Évolution inhabituellement prolongée d’une dactylite tuberculeuse avec atteinte osseuse

Évolution inhabituellement prolongée d’une dactylite tuberculeuse avec atteinte osseuse

Revue du Rhumatisme 70 (2003) 1122–1125 www.elsevier.com/locate/revrhu Fait clinique Évolution inhabituellement prolongée d’une dactylite tuberculeu...

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Revue du Rhumatisme 70 (2003) 1122–1125 www.elsevier.com/locate/revrhu

Fait clinique

Évolution inhabituellement prolongée d’une dactylite tuberculeuse avec atteinte osseuse Unusually prolonged course of tuberculous dactylitis with osteitis e Jean-Marie Vanmarsenille a,*, Bruno de Berg b, Frédéric A. Houssiau c, Jean de Selys d a

Service de médecine physique et réadaptation, cliniques universitaires Saint-Luc, 10, avenue Hippocrate, 1200 Bruxelles, Belgique b Service de radiologie, cliniques universitaires Saint-Luc, 10, avenue Hippocrate, 1200 Bruxelles, Belgique c Service de rhumatologie, cliniques universitaires Saint-Luc, 10, avenue Hippocrate, 1200 Bruxelles, Belgique d Médecine générale, 18, rue Rose, 4350 Remicourt, Belgique Reçu le 11 février 2002 ; accepté le 21 juin 2002

Résumé Nous discutons le cas d’une dactylite tuberculeuse doublement inhabituelle, d’une part par la présence d’une atteinte osseuse et d’autre part, par son évolution particulièrement prolongée et atypique, caractérisée par une rémission clinique spontanée, suivie d’une récidive qui a pu conduire au diagnostic. © 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Abstract We report a case of tuberculous dactylitis that was unusual in 2 regards: the bone was infected, and the course was prolonged and atypical, with a spontaneous clinical remission followed by a recurrence that led to the diagnosis. © 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Mots clés : Dactylite ; Ostéite ; Arthrite ; Tuberculose Keywords: Dactylitis; Osteitis; Arthritis; Tuberculosis

1. Observations Madame T.B., caucasienne, née en 1932, consulte en 1992 pour une mono-arthrite de l’articulation métacarpophalangienne du quatrième rayon de la main gauche. Ses antécédents sont sans particularité. La patiente n’a jamais eu d’activité professionnelle. L’anamnèse ne révèle ni contage, ni traitement antituberculeux. La biologie est normale (VS, fibrinogène, hémogramme). L’intradermoréaction à la tuberculine est négative et une calcification apicale pulmonaire gauche est objectivée à la radiographie du thorax. L’examen e Pour citer cet article, utiliser ce titre en anglais, référence parue dans Joint bone spine 2003, vol.70. * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (J.-M. Vanmarsenille).

© 2003 Publié par Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. doi:10.1016/S1169-8330(03)00152-2

direct des expectorations ne permet pas d’identifier de mycobactérie. La scintigraphie au 99 mTc HDP 20 mCi met en évidence une hyperfixation aux 3 temps en regard de l’articulation métacarpophalangienne et de la première phalange du quatrième rayon de la main gauche (Fig. 1a). La radiographie des mains met en évidence une raréfaction d’allure chronique de la structure osseuse de la première phalange du quatrième rayon gauche, un amincissement cortical sans réaction périostée, un empâtement des tissus mous adjacents, sans importante chondrolyse de l’articulation métacarpophalangienne correspondante (Fig. 1). L’examen par résonance magnétique comporte des séquences coronales Spin Echo (S.E.) T1 (temps de répétition [T.R.] : 500 msec ; temps d’écho [T.E.] : 20 msec), sagittales (S.E.) T1 (T.R./T.E. 500 ms/20 ms) et axiales (S.E.) T2 (TR/TE 2180 ms/120 ms). Cette résonance magnétique nucléaire met en

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Fig. 1. Imagerie en 1992 : a. Scintigraphie des mains montrant une hyperfixation de part et d’autre de l’articulation métacarpophalangienne du quatrième rayon ; b. Radiographie de face du quatrième rayon gauche démontrant une raréfaction d’allure très chronique de la structure osseuse de la première phalange ; c. Coupe coronale de T1 de la main gauche, démontrant un remplacement de la moelle osseuse de P1 du quatrième rayon par un tissu de signal faible.

évidence un remplacement de la moelle osseuse de la première phalange par un tissu de faible signal en pondération T1 et intermédiaire en pondération T2, associé à une infiltration des tissus mous péri-osseux et de la synoviale (signal faible en T1 et élevé en T2). Il existe également une nette tuméfaction de cette articulation métacarpophalangienne avec discrète infiltration de la moelle de la tête du métacarpien (Fig. 1c). Devant l’aspect atypique des lésions, une biopsie chirurgicale est réalisée et permet de suspecter une ostéite avec synovite granulomateuse. Les prélèvements ne sont pas mis en culture. Le diagnostic reste imprécis mais un traitement antibiotique est proposé à la patiente qui le refuse. La symptomatologie ne nécessitera plus de consultation durant plusieurs années. Huit ans après la consultation initiale, la patiente se représente à la consultation pour réapparition, 4 mois auparavant, d’une induration fusiforme violacée du quatrième doigt de la main gauche. L’examen clinique met en évidence une arthrite de l’articulation métacarpophalangienne du quatrième doigt gauche mais également de l’articulation interphalangienne proximale correspondante. La biologie permet d’exclure un

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Fig. 2. Imagerie en 2000 : a. Scintigraphie osseuse montrant une hyperfixation au niveau de l’articulation métacarpophalangienne et interphalangienne proximale du quatrième rayon gauche ; b. Radiographie de face du quatrième rayon démontrant une augmentation de la raréfaction osseuse de P2 et l’apparition d’une arthrite de la métacarpophalangienne ; c. Coupe coronale T1 de la main gauche démontrant une augmentation des phénomènes de remplacement médullaire tant au niveau de l’extrémité distale du métacarpien qu’au niveau de la base de la deuxième phalange.

syndrome inflammatoire. Les globules blancs sont mesurés à 13 000/mm3 (normal : < 10 000 GB/mm3). Les examens (radiographie standard, scintigraphie et IRM) confirment une extension des lésions vers la deuxième phalange et vers le métacarpien du quatrième doigt (Figs. 2a, 2b, 2c). La radiographie standard démontre, par rapport à l’examen antérieur, un aspect inchangé de la raréfaction osseuse de la première phalange, l’apparition d’une raréfaction de la deuxième phalange et d’une arthrite de l’articulation métacarpophalangienne (chondrolyse et érosion marginale). En revanche, il existe une augmentation de la raréfaction osseuse de la deuxième phalange et une arthrite de l’articulation métacarpophalangienne avec chondrolyse et érosion marginale. L’IRM met en évidence une augmentation des phénomènes de remplacement médullaire au niveau de l’extrémité distale du métacarpien et au niveau de la deuxième phalange. Il apparaît également une tuméfaction de l’articulation interphalangienne proximale. La radiographie du thorax est inchangée.

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Fig. 3. Histologie (biopsie de l’articulation interphalangienne proximale du quatrième doigt). Mise en évidence de granulomes (3), de palissades de cellules épithélioïdes accompagnées de cellules géantes (1), de matériel nécrotique (4) et d’une composante lymphocytaire modérément abondante (2).

Une synovectomie chirurgicale de l’articulation interphalangienne proximale est réalisée. L’examen histologique montre une réaction granulomateuse non caséeuse. Les fragments de tissu synovial montrent des franges synoviocytaires et hyperplasiques. La couche de soutien est le siège de nombreux granulomes, constitués de palissades de cellules épithélioïdes, accompagnées de quelques cellules géantes multinucléées. Au centre de certains granulomes, on distingue du matériel nécrotique. Au pourtour des granulomes, il existe une composante lymphocytaire modérément abondante (Fig. 3). Un Mycobacterium tuberculosis est identifié par la culture de la synoviale, ce qui confirme le diagnostic de dactylite tuberculeuse. L’antibiogramme montre une sensibilité aux différents antituberculeux habituellement utilisés. Un traitement classique est instauré, associant, pendant 3 mois, de la pyrazinamide, de l’isoniazide, de la rifampicine et une supplémentation en pyridoxine, puis pendant 9 mois les 3 derniers médicaments. En juin 2001, l’évolution clinique est satisfaisante, avec régression des symptômes et des signes cliniques. Seule persiste une raideur des articulations métacarpophalangienne et interphalangienne proximale du quatrième rayon gauche. 2. Discussion La tuberculose osseuse est une affection insidieuse, pratiquement indolente, d’évolution chronique, dont l’histoire est souvent atypique. Les tuberculoses ostéo-articulaires représentent 15 % des tuberculoses extrapulmonaires. Parmi les atteintes ostéo-articulaires, 50 % sont vertébrales. Les dactylites ne représentent que 4 % de celles-ci [1–3]. La fréquence de la tuberculose croît à la suite de conditions socioéconomiques défavorables, du déplacement des populations et de différents problèmes d’immunosuppression. Aucun de ces 3 facteurs n’était présent chez notre patiente [4,5].

Classiquement, chez l’adulte, la tuberculose digitale concerne la synoviale des gaines des tendons des fléchisseurs et respecte la synoviale articulaire et les os [4,6]. L’aspect du doigt est alors fusiforme « en saucisse ». Le cas de notre patiente est exceptionnel, en raison de l’atteinte osseuse et articulaire [7]. Chez les enfants, la tuberculose digitale peut donner l’aspect caractéristique de Spina ventosa avec une lacune osseuse centrale, une tuméfaction des parties molles et une réaction périostée exubérante. Ces lésions correspondent à une ostéite chronique [3,5,8,16]. Le diagnostic formel de la dactylite tuberculeuse repose sur la bactériologie et l’histologie. Les études bactériologiques comportent un examen direct (Ziehl, Auramine), une mise en culture (Lowenstein, Bactec) et une amplification spécifique par PCR (polymérase chain reaction). L’histologie montre une réaction granulomateuse avec des cellules géantes, des lymphocytes, des nodules tuberculoïdes et une nécrose caséeuse [9]. L’évolution de la dactylite tuberculeuse est longue et chronique. Dans la littérature, nous avons pu retrouver des évolutions de quelques mois à 2 ou 3 ans [9–11]. À notre connaissance, aucun article ne fait état d’une évolution aussi longue que celle présentée par notre patiente. Le diagnostic différentiel des dactylites comprend les pathologies inflammatoires septiques ou aseptiques, les pathologies métaboliques (la goutte), la sarcoïdose et les pathologies tumorales [12]. Les infections à germes banals (streptocoques, staphylocoques) entraînent rapidement une destruction osseuse non négligeable. Cette évolution contraste avec celle des infections à germes atypiques comme les mycobactéries, les nocardia et les champignons qui est souvent beaucoup plus chronique [13–15]. Les tumeurs pouvant mimer une dactylite sont rares [7]. D’autres pathologies plus rares peuvent encore mimer ce type de lésions et notamment les hémoglobinopathies, l’hyperparathyroïdie et enfin, les leucémies [16]. En ce qui concerne le diagnostic différentiel histologique, les lésions granulomateuses mises en évidence chez notre patiente font d’emblée évoquer le diagnostic de tuberculose, surtout si le patient est d’origine africaine ou asiatique. L’histologie doit néanmoins être confrontée à la bactériologie, surtout si le patient est européen et ce notamment de manière à exclure la présence de mycobactéries atypiques. Pour conclure, le diagnostic des pathologies musculosquelettiques d’origine tuberculeuse nécessite une attention toute particulière et tout spécialement si la pathologie est d’évolution insidieuse, chronique et pratiquement indolente. Le diagnostic formel repose sur la bactériologie et l’histologie. Même si les affections osseuses sont rares, notre cas clinique démontre qu’il est malgré tout encore utile de mettre les biopsies osseuses en culture.

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