Le « non » à la médecine vasculaire de Mme Bachelot : autisme ou lobbying ?

Le « non » à la médecine vasculaire de Mme Bachelot : autisme ou lobbying ?

Journal des Maladies Vasculaires (2009) 34, 153—155 ÉDITORIAL Le « non » à la médecine vasculaire de Mme Bachelot : autisme ou lobbying ? The French...

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Journal des Maladies Vasculaires (2009) 34, 153—155

ÉDITORIAL

Le « non » à la médecine vasculaire de Mme Bachelot : autisme ou lobbying ? The French Health Minister’s ‘‘no’’ to vascular medicine: Autism or lobbying? J.-L. Guilmot Service de médecine interne, clinique médicale B, CHRU—Hôpital Bretonneau, 2, boulevard Tonnellé, 37044 Tours cedex 01, France Rec ¸u le 18 novembre 2008 ; accepté le 5 f´ evrier 2009 Disponible sur Internet le 3 avril 2009

Pour avoir le droit d’exister, un métier doit être utile à la société et être exercé par des gens compétents et formés selon des critères de qualité reconnus. Les médecins exerc ¸ant la médecine vasculaire échappent-ils à ces deux critères ? C’est ce que semble exprimer l’attitude du ministère de la Santé et de madame Bachelot, en particulier, qui refusent le droit d’exister à une spécialité exercée par 2000 médecins libéraux et hospitaliers en France, à ce jour, qui traitent six millions de patients, chaque année, qui leur font confiance.

Le contexte historique La médecine nécessite un nombre de connaissances qui augmentent sans cesse, ce qui a amené à la création des spécialités médicales et chirurgicales au début des années 1950 de fac ¸on à élever le niveau de compétence des médecins qui les exercent. Réservées au début à quelques grands organes : le cerveau pour la neurologie, le cœur et les vaisseaux pour la cardiologie, le rein pour la néphrologie, le tube digestif pour la gastroentérologie, le nombre des spécialités n’a cessé de croître au fil des années, rhumatolo-

Adresse e-mail : [email protected]. 0398-0499/$ – see front matter © 2009 Publi´ e par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.jmv.2009.02.001

gie, endocrinologie, diabétologie, nutrition, etc. De même, pour la chirurgie qui, au départ, prévoyait une spécialité de chirurgie générale couvrant l’ensemble de la chirurgie, l’acquisition de techniques de plus en plus complexes à mettre en œuvre a justifié la création de spécialités chirurgicales correspondant aux spécialités médicales : neurochirurgie, ophtalmologie, chirurgie cardiaque, urologie, orthopédie, etc. À la création de la cardiologie, cette spécialité englobait le cœur et les vaisseaux périphériques. Le développement considérable des techniques d’explorations et de soins dans le domaine de la cardiologie a amené les cardiologues à concentrer leur activité sur le cœur en délaissant un peu les vaisseaux périphériques. Dans ce domaine aussi, le développement des techniques d’explorations et de soins explosait et a amené certains médecins à se spécialiser dans une discipline qui était théoriquement déjà existante mais qui de fait, sur le terrain, n’était ni exercée ni développée. Ce furent initialement les phlébologues qui organisèrent, à la fin des années 1950, un enseignement pour former des médecins à la prise en charge de l’insuffisance veineuse et des varices, pathologie qui n’a jamais passionné les cardiologues et dont les répercussions ne sont peut-être pas immédiatement vitales mais dont le retentissement fonctionnel sur la qualité de vie des gens est considérable et dont le poids économique en matière de coût de santé est énorme.

154 Quelques années plus tard des professeurs de médecine, dont l’un des pionniers fut le professeur Édouard Housset, ont considéré qu’un enseignement spécialisé devait être fait, non seulement pour la pathologie veineuse, mais pour l’ensemble de la pathologie vasculaire périphérique qui touche les artères, les veines, les lymphatiques et la microcirculation. Cet enseignement a été délivré initialement à des médecins généralistes déjà installés d’abord par un DU, diplôme régional, puis un DIU, diplôme interrégional, puis d’une capacité, diplôme national. Au cours de deux années supplémentaires d’études comportant des stages pratiques dans des services hospitaliers et qui donnait le droit, au terme d’un examen, à une compétence pour un exercice exclusif en angiologie (issu du grec angios : vaisseaux), compétence validée annuellement par le Conseil national de l’Ordre des médecins depuis la fin des années 1960. Actuellement, 2000 angiologues ainsi formés exercent en France en libéral et à l’hôpital consacrant 100 % du temps de leur activité professionnelle à la prise en charge des maladies vasculaires périphériques. Il s’agit d’un exercice exclusif. À ce jour, ils ne sont reconnus ni par le ministère de la Santé, ni par la CPAM comme des médecins spécialistes. Cela est d’autant plus paradoxal que, dans le même temps, les médecins généralistes sont reconnus comme spécialistes obligeant le ministère à changer leur intitulé en médecin de premier recours dans le texte de la future loi Bachelot.

Que réclament depuis plus de 20 ans les angiologues (médecins vasculaires) ? Simplement deux choses : • le droit à une formation « normale » qui rentre dans le cursus de la formation initiale de tout médecin spécialiste avec possibilité à tout étudiant de choisir, au terme de six ans d’études à son entrée dans le troisième cycle des études médicales, la médecine vasculaire en répondant au même règles de choix que les autres spécialités. Le nombre de spécialistes à former sera déterminé annuellement région par région par les pouvoirs publics comme pour toutes les autres disciplines médicales ; • la reconnaissance pour les médecins angiologues installés des même droits que pour tous les autres médecins installés en France, à savoir, le titre de médecin spécialiste.

J.-L. Guilmot citer un intérêt pour une réflexion commune et solidaire. Les lobbies d’intérêts partisans sont suffisamment puissants au sein de chaque état pour étouffer dans l’œuf tout débat, pour éviter qu’ils ne se hissent à l’échelle de la communauté européenne. En France, malgré une volonté de réforme basée sur le pragmatisme d’analyse de chaque situation, souvent éminemment fluctuante, ce débat est mineur au regard de la situation catastrophique de l’avenir de la médecine générale. L’absence de courage politique des différents gouvernements qui se sont succédés depuis plus de 20 ans au pouvoir pour offrir aux Franc ¸ais une véritable politique de Santé publique a amené les gouvernements successifs à une série de reculade dont la dernière à l’automne 2007 a contraint l’actuel gouvernement à retirer immédiatement un projet qui visait à encadrer les lieux d’installation des futurs praticiens non seulement en fonction de leur désir personnel mais surtout des besoins de Santé publique couverts très inégalement sur notre territoire. Au nom d’un pseudo-libéralisme, le gouvernement actuel continue à tolérer que 1000 postes de plus que le nombre de candidats soient ouverts chaque année à l’examen classant de l’internat (ENC) pour permettre aux derniers rec ¸us de s’installer là où ils le souhaitent, c’est-à-dire, dans la région PACA, en Île-de-France, dans les régions de montagne (Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées) alors que la densité médicale y est déjà deux fois supérieure à la moyenne nationale et trois fois supérieure à celles de régions médicalement désertifiées comme celles de la région Centre, de la Franche-Comté, de la Picardie, du Massif Central. . . Chaque acte médical perc ¸u par le médecin est payé par les impôts de la collectivité. Dès lors, n’est-il pas normal que l’organisme payeur qui représente la collectivité puisse intervenir pour que les besoins de Santé publique soient également couverts sur tout le territoire ? Dans ce contexte, serait-il acceptable que 45 médecins vasculaires issus de la filière programmée en médecine générale fuient chaque année cette discipline à laquelle leur médiocre rang de classement les a contraints pour tenter de regagner une discipline qu’ils ont envie d’exercer ? C’est ce que proposerait un diplôme d’étude supplémentaire qualifiant (DESQ) de médecine vasculaire qui serait un pis aller pour les médecins vasculaires.

Y a-t-il une solution ? Quelle est la situation actuelle ? Celle d’un blocage complet. Elle ne date pas d’aujourd’hui et n’est pas le seul fait du gouvernement actuellement en place. Depuis 1984, les premières démarches ont été entreprises, tant au niveau européen qu’au niveau des responsables politiques franc ¸ais pour tenter de trouver une « place normale » à la médecine vasculaire aussi bien pour son exercice que pour son enseignement. Au niveau de l’Europe, la demande d’harmonisation des spécialités médicales au sein des états de l’union est une demande ancienne qui ne trouvera pas de réponse tant que des débats aussi essentiels que ceux d’une défense commune, d’une politique économique commune, d’une politique sociale commune n’auront pas commencé à sus-

La loi Bachelot proposerait une filiarisation des spécialités. Au sein de chaque région, en fonction des besoins de Santé publique, chaque année un certain nombre de postes seraient ouverts pour former des médecins dans chaque spécialité. Le nombre total de postes ouverts serait en adéquation avec le nombre de candidats sur l’ensemble du territoire. Dans ces conditions, serait mis fin à la complète dérégulation actuelle qui nous conduit vers une situation gravissime que seules des mesures ponctuelles et très coûteuses vont tenter d’atténuer, entre autres, l’augmentation de l’attractivité financière des médecins qui accepteront de s’installer dans les zones de désert médical par la suppression des taxes locales, par l’offre de locaux gratuits payés par la mairie, par l’augmentation du prix du C remboursé

Éditorial par la caisse de Sécurité sociale aux médecins de ces régions déshéritées par l’imprévoyance du système actuel.

La loi Bachelot va-t-elle régler tous les problèmes ? Probablement pas et certainement pas celui de la médecine vasculaire. Curieusement, la filiarisation semble avoir oublié la médecine vasculaire avec ses 2000 médecins et les six millions de patients qui les consultent chaque année, tant au niveau de leur formation initiale que du statut des médecins installés. Alors pourquoi cet oubli Madame la Ministre ? Autisme politique ou poids des lobbies de la cardiologie

155 et de la médecine générale ? En 2008, sommes-nous toujours dans la pensée de Clemenceau qui estimait que la guerre est une chose trop importante pour que sa responsabilité soit confiée aux militaires ? Le ministère de la Culture, celui de l’Équipement, de la Consommation et tant d’autres sont des ministères à temps plein quand celui de la Santé doit partager son temps avec celui de la Jeunesse et des Sports. . . Dans un dernier éclair de lucidité, ces choix devraient nous préciser la véritable place qu’occupe la santé et la formation de ses futurs médecins dans l’esprit de ceux qui nous gouvernent. Entre le lobbying corporatiste et l’autisme politique, la médecine vasculaire a-t-elle encore une raison d’espérer ?