Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale (2014) 131, 121—124
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CAS CLINIQUE
Cervicalgie aiguë et dysphagie après manipulation cervicale : démarche diagnostique夽 D. Trendel a,∗, G. Bonfort a, M. Lapierre-Combes b, E. Salf a, J.-P. Barberot a a
Service d’ORL et chirurgie cervico-faciale, hôpital d’instruction des armées Legouest, 27, avenue de Plantières, BP 90001, 57077 Metz cedex 3, France b Service d’imagerie médicale, hôpital d’instruction des armées Legouest, 27, avenue de Plantières, BP 90001, 57077 Metz cedex 3, France
MOTS CLÉS Tendinite calcifiante rétropharyngée ; Abcès rétropharyngé ; Cervicalgie aiguë ; Manipulation cervicale
Résumé Introduction. — La méconnaissance d’une hypothèse étiologique devant un cas de cervicalgie et dysphagie aiguë, expose à une errance diagnostique. Cas clinique. — Un homme de 51 ans présentait en urgence de fac ¸on isolée après manipulation cervicale, une cervicalgie aiguë croissante, avec raideur rachidienne et odynophagie, sans fièvre. Une radiographie cervicale et un angioscanner des troncs supra-aortiques permettaient d’éliminer les causes traumatiques (fracture, dissection artérielle), montraient un os surnuméraire, et orientaient vers un abcès rétropharyngien (exclu par la réalisation d’une endoscopie sous anesthésie générale). Un nouveau scanner injecté, avec temps tissulaire, permettait de réfuter les hypothèses diagnostiques infectieuses, et repérait une calcification rétropharyngée centrant l’œdème rétropharyngien. Sous antalgiques, les suites étaient favorables en 13 jours. Discussion. — Devant une triade clinique, associant cervicalgie aiguë, raideur de nuque et odynophagie, les causes traumatiques et infectieuses étaient les premières suspectées. La réalisation d’un scanner cervical faisait le diagnostic de tendinite calcifiante des muscles longs du cou, en repérant une calcification rétropharyngée pathognomonique. Consécutive à des dépôts d’hydroxyapatite en avant de l’odontoïde de l’axis, sous l’arc antérieur de l’atlas, elle représentait une forme rare de tendinopathie, dont l’évolution était habituellement favorable en dix à 15 jours sous traitement antalgique et anti-inflammatoire. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Abréviations DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.anorl.2013.03.002. 夽 Ne pas utiliser pour citation la référence franc ¸aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck Diseases en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (D. Trendel).
AINS anti-inflammatoires non stéroïdiens CRP protéine C-réactive C1 et C2 première et deuxième vertèbres cervicales ORL oto-rhino-laryngologie
1879-7261/$ – see front matter © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.aforl.2013.05.007
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D. Trendel et al.
Introduction Les douleurs cervicales aiguës accompagnées de signes pharyngés sont un motif fréquent de consultation en urgence. Leur prise en charge est généralement pluridisciplinaire. La méconnaissance d’une hypothèse étiologique peut mener à une errance diagnostique. Le cas présenté illustre cette situation.
Presentation du cas Monsieur H, 51 ans a consulté aux urgences pour cervicalgies aiguës médianes et raideur de nuque, apparue après une manipulation vertébrale cervicale. En l’absence de signe clinique évocateur d’un traumatisme local ou d’une atteinte neurologique, aucun examen complémentaire n’avait été réalisé. Le patient était traité en ambulatoire par antalgiques de pallier 2 et contention cervicale légère. Il revenait deux jours plus tard devant une recrudescence douloureuse avec nuque raide, céphalées, odynophagie basicervicale et dysphagie progressive, sans fausse route, et absence de point d’appel clinique. L’intensité des douleurs nécessitait l’administration d’antalgiques de classe 2 puis 3, associés avec des sédatifs (midazolam 1 mg, ketamine 10 mg). La CRP était augmentée à 19 mg/L, sans hyperleucocytose. Les radiographies du rachis cervical (Fig. 1) excluaient une fracture ; l’angioscanner (Fig. 2a) des troncs artériels supra-aortiques réfutait l’hypothèse d’une dissection artérielle, et était en faveur d’un épaississement tissulaire sans signe de collection (absence d’hypodensité centrale, de rehaussement périphérique). L’interprétation radiologique des densités tissulaires était en faveur d’une zone liquidienne rétro- et parapharyngée (45 × 10 mm dans le plan axial, et 64 mm de haut). Devant ce tableau, un avis ORL était demandé. La nasofibroscopie objectivait une voussure de la paroi postéro-inférieure du cavum. Le diagnostic d’abcès rétropharyngé était suspecté. Le patient était hospitalisé en service d’ORL. Devant l’aggravation des signes fonctionnels, une endoscopie des voies aérodigestives supérieures sous anesthésie générale était pratiquée. L’incision rétropharyngée ciblée ne retrouvait pas d’abcès ; les biopsies profondes montraient une muqueuse infiltrée, inflammatoire sans malignité. Un traitement probabiliste par amoxicilline-acide clavulanique parentéral était instauré. En l’absence de diagnostic, le temps artériel exclusif de l’angioscanner des troncs supra-aortiques n’était pas suffisant pour l’analyse tissulaire. Un nouveau scanner cervical était réalisé (Fig. 2b) : il permettait de retrouver une infiltration œdémateuse des tissus rétropharyngés et une calcification en regard du rebord inférieur de l’arc antérieur de C1 (5,4 × 13 mm dans le plan axial et 9 mm de hauteur). Le diagnostic retenu était celui d’une poussée inflammatoire post-manipulation cervicale, sur tendinite calcifiante des muscles longs du cou. Le patient présentant une contre-indication aux AINS (urticaire, endobrachyœsophage), le traitement reposait sur des antalgiques de pallier 3. L’évolution était favorable avec atténuation progressive des douleurs et reprise alimentaire normale après quatre jours d’hospitalisation (huitième
Figure 1 La radiographie du rachis cervical de profil montre une image radio claire en avant du corps de C2, qui correspond à la calcification. La filière pharyngée est rétrécie du fait de l’épaississement des parties molles prévertébrales.
jour des cervicalgies). Au dixième jour d’évolution, le contrôle naso-fibroscopique montrait une régression quasi complète de l’œdème rétropharyngé. Les morphiniques étaient stoppés et le patient rentrait à son domicile le lendemain.
Figure 2 TDM en coupes axiales : a : angioscanner des troncs supra-aortiques sans temps tissulaire : coupe sur la vallécule. L’infiltration diffuse des espaces para-pharyngés occasionne un épaississement local, de tonalité liquidienne sans information sur le caractère collecté ou non ; b : TDM injectée avec temps tissulaire : coupe sur le corps de C2. La calcification se précise en contraste osseux.
Cervicalgie aiguë et intense avec dysphagie
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Tableau 1 Mesures tomodensitométriques du cas et comparaison. L’épaisseur des tissus mous est mesurée à l’horizontale du plateau inférieur du corps de C2. Le diamètre de la filière est mesuré en son point le plus étroit. Cas présent
Série Hviid et al. [7]
Norme
Analyse sur coupe axiale (en mm) Calcification : dimension horizontale Calcification : dimension longitudinale
5,4 13
4,4 (1,5—10) 7,8 (2—17)
0 0
Analyse sur coupe sagittale (en mm) Calcification : hauteur Épaisseur des tissus mous prévertébraux Dimension de la filière pharyngée
9 14 12
Non renseigné 8,1 (4—12) Non renseigné
0 5—7 17
Au 13e jour d’évolution, les amplitudes cervicales étaient restaurées et l’indolence acquise sans traitement. À 20 jours de la prise en charge initiale, l’odynophagie avait totalement disparu.
Discussion Décrite dès 1964, la tendinite calcifiante des muscles longs du cou [1], ou tendinite rétropharyngée [2—7], semble peu fréquente avec 24 cas recensés dans une revue de la littérature de 1984 [8]. Cependant, une série de 45 cas recensés entre 1989 et 2005, laisse supposer que le faible taux d’incidence de l’affection serait rattachable à un défaut de diagnostic [7]. La population concernée se situe entre 30 et 60 ans, avec des extrêmes de 21 à 81 ans. Si les premiers travaux ne retrouvaient pas de prédominance de sexe [8], des publications récentes recensent une prépondérance féminine dans 57 à 66 % [4,7]. Les trois muscles longs du cou, prévertébraux, relient les processus transverses des vertèbres cervicales aux trois
premières vertèbres thoraciques, et présentent un tendon commun sur le tubercule antérieur de l’atlas. Ce tendon peut être le siège de dépôts d’hydroxyapatite [2,5]. Lors d’une poussée inflammatoire, la tendinite calcifiante se traduit par une triade clinique constante (cervicalgie intense, limitation des mouvements cervicaux, puis odynophagie) [8], reprise par tous les auteurs [2—7,9]. La présence d’une fièvre et d’un syndrome infectieux sont fréquents, mais inconstants. L’examen ORL peut retrouver un œdème bombant la paroi pharyngée postérieure [4], avec rétrécissement de la filière respiratoire. Le plus souvent, il n’est pas retrouvé de facteur déclenchant, ou plus rarement un traumatisme cervical léger [8], ou une manipulation cervicale [3,4]. Depuis 2012, ce syndrome appartient aux affections douloureuses, musculo-squelettiques non infectieuses, crâniofaciales et cervicales (tendinite temporale, syndrome d’Eagle, névralgies du glossopharyngien, carotidodynie. . .) [9]. La radiographie du rachis cervical de profil permet d’exclure en urgence les atteintes traumatiques. La calcification du tendon d’insertion des muscles longs du cou est localisée sous l’arc antérieur de C1, en regard de l’odontoïde de C2 [2,3,5]. La présence de l’épaississement inflammatoire des tissus mous prévertébraux de C1 à C4, permet d’éliminer l’hypothèse d’un os surnuméraire [2,5]. La tomodensitométrie injectée avec temps artériel et tissulaire est l’examen clé pour préciser cette calcification et éliminer les diagnostics différentiels [4,5,7,9], car : • le tableau, initialement bruyant, associé à des anomalies biologiques, oriente vers une pathologie infectieuse (abcès, adénite ou cellulite rétropharyngée [4—6], spondylodiscite, ostéomyélite). • manipulation ou traumatisme cervical peuvent occasionner : dissection d’artère vertébrale, lésions osseuses et disco-ligamentaires du rachis cervical, complications neurologiques ; ou révéler un processus tumoral lytique.
Figure 3 La reconstruction TDM 3D du rachis cervical de face expose la calcification. Elle est ronde, bifide, située sous le tubercule antérieur de C1 et en avant de l’odontoïde de C2.
Dans notre cas, le diagnostic a été méconnu sur les clichés standards ; le scanner réalisé en urgence a été volontairement limité au temps artériel et n’a pas apporté les informations tissulaires souhaitées (absence de collection, œdème centré sur la calcification localisée en avant de C2C4). Une nouvelle TDM injectée avec temps tissulaire aurait permis d’éviter l’endoscopie sous anesthésie générale qui
124 était inutile au diagnostic. Lors de l’analyse rétrospective des clichés de notre patient, la calcification était visible (Fig. 1—3) et correspondait aux données de la littérature [7] (Tableau 1). Dans tous les cas décrits, l’évolution est favorable. Le traitement symptomatique repose sur l’association d’antalgiques et d’AINS ; les AINS soulagent efficacement mais ne semblent pas indispensables pour traiter ou réduire la durée d’évolution [4]. L’acmé douloureuse survient entre le deuxième et le quatrième jour d’évolution [2], puis régresse et disparaît en dix à 15 jours [2,5,7—9]. La récidive est rare mais décrite [2,8].
Conclusion La tendinite calcifiante des muscles longs du cou est une affection peu fréquente caractérisée par un tableau clinique aigu typique (cervicalgie intense, raideur cervicale et odynophagie). Le scanner injecté avec temps tissulaire est l’examen de choix pour affirmer ce diagnostic en révélant l’œdème rétropharyngé centré sur la calcification ; et en éliminant les causes infectieuses, traumatiques ou tumorales. Le traitement repose sur les antalgiques ± antiinflammatoires. L’évolution est favorable en dix à 15 jours.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
D. Trendel et al.
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