Neuropsychiatrie de l’enfance et de l’adolescence 52 (2004) 337–342 www.elsevier.com/locate/neuado
Des autismes : premières distinctions entre autisme précoce et autisme à début tardif Autisms: first distinctions among early onset autism and late onset autism I. Samyn a,b,1 a
Centre de recherche en psychologie et psychopathologie clinique (CRPPC), université Lumière Lyon-II, 5, avenue Pierre-Mendès-France, 69500 Bron, France b Service universitaire de pédopsychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, 9, rue des Teinturiers, BP 2116, 69616 Villeurbanne, France Reçu le 17 mars 2003 ; accepté le 23 février 2004
Résumé Cet article présente les premiers résultats d’un travail de recherche sur l’hétérogénéité développementale de la pathologie autistique. Une première distinction intergroupale de l’évolution de ces enfants en fonction de leur âge d’entrée dans la pathologie est exposée. Deux sous-groupes autistiques sont comparés, les autistes précoces (AP) et les autistes à début tardif (ADT). Nous les avons étudiés sur la base de leur développement précoce, entre zéro et trois ans ; puis dans leur évolution : au niveau de l’intensité de leur pathologie, et de leur degré d’hyperactivité. Les résultats les plus significatifs montrent une plus forte fréquence de troubles autistiques et secondaires chez les autistes précoces entre zéro et trois ans, mais une plus grande sévérité de la pathologie et de l’hyperactivité chez les autistes à début tardif. Les conclusions de ce premier état des lieux ont ouvert la voie à de nouvelles hypothèses sur le fonctionnement, l’origine et l’évolution de cette pathologie des autismes, dont les travaux sont actuellement en cours. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract This article presents the first results of a research on the developmental heterogeneousness in autistic pathology. A first group distinction of the evolution of these children is explained here according to their age of entrance to the pathology. Two subgroups autistics are compared, Early Onset Autistics Children and Late Onset Autistics Children. The study was on the basis of their early development, between 0 and 3 years; then on their evolution: the intensity of their pathology, and their degree of hyperactivity. The most significant results show a stronger frequency of autistics and secondary troubles to the Early Onset Autistics Children between 0 and 3 years, but a bigger severity of the pathology and the hyperactivity to the Late Onset Autistics Children. The conclusions of this first inventory open the way to new hypotheses on the comportment, the origin and evolution of these autisms pathologies, whose are currently studied. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Autismes ; Autistes précoces ; Autistes à début tardif ; Hétérogénéité développementale Keywords: Autisms; Early onset autistics children; Late onset autistics children; Developmental heterogeneousness
1. « L’énigme de l’autisme » Le syndrome autistique est un trouble du développement précoce principalement définit par des troubles des interac1
Adresse e-mail :
[email protected] (I. Samyn). Adresse personnelle : 11, rue Roux-Soignat, 69003 Lyon, France.
© 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neurenf.2004.02.008
tions sociales, de la communication, et des activités et comportements restreints. Cette pathologie dont le développement se présente avant l’âge de trois ans est observée comme relativement complexe dans son apparition et son évolution. La particularité développementale de ce trouble, touchant un des besoins essentiels à tout être vivant, la communica-
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tion, a attiré de nombreux chercheurs de provenances disciplinaires multiples à étudier le fonctionnement de ce syndrome. Nous avons, à l’heure actuelle, une multitude de recherches en cours tentant de percer « l’énigme de l’autisme » [5], dans le domaine de la biologie, de la neurologie, de la génétique, de la cognitive, de la psychopathologie clinique. L’ouverture à l’échange pluridisciplinaire a permis de grandes avancées sur la compréhension de ce syndrome. Le principal constat fut celui d’un développement psychopathologique multifactoriel très complexe [1]. Cette découverte a amené de nombreux chercheurs d’orientations distinctes à travailler en collaboration et donc à ne plus se limiter à son propre courant de recherche. Notre travail s’inscrit dans cette mouvance interdisciplinaire [15] dont notre position de chercheur en psychopathologie clinique s’étend aux différents domaines cités précédemment. Notre étude est issue d’un constat clinique sur la particularité de certains enfants autistes à développer la pathologie à un âge relativement tardif (12–24 mois). La majorité des autistes présentent habituellement des troubles du développement dès la naissance. Ces enfants au développement tardif de la pathologie sont décrits par les parents avec un développement apparemment normal jusqu’à 12–24 mois, âge auquel une régression et un arrêt des acquisitions apparaîtraient (pertes au niveau du langage, du jeu, des échanges, repli sur soi, développement de comportements étranges tels que des balancements, des stéréotypies, des rituels...). La littérature psychodynamique fut la première à étudier cette particularité développementale [4,11,17,6]. Nous retrouvons par la suite quelques évocations de cas mais toutes restèrent très descriptives, peu analytiques. Il fallut attendre ces dernières années pour que ce sujet intéresse plus intensément la recherche [9,12,8,18]. L’arrivée des films familiaux dans les foyers a fortement aidé à la justification des témoignages parentaux et donc à l’atténuation d’un possible déni familial [13,18]. Ces études considérants les domaines du développement biologique, neurologique, ainsi que l’impact environnemental et développemental sur le comportement psychopathologique de l’enfant ont permis de grandes avancées dans la compréhension multifactorielle de ce syndrome. Un résumé de ces découvertes fut exposé par le Pr. Aussilloux (2002) [1] de la manière suivante : • diversité du syndrome autistique ; • variation extrême des évolutions ; • différence dans la précocité de manifestation des troubles et dans la précocité du diagnostic ; • variation de l’intensité des troubles ; • association de retard mental, anomalies organiques, épilepsie. Notre étude cherche à analyser l’ensemble de ces points en se centrant plus particulièrement sur les différences dans la précocité des manifestations, puis dans leur évolution. L’hypothèse de deux sous-groupes autistiques distincts au
niveau développemental et évolutif est la ligne directrice de nos travaux. Cette étude est en étroite relation avec celle de l’équipe de Pise qui travaille actuellement sur les mêmes objectifs mais avec une méthodologie différente, s’appuyant sur les films familiaux [8]. Nos deux sous-groupes se composent donc d’autistes précoce (AP) et d’autistes à début tardif (ADT). Les premiers sont des enfants au diagnostic d’autistes dont des troubles à caractéristiques autistiques ont été présents dès la naissance : un repli sur soi, une absence de sourire, des troubles du regard, des difficultés d’échanges avec les parents, des balancements... Les autistes à début tardif sont également des enfants autistes mais avec la caractéristique d’un développement apparemment normal jusqu’à 12–24 mois avant de développer des troubles du comportement de type autistique. Notre travail sur le développement précoce de ces enfants nécessitant la validité de leur développement pathologique, nous avons effectué une étude rétrospective auprès d’enfants diagnostiqués autistes. Nos données sont principalement sous-tendues par les témoignages de leurs parents. L’analyse évolutive a, quant à elle, été étudiée de manière prospective, sur le comportement de l’enfant au moment de l’évaluation diagnostique.
2. Procédure Dans l’objectif d’obtenir des données analysables en termes statistiques nous avons tenu à étendre notre recherche au-delà des murs de notre institution. Notre travail s’est donc effectué en collaboration avec quatre autres établissements de psychiatrie infantile. Ces cinq services au total furent : • le Centre d’évaluation et de diagnostic de l’autisme (CEDA) de Lyon dont nous dépendons ; • le Centre de ressource autisme Languedoc-Roussillon de Montpellier ; • le Centre Elsau (Service Psychothérapique pour enfants et adolescents) de Strasbourg ; • le Centre Alpin de diagnostic précoce de l’autisme (CADIPA) de Grenoble ; • le Centre Léo Kanner de Saint-Étienne. Ces cinq centres spécialisés dans les troubles du comportement possèdent un secteur diagnostic dont leur protocole évaluatif est identique au nôtre. Seul un de ces centres utilisait pour l’interview des parents un matériel distinct des autres, ce dernier n’a donc pu être conservé dans notre protocole. L’ensemble des données récoltées s’inscrivait en totale cohérence avec le protocole diagnostique établi par ces institutions. 2.1. Développement Précoce Les critères de recrutement des sujets pour l’étude nécessitaient des enfants ayant reçu le diagnostic d’autisme infantile suite à un bilan évaluatif complet passé entre l’âge de
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trois et six ans. Soixante-dix-neuf sujets ont été retenus. Nos exigences en terme d’informations sur la prime enfance (0– 3 ans) ont réduit notre échantillon à 50 enfants. L’âge moyen de l’échantillon était de 4 ans 2 mois avec un écart-type de 11 mois, dont l’indice de répartition par sexe était d’une fille pour six garçons. Les enfants intégrant le groupe des autistes précoces devaient posséder des troubles à caractéristiques autistiques dès la naissance, c’est-à-dire entre zéro et six mois d’âge de développement (troubles du regard, impression de surdité, absence de sourire, difficultés d’échange avec les parents). Les autistes à début tardif devaient avoir un développement considéré « normal » tel que : une ébauche de langage, un bon contact relationnel, des activités de jeux jusqu’à 12 mois, âge à partir duquel une régression et un arrêt des acquisitions sont notés et accompagnés du développement de troubles à caractéristiques autistiques. La distribution intergroupale répartit nos sujets de la manière suivante : 35 autistes précoces (70 %) et 15 autistes à début tardif (30 %). L’analyse du développement précoce de ces enfants nécessitait la connaissance des troubles rencontrés au cours de leurs trois premières années de vie. Nous avons pour cela établi un Tableau (no 1) réunissant l’ensemble des troubles rencontrés au cours de la récolte des données. Cette récolte des données a principalement concerné les informations offertes par l’entretien parental de l’ADI2. Nous restions cependant ouverts à toutes informations complémentaires, telles que celles données lors de l’entretien psychiatrique où l’anamnèse est exposée, ainsi que celles provenant du personnel soignant ou d’autres parents ayant côtoyé l’enfant durant ses premières années de vie. Les troubles retenus pour l’évaluation du développement précoce de l’enfant furent : Les troubles de l’alimentation, les troubles du sommeil, les troubles du tonus, l’hyperactivité, les pleurs immotivés et/ou colères, les troubles relationnels, l’absence de sourire, les troubles du regard, l’impression de bébé trop sage, l’impression de surdité, les balancements rythmiques, et les activités répétitives (Tableau 1). 2.2. Développement entre trois et six ans Dans l’objectif d’appréhender le contexte évolutif de ces enfants selon leur appartenance groupale, plusieurs éléments informatifs sont venus compléter nos premières données. La diversité du syndrome autistique cité précédemment positionne cette pathologie selon un continuum d’une grande variabilité en terme d’intensité. Nous avons donc tenté d’évaluer l’existence possible d’un lien entre l’âge d’entrée dans la pathologie et la sévérité du syndrome. Notre matériel utilisé était le test de la CARS qui permet de positionner l’autisme des sujets évalués selon une échelle allant de légère à sévère (Tableau 2). 2
Autism Diagnostic Interview.
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Tableau 1 Pourcentage de troubles présents avant trois ans chez les Autistes Précoces et les Autistes à Début Tardif Troubles de l’alimentation (%) Troubles du sommeil (%) Troubles du tonus (%) Hyperactivité (%) Pleurs immotivés, colères (%) Troubles relationnels (%) Absence de sourire (%) Troubles du regard (%) « Bébé trop sage » (%) Impression de surdité (%) Balancements rythmiques (%) Activités répétitives (%)
AP (%) 61 65 39 26 45 90 42 74 55 52 35 71
ADT (%) 53 40 13 10 53 73 26 75 27 66 40 60
Tableau 2 Intensité autistique chez les autistes précoces et les autistes à début tardif Intensité (%) légère 0 10
AP ADT
Modérée 58 10
sévère 42 80
Tableau 3 Niveau d’hyperactivité des sujets autistes en fonction de leur sous-groupe d’appartenance Hyperactivité Présence (%) 64 66
AP ADT
AP ADT
Parmi les hyperactifs Légère (%) Modérée (%) 61 22 37,5 0
Absence (%) 36 33 Marquée (%) 16,5 62,5
Cette variabilité syndromique s’inscrit également dans ses liens à d’autres troubles. Le cas de l’hyperactivité est fréquemment cité dans le discours des parents. Nous avons donc également évalué cet éventuel lien entre le développement de ce symptôme apparemment secondaire à la pathologie et l’âge de début du syndrome. Les données de l’ADI offrent non seulement l’évaluation de la présence ou non du symptôme mais également son intensité en cas de présence sur une échelle allant de légère à marquée (Tableau 3).
3. Résultats 3.1. Troubles apparus avant trois ans Les troubles relevés par l’environnement de l’enfant au cours de ses trois premières années de vie ont été reportés dans le tableau 1 : Dans le cadre de l’analyse de ces résultats nous établissons qu’une différence de plus de 15 points sera considérée comme significative.
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3.1.1. Premières remarques Une première constatation peut s’observer quant au trouble essentiel à l’autisme : les capacités relationnelles. La répartition est de 90 % pour les autistes précoces et 73 % pour les autistes à début tardif. Deux premières remarques peuvent déjà être exposées sur ce trouble : • celui-ci n’est pas révélé dans 100 % des cas alors que l’autisme est une pathologie, officiellement, détectable avant l’âge de trois ans. L’évidence de ce trouble ne serait pas absolue. Ceci explique la valeur parfois tardive de la première consultation ; • la différence significative entre les deux sous-groupes peut également évoquer l’espoir des parents que le trouble soit passager. Le déclenchement des troubles chez les autistes à début tardif se fait généralement de manière brutale ; le changement devrait donc être rapidement repéré. En poursuivant cette première lecture, nous pouvons repérer de nombreux troubles bien présents dès les trois premières années : l’alimentation, le sommeil, les pleurs immotivés et colères, le regard, l’impression de surdité, ainsi que les activités répétitives. À noter plus particulièrement, les troubles du regard sont présents dans les deux sous-groupes chez les trois-quarts des enfants. Ces derniers semblent être des indicateurs importants pour le repérage de la pathologie et pour l’entourage de l’enfant. Enfin, excepté quelques troubles tels que ceux du tonus, l’hyperactivité, ainsi que le sourire et l’impression de bébé trop sage pour les ADT, l’ensemble des autres troubles relevés a une présence importante dès les trois premières années de vie. 3.1.2. Comparaison autistes précoces/autistes à début tardif Parmi les troubles ne possédant pas de différences significatives entre les deux groupes au moment de l’apparition de la pathologie nous retrouvons : les troubles alimentaires, les pleurs immotivés et colères, les troubles du regard, l’impression de surdité, les balancements rythmiques, et les activités répétitives. La plupart de ces symptômes paraissent tenir une place importante dans leur lien à la pathologie, dont le pourcentage est relativement élevé pour les deux sous-groupes d’enfants autistes. À l’inverse, une différence significative est présente pour : les troubles du sommeil, du tonus, l’hyperactivité, les troubles relationnels, le sourire, et l’impression de bébé trop sage. Les différences les plus significatives entre les deux groupes se retrouvent dans l’impression de bébés trop sages (55 et 27 %), les troubles du tonus (39 et 13 %), les troubles du sommeil (65 et 40 %) ; les autres symptômes ayant des différences de moins grandes envergures. Lorsque la différence est significative, le pourcentage est pour chaque symptôme plus important dans le groupe des autistes précoces.
3.2. Développement de trois à six ans 3.2.1. Intensité autistique L’intensité autistique est évaluée à l’aide de la CARS. Elle a été classée selon trois critères : légère, modérée et sévère : • légère pour un score à la limite du trouble autistique selon la CARS : 30 ; • modérée pour un score compris entre 30 et 37 ; • sévère pour un score supérieur à 37. L’intensité autistique légère semble être relativement rare, mais également à distinguer dans sa cotation puisqu’elle notait uniquement les enfants dont le diagnostic d’autisme était limité à ce test, bien que considérés autistes à l’ADI. Les autistes précoces possèdent une répartition assez homogène entre l’intensité modérée et sévère, avec une légère tendance à une intensité autistique modérée. Les autistes à début tardif ont quant à eux une intensité autistique majoritairement sévère, avec 80 % des cas. 3.2.2. L’hyperactivité Ce trouble, non caractéristique de l’autisme, est régulièrement sujet de discussions lors d’entretiens parentaux. Malgré son rôle apparemment « secondaire » à la pathologie, lors de sa présence il est source de nombreuses perturbations au niveau familial, social, développemental... Par conséquent, il paraissait intéressant de le prendre en exemple pour étudier l’influence des troubles associés dans cette pathologie. L’hyperactivité, évaluée par l’ADI, a été cotée en fonction de sa présence, puis de son intensité (légère, modérée ou marquée) : D’un point de vue général, il n’y a pas de différence significative entre les deux groupes sur la présence et l’absence d’hyperactivité. Pour les deux groupes deux tiers des enfants sont hyperactifs. Le degré d’intensité est quant à lui relativement distinct. Les autistes précoces ont une hyperactivité majoritairement légère (61 %), et relativement homogène entre modérée et marquée pour le tiers restant (22 % et 16,5 %). À l’inverse, les autistes à début tardif ont une hyperactivité beaucoup plus marquée, ceci pour les deux tiers (62,5 %) contre un tiers de légère. 4. Discussion La lecture du premier tableau nous fait percevoir une importante fréquence de troubles relationnels pour les deux groupes d’enfants. Ce trouble est essentiel à la pathologie autistique. Malgré son pourcentage élevé il paraît singulier que les statistiques n’atteignent pas les 100 %. L’environnement de l’enfant (parents et soignants) aurait-il des difficultés à percevoir ce comportement normalement pathologique avant trois ans ? Ce constat pourrait expliquer les difficultés de repérage de la pathologie et par conséquent de l’initiative d’un premier rendez-vous. Une autre remarque concerne les troubles du regard. Ceux-ci semblent avoir leur portée dans la pathologie autis-
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tique. Les trois-quarts des enfants possèdent ce trouble à l’arrivée de la pathologie. Il peut être noté comme un paramètre important au repérage de la pathologie. Cependant, il nécessite d’être analysé de manière plus détaillée chez les autistes à début tardif. Par comparaison intergroupale, de nombreux troubles ont une forte prégnance chez les autistes précoces, ce qui est moins le cas pour les autistes à début tardif. Les autistes à début tardif développeraient en majorité des troubles à connotation communicationnelle (troubles relationnels, troubles du regard, impression de surdité). Les autistes précoces, quant à eux, tendraient vers une plus grande diversité de troubles (alimentaires, sommeil, tonus...). Des résultats quasi-identiques avaient été retrouvés dans les études de Osterling & Dawson (1994) [12], Maestro & Muratori (1999) [8], ainsi que dans notre précédente étude de 2001 [14]. Dans les deux groupes certains troubles paraissent avoir un moindre effet dans les premiers stades du développement de la pathologie : l’hyperactivité, l’absence de sourire, les balancements rythmiques et les activités répétitives. Les travaux de Werner et al. (2000) [18] notaient jusqu’à dix mois une absence de troubles de la communication et des activités répétitives, seuls des troubles du comportement social étaient présents dès cette période de la vie. La faible fréquence de l’absence de sourire peut se révéler étonnante, cependant elle est ici enregistrée en tant que présence et non en tant que sourire réponse ce qui peut expliquer la non-perception de cette attitude en tant que trouble. Cette dernière remarque est à prendre en considération, à savoir si les parents ont la même définition que nous, au moment de l’interview, de ce trouble du sourire. Pour eux, cette absence peut être représentée par une absence totale et non par un trouble de l’échange. Des différences significatives ont été constatées entre les deux groupes. Une des plus importantes apparaît au niveau du tonus. Celui-ci s’avère relativement perturbé chez les autistes précoces alors que peu d’autistes à début tardif semblent en souffrir. Nos résultats de 2001 [14] étaient identiques pour les autistes précoces et aucun trouble du tonus n’avait été noté chez les enfants au développement de la pathologie après 24 mois. Une absence de régression des capacités motrices avait également été constatée pour Tuchman & Rapin (1997) [16], et Davidovitch & al. (2000) [3], chez des autistes vivant une régression après un développement normal. L’autre différence concerne le comportement de bébé trop sage, cette sagesse extrême pourrait signifier une défense par repli, en tant que lutte contre les autres troubles présents, ce qui aurait moins lieu d’être chez les autistes à début tardif. Nous retrouvons dans la description de notre groupe d’autistes précoces le « type progressif » définit par Maestro et Muratori (1999) [8], avec la présence de troubles moteurs, et l’indifférence de type apathique. En revanche, l’impression de surdité est inversée avec une plus grande fréquence chez les autistes à début tardif qui sont touchés à 66 %, également présente dans les travaux de Osterling et Dawson (1994) [12].
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Pour résumer ces premiers résultats : le premier constat concerne la confirmation d’une distinction intergroupale entre les autistes précoces et les autistes à début tardif sur leur âge et leurs modalités d’entrée dans la pathologie. Notre premier tableau justifie ces propos par la différence significative du développement des troubles pour les deux groupes. Les autistes précoces développeraient de nombreux troubles, toutes caractéristiques confondues, dès la naissance. Les autistes à début tardif cibleraient plus particulièrement les troubles à connotation communicationnelle. Les autistes à début tardif paraissent entrer directement dans la pathologie, même si cela est fait plus tardivement. Les autistes précoces utiliseraient des formes détournées. Ils passent par d’autres troubles et peut-être même d’autres pathologies. Nous sommes tentés d’émettre une nouvelle hypothèse : L’autisme à début tardif serait une forme aiguë de la pathologie et l’autisme précoce une forme chronique. L’hyperactivité de ces enfants a été évaluée en deux étapes. Tout d’abord, sur la présence ou non de comportements hyperactifs. Une grande similitude des résultats nous amène à considérer qu’il n’y aurait pas d’influence du mode d’entrée dans la pathologie sur l’hyperactivité. Néanmoins, en détaillant l’intensité de ce trouble une distinction évidente a été rencontrée. Les autistes précoces tendraient à une répartition allant de quelques cas avec une hyperactivité marquée à une majorité d’hyperactifs légers. À l’opposé, les Autistes à Début Tardif se répartissent plus dans les extrêmes puisque aucun enfant n’a d’hyperactivité modérée et qu’ils sont majoritairement hyperactifs. Les résultats pour cette catégorie interrogent la délimitation entre hyperactivité légère et non hyperactif. La définition d’une hyperactivité, si elle ne perturbe pas son environnement, peut être distincte à chaque famille. Un lien entre le groupe d’appartenance et l’hyperactivité de l’autiste est donc considéré. Cependant, lors de la première cotation de ce trouble, entre zéro et trois ans, une faible présence pour les deux groupes fut constatée. Ce trouble atteint les deux tiers de notre population après trois ans. Ce symptôme aurait une arrivée tardive au sein de la pathologie. En prenant cette remarque en considération ainsi que sa forte intensité chez les autistes à début tardif nous pouvons émettre l’hypothèse d’une expression de défense face aux difficultés à vivre le développement de la pathologie. Si notre suggestion d’une intensité plus élevée de la pathologie pour les autistes à début tardif pour cause de forte prégnance de troubles autistiques est valable, l’intensité de ces défenses peut également être en conséquence. Une seconde hypothèse ressort de ces constatations : L’équivalence de deux tiers de présence d’hyperactivité pour les deux groupes expliquerait un lien important entre ce trouble et la pathologie. L’interprétation du rôle de ce trouble est au stade d’hypothèse, l’analyse des autres items de l’ADI poursuivie dans nos travaux de recherche nous aidera à approfondir la compréhension du développement de cette pathologie pour les deux groupes.
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L’évaluation de l’intensité de la pathologie pourrait aller dans le même sens. L’utilisation de formes détournées par les autistes précoces diminuerait l’intensité de la pathologie, la valeur du syndrome étant répartie sur d’autres troubles que l’unité autistique. À l’inverse, les autistes à début tardif développant principalement des troubles à caractéristiques autistiques se consacreraient pleinement au rapport à ceux-ci.
5. Conclusion Nous venons d’analyser et de définir deux groupes d’enfants autistes distincts dans leur développement et dans leur évolution. Une similarité étiologique paraît cependant présente par l’hypothèse d’une vulnérabilité sous-jacente au développement de la pathologie. Les différentes hypothèses médicales travaillées ces dernières années pour confirmer ce fonctionnement n’ont pas encore permis de valider dans leur totalité les résultats apportés. Toutefois, la conception d’un déficit neuronal dans l’échange d’informations paraît bien présente chez le sujet autiste, que ce trouble soit d’origine primaire ou secondaire à d’autres formes de perturbations. Selon les dernières études, l’autisme serait la conséquence d’un processus normal qui s’enclenche trop tôt et trop fort, puis qui s’arrêterait trop tard. Processus qui serait contrôlé par les gènes (Nash, 2002) [10]. Les gènes joueraient le rôle de modulateur, positif ou négatif, de cette progression. Leur niveau de fonctionnement influencerait le réseau neuronal dans sa construction, soit par des mutations porteuses d’une pathologie, soit dans leur interaction avec d’autres gènes, soit comme générateur de vulnérabilité face à des stress rencontrés par l’enfant. Ces hypothèses de déficit dans le processus d’échange d’informations sont envisageables dans le sens où elles expliqueraient : d’une part, la diversité du syndrome, en terme de sévérité et d’affection, en fonction de l’importance des connexions abîmées ou lésées ; d’autre part, le début tardif par un fonctionnement normal qui fonctionnerait à plein régime jusqu’à l’instant du trop plein ; enfin, la particularité des Asperger au niveau de leurs facultés, en considérant que certaines connexions de ce trop plein seraient restées en fonction. Ces propositions pourront être rapprochées des hypothèses kleiniennes et tustiniennes [7,17]. L’immaturité psychique de l’enfant qu’elles posent en facteur déclencheur de la pathologie comme impossibilité à affronter le traumatisme pourraient être en lien avec cette défaillance neuronale pour expliquer la profondeur du trouble, non retrouvée chez l’ensemble des enfants vivants des traumatismes précoces. Pour Tustin (1981) [17], le développement de l’enfant vers la pathologie autistique serait dû au vécu d’un événement trau-
matique à un moment où l’appareil neuropsychique de l’enfant n’était pas encore assez évolué pour le supporter. Elle définit une « prématurité psychologique » par la rencontre entre un enfant « hypersensible » et un environnement maternant en difficulté (Ciccone, 1991) [2]. Il y a donc association d’une fragilité ou vulnérabilité, neurodéveloppementale et psychologique. Cette première étape d’un long processus de recherche sur le développement des enfants autistes en fonction de leur âge d’entrée dans la pathologie nous a offert un premier état des lieux qui ne demande qu’à être poursuivi.
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