ALTER, European Journal of Disability Research 4 (2010) 103–115
et également disponible sur www.em-consulte.com
Article original
Autisme, handicap et mouvements sociaux Autism, disability and social movements Brigitte Chamak Inserm U988, centre de recherche, médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3-CESAMES), CNRS UMR 8211, université Paris-Descartes, 45, rue des Saints-Pères, 75270 Paris cedex 06, France
i n f o
a r t i c l e
Historique de l’article : Rec¸u le 1er mai 2009 ´ Accepté le 1er decembre 2009 Disponible sur Internet le1 avril 2010 Mots clés : Mouvements activistes Autisme Associations Communautarisme Comparaison internationale
r é s u m é L’étude de la dynamique historique des associations de personnes autistes au niveau international révèle une remise en cause de la représentation de l’autisme comme une maladie. Les mouvements activistes redéfinissent l’autisme comme un autre mode de fonctionnement cognitif, et insistent sur les aspects positifs et créateurs de la neurodiversité. L’association francophone de personnes autistes, Satedi, n’adopte pas de positions aussi radicales. Ses membres ont intégré la notion de handicap et adoptent une attitude de coopération avec les pouvoirs publics et non de résistance au modèle médical de l’autisme. Alors qu’au niveau international, les associations de personnes autistes se structurent en mouvement social qui remet en question les normes en vigueur, en France, il se constitue autour de la défense d’intérêts visant l’aide aux personnes autistes et à leur famille. La spécificité du système associatif franc¸ais, caractérisé par le partenariat entre l’État et les associations de parents, le contexte historique et culturel, et en particulier l’opposition au communautarisme, apparaissent comme des éléments peu propices au développement de revendications radicales dans le domaine du handicap. © 2010 Association ALTER. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Adresse e-mail :
[email protected]. 1875-0672/$ – see front matter © 2010 Association ALTER. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.alter.2010.02.001
104
B. Chamak / ALTER, European Journal of Disability Research 4 (2010) 103–115
a b s t r a c t Keywords: Activist movement Autism Organizations Communitarianism International comparison
At the international level, the study of the historical dynamics of the mobilization of the autistic persons’ organizations shows that they refuse the representation of autism as a disease. Generally, the activist movements define autism as another mode of functioning, and stress the positive and creative features associated with neurodiversity. The study of the French case puts other views in evidence. Thus, the members of the French-speaking association, Satedi, have accepted the handicap notion and cooperation with the public authorities. Whereas the international movement is a social movement against the medical model of autism, the Frenchspeaking association attempts to help autistic persons and their families. The French system is characterized by a partnership between the State and the associations of parents, and its historical and cultural context, in particular the opposition to communitarianism. These factors do not appear to favour the development of radical demands in the field of disability. © 2010 Association ALTER. Published by Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Les mouvements sociaux, définis comme des collectivités qui agissent avec un certain degré d’organisation pour instaurer des changements dans la société, remettant en question les normes en vigueur (Snow et al., 2004), sont des sujets d’analyse particulièrement pertinents pour ceux qui s’intéressent aux transformations sociétales. Pour Nick Crossley (2006), la notion de « mouvement social » renvoie à l’existence d’organisations militantes interagissant les unes avec les autres et qui revendiquent de représenter les mêmes intérêts, de partager, dans une certaines mesure, une culture et des objectifs communs. L’émergence d’un mouvement social significatif incite à réviser la fac¸on dont on envisage une condition problématique ou un aspect de sa vie repensé non plus comme une malchance mais comme une injustice (Turner, 1969). Goffman (1974) suggère que se rebeller contre les autorités dépend, en partie, de l’adoption d’un mode d’interprétation qui juge les actions d’un système comme injuste et qui légitime donc de le combattre. L’objectif de cet article est d’analyser les formes d’activisme des personnes autistes et de montrer en quoi elles constituent un nouveau mouvement social, intégré dans le contexte plus large des formes de militantisme des personnes présentant un handicap. Jean-Franc¸ois Raveau et Isabelle Ville (2005) ont montré comment « l’approche en termes de handicap, notion hybride à l’articulation du médical et du social, constitue une nouvelle fac¸on de penser les rapports entre santé et société ». Le handicap, envisagé uniquement sous l’angle médical, est remis en question. La médecine donne un cadre de référence constitué par un ensemble de normes qui conditionnent l’ensemble des interventions et la gestion du handicap ou de la maladie. C’est ce cadre qui est remis en cause par certaines associations de patients ou de personnes présentant un handicap. Au niveau international, la mobilisation politique autour de la santé et la multiplication des mouvements activistes, dans une logique d’empowerment, ont donné lieu à une réflexion sur le nouveau contrat entre science et société et sur le fonctionnement des groupes d’autosupport (Brown & Zavestoski, 2004 ; Hatch & Kickbusch, 1983 ; Katz & Bender, 1976 ; Landzelius, 2006). Historiquement, ce sont les Alcooliques Anonymes, créés en 1935, qui ont constitué les premiers groupes d’autosupport (Borkman, 1997 ; Room, 1998). Plusieurs auteurs ont analysé différents mouvements activistes autour du sida et des usagers de drogues (Barbot, 2002 ; Broqua & Jauffret-Roustide, 2004 ; Epstein, 1995 ; Gillett, 2003 ; Pinell et al., 2002), des myopathies (Paterson & Barral, 1994 ; Rabeharisoa, 2006), de la fatigue chronique (Aranowitz, 1999), du cancer (Gray et al., 1996 ; Kedrowski & Sarow, 2007), de la maladie mentale (Anspach, 1979 ; Crossley & Crossley, 2001 ; Chamak, 2008 ; Emerick, 1991, 1996 ; Hatzidimitriadou, 2002).
B. Chamak / ALTER, European Journal of Disability Research 4 (2010) 103–115
105
Les recherches en sciences sociales sur les mouvements associatifs en France ont décrit leur montée en puissance depuis les années 1980 et une accélération du recours aux associations depuis les années 1990 (Théry, 1986 ; Barthélémy, 2000a, 2000b). Les travaux ont porté essentiellement sur les associations de lutte contre le sida (Barbot, 2002, 2006 ; Pinel et al., 2002 ; Dodier, 2003) et les associations de parents d’enfants présentant un handicap (Paterson & Barral, 1994 ; Méadel, 2006 ; Rabeharisoa, 2006). Quelques chercheurs se sont intéressés, en France, aux associations de personnes handicapées (Barral et al., 2000 ; Galli & Ravaud, 2000 ; Turpin, 1990, 2000) mais assez peu ont traité celles de personnes considérées comme présentant un problème de santé mentale (Chamak, 2008 ; Troisoeufs, 2009). Au Royaume-Uni, le champ de la contestation psychiatrique a été l’objet d’une attention particulière de Nick Crossley (2006), pionnier de l’analyse culturelle des mouvements sociaux, qui définit la notion de « culture de la protestation » pour caractériser la manière dont les revendications de groupes sociaux spécifiques s’articulent et s’incarnent sous la forme d’une action politique. Le développement important des disabilities studies, recherches menées dans le domaine du handicap, qui donnent une place centrale aux « usagers » et ont pour but d’analyser les facteurs sociaux, culturels et politiques sont largement négligées en France (Albrecht et al., 2001). A l’instar des women studies et ethnic studies, les disability studies ont acquis, dans le monde anglo-saxon, un statut de courant académique autonome (Linton, 1995 ; Oliver, 1996 ; Shakespeare, 1993 ; Zola, 1993). Les personnes concernées sont considérées comme détentrices de savoirs propres et actrices de leur devenir alors que l’impartialité des chercheurs extérieurs est souvent perc¸ue comme une partialité déguisée. Des connexions étroites existent entre les disability studies et le disability movement (Albrecht et al., 2001). La représentation traditionnelle du handicap comme un problème individuel d’ordre médical est remis en cause, au niveau international, par des mouvements activistes qui prônent la diversité et redéfinissent le handicap comme un problème sociopolitique. Ce courant, qui prend de l’ampleur dans les pays anglo-saxons, reste très marginal en France. L’exemple de l’autisme a été choisi pour analyser cette différence. Des personnes qui se reconnaissent comme autistes et qui sont capables de s’exprimer ont commencé à se mobiliser pour que leurs difficultés ne soient plus stigmatisées par le qualificatif de maladie mentale. Ils défendent la reconnaissance et l’acceptation de leurs différences. Leur sentiment de culpabilité s’est mué en une condamnation du système et ils ont rejeté la responsabilité de la victime vers celle de la société. Cette transformation est considérée par Snow et al. (1986) comme centrale dans le processus de participation à des groupes d’autosupport (Katz & Bender, 1976). Le succès de la mobilisation réside, en partie, dans les changements opérés non seulement dans la fac¸on dont les personnes voient leur situation de vie mais également dans l’opinion qu’elles se font d’elles-mêmes. Le mouvement pour les droits des personnes autistes présente toutes les caractéristiques d’un mouvement social : un regroupement de personnes qui revendiquent de représenter les mêmes intérêts et de partager des objectifs et une culture commune, le développement d’une identité collective et d’une critique de la société qui stigmatise l’autisme et considère les personnes autistes comme des malades mentaux. Au-delà même du changement des représentations de l’autisme, ce mouvement vise à modifier l’idée que l’on se fait d’un être pensant, prônant la défense de la neurodiversité et l’acceptation des différents styles de vie. Cet article a pour objectif de comparer la mobilisation des personnes autistes au niveau international et en France, de préciser leur positionnement par rapport aux actions des associations de parents, mais aussi d’aborder la question de la spécificité du système associatif franc¸ais qui laisse peu de place aux revendications les plus radicales des personnes présentant un handicap. Après une analyse des transformations de la catégorie « autisme », la dynamique historique de la mobilisation internationale des personnes autistes sera analysée, puis comparée à celle qui a lieu en France. L’autisme : une catégorie transformée Les changements de catégorie de l’autisme, initiés au début des années 1990 par les nouvelles classifications des maladies (internationale et américaine), ont transformé les représentations de l’autisme. La maladie rare, incurable, souvent associée à un retard mental, décrite en 1943 par Léo Kanner, est devenue un syndrome aux contours flous étiqueté « troubles envahissants du développement » (TED). Inclure dans une même catégorie des enfants sans langage et des personnes présentant des capacités langagières et des difficultés d’interactions sociales a accru la prévalence de l’autisme et sa visibilité
106
B. Chamak / ALTER, European Journal of Disability Research 4 (2010) 103–115
(Chamak, 2005b, 2008 ; Silverman, 2008). De nouvelles associations de parents se sont créées, leurs revendications ont pris davantage de poids et le problème a été érigé en question de santé publique (Chamak, 2008 ; Hacking, 2005). Interpellés, les pouvoirs publics se sont mobilisés, des circulaires et des lois ont été votées, notamment la loi Chossy du 11 décembre 1996 qui reconnaît l’autisme comme un handicap. Cette reconnaissance, réclamée par les associations de parents, permet tout à la fois de s’éloigner de la psychiatrie en rebaptisant handicap ce qui était considéré comme une maladie psychiatrique et de réclamer l’intégration scolaire – surtout depuis le vote de la loi pour l’égalité des droits et des chances de février 2005 qui pose le principe de l’inscription de tout enfant porteur de handicap dans l’établissement scolaire le plus proche du domicile (Chamak, 2005b, 2008). De nombreux secteurs se sont développés et, en particulier, les recherches en génétique et en imagerie cérébrale. Une autre conséquence de cette transformation de catégorie a été que des adultes qui se sentaient différents mais ne savaient pas en quoi consistait leur différence se sont reconnus dans la description du fonctionnement autistique. Ils ont d’abord témoigné de leur expérience en écrivant leur biographie. Ils ont ensuite tenté de changer l’image négative de l’autisme en montrant en quoi l’originalité et la créativité des personnes présentant des caractéristiques autistiques enrichissent une société. Ce message a été largement diffusé via Internet. Un discours de type culturaliste a été produit, célébrant la « culture autistique » et mettant l’accent sur les aspects positifs et créateurs. Ainsi a émergé un nouveau mouvement social, articulé autour d’affiliations identitaires et culturelles, redéfinissant l’autisme comme une différence, et non comme une maladie (Chamak, 2008 ; Silverman, 2008). Certains ont repris le discours des neuroscientifiques sur le fonctionnement atypique du système nerveux des personnes autistes pour définir la neurodiversité et réclamer que cette diversité soit reconnue et acceptée (Singer, 1999). Ces transformations ne se sont pas produites de la même fac¸on en France. La constitution d’une communauté de personnes autistes apparaît avec un décalage de 12 ans. Ce décalage provient, en partie, du fait que les psychiatres franc¸ais ont résisté pendant longtemps aux nouvelles classifications et à une conception élargie de l’autisme (Chamak, 2008). Mais il indique également une différence quant aux possibilités d’expression des personnes présentant un handicap quand elles remettent en question le système des professionnels et des associations de parents, comme le font aujourd’hui les associations de personnes autistes au niveau international.
Dynamique historique de la mobilisation internationale des personnes autistes Autism Network International (ANI) ANI est historiquement la première et la plus importante communauté regroupant des personnes autistes ou présentant un syndrome d’Asperger, forme d’autisme sans déficience intellectuelle et sans délai d’apparition du langage (Chamak, 2008). À l’initiative de Jim Sinclair, un premier groupe d’entraide s’est constitué au début des années 1980 réunissant des personnes qui, comme lui, découvraient que le qualificatif d’autisme ou de syndrome d’Asperger correspondait le mieux à leur fac¸on d’être et de vivre. Des échanges via Internet sur un forum créé par une association de parents ont précédé des rencontres qui ont eu lieu lors de conférences sur l’autisme. En 1991, ce premier groupe a participé à la conférence organisée par la société américaine pour l’autisme (Autism Society of America, ASA). Les organisateurs ont proposé à ce groupe de former un comité de réflexion mais, rapidement, les personnes autistes interprétèrent comme une instrumentalisation ce qu’elles avaient pris pour une réelle collaboration. Elles décidèrent de fonder leur propre association. À peine ANI étaitelle créée que des rumeurs en provenance d’ASA circulèrent sur Jim Sinclair interrogeant la réalité de son autisme dans l’intention de disqualifier ce nouveau mouvement qui prenait forme (Sinclair, 2005). En novembre 1992 paraît le premier numéro de leur journal Our Voice. La même année, Jim Sinclair s’exprimait dans l’ouvrage consacré aux personnes autistes présentant un haut niveau de fonctionnement dirigé par E. Schopler et G. Mesibov (Sinclair, 1992) :
B. Chamak / ALTER, European Journal of Disability Research 4 (2010) 103–115
107
« Accordez-moi la dignité de me rencontrer selon mes propres termes – reconnaître que nous sommes également étrangers l’un à l’autre, que ma fac¸on d’être n’est pas simplement une version déficiente de la vôtre. Interrogez-vous sur vos présupposés. Travaillez avec moi à construire davantage de ponts entre nous »1 . Entre 1993 et 1994, plusieurs événements contribuèrent à transformer un petit réseau en une véritable communauté. La conférence internationale sur l’autisme en juin 1993 à Toronto a eu un impact important grâce la présentation de Jim Sinclair intitulée « Ne vous lamentez pas pour nous » (Sinclair, 1993). Il remettait en cause la description de l’autisme comme une tragédie, faite en particulier par les associations de parents : « L’autisme n’est ni quelque chose qu’une personne a, ni une « coquille » dans laquelle elle se trouve enfermée. Il n’y a pas d’enfant normal caché derrière l’autisme. L’autisme est une manière d’être. Il est envahissant ; il teinte toute sensation, perception, pensée, émotion, tout aspect de la vie. Il n’est pas possible de séparer l’autisme de la personne - et si c’était possible, la personne qui resterait ne serait plus la même [. . .] Par conséquent, quand les parents disent : « je voudrais que mon enfant n’ait pas d’autisme » ce qu’ils disent vraiment c’est « je voudrais que l’enfant autiste que j’ai n’existe pas. Je voudrais avoir, à la place, un enfant différent (non autiste) ». C’est ce que nous entendons quand vous vous lamentez sur notre existence et que vous priez pour une guérison »2 . Ce discours a rencontré un large écho et de nombreuses personnes autistes ont adhéré à ANI. Il a également suscité une augmentation des échanges via Internet sur le forum et le mécontentement de quelques parents, submergés par des messages qui ne les intéressaient pas. En 1994, le forum des personnes autistes était créé (Autism Network International listserv, ANI-L). À partir de 1996, ils décidèrent d’organiser eux-mêmes leurs conférences dénommées Autreat. Elles regroupaient aussi bien des personnes autistes qui parlaient que d’autres n’étant pas à même de s’exprimer. Des enfants avec leurs parents étaient également présents. Lors de ces rencontres, les thèmes majeurs abordés étaient : la nécessité d’envisager les aspects positifs de l’autisme, les possibilités de fonctionner dans un monde « neurotypique » (non autiste), et la place du mouvement autiste dans celui, plus large, des personnes handicapées. Pour ANI, il ne s’agit pas de trouver des causes ou des remèdes à l’autisme, mais de former les personnes autistes afin qu’elles puissent assurer elles-mêmes leur propre défense, de constituer une communauté, d’accroître la visibilité publique de leurs actions, de réduire la stigmatisation, d’identifier et de sensibiliser des alliés potentiels au sein de la population non autiste3 . Les premières autobiographies parues dans les années 1980 et 1990, en particulier celles de Temple Grandin (1986) et de Donna Williams (1992), ont largement participé à la construction d’une politique identitaire autour de l’autisme (Chamak, 2008). N’étant plus limitée aux enfants sans langage, cette étiquette, si stigmatisante jusque-là, devenait un signe de ralliement pour des personnes fières de revendiquer le qualificatif d’autisme. Décidées à en changer les représentations, elles refusent la vision négative et pessimiste associée à l’autisme que les professionnels, les médias et les parents diffusent depuis des années. L’idée relayée par Internet selon laquelle Albert Einstein, Glenn Gould et d’autres génies célèbres auraient présenté un syndrome d’Asperger contribue à alimenter un sentiment de fierté et, parfois même celui de supériorité. Internet modifie leur relation au monde. Lorsqu’ils se comparent aux individus dits « normaux », certains se trouvent plus
1 Sinclair, J. (1992), p. 302: « Grant me the dignity of meeting me on my own terms – recognize that we are equally alien to each other, that my ways of being are not merely damaged versions of yours. Question your assumptions. Define your terms. Work with me to build more bridges between us ». 2 Sinclair, J. (1993): « Autism isn’t something a person has, or a “shell” that a person is trapped inside. There’s no normal child hidden behind the autism. Autism is a way of being. It is pervasive; it colors every experience, every sensation, perception, thought, emotion, and encounter, every aspect of existence. It is not possible to separate the autism from the person – and if it were possible, the person you’d have left would not be the same person you started with. . . Therefore, when parents say, “I wish my child did not have autism”, what they’re really saying is, “I wish the autistic child I have did not exist, and I had a different (non-autistic) child instead. This is what we hear when you mourn over our existence. This is what we heard when you pray for a cure ». 3 Cf. le site d’ANI: http://ani.autistics.org/.
108
B. Chamak / ALTER, European Journal of Disability Research 4 (2010) 103–115
rationnels et objectifs que ces « neurotypiques » guidés par leurs émotions, leurs sympathies et leurs inimitiés. Michelle Dawson, personne autiste vivant à Montréal, dénonce, sur son site Web4 , le fait que les associations de parents leur ont confisqué la parole. Poursuivant des recherches en sciences cognitives sur l’autisme pour mettre en évidence les capacités et les preuves d’intelligence des personnes autistes, elle se positionne fermement contre les méthodes comportementales (réclamées par plusieurs associations de parents), intente des actions en justice contre la discrimination et milite pour que les pouvoirs publics tiennent compte de l’avis des personnes autistes. Michelle Dawson considère que « l’autisme n’est pas plus une maladie que ne l’est l’homosexualité ». Elle se réfère explicitement à l’histoire des actions des féministes, des homosexuels et de différents groupes ethniques et mentionne le fait que pendant longtemps l’homosexualité a été injustement considérée comme une maladie psychiatrique5 . Elle refuse le statut de malade ou de patient et se focalise sur ce qui, dans la société, empêche les personnes autistes de trouver leur place et donc sur les causes structurelles de la stigmatisation. Michelle Dawson et Jim Sinclair insistent sur cette vision limitée qui pénètre notre langage et sert à perpétuer une marginalisation et une discrimination des personnes autistes. Les revendications et les résultats obtenus par les groupes d’autosupport (self-help groups) (Katz & Bender, 1976 ; Hatch & Kickbusch, 1983), l’independant Living Movement (De Jong, 1979) et les mouvements des minorités (noires, féministes, gays, etc.) ont servi de modèles aux associations de personnes présentant un handicap. Si les mouvements des personnes handicapées puis celles des personnes présentant un problème de santé mentale ont été considérés comme la dernière génération des mouvements sociaux (Driedger, 1989 ; Emerick, 1996), les actions des personnes autistes peuvent être envisagées comme la toute dernière génération des mouvements sociaux (Chamak, 2008). Initié au début des années 1990, ce courant international induit des transformations perceptibles dans les livres publiés par des personnes autistes. Alors que les premiers ouvrages constituent des témoignages personnels décrivant leur expérience particulière de l’autisme, les écrits ultérieurs témoignent d’une volonté de participer à l’élaboration de véritables connaissances sur l’autisme et s’orientent vers une prise de conscience politique (Chamak, 2005a, 2008). L’usage du « nous » participe à la construction d’une communauté, avec une culture propre, des expressions et un humour spécifiques. En dépit de l’idée largement répandue que les personnes autistes ont du mal à saisir les traits d’humour, certains d’entre eux ont utilisé l’humour pour faire comprendre comment ils ressentaient la fac¸on dont ils étaient traités. En référence aux sites de professionnels sur l’autisme, un site créé par une personne autiste, Institute for the Study of the Neurologically Typical, décrit les personnes non autistes comme présentant un syndrome « neurotypique » (NT), trouble neurologique caractérisé par des préoccupations sociales, l’impression de supériorité et l’obsession de la conformité (Muskie, 2002). Le sentiment d’une identité collective se développe, ainsi qu’une critique de la société où l’autisme est médicalisé et conc¸u sous le seul angle du modèle du déficit. L’identité se forge à travers la transformation des problèmes individuels en cause collective. Les personnes autistes qui s’expriment insistent sur l’importance de leur expérience pour comprendre leur situation et résoudre les problèmes rencontrés. Un nouveau courant, orienté vers un engagement direct et la légitimation des prises de parole, s’est constitué à l’échelle internationale. Ce mouvement pour les droits des personnes autistes (Autism rights movement), également nommé mouvement pour la neurodiversité, ou pour la culture autiste, est un mouvement social qui encourage les personnes autistes et la société à adopter une position qui consiste à considérer l’autisme comme une variation du fonctionnement humain et non comme une maladie mentale à soigner (Chamak, 2008 ; Solomon, 2008). Muskie (2002) estime que la neurodiversité pourrait être aussi importante pour l’humanité que la biodiversité pour la vie en général. Le terme de neurodiversité a été utilisé pour la première fois par Judy Singer, une Australienne dont la mère et la fille ont été diagnostiquées comme ayant un syndrome d’Asperger et qui présente, elle-même, des caractéristiques autistiques. Elle analyse le développement de l’identité autiste comme un défi à relever pour le mouvement des personnes présentant un handicap et insiste sur la nécessité pour la société de mieux accepter les différents styles de vie.
4 5
http://www.sentex.net/∼nexus23/naa aba.html. Entretien avec Michelle Dawson à Montréal le 10 août 2004.
B. Chamak / ALTER, European Journal of Disability Research 4 (2010) 103–115
109
Multiplication des initiatives et des associations de personnes autistes Le 16 novembre 2004, Amy Nelson, de l’association Aspies for freedom, soumettait aux Nations Unies la proposition de reconnaître la communauté autiste comme un groupe minoritaire à protéger (Nelson, 2004). Aspies for freedom a été créée en 2004 par le Néerlandais Martijn Dekker, diagnostiqué comme ayant un autisme de haut niveau. Les objectifs de cette association détaillés sur son site (www.aspiesforfreedom.com) portent sur la prévention de l’élimination eugéniste des personnes autistes par l’utilisation de tests prénatals, l’opposition aux « traitements » considérés comme nocifs (incluant la chélation et la méthode ABA6 ), la promotion de la conception de spectre autistique et la déconstruction des différences entre les formes d’autistes (autisme bas-niveau, haut-niveau, syndrome d’Asperger, PDD-NOS7 ), l’augmentation des financements pour des services de support aux personnes autistes et des formes éthiques de traitements, la remise en question de la notion de guérison, et l’opposition aux campagnes présentant l’autisme comme une tragédie. Martijn Dekker a également créé un nouveau forum, independent living on the autistic spectrum (InLv). Comme Temple Grandin et Sean Barron (2005), il insiste sur la spécificité de la culture autiste et compare le mouvement des autistes à celui des personnes handicapées et, notamment, des personnes sourdes, qui ont un style de communication différent de la norme (Dekker, 1999). Il fait également référence à American disabled for attendant programs today (ADPAT), un groupe activiste qui lutte pour les droits des personnes présentant un handicap, et au Psychiatric Survivors movement. Il situe la communauté des personnes autistes entre le disability pride movement et le psychiatric survivors movement. Même si, pour lui, l’autisme n’est pas une maladie mentale mais un fonctionnement neurologique différent, ce sont des psychiatres qui en font le diagnostic et il reconnaît que des problèmes qui relèvent de la psychiatrie, comme la dépression et l’anxiété, touchent souvent les personnes autistes. Plusieurs autres associations de personnes autistes se sont créées depuis les années 1990 : The Autism National Committee (AUTCOM) créé en 1990 pour protéger les droits des personnes autistes, the Worldwide Autism Association (WWA) groupe d’autosupport pour les personnes autistes créé en 1998 à Zurich, et The Autistic Self-Advocacy Network (ASAN), dont le président fondateur Ari Ne’eman reprend à son compte la politique du mouvement des personnes présentant un handicap : « rien pour nous sans nous ». Les personnes autistes utilisent de plus en plus de sites tels que YouTube, site web d’hébergement de vidéos sur lequel les utilisateurs peuvent envoyer, visualiser et se partager des séquences vidéo, et Second Life, univers virtuel en 3D qui permet à ses utilisateurs d’incarner des personnages virtuels dans un monde créé par eux. Sur l’île virtuelle Brigadoon, fondée par John Lester (2005), les personnes autistes peuvent créer ce qu’elles veulent et interagir avec qui elles souhaitent. Dans une vidéo sur You Tube, intitulée In my language, Amanda Baggs (2009) décrit son expérience de personne diagnostiquée « autiste de bas niveau » sans langage oral. Elle communique par écrit sur ordinateur et explique les raisons de ses stéréotypies qu’elle décrit comme une manière de communiquer. Elle envisage l’autisme comme une différence culturelle, une autre fac¸on de percevoir et de réagir au monde. Avec Laura Tisoncik, elle a créé le front de libération des autistes (Autistic Liberation Front) (Biver, 2007 ; Davidson, 2008). Les forums et échanges sur Internet facilitent la communication entre personnes autistes et leur permet d’être moins isolées. Selon Martijn Dekker (1999), Internet est aux autistes ce que le langage des signes est aux sourds. Les problèmes qu’ils rencontrent lors d’un échange en tête à tête sont absents des échanges sur Internet (pas d’interférence avec des bruits parasites, pas besoin de contact visuel perturbant. . .). En plus d’une vie sociale, Internet leur fournit un moyen d’améliorer leur qualité de vie en leur permettant de faire leurs courses en ligne et éviter ainsi les centres commerciaux bruyants et stressants ou les interactions directes avec les commerc¸ants. La création d’associations a également été favorisée par Internet. Le consensus qui émerge lors des échanges, c’est que les neurotypiques constituent sans doute l’une des configurations neurologiques majoritaires mais pas nécessairement la
6 La chélation, procédé par lequel une substance organique se lie à des métaux ionisés, vise à désintoxiquer l’organisme. Applied Behavior Analysis (méthode comportementale intensive). 7 Pervasive Developmental Disorder not otherwise specified.
110
B. Chamak / ALTER, European Journal of Disability Research 4 (2010) 103–115
meilleure (Blume, 1997). Plusieurs universitaires qui ont rec¸u le diagnostic de syndrome d’Asperger ou d’autisme de haut niveau, participent à consolider ce mouvement et à lui donner davantage de crédibilité. Situer leur expérience dans le contexte plus large des mouvements sociaux contribue à développer un discours de résistance politique et d’activisme dans le champ de la santé mentale. Ce mouvement est plus important dans certains pays (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Australie, Suède. . .) que dans d’autres, et notamment en France, où le contexte culturel et l’histoire des associations sont bien différents. Mobilisation en France Satedi, l’unique association de personnes autistes en France Ce mouvement de personnes autistes, qui tend à transformer des difficultés en connaissances, a émergé très récemment en France. L’association francophone Satedi s’est créée en 2004 − soit 12 ans après ANI − pour apporter un éclairage sur le fonctionnement autistique, fournir de l’aide aux personnes autistes et à leur famille, et influer sur l’orientation de la recherche et les décisions politiques les concernant. A ses débuts, Satedi était proche des associations de parents, et notamment d’Autisme France, créée en 1989 pour changer les interventions en autisme. Cette association de parents s’oppose résolument aux approches psychanalytiques de l’autisme, favorise le développement de méthodes dites éducatives (c’est souvent la méthode ABA qui sert de référence) et exige l’intégration scolaire. En proposant à quelques personnes autistes de faire partie de leur conseil d’administration, Autisme France obtenait leur caution tout en influenc¸ant leur fac¸on d’analyser les problèmes liés à l’autisme. Depuis les débuts de Satedi, une prise de distance par rapport aux associations de parents a permis à ses membres d’acquérir d’avantage d’autonomie. Les objectifs restent, cependant, différents de ceux d’ANI et des autres associations de personnes autistes, avec lesquelles Satedi ne développe pas d’échanges. Elle ne fait pas partie du Autism rights Movement, considère l’autisme comme un handicap social et refuse la vision communautariste8 . En revanche, les contacts directs avec des responsables politiques impliqués dans l’élaboration de la politique en matière d’autisme se multiplient. Des membres de Satedi ont participé à l’élaboration du dernier « Plan Autisme » (2008–2010). Patrick Gohet, délégué interministériel aux personnes handicapées, a invité deux des membres de Satedi à intervenir. Le Comité national consultatif d’éthique a fait appel à Satedi pour un avis concernant l’autisme. Deux membres de Satedi font partie du groupe de travail de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médicosociaux (ANESM) sur les recommandations de bonnes pratiques professionnelles dans l’accompagnement et la prise en charge des personnes autistes. Gabriel Bernot, l’un des membres de Satedi, qui considère qu’une de leur force est leur expérience directe avec des personnes TED très handicapées, a présenté un exposé sur « le conflit entre les besoins de personne TED et les désirs que forme pour elle sa famille » aux journées nationales d’étude sur l’autisme de l’Association nationale centres ressources autisme (Ancra) en février 2009. Le contexte franc¸ais : associations gestionnaires d’établissements et anti-communautarisme La compréhension du contexte franc¸ais permet de mieux appréhender les orientations différentes de Satedi. Contrairement aux États-Unis, au Canada, ou à d’autres pays européens, le mouvement social de revendication et d’action pour l’autonomie des personnes handicapées, constitué autour de la notion de « civils rights » (Galli & Ravaud, 2000), est peu développé en France. L’essentiel des forces associatives est mobilisé par la gestion d’établissements assurée, majoritairement, par des associations de parents. Cette spécificité franc¸aise consiste en de nombreuses institutions privées gérées par les associations qui les ont créées, sous tutelle du ministère de la Santé. Ce système de délégation de service public aux associations gestionnaires d’établissements spécialisés pour les populations handicapées a jeté les bases du partenariat entre l’État et les associations (Barral et al., 2000, Barral, 2007). Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, des parents d’enfants handicapés se sont mobilisés pour pallier le manque
8
Echanges de mails avec Gabriel Bernot et Emmanuel Dubrulle le 5 mai 2009.
B. Chamak / ALTER, European Journal of Disability Research 4 (2010) 103–115
111
de structures. Avec l’extension de la définition de l’inadaptation, les institutions se sont multipliées sur tout le territoire. L’élargissement des critères diagnostiques, qui ne concerne pas seulement l’autisme, accélère ce processus, donnant un poids toujours croissant aux associations gestionnaires, au sein desquelles parents et professionnels se partagent les responsabilités. Les établissements restant sous contrôle du ministère de l’Action sociale et de son administration régionale et départementale, les associations doivent diversifier les modalités de négociations et les formes de pression aux différents échelons, nationaux et locaux, politiques et administratifs, pour consolider les liens avec l’État qui garantissent leur pérennisation. L’institutionnalisation des relations entre l’État et les associations prend parfois des formes personnalisées avec une circulation entre services de l’État et associations (Barral, 2007). De hauts fonctionnaires ou des élus rejoignent les conseils d’administration des associations et des administrateurs associatifs intègrent la haute fonction publique. Catherine Barral (2007) considère que les associations gestionnaires se sont vues confirmées dans leur partenariat avec l’État pour la poursuite d’une politique sociale qui répond davantage à des impératifs de gestion de populations qu’à ceux de réinsertion sociale. Dans les années 1970, les mouvements contestataires d’étudiants handicapés ont porté, en France, la revendication d’autonomie et d’exercice des droits civils des associations qui questionnaient les politiques publiques conc¸ues pour les personnes handicapées et non par elles (Turpin, 1990, 2000). Marginalisés par « l’establishment associatif » et par l’échec des tentatives d’alliances avec d’autres mouvements sociaux, ils ont disparu au cours de la décennie 1980. Leur analyse critique des causes sociopolitiques et structurelles du handicap mettait en cause le modèle de la réadaptation, le partenariat entre l’État et les associations de parents dominantes et le sens général des politiques sociales qui administrent la vie personnelle, sociale et professionnelle des personnes handicapées. Ils dénonc¸aient la collusion entre associations gestionnaires et pouvoirs publics. Comme le font aujourd’hui certaines associations de personnes autistes, ils reprochaient aux associations dominantes, contrôlées par des parents et des professionnels, leur paternalisme vis-à-vis des personnes handicapées. Ce contexte historique permet de mieux comprendre les choix différents des associations de personnes autistes en France, où la référence à l’universalisme va à l’encontre du développement de mouvements identitaires. Les travaux comparatifs de Jacques Donzelot et al. (2003) portant sur les formes de mobilisations institutionnelles développées par la France et les États-Unis montrent que le modèle social franc¸ais s’oppose d’un point de vue philosophique et pratique au modèle communautaire américain. Le terme « communautaire » est souvent associé, en France, à celui de dérive tandis que le terme « social » est parfois synonyme, aux États-Unis, d’assistance et de dépendance. Dans les faits, l’approche américaine valorise la notion de communauté, mais dans la mesure où celle-ci se place au service d’un objectif civique. La citoyenneté y est construite par l’implication responsable de chacun dans une « communauté civique ». L’approche franc¸aise, qualifiée de sociale, se caractérise par la « sollicitude sociale » mais ce ne sont pas les populations concernées qui fac¸onnent la politique. Cette approche est indissociable du souci de restaurer l’autorité des institutions, de la volonté de contrôle et de la méfiance vis-à-vis de la capacité des populations à agir (Donzelot et al., 2003). L’exemple de la surdimutité est très illustratif de ce point de vue. Parce qu’elle allait à l’encontre du discours médical de la déficience et de sa réparation, la langue des signes a été interdite dans les instituts d’enseignement franc¸ais entre 1880 et 1990 (Delaporte, 2002). A contrario, à Washington avait été créé en 1864 un lycée pour les sourds qui allait devenir en 1986 l’Université Gallaudet et en 1988 le premier président sourd y était élu sous l’impulsion du Deaf President Now Movement. Le mouvement de vie autonome (Independant Living Movement), développé en Amérique du Nord, reste quasi inexistant en France. De même, les « disability studies », qui dénoncent le modèle médical du handicap et insistent sur l’origine sociale de la stigmatisation, demeurent réduites à la portion congrue alors qu’elles fleurissent aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni. Le courant de chercheurs en sciences cognitives qui travaillent avec des personnes autistes sans déficience intellectuelle et qui font référence à la neurodiversité (Baron-Cohen, 2000 ; Happé, 1999 ; Mottron, 2004) vivent au Royaume-Uni et au Québec. Les témoignages de personnes autistes sont très rares en France. Un seul livre, rédigé par un adolescent (Bouissac, 2002), a été publié. Il décrit son expérience individuelle avec ses intérêts, ses obsessions, ses difficultés, ses espoirs. Ce récit se distingue de ceux, plus politiques, publiés, à la même époque,
112
B. Chamak / ALTER, European Journal of Disability Research 4 (2010) 103–115
dans d’autres pays. Certains membres non dirigeants de Satedi ont des revendications proches de celles d’ANI mais ceux qui sont à la tête préfèrent adopter des positions plus modérées. Ils acquièrent ainsi une crédibilité et peuvent agir au niveau politique. Gabriel Bernot précise que Satedi n’a pas de revendications mais des propositions. Satedi conseille la mise en place d’outils ou de stratégies simples pour faciliter la vie des personnes TED et réclame un réel accompagnement à la personne autiste lui permettant de développer des stratégies d’adaptation en milieu ordinaire. Gabriel Bernot reconnaît « qu’il n’est pas possible d’adapter totalement le monde ordinaire aux handicapées car alors naîtraient des incompatibilités, par exemple, un dispositif sonore indiquant ci ou c¸a aux personnes aveugles peut constituer une gêne considérable pour des personnes autistes »9 . L’association francophone a donc choisi une position de partenaire et n’a pas adopté les conceptions radicales des autres associations, ce qui aurait entraîné la disqualification de leur mouvement aux yeux des pouvoirs publics, des parents et des professionnels franc¸ais. Conclusion Comme Renée Anspach l’avait souligné en 1979, l’activisme politique des personnes présentant un handicap s’est développé autour d’une politique identitaire. L’objectif est de se forger une représentation de soi valorisante et de la propager. Les mouvements sociaux des années 1960, le courant de l’antipsychiatrie, les actions des mouvements de libération des gays, des femmes, des noirs, des minorités, ont constitué une source d’inspiration pour les mouvements activistes de personnes présentant un handicap. Aux États-Unis, dans les années soixante, les mouvements pour les droits civiques ont jeté les bases de la compréhension des personnes handicapées en tant que groupe minoritaire, et des mouvements en faveur des droits des personnes handicapées (Albrecht et al., 2001). L’activisme des années soixante a donné une base intellectuelle à leur identité de groupe. Dans les années 1980, des chercheurs en sciences sociales conduit par Irving Zola fondèrent une Société caractérisée par son activisme politique qui prit le nom de Society for Disability Studies en 1986. En France, ce sont surtout les associations de parents qui ont pris le devant de la scène (Barral, 2007). Le modèle de partenariat public-privé à la franc¸aise (système de délégation de service public aux associations gestionnaires d’établissements spécialisés pour les populations handicapées) a été généralisé, laissant peu de place aux personnes présentant un handicap. Pour Advocacy France, qui se présente comme une association d’usagers en santé mentale médicosociale et sociale, « Advocacy » est défini comme « un mode d’aide à l’expression, par l’intervention d’un tiers, d’une personne qui s’estime victime d’un préjudice et/ou qui se sent mal écoutée et insuffisamment respectée par ses interlocuteurs institutionnels et/ou qui rencontre des obstacles à l’exercice de sa pleine citoyenneté ». L’introduction d’un tiers, en général un éducateur, souvent psychologue, paraît incontournable en France et est révélateur de la difficulté pour les usagers de s’exprimer et d’agir par eux-mêmes. Les structures et les représentations sont peu propices au développement de la self advocacy. Sous la pression des politiques publiques européennes, la France a introduit, dans la loi du 11 février 2005 pour « légalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », la possibilité d’aide à la mise en place de groupes d’entraide mutuelle (GEM), perc¸us comme un moyen de réinsérer dans la cité les personnes concernées par les troubles psychiques. Mais là-encore, ces GEM font intervenir un tiers (Troisoeufs, 2009). L’association de personnes autistes, Satedi, a réussi à acquérir une autonomie qui la distingue des actions des associations de parents mais elle n’a pas pour autant adopté une attitude communautariste. L’empreinte culturelle franc¸aise se fait sentir. Satedi se différencie donc du mouvement international actuel, très revendicatif, qui se construit dans le cadre d’une résistance à la définition de l’autisme comme une maladie et dans la remise en question d’une société dont les valeurs sont perc¸ues comme oppressives. La plupart des membres de Satedi ont intégré la notion de handicap et adoptent une attitude de coopération avec les pouvoirs publics plutôt qu’une mobilisation activiste qui lutte contre le modèle médical de l’autisme. Satedi se constitue autour de la défense d’intérêts mais pas comme un mouvement social qui remet en question les normes en vigueur.
9
Message électronique de Gabriel Bernot (5 mai 2009).
B. Chamak / ALTER, European Journal of Disability Research 4 (2010) 103–115
113
Cependant, même si la conscience politique est moins développée en France, les échanges sur Internet, les autobiographies et les revendications ou propositions des personnes autistes qui s’expriment modifient peu à peu les représentations et nous laissent entrevoir l’infinie diversité des modes de fonctionnement humain. Ils nous amènent à interroger nos présupposés, à repenser ce qu’intelligent veut dire et ce que recouvre l’expression « être humain ». Remerciements Cette recherche a obtenu le soutien financier de l’ANR (décision no ANR-09-SSOC-006-01), de l’INSERM, du CNRS et de l’Université Paris Descartes. Je tiens à remercier les personnes autistes qui ont bien voulu répondre à mes questions et celles qui, sur Internet, partagent leurs expériences et leurs idées. Merci à Alain Ehrenberg pour sa confiance et à Béatrice Bonniau pour son aide précieuse. Références Albrecht, G., Ravaud, J.-F., & Stiker, H.-J. (2001). L’émergence des disabilities studies : état des lieux et perspectives. Sciences sociales et Santé, 19, 43–76. Anspach, R. (1979). From stigma to identity politics: political activism among the physically disabled and former mental patients. Social Science & Medicine, 13, 765–773. Aranowitz, R. (1999). Les maladies ont-elles un sens ? Le Plessis-Robinson: Institut Synthélabo, Baggs, A. Retrieved November 2009, from http://www.youtube.com/watch?v=JnylM1hI2jc. Barbot, J. (2002). Les malades en mouvements. Paris: Balland. Barbot, J. (2006). How to build an active patient? The work of AIDS associations in France. Social Science & Medicine, 62, 538–551. Baron-Cohen, S. (2000). Is Asperger’s syndrome/high-functioning autism necessarily a disability? Development and Psychopathology, 12, 489–500. Barral, C. (2007). Disabled Persons’ Associations in France. Scandinavia Journal of Disability Research, 9(3–4), 214–236. Barral, C., Paterson, F., Stiker, H.-J., & Chauvière, M. (Eds.). (2000). L’institution du handicap : le rôle des associations. Rennes: Presses Universitaires de Rennes. Barthélémy, M. (2000a). Associations : un nouvel âge de la participation ? Paris: Presses de Sciences Politiques. Barthélémy, M. (2000b). Les associations et la démocratie : la singularité franc¸aise. In Y. Michaud (dir.) Qu’est-ce que la société? Université de tous les savoirs: Vol. 3. Paris: Odile Jacob. Biver, C. (2007). Web removes social barriers for those with autism. New Scientist, 27 juin. Blume, H. (1997). Autistics, freed from face-to-face encounters, are communicating in cyberspace. The New York Times, 30 juin. Borkman, T. J. (1997). A selective look at self-help groups in the United States. Health and Social Care in the Community, 5(6), 357–364. Bouissac, J. (2002). Qui j’aurai été. Alsace: Autisme. Broqua, C., & Jauffret-Roustide, M. (2004). Les collectifs d’usagers dans les champs du sida et de la toxicomanie. Médecine/Sciences, 20, 474–479. Brown, P., & Zavestoski, S. (2004). Social movements in health: an introduction. Sociology of Health and Illness, 26(6), 679–694. Chamak, B. (2005a). Les récits de personnes autistes : une analyse socio-anthropologique. Handicap, revue de sciences humaines et sociales, 105–106, 33–50. Chamak, B. (2005b). Les transformations des représentations de l’autisme et de sa prise en charge en France : le rôle des associations. Cahiers de Recherche Sociologique, 41, 171–192 (In M. Otero [dir.] Nouveau malaise dans la civilisation). Chamak, B. (2008). Autism and Social Movements: French Parents’ Associations and International Autistic Individuals’ Organizations. Sociology of Health and Illness, 30(1), 76–96. Crossley, M., & Crossley, N. (2001). Patient’ voices, social movements and the habitus: how psychiatric survivors ‘speak out’. Social Science and Medicine, 52, 1477–1489. Crossley, N. (2006). Changement culturel et mobilisation des patients. Le champ de la contestation psychiatrique au RoyaumeUni, 1970–2000. Politix, 73, 33–55. Davidson, J. (2008). Autistic culture online: virtual communication and cultural expression on the spectrum. Social & Cultural Geography, 9(7), 791–806. De Jong, G. (1979). Independant Living, from social to analytic paradigm. Archives of Physical Medicine and Rehabilitation, 60, 435–446. Dekker, M. (1999). In our own terms: Emerging autistic culture. Paper presented at the Autism 99 Online Conference. Retrieved April 2009, from http://autisticculture.com/index.php?page=articles. Delaporte, Y. (2002). Les sourds c’est comme c¸a: ethnologie de la surdimutité. Paris: Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme. Dodier, N. (2003). Lec¸ons politiques de l’épidémie de sida. Éditions de l’EHESS. Donzelot, J., Mével C., Wyvekens A. (2003). Faire société. La politique de la ville aux États-Unis et en France. Paris: Seuil. Driedger, D. (1989). The Last Civil Rights Movement. London: Hurst and Co. Emerick, R. (1991). The politics of psychiatric self-help: political factions, interactional support, and group longevity in a social movement. Social Science Medicine, 32(10), 1121–1228. Emerick, R. (1996). Mad liberation: the sociology of knowledge and the ultimate civil rights movement. Journal of Mind and Behavior, 17(2), 135–160.
114
B. Chamak / ALTER, European Journal of Disability Research 4 (2010) 103–115
Epstein, S. (1995). The construction of lay expertise: AIDS activism and the forging of credibility in the reform of clinical trials. Science, Technology & Human Values, 20(4), 408–437. Galli, C., & Ravaud, J. F. (2000). L’association vivre debout : une histoire d’autogestion. In C. Barral, F. Paterson, H. J. Stiker, & M. Chauvière (Eds.), L’institution du handicap : le rôle des associations (pp. 325–335). Rennes: Presses Universitaires de Rennes. Gillett, J. (2003). Media activism and internet use by people with HIV/AIDS. Sociology of Health & Illness, 25(6), 608–624. Goffman, E. (1974). Frame analysis. Cambridge: Harvard University Press. Grandin, T. (1986). Emergence: Labeled autistic. Novato, CA: Arena Press. Grandin, T., & Barron, S. (2005). Unwritten rules of social relationships: understanding and managing social challenges for those with Asperger’s/autism. Arlington: Future Horizons. Gray, R., Fitch, M., Davis, C., & Philips, C. (1996). Breast cancer and prostate cancer self-help groups: reflections on differences. Psycho-oncology, 5, 137–142. Hacking, I. (2005). Fac¸onner les gens. Cours au Collège de France. Retrieved November 2009, from http://www.college-defrance.fr/media/ins pro/UPL35833 hackingres0405.pdf. Happé, F. (1999). Autism: cognitive deficit or cognitive style? Trends in Cognitive Sciences, 3(6), 216–222. Hatch, S., & Kickbusch, I. (Eds.). (1983). Self-help and health in Europe, New approach in health care. Copenhagen: World Health Organization. Hatzidimitriadou, E. (2002). Political ideology, helping mechanisms and empowerment of mental health self-help/mutual aid groups. Journal of Community & Applied Social Psychology, 12, 271–285. Katz, A. H, & Bender, E. L. (1976). Self-help groups in Western society: history and prospects. The Journal of Applied Behavioral Science, 12, 265–282. Kedrowski, K., & Sarow, M. (2007). Cancer activism. gender, media, and public policy. Urbana/Chicago: University of Illinois Press. Landzelius, K. (2006). Introduction: patient organization movements and new metamorphoses in patienthood. Social Science of Medicine, 62, 529–537. Lester, J. (2005). More about Brigadoon. Retrieved November 2009, from http://braintalk.blogs.com/brigadoon/2005/01/more about brig.html. Linton, S. (1995). Claiming disability: knowledge and identity. New York: New York University Press. Méadel, C. (2006). Le spectre “psy” réordonné par des parents d’enfant autiste. L’étude d’un cercle de discussion électronique. Politix, 19(73), 57–82. Mottron, L. (2004). L’autisme : une autre intelligence. Diagnostic, cognition et support des personnes autistes sans déficience intellectuelle. Belgique: Mardaga. Muskie. (2002). What is NT? Institute for the study of the Neurologically typical. Retrieved November 2009, from http://web.archive.org/web/20040608055457/isnt.autistics.org/. Nelson, A. (2004). Declaration from the autism community that they are a minority group. Retrieved November 2009, from http://amynelsonblog.blogspot.com/2004 11 01 archive.html. Oliver, M. (1996). Understanding disability: from theory to practice. London: Macmillan. Paterson, F., & Barral, C. (1994). L’Association franc¸aise contre les Myopathies: trajectoire d’une association d’usagers et construction associative d’une maladie. Sciences sociales et Santé, 12, 79–111. Pinell, P., Broqua, C., de Busscher, P.-O., Jauffret, A., & Thiaudière, C. (2002). Une épidémie politique: la lutte contre le sida en France (1981–1996). Paris: PUF. Rabeharisoa, V. (2006). From representation to mediation: The shaping of collective mobilization on muscular dystrophy in France. Social Science & Medicine, 62, 564–576. Raveau, J.-F., & Ville, I. (2005). Le handicap comme nouvel enjeu de santé publique. La Santé: Cahiers franc¸ais, 324, 21–26. Room, R. (1998). Mutual help movements for alcohol problems in an international perspective. Addiction Research, 6, 131–145. Shakespeare, T. (1993). Disabled people’s self-organization: a new social movement? Disability Handicap & Society, 8, 249–264. Silverman, C. (2008). Critical review. Fieldwork on another planet: social science perspectives on the autism spectrum. Biosocieties, 3, 325–341. Sinclair, J. (1992). Bridging the gaps: an inside-out view of autism. In E. Schopler, & G. Mesibov (Eds.), High-functioning individuals with autism (pp. 294–302). New York: Plenum Press. Sinclair, J. (1993). Don’t mourn for us, Our Voice, the newsletter of Autism Network International, 1 (3). Retrieved November 2009, from http://www.autreat.com/dont mourn.html. Sinclair, J. (2005). Autism network international: the development of a community and its culture. Retrieved November 2009, from http://www.autreat.com/History of ANI.html. Singer, J. (1999). Why can’t you be normal for once in your life? From a ‘Problem with no Name’ to a new category of disability. In M. Corker, & S. French (Eds.), Disability discourse. U.K.: Open University Press. Snow, D., Rochford, B., Worden, S., & Benford, R. (1986). Frame alignment processes, micromobilization, and movement participation. American Sociological Review, 51, 464–481. Snow, D., Soule, S., & Kriesi, H. (2004). Mapping the terrain. In D. Snow, S. Soule, & H. Kriesi (Eds.), The Blackwell companion to social movements. Oxford: Blackwell. Solomon, A. (2008). The autism rights movement. New York Magazine, 25 May. Retrieved November 2009, from http://nymag.com/news/features/47225/. Théry, H. (1986). La place et le rôle du secteur associatif dans le développement de la politique d’action sanitaire et sociale. Journal officiel de la République franc¸aise, Paris. Troisoeufs, A. (2009). La personne intermédiaire. Hôpital psychiatrique et groupe d’entraide mutuelle. Terrain, 52, 96–111. Turner, R. (1969). The theme of contemporary social movements. British Journal of Sociology, 20, 390–405. Turpin, P. (1990). La lutte contre l’assistance pendant les années soixante-dix. Cahiers du CTNERHI, 50, 83–92.
B. Chamak / ALTER, European Journal of Disability Research 4 (2010) 103–115
115
Turpin, P. (2000). Les mouvements radicaux de personnes handicapées en France pendant les années 1970. In C. Barral, F. Paterson, H. J. Stiker, & M. Chauvière (Eds.), L’institution du handicap: le rôle des associations (pp. 315–324). Rennes: Presses Universitaires de Rennes. Williams, D. (1992). Nobody nowhere. New York: Times Books. Zola, I. K. (1993). Disability statistics, what we count and what it tells us: a personal and political analysis. Journal of Disability Policy Studies, 4, 9–39.