LEMCDICAMENTET aLESRISQUESDED&VELOPPEMENT>> APRkLALOlDU 19MAH998 Michel Duneau*
a loi no 98-389 du 19 mai 1998 [I] etait, convient-il de le rappeler, vivement attendue tant par les juristes que par les industriels, puisque son objectif essentiel visait a realiser la transposition, trop longtemps differee [2], de la directive du Conseil du 25 juillet 1985 (( relative au rapprochement des dispositions legislatives, reglementaires et administratives des Stats membres en mat&e de responsabilite du fait des produits dtfectueux )) [3]. Les projets des promoteurs du texte communautaire Ptaient, B l’origine tout au moins, assez ambitieux, envisageant tout a la fois de prottger le consommateur europten, dans le droit I-J d’une evolution trks gentralement constatte dans les pays industrialists, mais aussi d’harmoniser les conditions de la responsabilite civile des producteurs en sorte qu’il n’y ait pas, de ce point de vue, de distorsion du prix des produits susceptibles de fausser la concurrence. I1 convenait en consequence de fonder la responsabilite civile relative aux produits sur les de$uts eventuels de cesderniers et non plus sur la faute de leurs producteurs. Vaste entreprise, lorsque I’on sait que dans bon nombre de pays europeens,la faute constituait souvent le critere princeps, nonobstant les tentatives, souvent expedientes, de le contourner. 11n’entre pas dans nos intentions d’effectuer une etude exhaustive de la loi fran$aisede transposition, exercice auquel se sont deja livrts avec bonheur de nombreux et eminents commentateurs, mais de cibler notre reflexion sur le sort reserve B ce qu’il est convenu d’appeler le risque de dheloppement, applique a ce produit particulier qu’est le medicament. La notion de risque de dkeloppement est entree assezrecemment dans le vocabulaire franGais, et on ne la rencontre d’ailleurs dansaucun texte officiel. Son origine setrouve, semble-t-il, dans une decision rendue par la Cour fed&ale allemande en 1968 [4] qui en a admis le caractere exontratoire a l’endroit du fabricant. Depuis, on d&nit gentralement le risque de developpement comme un defaut que l’etat des connaissancesscientifiques et techniques ne permettait pas au producteur de deceler au moment oh le produit a ete mis en circulation. Or la directive du 25 juillet 1985, dite encore (( responsabilitt civile produit )) (ou RCP), qui Ctablit une responsabilite objective ou de plein droit a l’encontre du producteur lorsqu’un dommage est dG a un defaut de son produit, laisseaux Etats membresle soin de decider s’il convient ou non de considtrer le risque de developpement comme exontratoire.
1
‘Professeur de droit FacultC des sciences
et konomie pharmaceutiques pharmaceutiques et biologiques,
MCd & Droit 1979 0 Elsevier, Paris
; 34 : 23-8
Universitt
Paris V, France
Pareille hypothese interessenaturellement au plus haut point l’industrie pharmaceutique, les effets nefastesdun medicament pouvant &tre indtcelables au moment ou dtbute sacommercialisation et &re rev&s beaucoup plus tardivement lors de son utilisation a grande tchelle, comme l’ont demontre certaines affaires tristement ctltbres. La justice, on s’en doute, avait deja eu l’occasion de se prononcer sur de telles situations avant l’adoption de la loi du 19 mai 1998, les solutions s’avtrant globalement favorables au (( fabricant 1)de mtdicament (ainsi qu’il Ctait de coutume de l’appeler autrefois), et la nouvelle loi semblebien ptrenniser cette approche. Elle institue ntanmoins quelques temptraments de nature a permettre une certaine evolution et laisse par ailleurs le champ libre a d’autres actions, ce qui risque d’en affaiblir quelque peu la portee.
UNE APPARENTE
CONTINUITk
Avant l’adoption de la nouvelle loi, qui propose une alternative supplementaire, les dispositions afferentes a la responsabilitt civile devaient etre envisagees differemment selon qu’elles serapportaient ou non B l’extcution d’un contrat. Dans l’affirmative, la responsabilite ttait de type contractuel et les elements de solution du litige posespar les articles 1135 et 1147 du Code civil, voire dans destextes plus sptkifiques rtgissant certains contrats, tels par exemple lesarticles 164 1 et suivants du meme code relatifs a la garantie desvices cachesdans un contrat de vente. Et lorsque toutes les conditions d’existence d’un contrat setrouvaient rtunies, la victime devait en principe placer son action sur le plan contractuel. En revanche, l’absencede contrat devait conduire a fonder l’action sur les articles 1382 et suivants du Code civil relatifs B la responsabilitt dite quasidelictuelle (ou dtlictuelle, ou extracontractuelle). La responsabilitt du fabricant de medicaments a toujours eu quelquesdifficult& Bserattacher nettement Bl’un ou l’autre casde figure, chacune de cesdeux solutions posstdant ses thuriferaires et sescontempteurs. Or, le choix apparait souvent decisif lorsque le dommage cause par un mtdicament trouve son origine non pas dans la fabrication defectueused’un medicament ou une mauvaise information de son utilisateur, mais prtcisement dans un risque de developpement (que l’on qualifiait autrefois d’erreur dans la conception du medicament). Car la faute au regard des rtgles de la responsabilite quasidtlictuelle est trks difficile, sinon impossible a ttablir, alors que la voie contractuelle permet tventuellement le 23
recours a des actions plus effkaces pour la victime, telles que la garantie des vices caches ou la possibilitt de greffer une obligation de securite a la charge du producteur. Ce n’est sans doute pas le lieu de faire l’inventaire dttaillt des decisions qui se sont prononcees en faveur de la nature quasidelictuelle ou au contraire contractuelle de la responsabike des laboratoires pharmaceutiques, certaines formations judiciaires ayant d’ailleurs change de position au fil des ans [S]. Mais que l’on s’engage dans l’une ou l’autre voie, l’impression g&r&ale qui se d&gage de I’examen de la jurisprudence est une certaine reticence a condamner le fabricant en I’absence de faute dument relevte a son encontre. En mat&e quasidelictuelle, la distinction entre la garde de la structure et la garde du comportement, sous reserve de sa bonne adequation au cas d’espttce [6] n’a pas don& de resultats vtritablement encourageants, le procede ne beneficiant pas, en tout &at de cause, d’un assentiment sans reserve [7]. Dans le domaine contractuel, qui semble actuellement prendre le pas, le recours a la garantie des vices caches ne s’est pas non plus montre a la hauteur des esptrances. S’il a certes abouti a propos d’un medicament vtterinaire non conforme a la composition annoncte [8] et dans les rapports entre laboratoires pharmaceutiques [9], on I’a rarement vu prosperer dans ie cadre de la reparation des dommages causes par un mtdicament en mtdecine humaine, oh il a ete utilise soit de maniere superfetatoire [lo], soit a mauvais escient [ 111. Au demeurant, il est generalement convenu que la garantie des vices caches n’est pas I’action la mieux adaptee a la reparation des dommages causes par un medicament [ 121. C’est plutot sur le fondement des obligations contractuelles de droit commun qu’il conviendrait de rechercher la responsabilite des laboratoires pharmaceutiques, et c’est sur ce plan que la Cour de cassation a pork un coup d’arrkt remarque B l’instauration d’une obligation de stcurite qui prenait racine dans d’autres domaines d’activitt, indiquant que cs Ia loi ne metpas 2 Ia charge du laboratoire lbbligation deprhoir tous Les risquesprksent& par le midicament dam tour les cas, Lesquels peuvent &rue lib li Ia sensibilitk particulihe du malade )) et qu’en consequence, t( lbbligation de renseignement relative aux contre-indications et efets secondaires des m&dicaments nepeut skppliquer qu 2 ce qui est connu au moment de l’introduction du mkdicament sur le mar& et 2 ce qui a PtPportk B Laconnaissance des hboratoires depuis cette date )) [ 131. S’il s’est trouve des voix
pour tenter de minimiser la port&e de cet arr& [14], il a Pte trPs generalement recu comme instituant un regime d’exception au benefice des fabricants de produits pharmaceutiques, et du reste largement critique B ce titre [ 151. Et ce n’est qu’a l’tpoque m4me des travaux parlementaires qui devaient deboucher sur le vote de la loi du 19 mai 1998 que la Cour de cassationa rendu une decision, dont une analyseplus approfondie seraeffectute ulttrieurement, qui peut etre interprette comme ouvrant des perspectives differentes. Le traitement reserve aux risquesde dheloppement dans la nouvelle loi sembles’inscrire dans le prolongement de cette jurisprudence. L’article 1386-11 du Code civil est en effet ainsi libelk : (( Le producteur est responsable deplein droit pi mains qu ‘ilne prouve : 4” que I2tat des connaissances scientifigues et techniques, au 24
moment oh il a mis Le produit en circulation, dkceler /‘existence du &Taut B.
n ‘a pas permis de
Ce n’est passarisdifficulte que cette disposition a ete adoptee et, surtout, que le mtdicament n’en a pas et& exclu. C’est en effet I’endroit de rappeler que parmi les obstaclesqui se sont ligues pour contribuer au retard qu’avait accumule la France pour effectuer la transposition de la directive du 25 juillet 1985, il y eut certes, dans un premier temps tout au moins, la volonte de profiter de l’occasion ainsi offerte de reformer I’ensemble de la responsabilite civile, &he dont l’ampleur estapparue BI’usagedifficilement surmontable malgre le talent et la pugnacitt de ceux qui s’y etaient consacres, mais aussila man&e dont il convenait de traiter l’option offerte par la directive, en son article 7 point e, d’admettre ou de refuser I’exoneration pour risquesde developpement. C’est I’Allemagne qui a ceuvrt pour l’introduction de cette clause dans la directive, afin de ne pas steriliser la recherche par la perspective d’une responsabilitt de plein droit Bce stade du processusindustriel, &ant observe que ce pays posstdait dejn B cette Cpoque un regime specifique de responsabilite pour les dommagescausespar les me’dicaments,instaure a la suite de l’affaire de la thalidomide, medicament responsable de malformations foetales, qui avait Cpargnt la France mais frappe de plein fouet nos voisins d’outre-Rhin. Or, bien que les autres pays de I’Europe communautaire ne connussent point toujours un regime particulier de reparation plus favorable aux victimes en casd’accident pharmaceutique, ils adop&rent presque tous cette claused’exontration dansleur Itgislation interne, suivant d’ailleurs en cela la position de principe proposte par la directive, a l’exception du Luxembourg et de la Finlande [16]. En France, l’opportunitt d’admettre cette claused’exontration ttait extremement controversee, l’industrie du medicament se situant d’ailleurs au centre des discussions, bien qu’elle Mt loin d’@trele seul secteur interessepar les developpements de la poltmique. Les clivages a ce propos se sont manifest& deslespremieres tentatives de transposition et ont suscitt d’apres debats lors de la discussion de la prtsente loi, le S&rat manifestant son opposition, et I’Assemblte nationale p&rant l’avis inverse, soutenue dans sesconvictions par le Gouvernement. . A l’appui de la thesevisant a reconnaitre l’exontration pour risquesde dtveloppement etaient invoques principalement les inttr&ts des entreprises fran$aisesqui, au cas contraire, risquaient d’etre ptnalistes par rapport a leurs concurrentes europtennes [I 71. On plaidait aussique les risquesque comportait le refus d’exoneration, mesuresa I’aune d’accidents serielscomme ceux du sangcontamint ou de la thalidomide, apparaitraient tellement eleves que certaines entreprises eprouveraient des diffkultts insurmontables a s’assurer,sauf B recourir a l’auto-assurance, pratique qui connait sesinconvenients et surtout seslimites [181. Jusqu’au dernier moment a pest sur I’industrie pharmaceutique la menace de sevoir exclue du b&&ice de l’exoneration, le garde des Sceaux ayant propose den excepter (( les produits du corps humain et de Sante)), formule qui comprenait B I’evidence lesmedicaments. Finalement, la solution adoptee par la commission mixte paritaire fut de ne retenir l’exclusion qu’a I’endroit des se& MkXCINE &DROIT no34- 1999
DROITETMiDICAMEW RESPOMSAMIT~CIVILE produits du corps humain, pour des raisons qui tiennent a l’kidence au developpement de l’affaire du sang contamine et a son impact sur l’opinion publique, alors que d’aucuns considerent, avecquelque raison, cette exclusion comme ((juridiquement absurde F)[ 191. Cette restriction figure au premier alinta de l’article 138612 qui dispose: GLeproducteur nepeut 1386-I
invoquer la cause d’exankration prhue au 4” de I’article I lorsque le dommage a t!tk cat&par un kkment du corps hum&n ou par les produits issus de ceiui-ci D.
Pour autant, lesnouvelles dispositions ltgislatives ne sont pas totalement neutres pour les laboratoires pharmaceutiques : il convient d’en mesurer plus prtcisement l’impact. En premier lieu, resurgissent,comme souvent en mat&e de responsabilitt, lesproblemes depreuve. Car naturellement, il appartiendra au producteur de mtdicament pretendant benekier de l’exodration pour risque de developpement dune part de soulever cemoyen de defense,d’autre part den justifier le bien-fond&. Sur le principe, il a deja ttt souligne lesdifkultes particulikes d’une telle entreprise, dts lors qu’il s’agit d’administrer la preuve d’un fait ntgatif [ZO]. Sur l’application, la doctrine s’est inspiree des exemples &rangers, et tout particulitrement de celui de 1’Allemagne dont on a indique precedemment le role moteur dans la creation du concept de risque de developpement, pour dtgager quelques lignes directrices [2 11. Ainsi parait-il assurequ’il convient de retenir au titre des connaissancesopposablesau producteur toutes celles pub&es a l’echelle mondiale, meme si elles constituent des opinions minoritaires ou isokes, du moment qu’elles restent fondees. Une recente decision de la Cour de Justice des Communautts europeennes, afferente a un litige opposant la Commission au Royaume-Uni [22], est venue conforter le sentiment que l’apprtciation des obligations du producteur doit Ctre ici rtaliste in abstract0 : il y est affirm& notamment que l’ttat desconnaissancesne saurait &tre restreint au seulsecteur dans lequel opere le producteur, mais doit s’etendre a toutes les autres branches d’activite, et s’entend par ailleurs du niveau le plus eleve de cesconnaissances. La Cour etablit ainsi une veritable presomption a la charge du producteur, dont le comportement doit &tre apprecie objectivement. Demeurent neanmoins quelquespreoccupations sur la traduction pratique de cesexigences,d’aucuns s’interrogeant en particulier sur la capacite des juges a verifier et apprecier les elements fournis par le producteur [23]. Et meme si cette capacite devrait etre, en bonne logique, stimulte par les ecritures du demandeur, de beaux d&batssont sarisdoute a attendre sur le sujet [24]. Ensuite, le legislateur lui-m&me, a l’instar du texte communautaire, a pro&de Bl’insertion, dans le second alinea de l’article 138612, d’une (( obligation de suivi )), ainsi libellee : c(Leproducteur nepeut invoquer les causes d’exonhration prkvues aux 4” et 5” de hticle 1386-l 1 si, en prksence d’un dPfaut qui s ‘est rht%&ns un d&zi a’e dix ansaprh la mise en circulation duproduit, iln kpaspris de dispositionspropres A enprhenir /es conskquences dommageables )). MiDEClNE8 DROITno 34 - 1999
11y a la une compensation, ou a tout le moins un corollaire logique a l’exoneration pour lesrisquesde developpement, et l’on pourrait @tretentt de penser que l’industrie pharmaceutique est remarquablement bien placte pour s’acquitter au mieux de cette obligation, en consideration de l’existence dune organisation trts structuree de pharmacovigilance, dont l’activite permet rtgulierement la detection de certains inconvtnients que lesexpertisesdiligenteespour l’obtention de l’autorisation de misesur le marche du medicament n’avaient pas permis de mettre en evidence, just&ant des misesen garde expresses,voire desretraits. L’injonction formuke par l’article 1386- 12 ne vise cependant pas un organisme de controle, en l’occurrence 1’Agence du mtdicament (bientot promue Agence de stcurite sanitaire des produits de Sante), et l’inertie eventuelle de celle-ci ne saurait degager la responsabilite du producteur a qui l’on tiendrait certainement rigueur de n’avoir pasrtagi plus precocement, si l’urgence s’imposait. Or, les decisions ne sont pas si aiseesa prendre, un laboratoire pharmaceutique recevant sur les medicaments qu’il commercialise de nombreusesobservations qu’il convient de valider avant de prendre les mesuresadtquates. Par ailleurs, i1 convient certainement que les producteurs ne limitent pas leur effort a dtceler lesinconvtnients que revelerait l’usagede leurs produits : ii leur appartient tgalement de prtvenir ces inconvenients par une veille technologique approprite. Quant au premier alinta de l’article 138612, il ecarte l’exoneration pour risque de developpement ((lorsque le dommage a &e’ cause’ par un &ment du corps humain ou par Les produits issw de celui-ci H.Ainsi qu’il a et& dit precedemment,
cette exclusion estdue essentiellementBla triste affaire du sang contamint, dont le souvenir se retrouve directement ou en filigrane, dans toutes les d&bats parlementaires sur la port&e qu’il convenait de donner a l’exoneration. Elle n’est pastotalement dtnute d’incidence sur l’activite deslaboratoires pharmaceutiques, des lors que sont promises B un be1 avenir la therapie cellulaire et la thtrapie genique : leurs promoteurs resteront done souvent dans le cadre normal de l’application de la loi, leur responsabilitt pouvant etre utilement mise en jeu B raison du defaut des produits qu’ils mettent en circulation. Enfin, l’article 14 de la loi du 19 mai 1998 engagea une reflexion sur l’alea therapeutique en cestermes : (( Un rapport sur k droit de la responsabilite’ et de hdemnisation applicable h I’aka thh-apeutique sera dkposbpar legouvernementsur Les bureaux des deux assembles avant le 31 dkcembre
1998 s. S’agissantd’une disposition qui figure dansune loi traitant de la responsabilitt civile des produits, on tprouve quelque peine a percevoir l’interet de son insertion. L’alea therapeutique est en effet plus volontiers rattacht a l’activitt medicale, done B une prestation de soins, plutot qu’aux dommagescau~6s par les produits. 11est indispensable de se reporter aux travaux parlementaires pour retrouver la genesede cet ajout : divers intervenants ont demand& qu’une reflexion d’ensemble soit diligentee sur le risque tbPrapeutique (et non pas sur l’alta therapeutique) souhaitant sarisdoute aller plus loin et passer, en ce qui concerne lesbiens de Sante, dun regime de responsabilitt ne faisant pasapparemment la part belle aux victimes, 4 un regime d’indemnisation, dont il existe de longue date 25
dans la doctrine des partisans fervents. Certains auteurs onl done suspectk un lapsus calami dam la redaction finale du texte [25], et c’est certainement B cecte interpretation qu’il convient de se ranger. La France pourrait alors rejoindre les Btats qui, en marge de la responsabilite de droit commun des producteurs, soumettent l’industrie pharmaceutique B un rCgime particulier d’indemnisation pour les accidents causts par les mddicaments, rtgime qui pourrait d’ailleurs tventuellement s’kendre A l’aka thkrapeutique proprement dit, conformement aux revendications rtcurrentes, mais coujours insatisfaites, d’une partie de la doctrine. Un rapport, et encore conviendrait-il qu’il soit klabort dans le temps imparti, n’est toutefois pas une loi, et la course devrait &tre longue et jalonnte d’obstacles avant la finalisation d’un texte offrant des solutions novatrices. Si la loi du 19 mai 1998 contient done en germe quelques tltments de nature A temptrer la valeur du (( cadeau )) fait aux industriels, nocamment dans le domaine pharmaceutique, c’est, d’une manike assez paradoxale, en dehors de son champ d’application que certains croient voir se dessiner une kvolution conforme ?4.leurs vceux.
DES PERSPECTIVES
DE RUPTURE
Manifestement, il existe un fort courant pour dkfendre I’idPe que les victimes de dommages dus au defaut d’un produit trouveraient une Pcoute attentive auprtts des tribunaux hors l’emprise des nouvelles dispositions, dans le cadre des rkgles classiques de la responsabilite quasidClictuelle ou contractuelle : l’argument a Ptk expresstment invoqut devant les parlementaires, afin de les amener B accepter I’exonkration pour ies risques de dkveloppement. P&her l’introduction d’une clause en arguant de son ineffkacitt est d’ailleurs une mkthode ttonnante, que n’ont pas manque de stigmatiser quelques observateurs.. . Mais si ie prockdt apparait curieux, force est bien de constater qu’il repose sur une analyse exacte : ies nouvelies kgles du code civil pokes par la loi du 19 mai 1998 ne font que se surajouter B celles qui y figuraient deja, ce que rappelle I’article 1386-18 conformkment aux indications du texte communautaire transpose qui prPcise en son article 13 que CCla prhente directive ne Porte pas atteinte aux droits dont la victime d’un dommage peut se prkvaloir au titre & la responsabilite’ contractuelle ou extracontractuelle D. Compte tenu de la Pierre d’achoppement que constitue i’exonkration des risques de dkveloppement con&die par la nouvelle loi, ii y a queiques raisons de penser que les victimes pourraient Ctre amentes B se tourner vers les autres options qui rescent B leur disposition, et pour lesquelles la loi ne pose pas expresstment d’exon&ation simiiaire. En ce qui concerne le mtdicament, les commentateurs se recommandent souvent d’un arr&t de la Cour de cassation du 3 mars 1998 [26] pour anticiper les solutions Q venir. Mais leur lecture ne se fait pas toujours au travers du m&me prisme. Dans cette esptce, la Cour d’appel de Versailles [27] avait d&la& un laboratoire pharmaceutique responsable du prkjudice subi par un patient A la suite de l’absorption d’un mkdicament dont la matrice non digestible, qui aurait normalement due &tre ha&e par les voies naturelles, s’etait logke dans la region c;ecale, provoquant une inflammation aux graves 26
conskquences. Les juges de cassation I’approuvent de cette dkision, au motif que le fabricant (( Ptait tenu de livrer un produit exempt de tout deyaut de nature ir crPerun dangerpour lespersonnesou les biens, c’ert-h-dire un produit qui ofie la sPcurite’b hquelle on peut kgitimement shttendre )). D’un avis unanime, cetce dtcision c&e Qla charge deslaboratoires pharmaceutiques une obligation de skuritt-rtsuitat, incontestablement nouvelle en ce qui concerne le mddicament, dont il convient de rappeler qu’il ttait exclu du champ d’application de la ioi du 21 juillet 1983 sur la skuritt des prod&, dite loi ((Laiumitre )s.S’il faut convenir que la Cour de cassationsembleavoir d&id&, ce faisant, d’aligner le mkdicament sur le droit commun, seposenkanmoins le probkme de savoir quelles conskquencesil convient d’en tirer au regard des risquesde dtveloppement. 11est d’abord possibled’imaginer que cette condamnation sur le fondement d’une obligation de skuritt-r6ultat sonne le glasde i’exontration pour risque de developpement [28] et mecte un terme au rtgime d’exception dans lequel la jurisprudence et tout particulikremenr la Cour de cassationtenait antkrieurement l’industrie pharmaceutique, ripondant ainsi aux vceux de ceux qui croyaient devoir lui reprocher cette indulgence. Pour d’autres, l’arr2t n’implique pasde tels effets. 11srappelient que, danssesconclusions, le conseiller rapporteur avait expresskmentfait valoir que la tour pouvait faire l’kconomie de s’interroger sur I’incidence de sa dkision en matike de risquesde dkveioppement, d&slors que n’ttait pasen causeie principe actif du mtdicament, mais simplement son enveloppe, et avancenc que f( I?minent conseillerne seserait pas embarrasskde cetteprhcision si, parmi lesmagistratsde la tour, /‘inspiration avait he’ h la remiseen causede I’exonkration pour risquesde dheloppement J)[29]. Sans dome la Cour de cassation ne s’est pas prononcte directement sur les risquesde dkeloppement, puisque I’examen du cas d’espke lui permettait effectivement d’dluder cette question qui faisait dans ie mgme temps l’objet de discussionsanimies et non encore finaliskes au sein des dew assembkes.Mais si I’on veut bien admettre que I’hCsitation est encore permise quant Bl’orientation que va prendre d&ormais la jurisprudence, compte tenu de la nouvelie donne sur les risquesde dtveioppement, il n’en demeure pas moins que la formule extr$mement large utiiisee par la Cour de cassation restreint sensiblementlespossibilitts de misehors de causedu fabricant de mddicaments pour lesrisquesde dkeloppement, et ceci que 1’011adhtre ou non B I’idCe qu’un contrat existe bien encre le patient-vi&me et le iaboratoire. Dans I’affirmative, l’obligation de skurid-rtsultat posee par la tour fait rentrer le producteur de mtdicament dans le rang desautres fabricants qui y sont traditionnellement soumis : exclue du champ d’application de cette contrainte au titre de la loi du 2 1 juiiiet 1983 sur la skuritt desconsommateurs, l’industrie pharmaceutique y rentrerait par I’effet de cette nouvelle jurisprudence. On ne peut d’ailieurs s’empecher d’opkrer un rapprochement entre la decision du 3 mars 1998 et certains arrtts relatifs aux accidents dus B des transfusions de sanginfest4 par ieVIH, Bune Cpoqueou pareille kventualitt ne pouvait @treimaginke un seulinstant, la Cour de cassarion ayant affirm& A cecte occasion que (( lescentresde trans&sion MklECINE &DROIT no34- 1999
DROfT ET &If sanguine sont tenus defournir aux receveurs desproduits exempts de vice et (...) nepeuvent s ‘exone’rer de cette obligation de stkuritk que par la preuve d’une cause &rang&e qui ne puisse leur he imputke )) [3O]. C’est entrer de plain-pied dansle domaine du risque de dkeloppement sansen utiliser les termes. (( Qualifike d’obligation de Aukat, l’obligation de stcuritk inclut le risque de dkeloppement )) [3 11. M&me ran&es sousla bannikre de la responsabilitt quasiddlictuelle, lesobligations d’un producteur peuvent dksormais diffkilement tchapper Bl’emprise de cette nouvelle approche skuritaire : on connait la ddja t&s ckkbre affaire dite du ((cerceau brisk )), aux termes de laquelle la Cour de cassation a entendu faire b&Gficier lestiers de l’obligation de skurite du vendeur [32]. La volonte de la Cour supremed’&endre cette obligation sansse saucier du fondement de la responsabilitk du producteur s’affirme de plus en plus nettement [33]. En droit, l’&au seresserredone considtrablement. En fait, ce serait tgalement un tort de negliger quelques aspectssur lesquelsI’accent a &te mis A diverses reprises : il s’agit tout particulikrement de l’&entualitk des accidents skriels causts par des mtdicaments, qui, meme sansatteindre l’ampleur de ceux provoquts par destransfusions avec du sangcontamink, entraineraient desreactions similairesau sein de la population. Et ils sont nombreux g predire que l’exontration des risques de dtveloppement telle qu’instaurde par la loi du 19 mai 1998, comme sansdoute tout autre moyen de dtfense derriere lequel tenterait de seretrancher le fabricant du mddicament incrimind, ne tarderait pas Qvoler en eclats sous la pression de l’opinion publique [34]. Et d’avancer qu’8 la limite, ce pourrait &tre une chance pour lesvictimes de setrouver ainsi comprisesdans un accident s&iel plunk que d’avoir Bdemander reparation pour deseffets nkfastesplus modestes 1351.
Si I’on raisonne en termes de responsabilitt, il ne sera probablement jamaispossiblede rkduire l’opposition frontale entre ceux qui revendiquent en mat&e de mCdicament une protection d’autant plus &endue que les risquessont Plevkset impossiblesAdPcelerpour le patient [35], et ceux qui mettent au contraire en avant le caractkre inevitable de cesrisques[36] pour justifier l’application d’un regime de responsabilite moins rigoureux A leur encontre. M$me si cette antienne a dkja beaucoup servi, il faut redire que le mkdicament n’est pas un bien de consommation comme lesautres, qu’il a une fmalitt tout Afait originale et spkifique, et qu’il n’est pastquitable que lesfirmes qui le fabriquent, dansla mesureoh ellessesont convenablement acquittees desmultiples contraintes auxquellesellessont tenues, supportent sansnuanceslesconstquences d’accidents imprkisibles. Alors les laboratoires peuvent naturellement courber le dos, en esptrant que le mauvais sort voudra bien de prkftkence tomber sur les autres, et lespouvoirs publics tabler sur le fait que sera epargnk A la France un accident pharmaceutique d’une ampleur telle qu’il soit nkessaire d’organiser dans la prtcipitation l’indemnisation desvictimes. La solution la plus tltgante ne consisterait-elle pas B pousser les feux pour que soient prtalablement et clairement dtfinies des regles d’indemnisation dans ce domaine si particulier desaccidents en mat&e de santt, donnant ainsi au ltgislateur, du reste &sa MkDEClNE
% OROIT
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CAMEW RESPONSARfff ri CfVILE
demande expresse,l’occasion de livrer une ceuvre mieux aboutie ? RdMrences 1 JO 21 mai 1998. p. 7744. 2 La France a &? une premiere fois condamnee B la suite d’un recours en manquement (CJCE, 13 janv. 1993, Commission des Communautes europeennes c/Rkpublique frangaise, JOCE n “C 314 du 9 f&r. 1993) et risquait une proctdure dire de I( manquement sur manquement )) (Trait6 de Rome mod&& art. 171). 3 JOCE no L 2 10129, 7 aotit 1985. 4 BGH, 26 nov. 1968, Hiiehnerpest : NJW 69. p. 269. adepte de la responsa5 Ainsi la Cour d’appel de Versailles, initialement bilite quasid&ctuelle du fabricant de medicaments (25 juin 1992 : D. 1995 (?), somm. p. 225, note Storck) vient d’abandonner rbcemment cette position (25 jam. 1996, MCd & Droit 1997 ; 23 : 18. Note S. Welsch). 6 Ce qui n’est paa le cas lorsque I’accident est a rapprocher d’une dCfaillance dans la garde du comportement : Cass. civ. 2’, 15 juin 1972 : Bull civ II, n”186. 7 Cf. TGI Nanterre 1997 (inedit) cite par A. Laude, RD Sanit et Sot 1998, n”3, p. 5 10, condamnant la SociCtt Pasteur g r&parer le dommage causC par I’injecrion d’un vaccin antihtpatite B sur le fondement de la garde du produit. Dans une hypothPse voisine (dommage cause par I’inoculation accidentelle d’un vaccin), la Cour de cassation avait ant& rieurement rejetC la responsabilite de I’Institut Pasteur en tant que fabricant du produit : Cass. civ. 2’, 7 dtc. 1977 : D. 1978, IR, p. 202, obs. C. Larroumet. 8 CA Rennes, 25 nov. 1981 : Juris-Data n”41297. 9 Cass. civ. 14 f&r. 1990 : Bull Ordre Pharm 1990, n”327, p. 595 ; RD Sanit et Sot 1990 ; 4 : 661, obs. J.M. Auby. 10 CA Paris, 26 avr. 1989 : RD Sanit et Sot 1990 ; 1 : 52, obs. L. Dubouis. 11 Ainsi le vice cacht, qui doit etre interne ?ala chose, ne saurait t&ulcer des inconv&nients de I’association entre deux medicaments : Cass. civ. l”, 8 avr. 1986 : JCP 1987, td. G, II, 20271, note G. Viala et A. Viandier. 12 Cf. notamment A. Viandier, (( Garantie des vices caches et accident pharmaceutique )). Bull Ordre Pharm 1984 ; 277 : 547-50. 13 Cass. civ. 1”~ 8 avr. 1986, prec. 14 P. Jourdain, note sous Cass. civ., 12 avr.1995 : JCP 1995, id. G, II, 22467. 15 J. Huet ccLe paradoxe des medicaments et les risques de d&eloppement )) : D. 1987, chron. p. 73. - 0. Berg >) La notion de risque de d&eloppement en mat&e de responsabilitC du fait des produits ddfectueux S) JCP 1996, td. G, I, 3945. 16 Cf. pour une analyse plus d&aillee des solutions adoptees : )) La responsabilitP du fait des produits pharmaceutiques )), les documents de travail du S&at, service Legislation comparee. N” LC 18, juill. 1996. 17 Cf. par exemple, le rapport de M. Forini devant 1’AssemblCe nationale en 2’ lecture : Dot. n”755. 18 Cet argument a c&t& contesti, au motif que le risque de developpement n’avait jamais &te consid&? en France comme une cause d’exontration : G. Viney (( L’introduction en droit franeais de la directive europeenne du 25 juillet 1985 )) : D. 1998, chron. p. 291. 19 C. Larroumet qcLa responsabilitt du fait des produits dCfectueux apr&s la Ioi du 19 mai 1998 )> : D. 1998, chron. p. 3 11. 20 Les Nouv Pharm 1998 ; 366 : 286. 21 0. Berg B La notion de risque de dtveloppement en mat&e de responsabilirt du fait des produits defectueux t>, pric. 22 CJCE, 29 mai 1997, Aff. C-300-95, Commission des CommunautCs europtennes cl Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, D.l997,IR,185. 23 C. Jamin, RTD civ. 1998 ; 3 : 767. 24 M. Luby, RTD corn. 1998 ; 3 : 735. 25 F.X. Testu et J.H. Moitry
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DROIT ET MiDlCAMEW” RESPO~SA6lLlT~ CIVILE 29 F.X. Testu et J.H. Moitry, prk. 30 Cm. civ. 1” 12 avr. 1995 : JCP 1995, id. G, II, 22467, note I’. Jourdain. 31 F. Memmi n La responsabilitk du fabricant de mtdicaments : un refus manifeste de garantir le risque de dheloppement a) : Gaz Pal 1996, 2, doctr. p. 1. 32 Cass. civ. l”, 17 jam. 1995, D.1995, p. 350 note I’. Jourdain. 33 Cass. civ. l”, 28 avr. 1998 : JCP 1998, kd. G, 11,10088, rapport I’. Sargos. 34 G. Viney (( L’introduction en droit frangais de la directive europeenne du 25 juillet 1985 relative B la responsabilite du fait des produits dkfectueux >>: D. 1998, chron. p.291. 35 C. Jamin, pk. 36 Cf. J. Huet, pk. et F. Memmi, pk. 37 Lors des travaux parlementaires qui devaient conduire au vote de la loi n”98-535 du 1” juill. 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire des produits destinks B I’homme (JO 2 juill.), le secrkaire d’l?tat g la
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Sante a indiquC : <( Pendant longtemps, le mini&e de la sank a PtP le ministh des soins. C’est en rPalitP le mini&w des risques JJ.Au reste, si I’approche des contrBles administratifs sur les produits table en principe sur le risque zero, elk repose en matikre de medicamencs sur le rappor b&&e/risque.
NDLR : Pour une etude de la Directive et de ses possibles rkpercussions dans le domaine des produits de sank, N. Boinet. Lo responsabilit.4 du fait des prod&s dkfectueux imputable (IUX producteurs de m6dicaments. these Paris XI 1998. Pour une application de la directive, antkrieure A la loi de transposition, pour permettre la reparation du prkjudice moral des proches d’une victime transfusionnelle, se reporter g la breve no I de ce numkro.
Mots clCs (mkdicament) dkfectueux)
: responsabilitk du fait der I mCdicament (responsabilit6 I risque de dkveloppement (cause
produits du fait d’exonhration)
dhfectueux des produits
MhECINE &DROIT no34- 1999