérieur. Cette anomalie a été retrouvée chez plus de 80 % des enfants autistes étudiés, avec une corrélation négative entre la diminution du débit sanguin et le degré de l’autisme. Dans cette même région du lobe temporal, l’IRM 3D a détecté des anomalies structurelles marquées par une diminution de la substance grise. Là encore, une corrélation entre ces anomalies et la sévérité de l’autisme à l’ADI a été notée. Des études ont été menées en imagerie fonctionnelle afin de trouver un lien entre ces anomalies et l’expression clinique de l’autisme. L’IRM fonctionnelle (IRMf) a montré chez les sujets normaux l’implication du sillon temporal supérieur dans la perception de l’autre. La perception sociale se réfère à l’interprétation de mouvements et de signaux biologiques, comme la voix, le regard, la mimique et les gestes des mains, dont l’analyse est essentielle pour comprendre les intentions et l’état émotionnel de l’autre. Or, chez les sujets autistes, l’IRMf met en évidence une perturbation de la reconnaissance de la voix humaine. Les autistes n’activent pas l’aire spécifique de la reconnaissance de la voix humaine. Ils n’isolent pas la voix humaine du monde sonore et n’en comprennent pas la valeur affective. De même, ils présentent des difficultés dans la perception du regard de l’autre et ne sont pas sensibles aux différentes mimiques du visage. Ces anomalies du sillon temporal supérieur et les difficultés d’appréciation des intentions d’autrui pourraient expliquer les difficultés relationnelles que l’on retrouve chez les enfants autistes.
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La famille a besoin d’aide D’après une communication de F. Cuny Hôpital Robert-Debré, Paris, France Si les recherches ont fait des avancées spectaculaires, le parcours de la famille d’un enfant autiste reste encore et toujours semé d’embûches. Les difficultés des parents commencent dès avant le diagnostic. Obtenir les premiers rendez-vous avec une équipe spécialisée demande tout à la fois du temps et de la persévérance. Le moment du diagnostic constitue pour les parents un choc considérable. Paradoxalement, certains ressentent une forme de soulagement à l’annonce de la maladie. Des « mots » ont enfin été mis sur les troubles de leur enfant. Les médecins savent de quoi il s’agit… Mais le soulagement est de courte durée et cède rapidement la place à tout un lot de sentiments où domine la colère. Pourquoi ne les a-ton pas écoutés plus tôt ? Qui est responsable ? Cependant, quelle que soit la situation, toutes les familles ont l’impression que le ciel leur tombe sur la tête. Et toutes paniquent à l’idée de la tâche qui leur incombe. Il leur faut affronter l’inconnu. Il leur faut trouver une prise en charge alors que les professionnels eux-mêmes ne s’accordent pas toujours sur l’orientation thérapeutique. Enfin et surtout, il leur faut supporter la solitude car autour d’eux peu comprennent ce qu’ils vivent.
Vivre avec un enfant autiste Cette situation complexe oblige les parents à remanier leur vie en fonction du trouble de leur enfant, en tenant compte des contraintes de la vie quotidienne et des rééducations. L’un des parents peut être conduit à quitter son travail, et tous les membres de la famille doivent se former à l’éducation d’un petit autiste pour comprendre la prise en charge et permettre à l’enfant de généraliser ses acquis dans la vie quotidienne. Mais devenir cothérapeute ne
Autisme : des avancées intéressantes s’improvise pas et cet apprentissage se révèle d’autant plus difficile que rien n’est jamais établi de façon définitive. La situation doit être reconsidérée en permanence en fonction de l’évolution de la prise en charge et des connaissances, et en pensant au futur. Un fardeau difficile à porter… Les parents éprouvent d’autant plus de difficultés que l’autisme de l’enfant les isole de leur milieu familial et social. Le besoin d’une organisation rigoureuse prend le pas sur leur épanouissement personnel et les conduit à réduire loisirs et relations amicales au profit de la rééducation de l’enfant. De plus, ils sont souvent blessés par l’attitude de l’entourage. Certains proches se détournent d’eux, par gêne, pudeur ou peur. La situation n’est pas non plus sans souffrance pour la fratrie. Les frères et les sœurs subissent, eux aussi, un certain isolement du fait de la « différence » et souffrent de leur rôle de cothérapeutes et de l’extrême attention de leurs parents pour l’enfant atteint d’autisme. L’enfant autiste et sa famille ont besoin d’aide et de soutien, non seulement de la part de leurs proches, mais aussi de la part de la société, pour assurer une prise en charge globale (médicale, rééducative, scolaire et sociale). L’objectif est de permettre l’accès à une vie la plus autonome possible. La réponse de la société n’est cependant pas à la mesure de l’enjeu. L’intégration scolaire, prévue par la Loi, ne se fait pas facilement. Elle ne peut réussir que si elle est souhaitée par tous et suppose tout à la fois un niveau suffisant de l’enfant et des professeurs formés et motivés. Le recours à une structure spécialisée s’impose si l’intégration scolaire n’est pas réalisable, mais le nombre de places reste encore largement insuffisant. Des études de suivi à long terme montrent que seuls 5 à 10 % des autistes deviennent indépendants à l’âge adulte, que 25 % progressent, mais ont toujours besoin d’un accompagnement, et que la majorité reste sévèrement handicapée, avec le besoin de soins spécialisés permanents.