Syndrome d’apnées du sommeil et accidents vasculaires cérébraux

Syndrome d’apnées du sommeil et accidents vasculaires cérébraux

Symposium A 40 : SAS et pathologies neurologiques Syndrome d’apnées du sommeil et accidents vasculaires cérébraux J.-Ph. Neau, G. Godenèche L es a...

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Symposium A 40 : SAS et pathologies neurologiques

Syndrome d’apnées du sommeil et accidents vasculaires cérébraux

J.-Ph. Neau, G. Godenèche

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es accidents vasculaires cérébraux (AVC) sont particulièrement graves et fréquents et, hormis la fibrinolyse pas toujours réalisable, aucun traitement curatif n’est aujourd’hui disponible. Nos efforts doivent donc cibler la prévention, par le dépistage et le traitement des facteurs de risque. Depuis une vingtaine d’années, de nombreux travaux mentionnent le ronflement et le syndrome d’apnées du sommeil (SAS) comme facteurs de risque indépendants des maladies vasculaires en général et cérébrales en particulier. Mais ces relations entre AVC et SAS ont longtemps été critiquées par nombre de neurologues et restent le plus souvent totalement ignorées. En effet, avec une prévalence du SAS de 2 à 4 % de la population adulte et une incidence de l’AVC de 2 ‰, l’association de ces 2 pathologies chez un même patient – ne serait-ce que par le fruit du hasard – est inévitable. En outre, elles concernent la même population ayant les mêmes facteurs de risque (obésité, syndrome métabolique, hypertension artérielle...).

Le SAS, cause ou conséquence de l’AVC ? Lorsque l’AVC concerne le tronc cérébral où sont situés les centres respiratoires automatiques et volontaires, il peut alors être à l’origine d’un SAS. Quelques observations anatomocliniques, anciennes, mentionnent ainsi le SAS comme conséquence de l’AVC ; mais elles restent exceptionnelles [1]. En outre, les patients inclus dans ces études n’avaient pas bénéficié d’une polysomnographie avant la survenue de l’AVC et n’étaient donc peut-être pas indemnes d’un SAS avant l’accident.

Le SAS est un facteur de risque d’AVC Service de neurologie, Hôpital Jean-Bernard, CHU La Miletrie, 86021 Poitiers Cedex. Correspondance : [email protected]

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Rev Mal Respir 2006 ; 23 : 7S90-7S93 Doi : 10.1019/200530200

Les travaux sur le SAS comme facteur de risque d’un AVC sont plus récents et plus parlants. Dans une étude prospective ayant comparé 128 patients avec une atteinte vasculaire

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cérébrale à 25 patients témoins appariés pour l’âge, le sexe et l’indice de masse corporelle, un SAS (index apnées-hypopnées (IAH) > 10) était observé chez 62,5 % des patients avec un accident vasculaire vs 12,5 % dans la population témoin [2]. Il n’y avait pas de différence significative entre le groupe avec (AVC) ou sans (AIT) lésion cérébrale en termes de sévérité et fréquence du SAS. Dans un autre travail prospectif également ayant porté sur 147 patients avec un AVC, les auteurs ont observé un index d’événements respiratoires (RDI) > 15/heure chez 32 % d’entre eux [3]. Ces apnées étaient essentiellement de type obstructif (6 % seulement d’apnées centrales) et les patients avec un SAS majeur (RDI > 20/h) avaient une somnolence diurne précédant l’AVC plus marquée que ceux ayant une forme mineure (< 5/h). Enfin, une équipe a réalisé une polysomnographie à la phase aiguë de l’AVC et une 2e à la phase de stabilité chez 161 patients [4]. À la phase aiguë (48-72 heures - post-AVC), 71,4 % des patients avaient un IAH > 10/h et 28 % un IAH > 30/h, avec des apnées de type obstructif (52,2 %), central (38,5 %) ou mixte (9,3 %), sans corrélation entre la prévalence du SAS et la localisation de la lésion, ce qui abonde dans le sens du SAS facteur de risque de l’AVC. En effet, si le SAS était non pas la cause, mais la conséquence de l’AVC, il serait plus fréquent dans les localisations postérieures. À la phase de stabilité de l’AVC (3e mois), l’IAH était moins élevé (16,9 ± 13,8/h versus 22,4 ± 17,3/h), mais principalement aux dépens des apnées centrales, les apnées obstructives restant inchangées [4]. Cette observation a été confirmée ensuite, avec 34 % des patients conservant un IAH > 30 deux mois après un AVC [5] et un risque d’AVC d’autant plus important que l’IAH était élevé [6]. Des travaux ultérieurs de suivi longitudinal de patients apnéiques ont confirmé que le risque d’accident vasculaire cérébral était important (12,3 ± 1,4 % chez 114 patients avec un SAS suivis pendant 10 ans [7]) et que le risque de morbidité et mortalité cardio-vasculaire était proportionnel à l’IAH [8] (encadré 1).

ENCADRÉ 1 : SIX ARGUMENTS POUR UN SAS FACTEUR DE RISQUE D’AVC • La fréquence du SAS est non différente entre AVC et AIT • La fréquence du SAS est non différente entre les AVC hémisphériques et du tronc cérébral • Le SAS est constitué en majorité d’apnées obstructives (> 90 %) et non centrales • Une somnolence diurne pré-AVC est parfois observée • Le SAS persiste après l’AVC • Le risque d’AVC est corrélé avec la gravité du SAS

Le SAS est un facteur de gravité de l’AVC La réalisation d’une polysomnographie dans les 24 heures après un AVC chez 120 patients a mis en évidence que la présence et l’importance du SAS étaient significativement corrélées au déficit moteur (p = 0,025) ; à 6 mois, le risque de décès était significativement plus important dans le groupe apnéique avec un RDI > 10 comparativement au groupe avec un RDI < 10 (fig. 1) [9]. Dans une autre étude prospective de 50 patients avec un AVC et ayant bénéficié d’une polysomnographie en moyenne 11,6 heures après l’accident, le risque de détérioration neurologique était également d’autant plus important que l’IAH était élevé, suggérant la nécessité d’une ventilation très précoce des patients [10]. En revanche, le pronostic fonctionnel ne différait plus selon l’IAH à distance de l’accident (3 et 6 mois). Une autre équipe a au contraire observé un handicap neurologique à 3 et 12 mois nettement supérieur chez les patients avec un RDI > 10 comparativement aux patients avec un RDI < 10 [11]. Enfin, dans une étude transversale de 102 patients publiée en 2005, le risque de récidive de l’AVC était 2 fois plus important chez les patients avec un RDI > 50/h comparativement à ceux avec un RDI > 10/h (OR à 9,70 et 3,50 respectivement) [12] (encadré 2).

RDI = respiratory disturbance index Fig. 1.

Le risque de mortalité est corrélé à la gravité du SAS (d’après réf. [9]) Résultats à 6 mois après un AVC chez 120 patients ENCADRÉ 2 : LE SAS EST UN FACTEUR DE MAUVAIS PRONOSTIC DE L’AVC En cas de SAS, • La gravité initiale de l’AVC est plus marquée, • La durée d’hospitalisation est plus longue, • Le handicap fonctionnel à distance est moins bon (discuté), • La mortalité vasculaire à 6 mois est plus importante, • Le risque de récidive d’AVC est plus important.

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Le SAS, nouveau facteur de risque cardio-vasculaire ? Le risque de développer une hypertension artérielle, facteur de risque majeur d’AVC, est plus important chez les patients apnéiques, notamment pour un IAH > 20/heures [13]. D’autres équipes ont observé une corrélation positive entre le SAS et la sténose artérielle, qu’elle soit cervicale (OR = 2,0) ou des membres inférieurs (OR = 6,7) [14] ; entre l’épaisseur intima-média de l’artère carotide, marqueur principal d’athérosclérose, et la durée nocturne d’une saturation en oxygène (SaO2) < 90 % [15] ; enfin, entre la présence de plaques carotidiennes et la SaO2 nocturne [16]. Il est probable dans ce dernier cas que l’athérosclérose soit provoquée par l’accélération du stress oxydatif. Si tous les travaux sont convergents quant à la relation entre le SAS et l’HTA ou l’athérosclérose, en revanche les résultats des études ayant évalué l’association entre le SAS et l’arythmie cardiaque sont plus divergents et ne permettent pas de conclure [17, 18]. Enfin, l’index d’événements respiratoires de patients avec un AVC s’avère être corrélé au taux de fibrinogène [19] et l’augmentation de la viscosité sanguine se normalise lorsque le patient bénéficie d’une pression positive continue (PPC) nocturne [20]. Quant aux modifications de l’hémodynamique cérébrale, évaluées notamment par le doppler transcrânien, elles sont corrélées à l’apnée : le flux sanguin cérébral augmente pendant l’apnée et diminue en fin d’apnée, pour se normaliser au bout d’une minute environ [21]. Les patients avec un IAH élevé auront donc une hypoxie cérébrale chronique, dans le cas d’apnées ou hypopnées obstructives. Les apnées centrales semblent en effet avoir peu d’impact sur le flux sanguin cérébral [22]. Le SAS pourrait ainsi augmenter le risque de maladie cardio-vasculaire par le biais de mécanismes intermédiaires tels une activation sympathique, l’accélération du stress oxydant, l’inflammation ou encore une hypercoagulabilité [23]. D’ailleurs, le traitement du SAS par PPC réduit aussi bien le risque de survenue d’un AVC (prévention primaire) [24] que le risque de récidive (prévention secondaire) [25].

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En conclusion Le SAS serait donc davantage la cause que la conséquence d’un AVC et pourrait grever le pronostic vital et fonctionnel, même si certains troubles respiratoires ne sont que transitoires. La correction de l’hypertension artérielle est évidemment capitale. Mais de nombreuses incertitudes persistent, notamment la pertinence et le moment de dépister un SAS chez tout patient ayant un AVC. Quant à la PPC, difficile à mettre en œuvre, elle n’a été étudiée en prévention secondaire que dans une seule étude et l’efficacité observée nécessite d’être confirmée par d’autres travaux. 7S92

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