Dépression et accidents vasculaires cérébraux

Dépression et accidents vasculaires cérébraux

EMC-Neurologie 2 (2005) 157–162 http://france.elsevier.com/direct/EMCN/ Dépression et accidents vasculaires cérébraux Poststroke depression D. Gooss...

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EMC-Neurologie 2 (2005) 157–162

http://france.elsevier.com/direct/EMCN/

Dépression et accidents vasculaires cérébraux Poststroke depression D. Goossens (Chef de service) a,*, L. Wiart b a

Centre de médecine physique et de réadaptation de la Tour de Gassies, UGECAM Aquitaine, 33523 Bruges cedex, France b 57, rue Eugène-Jacquet, 33000 Bordeaux, France

MOTS CLÉS Dépression ; Accident vasculaire cérébral ; Médecine physique et de réadaptation ; Rééducation

KEYWORDS Depression; Stroke; Brain injury; Rehabilitation

Résumé La dépression après un accident vasculaire cérébral est un symptôme fréquent en médecine physique et de réadaptation. Elle touche de 30 à 50 % des patients au cours de la première année qui suit un accident vasculaire cérébral et augmente le risque de mortalité et de morbidité. Le diagnostic de dépression postaccident vasculaire est rendu difficile par la complexité de la symptomatologie dépressive. Sa spécificité réside dans un ensemble de particularités sémiologiques : survenue précoce après l’accident vasculaire cérébral, incidence plus importante que pour les autres pathologies médicales, lien avec certaines localisations encéphaliques, prédominance de la symptomatologie somatique et cognitive de la dépression. Les traitements médicamenteux restent la priorité de la prise en charge des dépressions postaccident vasculaire cérébral. Ceux-ci font appel en priorité aux antidépresseurs sérotoninergiques mieux tolérés que les autres antidépresseurs. Un suivi psychologique spécialisé est très fortement conseillé précocement sans que l’on sache pour l’instant quelle technique est la plus appropriée. Néanmoins, le soutien des thérapeutes, la précocité du diagnostic et la dynamique de la rééducation sont certainement des éléments clés pour le soulagement des patients. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Poststroke depression is a frequent and specific entity that impairs the rehabilitation and the functional recovery of hemiplegic patients. It is a common disorder, affecting 30 % to 50 % of hemiplegic patients within 1 year of their cerebral infarction. It is associated with increased morbidity and mortality. The diagnosis of poststroke depression is difficult, based, when possible, on the Diagnostic and Statistical Manuel of Mental Disorders criteria for mood disorders due to a general medical condition. Antidepressive medication is frequently administered to depressed stroke patients. Selective serotonin re-uptake inhibitors are generally preferred because they induce fewer side effects than tricyclics for example. Effective treatment for such depression is believed to contribute to the recovery of stroke-induced deficits. A specialized psychological follow-up is often needed although the best approach remains to be defined. Support from care givers and a dynamic rehabilitation program are certainly key elements providing relief. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés.

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (D. Goossens). 1762-4231/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/j.emcn.2004.09.003

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Introduction Les troubles de l’humeur, en particulier la dépression, secondaires à un accident vasculaire cérébral (AVC) sont fréquents en médecine physique et de réadaptation.1,2 Les origines de la dépression postAVC (DPAVC) en sont le handicap qu’un tel accident provoque mais également les lésions encéphaliques elles-mêmes.3 Lourde de conséquences, la DPAVC majore la déficience,4 l’incapacité5 et le handicap,6 nécessitant un dépistage précoce et un traitement adapté. Bien que connue de longue date, la DPAVC n’est considérée comme une entité nosologique à part entière que depuis les années 1980.3,7–10 Sa spécificité réside dans un ensemble de particularités sémiologiques : survenue précoce après l’AVC, incidence plus importante que pour les autres pathologies médicales, lien avec certaines localisations encéphaliques, prédominance de la symptomatologie somatique et cognitive de la dépression. La DPAVC prend fréquemment des formes cliniques atypiques où les diagnostics différentiels doivent être obligatoirement éliminés. L’évolution de la pharmacologie des techniques non médicamenteuses a permis une prise en charge spécifique et adaptée des DPAVC.

Épidémiologie Fréquence Incidence La DPAVC touche 20 à 60 % des patients hémiplégiques durant les six premiers mois après l’AVC avec une moyenne de 38 % sur 48 études recensées et une répartition à peu près égale de dépression majeure et de dépression mineure. Si l’on considère une incidence de 100 000 nouveaux cas d’AVC, on peut évaluer l’incidence de la DPAVC à 40 000 nouveaux cas par an. L’incidence de tous les types de dépression confondus semble un peu moins élevée les trois premiers mois après l’AVC avec 35 % de nouveaux cas de DPAVC contre 43 % au-delà de la première année sur 48 études recensées.2,3,10,11 Prévalence Les chiffres de la prévalence de la DPAVC varient d’une étude à l’autre pour une moyenne estimée entre 80 000 et 160 000 cas de DPAVC selon les études.

Conséquences Individuelles Les conséquences individuelles de la DPAVC sont multiples. Le patient présente un sentiment

D. Goossens, L. Wiart d’autodépréciation et de culpabilité majeure entraînant à court terme une diminution des acquis en rééducation, voire une régression. LA DPAVC a pour conséquence une diminution de l’autonomie du patient dans toutes les activités de la vie quotidienne. Familiales La famille, lorsqu’elle est présente autour du patient, interprète mal le lien étroit entre l’AVC et la dépression. Les entretiens engagés avec la famille mettent souvent en cause la prise en charge du patient au sein de l’équipe en sous-valorisant encore plus le patient. Sociales Les conséquences sociales de la DPAVC sont majeures avec un repli sur soi, une perte de l’élan vital et une impossibilité de communication avec autrui rendant la moindre tentative de dialogue avec le patient douloureuse et sans intérêt.

Étiopathogénie La DPAVC correspond sur le plan physiopathologique à une baisse des taux de neurotransmetteurs cérébraux tels que la sérotonine ou la dopamine et la noradrénaline présents au niveau du système limbique.12 Ce circuit fronto-temporo-sous-cortical régule notre humeur et nos comportements et est à la croisée du cortex cérébral (psychisme, perception, motricité) et du tronc cérébral (vigilance, attention, appétit, thermorégulation...), expliquant la présence conjointe de symptômes psychiques et organiques au cours de la dépression.1 Les progrès des neurosciences doivent tempérer toute vision simpliste, le nombre de récepteurs cérébraux découverts ne cessant de croître. Les bases psychologiques de la dépression sont elles aussi très complexes variant en fonction des écoles. Citons la perte de l’objet, le deuil réel ou fantasmé pour les Freudiens, un trouble de l’apprentissage du comportement pour les cognitivistes, le symptôme d’un dysfonctionnement des relations familiales pour les systémiciens. Dans la DPAVC, tous ces mécanismes peuvent être présents, obligeant sa prise en charge par les thérapeutes la plus ouverte possible. Les causes habituelles des dépressions sont : les troubles du caractère (névroses), maladie maniacodépressive, les événements douloureux (deuils, divorce, maladie chronique, handicap), certaines lésions cérébrales, certaines maladies endocriniennes, certains traitements. On retrouve en méde-

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cine physique et de réadaptation majoritairement des dépressions secondaires à une lésion cérébrale ou à une situation de handicap. La notion de travail de deuil ou d’adaptation au handicap (coping) tient une place importante chez les patients qui ont à faire face à une perte de l’image de soi : perte d’un membre chez l’amputé, perte d’une fonction motrice chez l’hémiplégique... Dans tous les cas, une grave et irréversible altération de l’image de soi est différemment acceptée selon la personnalité première du patient et les facteurs de risque de dépression associés. La gravité de la DPAVC dépend en premier lieu de l’acceptation du handicap par le patient et non pas de la gravité de la déficience.

teuse. Ces symptômes sont deux fois plus fréquents en cas de troubles cognitifs associés, d’aphasie ou d’héminégligence. Ils doivent alerter le thérapeute et évoquer l’hypothèse d’une DPAVC.

Clinique

Diagnostic

Symptomatologie de la DPAVC Sur le palan clinique, les patients ressentent, dans un contexte de tristesse et d’anxiété diffuses, un sentiment d’indifférence générale, pour euxmêmes, leur entourage et leurs activités sociales, un sentiment de culpabilité et d’autodévalorisation. Les activités de la vie quotidienne telles que la toilette, l’habillage, l’alimentation, la rééducation sont vécues comme douloureuses, impossibles et épuisantes. Les activités intellectuelles habituelles sont réduites. Il en est de même pour les activités sexuelles. La clinique classique du travail de deuil, incrédulité, accusation, acceptation est rarement respectée. Des phases peuvent être absentes ou inversées, ce qui perturbe les familles et les équipes soignantes. Ce tableau peut aboutir à un état mélancolique avec prostration, indifférence au monde extérieur hanté par la douleur morale et les idées suicidaires. Le rythme nycthéméral est souvent perturbé avec une exacerbation des idées dépressives en fin de nuit. En médecine physique, les équipes soignantes remarquent souvent, au début de la dépression, une diminution des acquisitions, un ralentissement idéopsychomoteur, une fatigabilité, une démotivation pour la rééducation quotidienne. De nombreux signes cliniques sont spécifiques des DPAVC : recrudescence des douleurs viscérales ou ostéoarticulaires, troubles du sommeil, anxiété généralisée, mauvaise observance médicamen-

Quand rechercher une DPAVC ? • Systématiquement chez tout hémiplégique, en particulier à la phase précoce. • Lors des entretiens réguliers avec la famille du patient. • Devant toute modification du bilan cognitif (difficultés de concentration, aggravation des troubles mnésiques, difficultés attentionnelles).

Diagnostic positif Le diagnostic de la dépression repose essentiellement sur l’interrogatoire. Les critères diagnostiques sont fixés par deux grandes classifications : la CIM10, classification internationale des maladies 10e révision, et le Diagnostic and Statistical Manual of mental disorders (DSM IV).13 Il faut, pour diagnostiquer un épisode dépressif majeur, la présence d’au moins cinq symptômes dépressifs durant plus de 15 jours, non expliqués par un deuil récent, une maladie endocrinienne, un traitement médicamenteux.1 Les symptômes dépressifs associent lassitude, tristesse, anorexie (ou plus rarement boulimie), insomnie (ou plus rarement hypersomnie), ralentissement psychomoteur (ou plus rarement agitation), fatigabilité, autodévalorisation et culpabilité, ralentissement psychique, idées suicidaires et morbides.14 Une fois le diagnostic de DPAVC posé, des échelles permettent d’évaluer plus précisément la sévérité de la dépression en cotant les différents symptômes. Les plus utilisées sont celles de Hamilton (17 items), ou de Montgomery-Asberg (10 items).8,15 Leur intérêt en médecine physique et de réadaptation est de permettre un suivi plus précis et d’effectuer des études cliniques. Une échelle spécifique de la DPAVC a été publiée par Gainotti afin de pallier l’interférence de symptômes organiques communs à l’AVC et à la dépression tels que l’anorexie, l’insomnie ou le ralentissement psychomoteur, mais celle-ci n’est pas validée en France.16

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Existe-t-il des DPAVC masquées et quand y penser ? • Réactions agressives ou anxieuses en situation d’échec. • Stagnation fonctionnelle. • Refus de participation à la rééducation.

Diagnostic différentiel De façon systématique, il est primordial d’éliminer les diagnostics différentiels de la DPAVC. La récidive partielle de l’AVC, l’apathie en l’absence de véritable manifestation dépressive, le pleurer spasmodique mettant en scène des manifestations d’hyperémotivité, la démence doivent être recherchés et diagnostiqués. Quels sont les diagnostics différentiels des DPAVC ? • • • • • •

Récidive de l’AVC. Apathie. Pleurer spasmodique. Démence. Asthénie. Déshydratation, intoxication médicamenteuse, troubles métaboliques, troubles endocriniens.

res très souvent présents lors de l’introduction des traitements. Les antidépresseurs tricycliques,21 lourds de précaution d’emploi et d’effets délétères, sont maintenant le plus souvent délaissés aux dépens des antidépresseurs non tricycliques sérotoninergiques.19 Leur mécanisme d’action est simple et vise à corriger, au moins en partie, une déplétion significative de sérotonine du système limbique impliquée dans la régulation de l’humeur. La durée de traitement ne doit pas être inférieure à 6 mois avec un taux d’efficacité variable selon les études d’environ 70 %.11 Ces données ont été vérifiées dans une population d’hémiplégiques déprimés dans une étude en double aveugle versus placebo permettant de voir une disparition significative des symptômes de la dépression après 45 jours de traitement dans 67 % dans le groupe traité contre 33 % dans le groupe témoin. Par ailleurs, dans cette période, aucune amélioration des capacités motrices des patients n’a été observée.27 Quel antidépresseur choisir ? • Antidépresseur de demi-vie longue en première intention. • Bonne tolérance des antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine.20,22,28,29 • Nécessité de connaître les contre-indications et les effets secondaires de tous les antidépresseurs.

Traitement Tous les auteurs insistent sur la nécessité de traiter la DPAVC.2,3,11,17,18 Optimiser les capacités fonctionnelles des patients hémiplégiques dépressifs requiert une excellente connaissance des thérapeutiques médicamenteuses et des thérapies.19–23

Traitements adjuvants Le traitement médicamenteux d’un patient déprimé n’est qu’un aspect de sa prise en charge qui doit comporter d’autres mesures thérapeutiques : psychothérapies interpersonnelles, psychothérapie comportementale, thérapie familiale systémique. Cette prise en charge doit également tenir compte des facteurs sociaux environnementaux.

Quand faut-il traiter la DPAVC ? • Le plus précocement possible afin de diminuer les conséquences propres de la DPAVC sur le pronostic fonctionnel et social24.

Pharmacologie Antidépresseurs Depuis ces dernières années, les auteurs apportent la preuve de l’efficacité des antidépresseurs dans la prise en charge des DPAVC avec une amélioration du syndrome dépressif et une amélioration de l’autonomie du patient.23,25,26 Ces traitements antidépresseurs nécessitent une parfaite connaissance des contre-indications et des effets secondai-

Électroconvulsivothérapie La sismothérapie dans la DPAVC n’est utilisée qu’en cas de résistance aux thérapeutiques médicamenteuses chez des patients présentant des lésions cérébrales mineures. Murray et al. retrouvent une efficacité des sismothérapies dans 85 % des cas sur un échantillon de 12 patients sans aggravation des signes neurologiques initiaux. Une deuxième étude par les mêmes auteurs a montré l’efficacité des sismothérapies dans 95 % des cas sur un échantillon de 20 patients au détriment cependant de manifestations somatiques (hypertension artérielle, confusion mentale) dans près d’un quart des cas mais aggravation du déficit neurologique initial.

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Psychothérapie

Conclusion

Les psychothérapies utilisées dans le traitement de la DPAVC concernent le patient et sa famille. Elles cherchent à améliorer l’acceptation du handicap et à promouvoir une réhabilitation sociale et environnementale. Qu’elles soient d’inspiration analytique individuelle, cognitivocomportementale ou systémique, les psychothérapies doivent dans la majorité des cas optimiser les thérapeutiques médicamenteuses. L’approche familiale de la thérapie systémique permet à la famille de s’approprier un rôle propre dans la rééducation tout en solutionnant les troubles relationnels et les souffrances liés au handicap. La mise en place de consultation famille et handicap permet une approche environnementale du handicap à travers les proches du patient. Pour cela, une formation spécifique aux différentes psychothérapies est indispensable pour assurer au patient une prise en charge optimale.

La DPAVC est un obstacle fréquent dans la prise en charge des patients hémiplégiques. Le diagnostic précoce est indispensable pour permettre une prise en charge optimale des symptômes de la dépression. Tous les traitements antidépresseurs administrés doivent bénéficier d’une surveillance étroite de la part des médecins devant la complexité des mécanismes étiologiques de la DPAVC. Le soutien psychothérapique est primordial dans cette prise en charge visant à assurer une réintégration sociale familiale la plus rapide possible malgré le handicap souvent lourd des patients cérébrolésés.

Références 1. 2. 3.

Comment mesurer l’efficacité du traitement ? • Échelles spécifiques d’évaluation du déficit moteur et fonctionnel : Motricity Index, Functional Independance Mesure. • Évaluation régulière au début et à j30 après la mise en place du traitement antidépresseur.

Devenir social du patient Le devenir à long terme des patients présentant une DPAVC reste un problème majeur de la prise en charge.6,29 Peu d’études ont examiné ce problème de devenir à long terme. L’AVC contribue à isoler le patient des activités extérieures et de ses loisirs antérieurs. De surcroît, la DPAVC majore cet isolement social. En l’absence de traitement adapté, on constate une aggravation des signes dépressifs et du pronostic fonctionnel à long terme. D’autres signes peuvent également se surajouter aux symptômes dépressifs : anxiété, phobie sociale, apathie. La réintégration des patients passe obligatoirement par l’acceptation du handicap, une revalorisation de soi et de ses capacités. Il est indispensable de mettre en place des objectifs clairs de rééducation des patients présentant une DPAVC pour leur permettre une meilleure confiance en soi et une réintégration sociale, voire professionnelle, la plus précoce possible.

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