La prise en charge aiguë du patient alcoolo-dépendant aux urgences

La prise en charge aiguë du patient alcoolo-dépendant aux urgences

Journal Européen des Urgences et de Réanimation (2015) 27, 72—76 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com DOSSIER : ADDICTIONS A...

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Journal Européen des Urgences et de Réanimation (2015) 27, 72—76

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

DOSSIER : ADDICTIONS AUX URGENCES — MISE AU POINT

La prise en charge aiguë du patient alcoolo-dépendant aux urgences Alcohol-dependent patient in emergency department: Acute management J. Azuar Service de médecine addictologique, hôpital Lariboisière-Fernand-Widal, 200, rue du Faubourg-Saint-Denis, 75745 Paris cedex 10, France Disponible sur Internet le 22 avril 2015

MOTS CLÉS Alcool ; Intoxication ; Syndrome de sevrage ; Complications

KEYWORDS Alcohol; Intoxication; Withdrawal syndrome; Complications

Résumé Le patient alcoolo-dépendant consulte aux urgences pour de multiples motifs médicaux, psychologiques ou sociaux. Sa prise en charge aiguë impose de connaître les subtilités cliniques et thérapeutiques de l’intoxication éthylique aiguë (IEA), du syndrome de sevrage (SDS) et des principales comorbidités et complications fréquemment associées. © 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary There are various medical, psychological and social reasons why an alcoholdependent patient must consult in a hospital emergency department. Practitioners have to know clinical and therapeutical subtleties of acute intoxication, withdrawal syndrome, and most frequent associated comorbidities and complications. © 2015 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Introduction Le patient alcoolo-dépendant, par la multiplicité des causes médicales, psychologiques et sociales l’amenant à consulter,

Adresse e-mail : [email protected] http://dx.doi.org/10.1016/j.jeurea.2015.03.006 2211-4238/© 2015 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

la diversité des présentations cliniques aiguës apparaissant sur un terrain « miné » par de fréquentes comorbidités somatiques liées à la consommation chronique d’alcool, requiert une attention toute particulière lors de son admission dans un service d’urgences. La demande de sevrage étant rarement explicitement formulée par le patient lors du tableau aigu l’ayant conduit sur un brancard, parfois seul, plus

La prise en charge aiguë du patient alcoolo-dépendant aux urgences souvent accompagné de proches ou amené par les pompiers, une ambulance ou la police (dans le cas des réquisitions pour certificat de non-admission), il convient de garder en tête certains pièges et d’avoir des réflexes aguerris qui permettront d’éviter l’aggravation de pathologies mettant en jeu le pronostic vital ou fonctionnel. Si le motif d’entrée peut être une intoxication éthylique aiguë, il est souvent peu spécifique (malaise, vomissements, douleurs abdominales), au deuxième plan (intoxications médicamenteuses volontaires, traumatismes, agression, accident de la voie publique) ou lié à la décompensation d’une pathologie préexistante. Le syndrome de sevrage en alcool, s’il n’est pas présent à l’admission, se retrouvera finalement fréquemment au premier plan, compliquant le tableau général, retardant la prise en charge addictologique ou compromettant la sortie du patient. Le statut particulier du patient alcoolo-dépendant, lié à la difficulté pour l’entourage, les soignants et le patient luimême de faire la distinction entre un usage social adapté de l’alcool et un usage pathologique et les préjugés supposant la prise en charge de ces patients vouée à l’échec, ne doivent pas interférer avec les bonne pratiques [1].

L’intoxication éthylique aiguë (IEA) [2] Le diagnostic d’IEA est le plus souvent basé sur les éléments de l’anamnèse — pouvant être complétée par l’entourage — et l’examen clinique. Les signes sont liés à la neurotoxicité directe de l’éthanol, ou indirecte liée aux désordres métaboliques associés. Il existe une importante variabilité interindividuelle d’origine congénitale (susceptibilité génétique, sexe), acquise (âge, poids, comorbidités, tolérance, poly-consommation), et en rapport avec le mode de consommation (type, dose, rapidité de l’ingestion, jeûne). On classe les IEA en 2 groupes : IEA simple et IEA pathologique. Les critères de gravité sont indépendants de cette classification. On distingue également les IEA compliquées (coma, inhalation, crise convulsive, hypothermie, troubles du rythme supraventriculaire, hypoglycémie, acidose, gastrite, syndrome de Mallory-Weiss, hépatite alcoolique aiguë, rhabdomyolyse, accident vasculaire cérébral ischémique) et les IEA associées (à un traumatisme crânien ou autre, une co-intoxication. . .). L’IEA simple peut évoluer en 3 phases : • la première est caractérisée par une excitation psychomotrice associant agitation, euphorie, désinhibition (pouvant aller jusqu’à l’agressivité), incoordination, logorrhée, temps de réaction allongé ; • la seconde phase associe confusion avec désorientation temporo-spatiale, dysarthrie, troubles de l’équilibre, tachycardie et tachypnée. Ces signes ont indépendamment une sensibilité médiocre, et c’est l’impression clinique globale qui primera ; • la troisième phase est le coma alcoolique : un coma calme, hypotonique, sans signe de localisation neurologique, pupilles en mydriase symétrique. Peuvent apparaître des signes circulatoires (bradycardie, hypotension artérielle) et une hypothermie, une incontinence urinaire. Il existe un risque de dépression respiratoire. Il convient d’éliminer les diagnostics différentiels par un examen clinique rigoureux (à la recherche d’un signe

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de localisation neurologique pouvant marquer une hypertension intracrânienne, d’une hypertonie en faveur d’un coma hypoglycémique, d’un myosis orientant vers une intoxication ou co-intoxication aux opiacés). L’IEA pathologique regroupe 4 syndromes psychiatriques : • ivresse excito-motrice, agitée, marquée par une impulsivité, de possibles crises clastiques pouvant se compliquer d’actes auto- ou hétéro-agressifs ; • ivresse dépressive devant faire évaluer le risque suicidaire ou maniaque avec euphorie, idées de grandeur, de toute puissance, et discours familier ; • ivresse délirante, sur des thèmes souvent de persécution, de jalousie ou d’autodépréciation ; • ivresse hallucinatoire, avec des hallucinations essentiellement visuelles. Les diagnostics différentiels sont l’intoxication au CO ou autre, l’hémorragie méningée et l’hypoglycémie. Les deux premières phases de l’IEA simple ne nécessitent pas d’examens complémentaires ou de thérapeutique spécifiques en dehors d’un repos et de soins infirmiers visant au confort du malade. Les signes régressent dans la plupart des cas en 3 à 6 heures. Tous les autres cas sont considérés comme ayant un facteur de gravité et devront être surveillés au minimum de fac ¸on horaire, et traités symptomatiquement. Un bilan biologique minimum inclura dans ces cas NFS, hémostase, glycémie, ionogramme sanguin (recherchant une hyponatrémie ou une hypokaliémie), bilan hépatique, créatinine phosphokinase (CPK), éthanolémie (pour contrôler sa cohérence avec l’examen clinique ; penser à ne pas désinfecter à l’alcool lors du geste). Les examens toxicologiques urinaires ou sanguins, s’ils sont disponibles, seront utiles en cas de suspicion de co-intoxication, notamment aux benzodiazépines. L’ECG est recommandé notamment à la recherche d’un trouble du rythme supraventriculaire. La prise en charge thérapeutique non spécifique inclura une hydratation de préférence PO, sinon IV, une correction des désordres électrolytiques (attention à la correction trop rapide d’une hyponatrémie, responsable d’une complication neurologique grave, la myélynomyse centro-pontine), une vitaminothérapie B1 (PO, 200 mg à 1000 mg/j). Le reste de la prise en charge est symptomatique et dépend surtout des complications ou pathologies associées. Une agitation, si elle ne peut être calmée verbalement, pourra nécessiter une contention physique et/ou l’adjonction d’un traitement par benzodiazépines PO ou IV (préférentiellement diazépam ou clorazépate), de midazolam intranasal ou en dernier recours d’un neuroleptique (type halopéridol) qui nécessitera une surveillance accrue, ses effets secondaires étant majorés par l’IEA. Les traitements spécifiques seront abordés dans le dernier chapitre.

Le syndrome de sevrage alcoolique (SDS) [3] Le SDS survient dans les 6 à 24 h suivant un arrêt ou une décroissance brutale d’une consommation chronique d’alcool. Il n’est donc pas nécessairement associé à une alcoolémie nulle. La première question à se poser est celle

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J. Azuar

de la cause de cette modification de consommation : est-elle volontaire ou forcée (inaccessibilité à l’alcool, financière ou physique, présence d’une pathologie aiguë, retard de prise en charge. . .). Il résulte principalement de l’augmentation de l’activité du système catécholaminergique consécutive à une augmentation de l’activité NMDA (excitatrice) et à la diminution de l’activité GABA (inhibitrice) chez un sujet ayant modifié ces deux systèmes au fur et à mesure de sa consommation chronique. Cette hyperactivité du système nerveux sympathique se manifeste par des troubles neurovégétatifs (tremblements, sueurs paroxystiques, tachycardie, HTA, céphalées), des troubles généraux avec part subjective (anxiété, agitation, irritabilité, insomnie, cauchemars) et des troubles digestifs (anorexie, vomissements, diarrhées), et la présence de 2 de ces symptômes et signes dans un contexte d’arrêt de la consommation suffit à faire le diagnostic. Ce syndrome dure de 2 à 7 jours et régresse dans la majorité des cas, parfois même spontanément. Néanmoins, dans 25 % des cas, il va évoluer vers un syndrome de sevrage sévère, avec hallucinations, ou convulsion, et dans 5 % des cas vers la forme la plus grave, le delirium tremens (hallucinations, confusion, fièvre, hypertension maligne, coma, mortalité de 15 % avec ou sans traitement). Les facteurs de risque d’apparition d’un syndrome sévère sont : les antécédents de syndrome de sevrage sévère, la répétition des sevrages (phénomène de Kindling), la sévérité du trouble de l’usage de l’alcool, les comorbidités associées, y compris addictologique. Plusieurs scores permettent de grader la sévérité du sevrage et de surveiller objectivement son évolution. Le score de Cushman (Tableau 1) est fréquemment utilisé, et permet d’adapter les doses de benzodiazépines, qui constituent la pierre angulaire du traitement médicamenteux. On privilégiera une molécule à demi-vie longue, permettant un sevrage plus régulier (diazépam 10 mg par prise), ou a demivie plus courte et à excrétion urinaire en cas d’insuffisance hépato-cellulaire (lorazépam 50 mg par prise). Le score de Cushman est donc calculé dès la suspicion de syndrome de sevrage, et les doses adaptées : en cas de score < 7, le sevrage est contrôlé et une prise toutes les 6 h est initialement prescrite. Si le score est entre 7 et 14, le sevrage est modéré, on prescrira une dose/4 h, et on réévaluera à 6 h. Si le score reste > 7, on augmentera la fréquence des

Tableau 1

prises. Si le score est d’emblée > 14, il s’agit d’un syndrome sévère, nécessitant la prescription d’une dose horaire, IV, à poursuivre tant que le score reste > 14. Ce traitement basé sur les symptômes, faisable dans les services d’urgences, n’est cependant pas la seule attitude thérapeutique : certaines équipes prescrivent des doses fixes chez les patients sans facteurs de risque de syndrome sévère : 1 dose 4 fois par jour le premier jour, moitié dose 4 fois par jour les 2 jours suivants, puis arrêt. Enfin, la troisième attitude est la « dose de charge » : on prescrit 1 dose toutes les heures jusqu’à obtention d’une sédation, puis on arrête la prescription. Ce schéma est à haut risque de surdosage, et on devra auparavant s’assurer de la disponibilité de l’antidote, le flumazénil (Anexate® ). Les neuroleptiques n’ont plus d’indication dans le sevrage, la balance bénéfice—risque étant en leur défaveur. Dans la mesure du possible, on installera le patient dans une pièce calme, sans ombres, sans stimulation sonore. Une hydratation per os sera privilégiée, la voie intraveineuse sera utilisée en cas de vomissements importants, dénutrition ou troubles neurologiques. En l’absence d’hypoglycémie, on utilisera du sérum physiologique. Il n’y a pas d’indication à une hyperhydratation. La prévention de l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke se fera par la prescription de thiamine, à la dose de 200 à 1000 mg/j PO (pas de consensus), et sera prescrite IV pendant 3 jours à la dose de 1500 mg/j en cas de troubles neurologiques, avant un relais PO. Il s’agit de la seule vitaminothérapie indispensable. De nouvelles classes thérapeutiques sont en cours d’évaluation dans le traitement du sevrage alcoolique, elles n’ont cependant pas encore leur place aux urgences (anticonvulsivants, gamma-hydroxybutyrate [GHB], balcofène. . .). La persistance de symptômes de sevrages après 7 jours doit faire penser à une co-addiction (syndrome de sevrage en benzodiazépines). Enfin, on constate des syndromes de sevrage en balcofène (relaxant musculaire utilisé dans le maintien de l’abstinence et ayant une ATU depuis 2014) associant confusion, agitation et delirium, pouvant aggraver un syndrome de sevrage en alcool [4] : il convient de ne pas arrêter le traitement, dans la mesure du possible, lors d’un passage aux urgences.

Score de Cushman.

Score de Cushman

0

1

2

3

Pouls (bpm) PA systolique (mmHg) 18—30 31—50 > 50 ans Fréquence respiratoire/min Tremblements

< 80

81—100

101—120

> 120

< 125 < 135 < 145 < 16 0

136—145 146—155 156—165 26—35 Tout le membre supérieur

> 145 > 155 > 165 > 35 Généralisés

Sueurs Agitation Troubles sensoriels

0 0 0

126—135 136—145 146—155 16—25 De la main en extension Paumes Discrète Gêne par bruit ou lumière Prurit

Paume et front Généralisée/contrôlable Hallucinations critiquées

Généralisées Généralisée/incontrôlable Hallucinations non critiquées

La prise en charge aiguë du patient alcoolo-dépendant aux urgences

Complications fréquemment retrouvées

Complications neurologiques

Nous abordons ici les quelques complications et comorbidités présentes lors de la prise en charge du patient alcoolo-dépendant aux urgences, par organe (foie, système nerveux, autres) plutôt que par étiologie (IEA ou SDS).

Crises convulsives

Complications hépatiques Hépatite alcoolique aiguë L’éthanol est très hépatotoxique, et une grande proportion de patients alcoolo-dépendants ont une hépatopathie chronique : au-delà d’une consommation de 40 g/j, on dénombre 45 % à 61 % de stéatose et 8 % à 22 % de cirrhose [5]. La survenue d’une hépatite alcoolique aiguë est à suspecter chez un patient alcoolo-dépendant, cirrhotique ou non (bien que la cirrhose soit un important facteur de risque) présentant un ictère (rarement absent dans les formes symptomatiques), et/ou de la fièvre et des douleurs de l’hypochondre droit. C’est une maladie inflammatoire pouvant apparaître jusqu’à 2 semaines après l’arrêt d’une consommation d’alcool chronique (en moyenne 100 g/j, chez un patient de 40 à 60 ans). La biologie retrouve une cytolyse modérée (2 à 5 N) prédominant sur les ASAT, parfois une hyperleucocytose et une augmentation de la CRP. Le diagnostic de certitude est histologiques, et le score pronostique de Maddrey (Score = 4,6 × [TP (s) — contrôle] + bilirubine [mg/dL]), s’il est > de 32, indique un traitement par corticoïdes après bilan préthérapeutique, diminuant significativement la mortalité [6].

Mésaventure thérapeutique du paracétamol [7] Il est important de sensibiliser les médecins en général, et les médecins urgentistes en particulier, à une pathologie rare mais pouvant être évitée : la mésaventure thérapeutique du paracétamol. Il existe des cas d’hépatites sévères médicamenteuses survenues à des doses thérapeutiques de paracétamol (inférieures à 10 g/j) chez des patients alcoolodépendants durant les premiers jours d’un sevrage. La physiopathologie est incomplètement connue mais est en rapport avec les voies métaboliques communes de l’alcool et du paracétamol, notamment le cytochrome P450. La question des modalités de traitement de la douleur chez le patient alcoolo-dépendant est discutée, cependant il paraît raisonnable de préférer le tramadol (dans la limite des contre-indications) au paracétamol durant les premiers jours d’un sevrage en alcool.

Autres pathologies hépato-pancréatiques L’infection de liquide d’ascite et l’hémorragie digestive haute par rupture de varice œsophagienne sont deux causes possibles d’admission aux urgences du patient cirrhotique. On citera également, dans les complications digestives, les ulcérations gastro-intestinales et le syndrome de MalloryWeiss faisant suite à des vomissements itératifs liés à une IEA ou un SDS, et la pancréatite aiguë compliquant ou non une pancréatite chronique.

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Les crises convulsives constituent un motif fréquent de recours aux urgences pour le patient alcoolo-dépendant. Elles peuvent survenir lors d’une IEA, par abaissement du seuil épileptogène. Il s’agit dans ce cas le plus souvent d’une crise généralisée unique chez un buveur occasionnel et non un patient alcoolo-dépendant, ne nécessitant pas de traitement antiépileptique. Les crises d’épilepsie survenant lors d’un SDS sont généralement tonico-cloniques, uniques, et des états de mal peuvent cependant survenir dans 5 % des cas. L’EEG est normal le plus souvent. On n’utilisera pas d’antiépileptique, hormis les benzodiazépines selon le schéma décrit plus haut dans le chapitre s’intéressant au SDS.

Encéphalopathies La confusion et les troubles de consciences sont des signes fréquents et difficiles à analyser dans la prise en charge du patient alcoolo-dépendant aux urgences : les étiologies sont nombreuses, parfois multiples et évoluent rapidement dans le temps : IEA pathologique, SDS sévère et delirium tremens, encéphalopathie hépatique chez le patient cirrhotique, encéphalopathie de Gayet-Wernicke, encéphalopathie pellagreuse, co-intoxication, syndrome post-critique, troubles métaboliques (hyponatrémie, hypoglycémie), myelinolyse centro-pontine. L’encéphalopathie de Gayet-Wernicke est favorisée par une dénutrition, une déshydratation et un apport de glucose seul durant le sevrage. C’est une encéphalopathie carencielle B1, due à des lésions du corps mamillaire, du plancher du 4e ventricule, du thalamus, du cervelet, souvent visibles à l’IRM. La clinique associe une ataxie cérébelleuse, des troubles de l’occulo-motricité (nystagmus ou paralysie d’un nerf crânien), un syndrome confusionnel et parfois un coma calme hypertonique. Le traitement, évoqué plus haut, est une vitaminothérapie IV par 1500 mg de thiamine par jour pendant 3 jours, suivie d’un relais PO. Même traitée, cette encéphalopathie peut évoluer vers une forme chronique, le syndrome de Korsakoff. L’encéphalopathie hépatique survient sur un terrain cirrhotique, avec insuffisance hépato-cellulaire. Elle est souvent déclenchée par un facteur de décompensation : hémorragie digestive, infection, trouble métabolique, psychotropes. Cliniquement, on peut retrouver un astérixis, une haleine caractéristique (sucrée, de pomme pourrie), et un syndrome confusionnel. Le traitement repose sur la diminution des apports protidiques, le lactulose et/ou l’adjonction d’antibiotiques (néomycine, métronidazole ou rifaximin), tous ces traitement visant à diminuer la production d’ammoniac.

Autres complications Les complications cardiologiques sont multiples : coronaropathies liées aux facteurs de risque cardio-vasculaires souvent associés, troubles du rythme supra-ventriculaires survenant durant l’IEA ou le SDS et ne nécessitant le plus souvent aucun traitement, myocardiopathie alcoolique, cardiopathie carentielle.

76 Les complications infectieuses peuvent être la cause d’une altération de l’état général et la raison d’un sevrage forcé : pneumopathies à pneumocoque, septicémies à point de départ digestif. La pneumopathie d’inhalation peut être une complication de l’IEA. Plusieurs causes de rhabdomyolyse peuvent faire courir un risque d’hyperkaliémie et d’insuffisance rénale : une station allongée prolongée durant une IEA ou une toxicité directe de l’éthanol. Enfin, des anomalies hématologiques sont fréquentes (anémie, thrombopénie), par toxicité directe de l’éthanol, par carence, liées à une autre pathologie chronique (cirrhose) ou aiguë (saignement digestif).

Conclusion Le tableau clinique « bruyant » du patient alcoolo-dépendant dans les services d’urgence peut cacher de nombreuses pathologies potentiellement graves, évoluant rapidement et dont le retard de prise en charge peut faire basculer l’évolution. Ces considérations illustrent bien la complexité de rédaction des certificats de non-admission, qui demandent aux médecins une décision rapide sur la possibilité de maintenir en cellule de dégrisement un patient alcoolisé : le risque doit être évalué selon tous les angles, les comorbidités et le risque de syndrome de sevrage ne doivent jamais être sous-estimés. La surveillance nécessaire à la prise en charge des IEA et SDS, les besoins en lits, temps et personnel, pourraient sans doute être un argument à la création de lits d’« addictologie aiguë ».

J. Azuar

Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêt en relation avec cet article.

Références [1] Poncet F, Feral A. Le patient alcoolisé : un « client » si présent et si oublié des urgences. Courr Addict 2002;4:137—41. [2] Sureau C, Charpentier S, Philippe J, Perrier C, Trinh-Duc A, Fougeras O, et al. Actualisation 2006 de la seconde conférence de consensus 1992. « L’ivresse éthylique aiguë dans les services d’accueil des urgence » [Internet]. Commission de veille ¸aise de médecine d’urgence; 2006. scientifique — Société franc Available from: http://www.sfmu.org/documents/consensus/ Actualisation consensus ivresse thylique aigu 2006.pdf [3] Mirijello A, D’Angelo C, Ferrulli A, Vassallo G, Antonelli M, Caputo F, et al. Identification and management of alcohol withdrawal syndrome. Drugs 2015;75:353—65. [4] Rolland B, Jaillette E, Carton L, Bence C, Deheul S, Saulnier F, et al. Assessing alcohol versus baclofen withdrawal syndrome in patients treated with baclofen for alcohol use disorder. J Clin Psychopharmacol 2014;34:153—6. [5] Savolainen VT, Liesto K, Männikkö A, Penttilä A, Karhunen PJ. Alcohol consumption and alcoholic liver disease: evidence of a threshold level of effects of ethanol. Alcohol Clin Exp Res 1993;17:1112—7. [6] Mathurin P, O’Grady J, Carithers RL, Phillips M, Louvet A, Mendenhall CL, et al. Corticosteroids improve short-term survival in patients with severe alcoholic hepatitis: meta-analysis of individual patient data. Gut 2011;60:255—60. [7] Louvet A, Boitard J, Dharancy S, Duriez A, Deltenre P, Paris J-C, et al. [Problems with therapeutic acetaminophen use in excessive drinkers]. Gastroenterol Clin Biol 2006;30:769—74.