Hypertensions gravidiques

Hypertensions gravidiques

La revue de médecine interne 23 (2002) 927–938 www.elsevier.com/locate/revmed Médecine interne et grossesse Hypertensions gravidiques Hypertensive d...

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La revue de médecine interne 23 (2002) 927–938 www.elsevier.com/locate/revmed

Médecine interne et grossesse

Hypertensions gravidiques Hypertensive disorders of pregnancy M. Beaufils * Service de médecine interne, hôpital Tenon, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France Reçu le 27 juin 2002; accepté le 16 juillet 2002

Résumé Propos. – Dix à quinze pour cent des grossesses sont compliquées par une hypertension. Parmi celles-ci, 10 à 20 % comportent une protéinurie, définissant la prééclampsie qui représente une menace vitale sur le pronostic fœtal, voire maternel. L’existence d’un syndrome hépatique (HELLP syndrome) représente un élément de gravité majeure supplémentaire. Actualités et points forts. – La physiopathologie de la prééclampsie est centrée sur un trouble précoce de la placentation, compromettant la vascularisation du placenta. Cette ischémie placentaire a pour conséquence une dysfonction endothéliale, responsable de vasoconstriction et de troubles de l’hémostase. Dans ce contexte physiopathologique, l’abaissement de la pression artérielle par des médicaments est illusoire, voire nocif. Le pronostic de la prééclampsie est lié pour l’essentiel à la qualité de la surveillance et de la décision obstétricales. Perspectives. – Une stratégie de prévention précoce est actuellement discutée. Elle représente l’abord le plus logique de cette pathologie. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Purpose. – Hypertension occurs in 10 to 15 p cent of pregnancies. Among them, 10 to 20% also have proteinuria. This situation defines preeclampsia, and involves a serious threat on fetal and even maternal prognosis. Presence of the hepatic (HELLP) syndrome still severely worsens the prognosis. Current knowledge and key points. – Pathophysiology of preeclampsia is based on a very early abnormality of placentation, leading to insufficient blood supply to the feto-placental unit. At the maternal level, the main consequence of placental ischemia is generalized endothelial dysfunction, responsible for systemic vasoconstriction and clotting abnormalities. In such a context, lowering blood pressure with drugs is quite inefficient, or even harmful. The prognosis of this disease is mainly related to the pertinence of obstetrical management. Future prospects and projects. – An early preventive strategy is the most logical approach of preeclampsia, its modalities remain under discussion. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés : Grossesse ; Hypertension ; Prééclampsie; HELLP syndrome ; Épidémiologie ; Thérapeutique Keywords: Pregnancy; Hypertension; HELLP syndrome; Epidemiology; Therapy

La nature et les mécanismes des hypertensions gravidiques gardent, en 2002, une grande part de leur mystère. Les progrès accomplis sont plus d’ordre pathogénique et physiopathologique que pratique. Peu à peu les pièces de ce

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (M. Beaufils). © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 2 4 8 - 8 6 6 3 ( 0 2 ) 0 0 7 1 0 - 5

puzzle se mettent en place et une logique d’ensemble se dessine de plus en plus clairement. La pratique n’y trouve pas forcément son compte, car tout converge vers des mécanismes très précoces, largement antérieurs aux premiers symptômes, et donc vers une logique de prévention. L’inanité du traitement symptomatique, pour décevante qu’elle soit pour le clinicien, est unanimement admise et l’on voit mal à ce jour comment adapter rapidement à la

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pratique les progrès théoriques bien réels qui apparaissent régulièrement. C’est sans doute du dépistage très précoce que viendra ce lien. Cette mise au point privilégiera un peu les aspects théoriques, puisque c’est là que la situation est la plus évolutive. Nous ferons également un état des lieux sur les aspects thérapeutiques.

1.1.2. La protéinurie La protéinurie est dite « significative » si elle excède 1 g/l sur un échantillon ou 0,3 g sur les urines de 24 h [2], en l’absence de toute infection urinaire. Une telle protéinurie vient se surajouter à l’hypertension dans quelque 10 % des cas. Elle ne la précède pas, mais lui succède pratiquement toujours, constituant le tableau de la prééclampsie.

1. Définitions et classification

1.1.3. Les œdèmes Ce troisième élément de la triade symptomatique caractérisant la prééclampsie n’entre plus dans une définition pathologique aujourd’hui [2]. De fait, des œdèmes surviennent à un moment ou un autre dans 80 % des grossesses normales. Il n’en reste pas moins que des œdèmes diffus, touchant les membres inférieurs, mais aussi les mains (signe de la bague) et la face, peuvent représenter un signe d’alarme, surtout s’ils sont majeurs et de constitution brutale.

1.1. Symptômes Les désordres hypertensifs de la grossesse s’articulent autour de deux symptômes principaux, hypertension et protéinurie. Le troisième symptôme classique, les œdèmes, est aujourd’hui abandonné dans les classifications. 1.1.1. L’hypertension La définition de l’hypertension au cours de la grossesse n’est pas aussi claire qu’en d’autres circonstances, puisque la pression artérielle baisse physiologiquement en début de grossesse. L’ancienne définition fondée sur une augmentation de 30 mmHg ou plus à deux examens successifs n’est plus retenue aujourd’hui. Une pression artérielle diastolique supérieure ou égale à 90 mmHg à au moins deux mesures successives séparées d’au moins 4 h est le critère habituellement admis [1]. La dernière recommandation du NHBPEP (National High Blood Pressure Education Program, dont un groupe de travail sur l’HTA dans la grossesse a publié un rapport en 2000) à laquelle nous ferons régulièrement référence dans la mesure où elle fait autorité, stipule des valeurs de 140 mmHg pour la systolique ou 90 mmHg pour la diastolique [2]. Les mesures de la pression artérielle sont délicates chez la femme enceinte en raison de sa labilité (rappelons que le débit cardiaque est accru de 30 %). Il est essentiel de pratiquer ces mesures sur un sujet aussi détendu que possible, et à distance de l’examen gynécologique. La position la plus usitée est la position assise, après quelques minutes de mise au calme et de conversation. Des débats sans fin concernent le choix de la phase IV ou V de Korotkoff. Cette dernière a actuellement la faveur, mais pas l’unanimité. Les chiffres tensionnels sont très variables chez un même sujet, pour cette raison les mesures doivent être itératives. La mesure ambulatoire de pression artérielle (MAPA) n’est pas reconnue comme critère du diagnostic. Dans quelques cas elle peut néanmoins aider à reconnaître les hypertensions dites de la blouse blanche. Les valeurs de normalité dans la grossesse en sont à peu près établies [3]. Aucune valeur prédictive n’a pu lui être attribuée jusqu’à présent.

1.2. Classification Une première classification rationnelle en a été publiée en 1972 sous l’égide de l’ACOG (American College of Obstetricians and Gynecologists). Une autre classification a été proposée en 1988 par un comité de la Société internationale pour l’étude de l’hypertension de la grossesse (ISSHP) [1]. La dernière en date est celle du NHBPEP dont nous avons déjà évoqué le récent rapport. C’est celle-ci que nous résumerons ici, pour des raisons d’actualité plus que de fiabilité ou de nouveauté. En réalité toutes tournent autour des mêmes termes et comportent les mêmes faiblesses. 1.2.1. La classification du NHBPEP Cette classification sépare les hypertensions de la grossesse en quatre grandes catégories : • Hypertension chronique : il s’agit d’une hypertension qui est présente avant la grossesse, ou constatée avant la 20e semaine de grossesse. La valeur seuil de définition de l’hypertension est 140/90 mmHg. Toute hypertension constatée durant la grossesse et qui ne disparaît pas en post-partum relève de la même rubrique. • Prééclampsie–éclampsie : c’est un syndrome spécifique de l’état gravide. Il apparaît le plus souvent après la 20e semaine et associe hypertension et protéinurie, selon les valeurs seuils indiquées plus haut. Les auteurs reconnaissent qu’aux valeurs seuils, la spécificité de cette définition est médiocre. Le « niveau de certitude du diagnostic » est plus élevé en cas de : PA systolique de 160 mmHg ou plus, PA diastolique de 110 mmHg ou plus, protéinurie de 2 g/24 h ou plus, créatinine de 12 mg/l ou plus, thrombopénie, céphalées ou troubles visuels, douleur en barre épigastrique. Ces critères

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définissent en réalité les formes graves de la prééclampsie, assorties d’un risque particulièrement élevé d’accidents maternels et/ou fœtaux. L’éclampsie consiste en la survenue, chez une femme prééclamptique ou non, de convulsions sans autre cause individualisable. • Prééclampsie surajoutée : c’est l’apparition d’une protéinurie significative chez une femme porteuse d’une hypertension chronique. Le pronostic rejoint alors celui de la prééclampsie. Le même diagnostic est admis en cas de majoration brutale d’une hypertension jusqu’alors sans problème, de thrombopénie ou de cytolyse hépatique. • Hypertension gestationnelle (ou gravidique) : il s’agit d’une hypertension constatée pour la première fois après la 20e semaine. Puisque la protéinurie peut toujours apparaître secondairement, ce diagnostic n’est définitivement établi qu’en post-partum. Si par ailleurs l’hypertension régresse complètement dans les 12 semaines qui suivent l’accouchement, il s’agit d’une hypertension transitoire de la grossesse. Nous mentionnerons enfin le tableau particulier (non inclus dans cette classification) de la protéinurie sans hypertension, ou au moins la précédant largement. Une protéinurie discrète peut relever de la seule augmentation physiologique de la filtration glomérulaire. Une protéinurie supérieure à 1 g/24 h relève très probablement d’une néphropathie autonome, découverte à l’occasion de la grossesse. 1.2.2. Une situation confuse Les définitions données plus haut, de quelque autorité qu’elles émanent, ne sauraient satisfaire ni le clinicien ni le chercheur. Les définitions restent largement divergentes dans la littérature. Qui plus est, diverses sociétés scientifiques nationales ont établi leur propre classification et défini leurs propres critères, ce qui génère une confusion considérable. Il est vrai que le même vocable désigne des situations dont la gravité peut être très différente. Les classificateurs reconnaissent avoir cherché des définitions « minimalistes » pour éviter les erreurs de diagnostic par défaut, quitte à en faire par excès. Cette attitude suggère des « correctifs ». Ainsi l’on parle d’hypertension « sévère » si : 1) la pression artérielle diastolique est mesurée ne serait-ce qu’une fois à 120 mmHg ou plus, ou 2) si elle est mesurée à 110 mmHg ou plus à au moins deux occasions séparées de plus de 4 h. De même la prééclampsie est séparée en deux formes, « légère » et « sévère ». La distinction est d’importance car si le pronostic de la première n’est pas trop éloigné de celui d’une hypertension gravidique simple, celui de la seconde est d’une extrême gravité et nécessite des mesures thérapeutiques immédiates, doublées du recours à une maternité de niveau 3. Malheureusement il n’existe pas de critères

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stricts pour tracer la limite entre ces deux formes et chacun peut donc se référer à son seul jugement personnel. Dans ce désordre, le rapport du NHBPEP admet qu’il faudrait une définition réservée à la recherche (ne prenant en compte que les formes majeures de valeur pronostique sans ambiguïté), et une autre réservée à la clinique (admettant des formes moins graves et moins différenciées) ! 1.3. Le HELLP syndrome Weinstein a décrit, en 1982, un syndrome essentiellement biologique qu’il a nommé HELLP (Hemolysis, Elevated Liver enzymes, Low Platelet count), associant une hémolyse intravasculaire modérée, une élévation des transaminases (le plus souvent modérée, 2 à 4 fois la normale) et une thrombopénie s’aggravant progressivement [4]. Les signes cliniques en surviennent dans le troisième trimestre, et associent un malaise général (90 %), une douleur en barre épigastrique, ou limitée à l’hypochondre droit (90 %), des nausées et vomissements (50 %). Ce syndrome est associé à un très mauvais pronostic fœtal, voire maternel et, en dépit de quelques tentatives thérapeutiques héroïques (immunoglobulines, échanges plasmatiques...), la plupart des auteurs s’accordent à considérer comme seule issue une terminaison rapide de la grossesse. Ce syndrome est mentionné ici car il est souvent (mais pas toujours) associé à une hypertension et une protéinurie. Il a ainsi été considéré alternativement soit comme une complication de la prééclampsie, soit comme une variante symptomatique de celle-ci [5].

2. Épidémiologie L’incidence de l’hypertension gravidique est estimée entre 10 et 15 % des grossesses. La fréquence en est voisine dans la plupart des pays d’Europe et aux États-Unis [6], hormis quelques études qui la surévaluent du fait d’une définition laxiste. Quelque 10 % de ces femmes (2 à 3 % de la population) ont une prééclampsie (selon la définition ci-dessus). L’incidence de la prééclampsie, et surtout de sa forme « grave », est en fait bien plus variable suivant les pays, nettement plus élevée dans les pays en voie de développement. La prééclampsie est assortie d’une mortalité maternelle, variable suivant les pays, entre 0,1 et 5 pour 1000 cas, voire plus. Cette mortalité est largement concentrée chez les patientes ayant un HELLP syndrome [7]. Même si l’éclampsie (crise convulsive) est devenue un accident rare (0,56 pour mille naissances), du moins sous nos climats, elle reste une éventualité particulièrement grave. Une mortalité maternelle de 5 % a été rapportée en Australie en cas d’éclampsie [8].

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Les hypertensions gravidiques apparaissent volontiers dès la première grossesse, l’âge de celle-ci n’étant pas fondamentalement différent de celui des grossesses normales. La classique distribution en double bosse (un pic chez les très jeunes femmes de moins de 20 ans, un second pic au-delà de 37–40 ans) n’est plus observée actuellement sous nos climats, mais le reste dans certains pays en voie de développement. En France la fréquence de l’hypertension et de la prééclampsie ne diffère pas suivant les groupes ethniques [9]. Des données plus discordantes ont été rapportées aux États-Unis [10]. Les différences entre catégories socioprofessionnelles sont modestes et les catégories dites défavorisées ne sont pas plus exposées que d’autres [9]. L’obésité est un facteur favorisant retrouvé dans toutes les études. De même, la fréquence de la prééclampsie est plus basse chez les fumeuses [9,11], l’explication n’en étant pas connue [12].

3. Tableaux cliniques Ils sont de présentation et de gravité diverses. 3.1. L’hypertension simple Une hypertension isolée au cours de la grossesse n’obère que modestement le pronostic de celle-ci, avec un risque relatif variant de 1 à 3. Selon les classifications ci-dessus, cette hypertension peut être « gravidique » ou « chronique », la différence n’est pas toujours aisée à faire sur l’instant, même si le classique critère des 20 semaines est habituellement utilisé comme repérage. Quelques études assignent un pronostic un peu plus péjoratif aux hypertensions gravidiques, d’autres aux hypertensions chroniques. Ces hypertensions sont presque toujours asymptomatiques. Il convient cependant de ne pas oublier que ce type de situation n’est pas figé et qu’à tout moment une protéinurie peut venir compléter le tableau, majorant alors sensiblement le risque. 3.2. La prééclampsie « modérée » Dès lors qu’une protéinurie significative est associée à l’hypertension, le risque se situe à un niveau nettement plus élevé. Il demeure modeste lorsque les chiffres tensionnels sont modérément élevés et facilement contrôlables, coexistant habituellement avec une protéinurie de moins de 1 g/24 h. Dans ces cas une surveillance renforcée, tant fœtale que maternelle, est néanmoins nécessaire. Il n’est pas exceptionnel qu’une issue prématurée de la grossesse s’avère indiquée, soit du fait d’un ralentissement ou d’un

arrêt de la croissance fœtale, soit du fait d’une quelconque menace sur le pronostic maternel. 3.3. La prééclampsie « grave » Tout différent est le tableau de la prééclampsie « grave ». L’hypertension est alors majeure, menaçante et remarquablement insensible aux traitements antihypertenseurs. La protéinurie est de plusieurs, voire de dizaines de g/24 h, avec un syndrome néphrotique. Il existe habituellement des œdèmes diffus, infiltrant les membres supérieurs et inférieurs, les lombes, la face. La croissance fœtale se ralentit puis s’interrompt. Les patientes sont souvent céphalalgiques et photophobiques. C’est dans de tels cas qu’un HELLP syndrome vient souvent compléter le tableau et la thrombopénie, rapidement progressive crée une menace majeure à court terme. Dans cette situation, la seule issue est la terminaison de la grossesse, presque toujours par une césarienne. Cette décision est relativement aisée si le terme est suffisamment avancé pour permettre une chance raisonnable de survie du nouveau-né dans des conditions de sécurité acceptables. Dans le cas contraire, l’on peut être tenté de temporiser pour obtenir un peu plus de maturité fœtale, mais cette temporisation ne se fait qu’au prix d’une majoration de l’hypotrophie et le risque de complications maternelles est alors très élevé [13]. L’extrême gravité de la situation peut parfois justifier une césarienne dite « de sauvetage maternel » sur un enfant non viable. C’est, bien entendu dans de tels cas que les complications maternelles hémodynamiques (œdème pulmonaire…) ou l’insuffisance rénale aiguë apparaissent le plus volontiers, c’est également dans ces cas que le pronostic vital maternel est le plus sévèrement menacé. 3.4. L’accident inaugural Dans le cas précédemment décrit, peuvent survenir des accidents maternels ou fœtaux, compliquant une situation dont la gravité était déjà patente. Il est d’autres circonstances dans lesquelles une grossesse qui semblait normale (ou si peu pathologique) tourne brusquement au drame lorsque survient un hématome rétroplacentaire (HRP), ou une éclampsie, souvent doublés d’une mort fœtale. C’est alors après l’accident que surviennent l’hypertension, la protéinurie, et tout le cortège de complications maternelles qui vont en majorer la gravité. Notons également que près d’un tiers des HELLP syndromes et un quart des éclampsies surviennent dans le post-partum. 3.5. Complications Nous venons de le voir, le risque encouru est à la fois maternel et fœtal. Pour la mère, c’est la possible survenue

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d’un hématome rétroplacentaire, ou d’une éclampsie. Rappelons qu’ils sont souvent accompagnés d’une coagulation intravasculaire disséminée (CIVD) majeure, surtout en cas de HELLP syndrome, et peuvent être suivis d’une insuffisance rénale aiguë, voire d’une nécrose corticale. C’est dire que pour rares qu’ils soient devenus, ils gardent une signification pronostique très sérieuse, voire dramatique. Ainsi dans une série de 442 grossesses avec HELLP syndrome, Sibai et al. font état d’une CIVD dans 21 % des cas, un HRP dans 16 %, une insuffisance rénale aiguë dans 7,7 %, un œdème pulmonaire dans 6 %. Cinquante-cinq pour cent des patientes ont nécessité des transfusions et 2 % ont eu une laparotomie en raison d’un syndrome hémorragique. La mortalité maternelle a été de 1,1 % [14]. Pour le fœtus le risque est celui d’un retard, voire d’un arrêt de la croissance par défaut de perfusion, aboutissant au maximum à la mort in utero.

4. Physiopathologie 4.1. Les modèles expérimentaux L’hypertension gravidique n’est presque jamais observée spontanément dans le règne animal, et il est difficile d’obtenir un modèle expérimental ayant quelques points communs avec la maladie observée dans l’espèce humaine. 4.1.1. Les modèles d’hypertension Chez les rats génétiquement hypertendus, gestation et parturition ne sont pas affectées par l’hypertension. Celle-ci tend d’ailleurs à s’estomper durant la gestation. Dans l’ensemble, les études expérimentales consistant à créer une hypertension (sténose artérielle rénale, perfusion de vasopresseurs…) chez l’animal gestant ont montré une poursuite normale de la gestation et l’absence de conséquences de l’hypertension sur la survie ou le poids de naissance des petits. Le débit sanguin utéroplacentaire n’était pas altéré, ou de manière très transitoire. Dans un modèle de sténose artérielle rénale, le débit sanguin utérin s’est avéré très dépendant du niveau de la pression artérielle, et très sensible à une réduction de celle-ci par des produits antihypertenseurs [15]. Ces données retirent quelque crédit à l’idée selon laquelle l’élévation des chiffres tensionnels serait la cause d’un dysfonctionnement placentaire ou d’une souffrance fœtale. 4.1.2. Les modèles d’ischémie placentaire Une ischémie placentaire aiguë produite par la ligature des artères utérines entraîne une hypertension, une protéinurie et la mort fœtale. Hypertension et protéinurie disparaissent aussitôt après la parturition. Abitbol et al. [16] ont réalisé un modèle d’ischémie placentaire chronique par

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striction de l’aorte sous-rénale au moyen d’un clamp gonflable dont la pression peut être réglée de l’extérieur. Une réduction de 40 % du débit sanguin entraîne une hypertension artérielle immédiate, et une protéinurie apparaît au 5e jour. La lésion rénale observée est superposable à la lésion dite « endothéliose » observée dans la maladie humaine. Ce syndrome est réversible si le clamp est relâché après un laps de temps suffisamment court. Enfin, il n’apparaît que chez l’animal en gestation, la même manœuvre n’ayant aucun effet sur l’animal non gravide. 4.1.3. Inflammation et endotoxines Une injection d’endotoxine bactérienne permet de reproduire d’assez près chez l’animal les manifestations d’une prééclampsie. De très faibles doses doivent être injectées, sous peine de choc et d’arrêt de la gestation. Dans ces conditions on observe chez l’animal gestant une augmentation de la pression artérielle, une protéinurie, une coagulopathie et des dépôts glomérulaires de fibrinogène avec infiltration monocytaire. Il y a simultanément une activation des polynucléaires circulants, et l’ensemble reproduit un modèle complet de réaction inflammatoire [17]. La même manœuvre est inopérante chez l’animal non gestant. 4.1.4. Génétique et transgénèse Davisson et al. [18] ont récemment rapporté le premier modèle génétique de cette affection. Il s’agit de souris BPH/5, porteuses d’une hypertension minime, laquelle s’exacerbe lors des gestations, avec naissance de petits de faible poids. Takimoto et al. ont rapporté un modèle fascinant de prééclampsie chez des souris transgéniques pour des composants du système rénine–angiotensine humain. Le croisement d’une femelle porteuse du transgène de l’angiotensinogène avec un mâle porteur du transgène de la rénine (rien ne se produit si c’est l’inverse) aboutit à une hypertension sévère en fin de gestation, avec une protéinurie et perte fœtale fréquente. Les lésions histologiques rénales sont comparables à celles décrites dans l’espèce humaine. Enfin le tout est régressif après la parturition [19]. 4.2. La clé : un trouble de la placentation 4.2.1. Les étapes précoces de la placentation : physiologie La placentation dite hémochoriale telle qu’elle a lieu dans l’espèce humaine requiert une connexion entre le placenta naissant et les vaisseaux maternels [20]. Ces derniers doivent par ailleurs acquérir un calibre suffisant pour assurer le débit sanguin nécessaire à des échanges de bonne qualité. Cette connexion s’opère par une invasion des structures maternelles par le trophoblaste, qui se comporte un peu comme une tumeur invasive.

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Quelques jours à peine après la fécondation, le cytotrophoblaste villeux se différencie en périphérie du blastocyste en syncytiotrophoblaste aux propriétés très invasives, qui permet la pénétration et l’ancrage du blastocyste dans l’endomètre. Ensuite, le cytotrophoblaste extravilleux colonise la masse syncitiale et envahit la decidua jusqu’aux artères spiralées. C’est la première phase, interstitielle, d’invasion trophoblastique. La seconde phase, plus tardive, est l’invasion endovasculaire des artères spiralées du myomètre, qui va remonter jusqu’au tiers environ de celui-ci. Durant cette phase, les cellules trophoblastiques subissent une profonde transformation leur conférant un phénotype de type endothélial. Cette invasion est une condition indispensable à l’établissement d’une circulation maternofœtale convenable. Elle se fait grâce à des enzymes protéolytiques, principalement des métalloprotéases. Sa progression est initiée et contrôlée par divers facteurs de croissance et cytokines. Si les lymphocytes B et T sont relativement rares dans la decidua, les monocytes/macrophages et les cellules NK y sont d’une particulière abondance. Le trophoblaste extravilleux n’exprime pas de molécules du HLA-II, ni du HLA-I A et B, ce qui limite certainement la réponse immunitaire allogénique. Il exprime sélectivement une combinaison particulière de molécules HLA-I atypiques, HLA-C, E et G [21]. Leur interaction pourrait être un élément clé de la régulation de l’invasion, par une modulation de l’effet cytolytique des cellules NK [22]. De leur côté, les monocytes favorisent une apoptose du trophoblaste, via le TNFα. Celle-ci est certainement un autre élément régulateur essentiel. Toujours est-il que les artères spiralées du myomètre sont colonisées vers 15 semaines par du trophoblaste, qui remplace l’endothélium (acquisition des cadhérines spécifiques) et détruit les structures musculaires. Ces artères sont donc transformées en chenaux dont le diamètre est multiplié par 4 à 6, et qui n’ont plus de fonction résistive mais seulement conductive (selon la loi de Poiseuille, le débit est proportionnel à la quatrième puissance du rayon). Cette « transformation » des artères spiralées est manifestement une condition indispensable à une irrigation suffisante du placenta et du fœtus. 4.2.2. Une anomalie de l’invasion trophoblastique L’existence d’une anomalie de cette invasion trophoblastique a été une étape majeure dans la compréhension physiopathologique de la prééclampsie. Il a été montré dès les années 1970 sur des biopsies de lit placentaire que l’invasion trophoblastique est défectueuse lorsqu’une prééclampsie doit survenir dans le troisième trimestre, ou lors de retards de croissance fœtaux isolés [23]. Cette anomalie consiste soit en une absence de transformation des artères spiralées, soit une transformation incomplète sur une longueur insuffisante.

Cette anomalie de placentation précède donc de plusieurs mois les premières manifestations d’hypertension ou de protéinurie, mais tout porte à croire que dès ce moment la partie est jouée. La vascularisation du placenta étant insuffisante, l’ischémie se développe progressivement et c’est seulement à partir d’un seuil critique d’ischémie, atteint bien plus tardivement, qu’apparaît l’hypertension. 4.2.3. L’inflammation De nombreux arguments suggèrent qu’une réaction inflammatoire modérée, impliquant le placenta mais aussi d’autres structures vasculaires de l’organisme maternel, serait présente dans la grossesse normale. Cette réaction apparaît considérablement majorée, et plus diffuse encore, dans la prééclampsie. Cette dernière représenterait en quelque sorte une « décompensation » de cette réaction inflammatoire due soit à un stimulus immunologique trop intense, soit à une réaction maternelle exagérée. Ce processus inflammatoire serait étroitement lié à l’infiltration cellulaire déjà évoquée dans le placenta, et les anomalies qui concourent à l’insuffisance de l’invasion trophoblastique en seraient un stimulus puissant [24]. 4.2.4. La libération de cellules trophoblastiques Le placenta, à la fois ischémique et inflammatoire, libère dans la circulation maternelle une quantité très accrue de cellules trophoblastiques nécrosées, éventuellement dégradées et limitées à des vésicules, ce fait est bien acquis. In vitro, ces vésicules sont capables d’inhiber puissamment la prolifération de cellules endothéliales et même de rompre la couche cellulaire de la culture [25]. L’hypothèse a donc été émise que ces cellules ou vésicules libérées en large excès par un placenta ischémique et en apoptose provoqueraient des ruptures endothéliales, majorées encore par l’activation des monocytes (et des polynucléaires, via le TNFα), déclenchant la cascade classique de vasoconstriction, activation de l’hémostase, etc. 4.2.5. Peroxydation lipidique et radicaux libres Dans ce phénomène de souffrance endothéliale, un rôle important a été attribué au stress oxydatif, dont les manifestations apparaissent aussi bien à l’échelon placentaire que systémique. Le taux circulant des acides gras libres est très précocement augmenté avant une prééclampsie, et l’incorporation de ces acides gras dans les cellules endothéliales est accrue. Le sérum de ces patientes a une activité lipolytique élevée. Des anomalies lipidiques maternelles pourraient potentialiser la génération de radicaux libres [26]. 4.3. Pourquoi cette insuffısance placentaire survient-elle ? Son mécanisme a peu de chances d’être univoque. Il est au contraire hautement probable que ce soit à cette étape

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que s’exprime la diversité et l’hétérogénéité de la maladie « hypertension gravidique ».

dans les années 1970. Ce mécanisme a été trouvé totalement absent dans les cas d’avortements itératifs, et fortement diminué dans la « prééclampsie » [30].

4.3.1. Un facteur mécanique ? Dans cette hypothèse, la plus ancienne et la plus simple de toutes, l’ischémie placentaire résulterait de la compression mécanique de l’aorte et/ou des artères utérines par l’utérus. Le rôle favorisant bien connu de la gémellarité et de l’hydramnios serait ainsi facilement expliqué.

Un second facteur de tolérance serait l’induction de cellules T suppressives. Un rôle supplémentaire pourrait être joué par le passage de lymphocytes fœtaux (probablement T suppresseurs) dans la circulation maternelle. Enfin nous avons évoqué plus haut l’importance accordée actuellement aux cellules NK et à leur interaction avec les antigènes HLA-1b portés par le trophoblaste. Le HLA-G, peu polymorphe et spécifique du placenta, signalerait la présence de celui-ci et inhiberait la cytotoxicité. Le HLA-C traduirait surtout un signal allogénique d’origine paternelle et le E déclencherait l’effet inhibiteur des cellules NK. En définitive, la cytotoxicité dépendrait de la balance et de l’interaction entre ces trois éléments [22].

4.3.2. Pathologie vasculaire préexistante Nombre de patientes atteintes d’hypertension gravidique sont en fait porteuses de lourds facteurs de risque vasculaire, au plan génétique et/ou métabolique. Ces patientes ont toutes les raisons d’avoir des altérations vasculaires préalables à la grossesse. De fait, des lésions vasculaires rénales, parfois impressionnantes, leur ont été trouvées histologiquement, alors même qu’elles étaient normotendues [27]. On peut aisément concevoir que de telles lésions vasculaires, probablement ubiquitaires, soient un obstacle majeur à une placentation normale. Dans ce cas, la répétition des accidents au fil des grossesses successives se comprendrait sans peine. 4.3.3. Pathologie thrombophilique préexistante Dekker et al. [28] ont rapporté une fréquence très accrue de pathologies thrombophiliques chez des jeunes femmes atteintes de prééclampsie précoce et sévère. Ces anomalies étaient principalement un antiphospholipide avec ou sans expression d’un anticoagulant circulant, un déficit en protéines C ou S, une résistance à la protéine C activée, ou une hyperhomocystéinémie. Les mutations des gènes codant pour le facteur V (mutation Leiden), la prothrombine (facteur II), la méthyltétrahydroxyfolate réductase (MTHFR) ont été mises en cause au fur et à mesure de leurs descriptions. Ces données ont été assez largement recoupées par divers auteurs, et certains admettent que plus de 50 % des femmes ayant présenté une prééclampsie sévère seraient porteuses d’au moins une de ces anomalies [29]. En fait, après une vogue initiale, ces liens sont aujourd’hui vigoureusement discutés dans la littérature. 4.3.4. Facteurs immunologiques Le fœtus, dont le capital génétique est pour moitié d’origine paternelle, représente l’équivalent d’une greffe semi-allogénique, dont la survie requiert un état de tolérance immunitaire maternelle. Au cours de la grossesse, il existe une reconnaissance par la mère d’antigènes paternels et une immunisation contre ces antigènes. Ainsi 20 % des primipares et 50 % des multipares ont des anticorps circulants dirigés contre des composants du HLA paternel. Un système de facilitation humorale a ainsi été mis en évidence et largement étudié

Le degré et le mode d’exposition au sperme semblent jouer le rôle important dans l’immunisation maternelle. Robillard et al. ont montré que le risque de prééclampsie est plus élevé en cas de conception précoce dans un couple récent qu’en cas de conception plus tardive dans un couple établi depuis plus longtemps [31]. De même, en cas d’insémination artificielle, le risque de prééclampsie est plus élevé si le sperme provient d’un donneur étranger plutôt que du conjoint [32]. La pratique de la fellation, selon plusieurs auteurs, serait associée à une meilleure protection contre la prééclampsie que les seuls rapports sexuels par voie vaginale [33]. Selon certains auteurs également, l’usage d’une contraception–barrière telle que des préservatifs serait associé à une incidence accrue de prééclampsie [34]. Le défaut d’invasion trophoblastique et donc la prééclampsie, pourraient être liés à une « agression immune » du placenta. Ce peut être une absence de facilitation immunologique humorale en cas de degré élevé d’histocompatibilité entre père et mère, idée largement développée dans les années 1970. Même si cette idée est passée de mode aujourd’hui, des publications viennent périodiquement rappeler que les faits constatés il y a 20 ou 30 ans sont toujours exacts. Un faible degré de contact avec le sperme du conjoint pourrait contribuer largement à cette absence de facilitation. Enfin des anomalies du HLA-G, ou une dysrégulation de la cytotoxicité des cellules NK font l’objet d’études très actives ces dernières années. 4.3.5. Aspects génétiques Une certaine agrégation familiale des cas de prééclampsie est classiquement admise. Il est hautement probable que divers gènes impliqués dans la régulation de la pression artérielle, la régulation du volume plasmatique, le remodelage vasculaire et divers facteurs plus spécifiquement placentaires, interviennent à des titres divers comme « gènes de susceptibilité » de la prééclampsie.

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Les études de cohortes suggèrent bien une transmission génétique de la prééclampsie. Cincotta et Brennecke ont étudié 368 jeunes primipares. Dix-huit d’entre elles avaient leur mère ou une sœur (ou les deux) ayant eu une prééclampsie. Parmi ces 18 femmes, 5 (27,8 %) ont eu une prééclampsie, contre 29 (8,3 %) de celles qui n’avaient pas d’antécédents familiaux, ce qui correspond à un risque relatif de 3,4 (IC 95 % : 1,5–7,6). Ce risque est encore plus élevé pour la prééclampsie « grave » [35]. Arngrimsson et al. ont étudié 94 familles islandaises (population très homogène) sur quatre générations dans la descendance de femmes ayant eu une prééclampsie grave ou une éclampsie dans les années 1931 à 1947. La fréquence de la prééclampsie a été plus élevée (23 %) chez les filles que chez les bellesfilles (10 %) des patientes atteintes. La prédisposition était transmise aussi bien par les hommes que par les femmes [36]. Néanmoins, les études de couples de jumelles monozygotes ne montrent généralement aucune concordance pour la prééclampsie [37,38], indiquant l’impact très limité du seul facteur génétique. Des résultats contradictoires ont cependant été rapportés [39]. Peu nombreux sont les gènes candidats plausibles. Une association entre la prééclampsie et le variant M235T du gène de l’angiotensinogène a été rapportée [40], mais n’a pas été retrouvé par tous les auteurs. Néanmoins cette mutation semble associée à une moindre dilatation des artères spiralées, ce qui établirait un lien entre une anomalie génétique et le défaut d’invasion trophoblastique [41]. Un variant Glu298Asp de la NO synthase(NOS) a fait l’objet de plusieurs publications récentes et concordantes qui semblent indiquer qu’il pourrait s’agir d’un facteur indépendant et important de prédisposition à la prééclampsie [42]. Un polymorphisme du gène du HLA-G, associé à la prééclampsie, a été également rapporté par une équipe française [43]. Nous avons évoqué plus haut les anomalies thrombophiliques volontiers associées à la prééclampsie. La mutation Leiden du facteur V a été la plus étudiée et les résultats ont été pour le moins discordants. Les études génomiques ont permis des suggestions assez diverses. L’une des plus consistantes porte sur la région du chromosome 7q36, codant pour la eNOS [44] mais les mêmes auteurs ont ensuite incriminé une autre localisation [45]. Des études sur d’autres cohortes ont suggéré une multitude de loci possibles, qui pourraient même être différents suivant la présence ou non d’un HELLP syndrome [46]. Autant dire que les données sont encore bien fragiles. 4.3.6. Aux confins entre immunologie et génétique : le père La prééclampsie n’est pas simplement le problème d’un individu, c’est aussi celui d’un couple. Le père peut intervenir dans la genèse de cette pathologie de deux manières :

un « conflit » immunologique entre père et mère ou la transmission paternelle d’un gène (ou autre facteur) responsable du dysfonctionnement placentaire. Lie et al., s’appuyant sur un registre des naissances norvégien de 1,7 million d’entrées, ont étudié les grossesses suivant une grossesse prééclamptique selon les individus impliqués. Lorsqu’une grossesse a été prééclamptique dans un couple, une nouvelle procréation entre le même père et une femme différente double pratiquement le risque de prééclampsie pour cette dernière. Le risque de prééclampsie est également accru dans les mêmes proportions chez la demi-sœur d’une femme ayant eu elle même une prééclampsie, si les deux femmes sont de même père et de mère différente [47]. D’autres publications montrent qu’un homme issu d’une grossesse prééclamptique majore le risque de prééclampsie pour son épouse. Dizon-Townson et al. ont trouvé une fréquence élevée de mutation Leiden en cas de fausses couches itératives avec nécrose placentaire. La mutation était présente plus souvent dans l’ADN fœtal que dans l’ADN maternel, indiquant clairement que dans certains cas le gène était d’origine paternelle [48]. 4.4. Conséquences de l’insuffısance placentaire La réduction de la perfusion placentaire consécutive à une implantation défectueuse est suivie d’une cascade d’anomalies qui témoignent d’une altération des fonctions endothéliales [49] : • Une augmentation de la sensibilité aux hormones pressives. Celle-ci est connue de très longue date, manifestée entre autres par la perte de « l’état réfractaire » à l’angiotensine, qui caractérise la grossesse normale. • Une activation de l’hémostase, expliquant la fréquence et l’étendue des dépôts de fibrine dans le placenta et de nombreux organes, en particulier au niveau du rein, du foie (HELLP syndrome), du cerveau (éclampsie). • Une production de prostacycline diminuée. Il existe, très tôt également, un déséquilibre de la production des eicosanoïdes. Lors des grossesses avec hypertension, la stimulation du thromboxane est sensiblement identique à celle observée dans les grossesses normales, alors que la prostacycline est peu ou pas stimulée. Le rapport est donc en faveur du thromboxane, c’est-à-dire de l’élément vasoconstricteur et procoagulant. • L’apparition de marqueurs biochimiques tels que l’élévation du taux circulant de fibronectine et de facteur VIII, marqueurs de lésion endothéliale. • Une baisse d’activité de la NO synthase pourrait amplifier le potentiel vasoconstricteur d’autres substances (angiotensine, endothéline) [50]. Au demeurant, du

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moins chez la souris, le knockout d’aucune des trois isoformes de la NO synthase n’est associé à une hypertension. Les cellules endothéliales elles-même peuvent être altérées par l’action de cytokines proinflammatoires (TNFα) et par un stress oxydatif accru. • Un activateur endothélial ? Certains auteurs ont mis en évidence dans le plasma des patientes prééclamptiques une substance capable d’induire une forte production de PDGF dans des cellules endothéliales en culture, témoignant d’une intense activation de ces cellules [49].

5. Traitement La thérapeutique de l’hypertension gravidique reste le point le plus décevant. 5.1. Le traitement médical de l’HTA Si l’on se réfère à ce qui a été dit plus haut du rôle initiateur de l’ischémie placentaire, dont l’hypertension ne serait qu’une conséquence, il n’est pas évident que le traitement antihypertenseur soit bénéfique ni au placenta, ni à la croissance fœtale. L’on peut au contraire soupçonner qu’un abaissement de la pression au sein d’un circuit résistif conduise à une baisse du débit, ce qui serait le contraire du but recherché. 5.1.1. Données animales Une réduction abrupte de la pression artérielle, telle qu’elle est obtenue avec une injection de diazoxide, est accompagnée d’une chute impressionnante du débit sanguin utérin. Il en est de même après l’injection intraveineuse de furosemide. En revanche, l’abaissement progressif de la pression artérielle par de la méthyldopa n’altère que peu le débit utérin [15]. Si cet abaissement de pression est accompagné d’une augmentation du débit cardiaque, comme c’est le cas avec l’hydralazine, le débit utérin est totalement respecté, voire un peu amélioré. 5.1.2. HTA chronique ou HTA gravidique modérée Il s’agit de situations dans lesquelles le pronostic obstétrical est le plus souvent favorable. Une quinzaine d’études contrôlées de traitement antihypertenseur dans ces situations n’y a montré aucun bénéfice objectif [51]. Une méta-analyse de ces études [52] montre que dans l’ensemble le traitement a quelques effets positifs chez la mère : moins d’hypertensions dépassant 160/100 et moins d’hospitalisations. En revanche, il n’a aucun effet sur le pronostic de la grossesse, et sur le pronostic fœtal en particulier. Au contraire, il y a une tendance à une plus forte incidence de l’hypotrophie fœtale sous traitement. Von Dadelszen et al. [53] ont précisé dans une autre méta-analyse qu’il existe une

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corrélation significative entre la baisse de pression artérielle et le pourcentage d’enfants hypotrophes. Ce fait avait déjà été constaté sur quelques études individuelles où le traitement en cause était un bêtabloquant. Magee et al. [54] l’ont confirmé en reprenant spécifiquement ces études. Il est à noter une étude, restée isolée, indiquant que l’usage d’un bêtabloquant chez des patientes à débit cardiaque très élevé pourrait avoir un effet bénéfique et même prévenir la prééclampsie [55]. Une autre étude, isolée également, indiquerait un effet bénéfique de la kétansérine, molécule non disponible en France [56]. La conclusion est que le traitement antihypertenseur apporte un très modeste bénéfice maternel dont l’intérêt pratique n’est pas évident. Il n’améliore en rien le pronostic fœtal, mais peut au contraire être responsable d’hypotrophie s’il est trop intense. Il faut cependant convenir avec Sibai [57] que les effectifs des études n’ont jamais été suffisants pour qu’un effet sur la mort fœtale ou l’HRP (incidence de l’ordre de 2 %) puisse être mis en évidence. En effet, une réduction de 50 % de l’un de ces accidents demanderait un effectif de 2000 patientes par groupe. Aucune étude n’a atteint un tel effectif, et la méta-analyse n’est pas forcément une méthode infaillible pour pallier cette insuffisance. Même si l’on admet cette marge d’incertitude, le traitement antihypertenseur dans ces indications n’est manifestement pas un acte thérapeutique bien intéressant. 5.1.3. Les hypertensions sévères Le cas est ici beaucoup moins simple dans la mesure où il n’y a pas eu d’études contrôlées, pour des raisons évidentes. Le raisonnement par analogie avec d’autres hypertensions indique que le bénéfice d’un traitement pour une hypertension de courte durée chez une femme jeune n’est probablement pas négligeable, même s’il n’est pas majeur. Ce traitement est susceptible d’éviter des complications maternelles, au premier rang desquelles l’œdème pulmonaire. La classique assertion du risque d’accident vasculaire cérébral est peu crédible dans ce même raisonnement par analogie. En effet les cas en sont rares et l’imputabilité des chiffres tensionnels n’a jamais été convenablement étayée. Néanmoins, la pratique générale est de traiter ces hypertensions dès lors que les chiffres dépassent régulièrement 160 à 180 et/ou 110 mmHg. Il est certainement aussi important que précédemment, voire plus encore, d’agir avec doigté, et de ne pas abaisser les chiffres au dessous de 140 et 90 mmHg. 5.1.4. Quels médicaments antihypertenseurs ? 5.1.4.1. Les antihypertenseurs qui peuvent être utilisés. Les antihypertenseurs centraux (méthyldopa principalement) qui sont ceux pour lesquels le recul est le plus long et l’innocuité la mieux établie. L’hydralazine, qui n’a plus

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cours en France, peut être remplacée par un a-bloquant tel que la prazosine. Les b-bloquants, avec les réserves mentionnées plus haut, sont également largement utilisés.

lentement. Un traitement trop agressif expose aussi bien à des complications maternelles qu’à une mort fœtale rapide.

5.1.4.2. Les antihypertenseurs dont l’indication est plus douteuse. Les diurétiques sont pratiquement abandonnés car ils diminuent le volume plasmatique et peuvent de ce fait aggraver la souffrance fœtale chronique. Les bloqueurs calciques sont très utilisés, du moins en France, chez la femme enceinte. Pourtant leur dossier est remarquablement pauvre. Il y a peu de certitudes sur leur absence de tératogénicité. Leur action tocolytique, précieuse en cas de menace d’accouchement prématuré, peut être source de difficultés lors de l’accouchement, voire en post-partum. Seules de solides études, qui manquent encore à ce jour, pourraient leur conférer un niveau de preuve raisonnable.

5.3. Le traitement obstétrical

5.1.4.3. Les antihypertenseurs contre-indiqués. Ce sont essentiellement les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et (par analogie) les antagonistes des récepteurs de l’angiotensine. Ces produits, administrés au-delà du premier trimestre, peuvent être responsables de complications néonatales, en particulier d’anuries éventuellement mortelles [58]. À noter en revanche qu’aucune tératogénicité n’a été observée. Aucune inquiétude particulière n’est donc justifiée lorsqu’une grossesse débute sous un médicament de cette classe.

Tout ce qui vient d’être exposé indique clairement que le traitement médical de l’hypertension gravidique est le plus souvent décevant. Il ne change rien aux formes dont le pronostic est spontanément bénin et ne permet de gagner que très peu de terrain dans les formes sévères. Si le pronostic maternel et fœtal dans l’hypertension gravidique s’est amélioré de manière importante depuis deux décennies, ce n’est donc pas lui qui peut en être crédité, mais les progrès réguliers qui ont été réalisés en matière de surveillance et de tactique obstétricale. L’arrêt de la grossesse est en effet la seule mesure qui mette fin aux manifestations hypertensives et protéinuriques maternelles. C’est donc cette décision qui doit être prise sans hésitation dans les formes graves lorsque s’annonce une souffrance fœtale, sans placer dans le traitement médical un espoir qui a toutes chances d’être déçu. Agir ainsi n’est cependant possible qu’à un terme suffisamment avancé pour que le risque néo-natal soit acceptable. Et sur ce point les progrès réguliers de la néonatologie ont permis d’aborder presque sereinement des extractions fœtales à des termes inconcevables il y a encore peu. C’est avant ce terme limite que toutes les ressources médicales doivent être mises en jeu, dans le but de gagner quelques précieuses semaines de maturité fœtale.

5.2. La prééclampsie sévère Nous ne nous attarderons guère sur ce sujet qui relève en fait d’unités de réanimation spécialisées. La sévérité habituelle de l’hypertension rend son traitement indiscutable. Celui-ci est généralement parentéral. Le nombre de médicaments utilisables est ici plus limité. Aux États-Unis l’hydralazine reste le traitement favori, même si une métaanalyse n’a montré aucune supériorité de ce médicament sur d’autres [52]. Le labétalol a été l’objet de nombreuses études de bonne qualité, et son efficacité aussi bien que son innocuité peuvent être tenues pour certaines. L’urapidil a été moins étudié, mais semble se comparer favorablement à l’hydralazine. La nicardipine, grand favori en France, n’a donné lieu à aucune étude contrôlée acceptable. Enfin les formes rapides de nifédipine, proposées en un temps, sont actuellement contre-indiquées dans tout traitement antihypertenseur selon l’ensemble des recommandations, françaises et internationales. Ce traitement doit être conduit avec douceur malgré la gravité de la situation. Un pallier doit être atteint en quelques heures visant à une diastolique qui ne soit pas inférieure à 100 mmHg. Une décroissance aux alentours de 90 mmHg ne doit être faite que secondairement et plus

6. Les traitements préventifs Si le primum movens de l’hypertension gravidique est l’ischémie placentaire, la déception apportée par le traitement médical n’est pas surprenante conceptuellement, puisqu’il s’agit d’un traitement symptomatique, agissant en aval du phénomène moteur. Agir sur ce phénomène n’est concevable qu’à titre préventif, avant que les lésions placentaires irréversibles soient constituées et qu’apparaissent les symptômes qui en sont la conséquence. Les études de l’aspirine en prévention de la prééclampsie ont été largement rapportées et commentées, nous ne nous y étendrons pas [59]. À la suite de notre étude pilote [60], plusieurs autres étaient venues corroborer l’idée d’un puissant effet protecteur de l’aspirine contre la prééclampsie [61]. Par la suite, plusieurs vastes études ont mis en doute ce bénéfice [62]. Sans entrer dans le détail de l’argumentation, il est apparu que ces récentes études négatives avaient pâti d’une sélection très hétérogène, de délais d’instauration du traitement allant jusqu’à 32 semaines, et de doses d’aspirine trop basses (en général 60 mg/j). De fait une méta-analyse [63] a montré qu’en dépit de ces études négatives le

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traitement demeure actif, et ce plus encore si la dose d’aspirine est au moins égale à 100 mg/j et si le traitement est débuté avant 17 semaines. Nous avons pu nous-mêmes confirmer ces données sur une cohorte rétrospective [64]. Le terme optimal de début du traitement est en fait probablement bien plus précoce encore. L’adjonction de faibles doses de corticoïdes est une possibilité évoquée dans quelques études [65]. L’association, ou la substitution de l’aspirine par l’héparine est également discutée, avec un niveau de preuve qui reste encore très en deçà du minimum souhaitable. Ces attitudes relèvent pour le moment soit d’observations anecdotiques, soit de courtes séries et ne sauraient donc être recommandées à plus large échelle avant que des preuves plus consistantes aient été apportées. Néanmoins ces différentes hypothèses en cours de test laissent entrevoir la possibilité de sérieux changements de stratégie dans la prochaine décade. 6.1. Prédire pour pouvoir prévenir Le fait de disposer d’un traitement préventif pose le problème de ses indications. La nécessité d’un traitement très précoce, largement antérieur à tout symptôme maternel, centre la question sur une prédiction précoce. Ce problème n’est pas résolu à l’heure actuelle. La connaissance des antécédents de la patiente a montré une bonne efficacité, mais d’une part elle reste relativement empirique, d’autre part elle n’est applicable qu’après que des accidents se soient déjà produits, ce qui n’est pas satisfaisant. Nous ne disposons d’aucun marqueur biochimique fiable à un stade aussi précoce. Certains travaux laissent espérer qu’une étude doppler puisse avoir une bonne valeur discriminative entre les primipares qui auront ou non une prééclampsie. Cette discrimination, si elle semble se confirmer, demeure actuellement plus tardive que le terme souhaitable de début du traitement. Cette prédiction précoce demeure donc l’un des principaux challenges dans les années à venir.

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