Le syndrome de Munchausen par procuration : une étude psychiatrique et criminologique

Le syndrome de Munchausen par procuration : une étude psychiatrique et criminologique

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EXPERTlSES/DROIT

P&AL

LESYNDROMEDEMUNCHAUSEN PARPROCURATION:UN&TUDE PWCHIATRIQUE ETCRIMINOLOGIQUE RenP Wulfman*

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endant I’& 199, des passants dtcouvrent un couff-in a I’oree d’un bois. 11sy trouvent un enfant. 11s avertissent la police et I’enfant est conduit a l’hbpital de cette sousprefecture d’fle-de-France. C’est un garcon age dune quinzaine de jours. 11 est propre, en bonne Sante et semble bien nourri. Dans la soiree, la mere, Mme A. est retrouvee et incarcerte. Mme A. est alors mise en examen pour delaissement de mineur de 15 ans, infraction prkue par l’article 227-l du Code penal. L’tltment moral du d&t est l’intention, ce qui permet d’exclure les negligences meme graves.

Agee dune trentaine d’anntes au moment des faits, la mere est issue d’une famille unie, pratiquante, qu’elle decrit comme chaleureuse, stricte voire rigide. Elle se decrit comme ayant et6 toujours t&s proche de son ptre, dans une situation privikgiee. A I’inverse, elle declare ne jamais avoir et6 proche de sa mere sans qu’elle ait des reproches precis a formuler. Elle s’est toujours sentie dtlaissee. Mme A. est I’alnte dune fratrie de trois filles. Aprts une scolarite secondaire diffkile et plusieurs Cchecs au baccalaurtat, elle parvient B entreprendre des etudes universitaires grace B l’aide de ses parents ; elle les interrompt pour se marier. file&e trts strictement, elle ne sortait pas et elle a rencontre son premier mari a vingt-trois ans. 11s se maritrent rapidement. Elle tomba enceinte. La grossesse se dtroula sans diffkultP particulitre et elle accoucha a terme dune fille, Fleur, dont le developpement fut harmonieux. La situation du couple s’est rapidement alttree. M. et Mme A. divorcerent apres deux ans. Le ptre ne paya jamais de pension alimentaire et son ex-tpouse n’en entendit plus parler. Depourvue de ressources, Mme A. dut retourner vivre chez ses parents qui la prirent en charge compktement elle et sa fille. Grace a l’aide de ses parents, Mme A. reprit ses etudes, obtint un diplbme dans le secteur sanitaire et social ou elle poursuit une carriere satisfaisante La coexistence fut difficile cependant elle I’accepta jusqu’a sa rencontre avec son actuel compagnon, cadre moyen, dun an plus jeune qu’elle. Elle a conserve de bonnes relations avec sa famille. Elle quitta sa region d’origine pour s’installer p&s de Paris. La vie de couple est d&rite comme t&s satisfaisante. Les conditions materielles sont bonnes. La sexualitt est d&rite ‘Psychiatre. Mid & Droit 2001 ; 51 : 25-7 0 2001 6ditions scientifiques et mCdicales Elsevier SAS. Tous droits r&et-v&

comme normale. Le couple sort peu. L’ami est contraint par sa profession a s’absenter souvent, sa compagne s’en accommode. 11s dtsirent tous deux un enfant. Elle interrompt une contraception orale. La grossesse fut pathologique. Le premier trimestre fut . marque par des vomissements. A la suite de contractions, elle dut s’aliter B partir du debut du deuxieme trimestre. Elle se sentait triste, elle n’en fit pas part a l’obsdtricien et celuici ne nota pour sa part aucun trouble. Elle ne recut aucun traitement anxiolytique. Elle se disait satisfaite d’attendre un garcon aprts avoir v&u dans un univers de filles. Au debut juillet, l’accouchement se deroula a terme sans complication. Un garcon sain naquit que ses parents appeltrent Damien. Elle decrit le debut d’un mal-@tre, dune tristesse sans qu’il y ait de depression franche notee par les medecins. Elle quitta la maternitt aprts cinq jours. Elle n’a pas allaite I’enfant. Les suites furent bonnes. Aprts son retour au domicile, elle hoque des insomnies, une sensation de malaise, de tristesse sans raison. Elle se decrit comme dtprimte mais elle n’a fait appel a aucun medecin. Non seulement elle se livrait aux taches mtnageres, mais elle faisait les courses dans les supermarchts. Elle donnait les biberons 2 a 3 fois par nuit ; Damien n’ttait pas un enfant diffkile. Son mari I’aidait, de meme que sa bellemere. Le retour de couches eut lieu a la maison d’art& le jour de I’incarceration. Elle btneficia dun suivi psychiatrique aussitot. Le premier examen se situe cinq jours aprb I’incar&ration. Elle avait tent6 de se suicider la veille par phltbotomie superkielle. Le th&ralisme de la presentation ainsi que l’egocentrisme sont au premier plan. Les seules questions posees concernent son propre sort. Elle n’evoquera pas spontantment a aucun moment de I’entretien son fils ou son ami. Elle donne sa version des faits : ccVers i’b, je me rheille. Mon mari avait dzi s’dbsenter. ])di mis mon enfant duns la nacelle /hi pris La voiture. /e me suis rendue au bois. /e hi abandon&, puis je suis retournke h La maison. Sa sawr avait pose’des questions car elle se trouvait li h maison. Mon mari est rent&plus th que p&vu It &ewe du deeuner. II s’estenquis de L’enfant.Je hi ai racontt! alors que I’enfant avait ele’ enlevt! Jai menti car j’avais honte. _Jki appele’ kzpolice. Lorsque j& appele’la police, je leur ai au&t& dit air se trouvait I’enfant. IL a he’ 25

retrowe’ vers 14 heures J). Ce r&it des faits ne correspond pas au rapport d’enquete. Elle essaie d’expliquer son geste : CC Ily avait eu beaucoup de changement dans ma vie, jhais pense’pendunt ma grossesse quej’aurai une deuxi?mejlLe, cela m’a rappek ma rival&! avec ma seur M.Elle decrit un sentiment obstdant d’ktre incapable de s’occuper de son nouveau-n& alors qu’elle n’a jamais eprouve de diffkultes avec l’ainee Fleur. Cette penste obsCdante n’a cesst de la prtoccuper. Elle ne se serait pas confiCe a quiconque. Elle dit ne pas supporter l’incarceration. Le psychiatre de la maison d’arret lui a prescrit des sedatifs legers et des anxiolytiques, sans antidtpresseurs. Elle est bien adapt&e a la rtalitt exttrieure, elle exprime une forte opposition a un placement m&me momenta& dans un service de psychiatric. (( Ma place est cbez moi avec mes deux enfants, chestun incident sans importance )). Elle utilise ses compttences professionnelles dans le monde medico-social pour traiter son cas avec un recul pathologique. Elle ne s’implique pas et, des ce premier entretien, elle tvoque la suite des evenements en expliquant qu’elle est suffisamment bien placee pour pouvoir obtenir rapidement le retour de son fils a sa garde. Elle ne presente aucun signe de deterioration intellectuelle. On ne retrouve pas non plus d’tltments stmiologiques de psychose. Aucun trouble de I’humeur n’est mis en evidence si ce n’est la reaction a l’incardration. Cinq semaines plus tard, la jeune femme a et6 lib&e et placee sous contrble judiciaire. Elle a conserve la garde de sa fille ainee. Le bebe est place chez la grand-mere paternelle. Elle va le voir chaque jour. Elle a repris une activitt professionnelle. Ses suptrieurs et ses colkgues la soutiennent. Mme A. pense que le juge des enfants va lui rendre la garde de son fils dans les semaines qui vont suivre. Elle ne comprend pas pourquoi celui-ci ne lui a pas et6 remis directement. Elle a entrepris une psychotherapie. La jeune femme dit se sentir mieux. Sa mise est discrete. Elle est peu maquilke. Aucun signe clinique de depression n’apparait. La prbentation est moins histrionique. Elle dit avoir pris conscience de la gravite des faits. Cependant elle maintient sa premiere version des faits suivant laquelle elle aurait elle-m&me alert6 la police. Elle s’interroge sur le sentiment qu’elle a eu durant toute sa grossesse sur la naissance dune fille alors que les tchographies ne laissaient pas le moindre doute sur le sexe de l’enfant. Elle aborde plus posement les relations familiales. Mme A. insiste sur la qualite particulitre de la relation qu’elle a toujours ttablie et maintenue avec son pere. Elle dtcrit sa rivalite avec sa sceur cadette. La patiente est convaincue que sa soeur ttait la prtferee de sa mere et que celle-ci l’a fait b&&icier dun traitement de faveur. Elle n’afkhait pas ses sentiments a l’encontre de sa scour. Elle les a toujours conserves par devers elle. Elle ressent toujours un sentiment d’injustice et de rejet de la part de sa mere. Elle n’a plus de relations proches avec ses sceurs. Elle n’evoque jamais son ami. Elle elude toute question sur la sexualitt. MalgrC les details donnts par la mere sur son Us, celui-ci ne semble toujours pas &tre investi affectivement par la mere. 26

Quatre mois plus tard, un nouvel examen est demand6 par le juge des enfants avant la remise de Damien a sa mere. La qualitt du contact et de la presentation ne cessent de s’ameliorer. Cependant les questions sur la famille et sur l’enfant n’apportent pas d’Cltments nouveaux. En revanche, Mme A. parvient B tvoquer ses actes. c(Je me sentais tellement mal que j’ai dZ; agir ainsi pour que Ibn la situation dans sbccupe de moi )). Cette phrase d&kit laquelle se sont deroultes les faits, la phrase traduit aussi les efforts de Mme A. pour integrer et comprendre son comportement B travers une psychothtrapie qu’elle suit rtgulierement. Mme A. fut jugte et btn&ia dune attenuation de responsabilite. Celle-ci prit en compte l’existence de troubles psychiques anttrieurs aux faits, selon l’article 122-1 du CR la pathologie nevrotique avait alttrt son discernement sans I’abolir. Elle fut condamnee B une peine d’emprisonnement avec sursis et une obligation de soins. Dans les anntes qui suivirent, aucun fait nouveau n’intervint.

DISCUSSION Le premier diagnostic &oquC fut une patbologie psychiatrique du post-partum. Les etats depressifs constcutifs a un accouchement sont frequents. Trois degrts doivent &re distinguts : - le post-maternity blues, tres commun : forme mineure, h type de fluctuation thymique transitoire ; il survient typiquement vers le troisieme jour, chez une femme jeune, plus volontiers primipare. 11 se manifeste par des crises de larme, une anxittt excessive, inapproprite qui grossit tout, une labilit6 thymique qui alterne vagues de tristesse, soudaine, submergeante, indicible et acces de susceptibilite ; - la dkpression majeure puerpe’rale : c’est une depression typique, durable, phtnomene inconnu pour la mere qui l’Cprouve comme un tchec personnel, flagrant a ttablir une relation satisfaisante avec son bCbP a la sortie de la maternitt ; c’est une depression d’apparence nevrotique qui varie jour aprb jour, volontiers aggravte le soir, marquee par un sentiment de fatigue intense, une irritabilite en particulier envers I’Cpoux et envers un autre enfant, une perte de la libido, une insomnie de l’endormissement ; - la psychose puerphale est constituee par une depression d’intensitt psychotique ; c’est le tableau d’un dtlire aigu, precoce, B declenchement brutal, precede par une ou deux nuits d’insomnie, une asthtnie intense et une irritabilitt croissante dont les preoccupations dtlirantes sont centrees sur l’enfant (conviction de lui nuire, rejet brutal, dtlire de filiation). Ni psychose puerptrale ni depression severe du post-parturn ne peuvent &tre retenues car la clinique est caracteristique. Elle ne fut pas retrouvee lors dun suivi minutieux. Par contre un trouble dtpressif ltger de la grossesse est vraisemblable. Le mal-&re et la tristesse diffuse que ressentait Mme A. avant la grossesse peuvent Ctre retenus comme significatif ainsi que l’accentuation des troubles apt& l’accouchement et le retour B domicile. Les troubles du sommeil apparaissent. MkIECINE 8 DROIT no 51 - 2001

EXPERTISES/ DROIT PhIAL Cet aspect depressif intervient dans la get&e complexe du processus psychologique qui a pousse Mme A. a commettre les faits pour lesquels elle etait poursuivie. Cette depression a aggrave une pathologie preexistante. Le tableau clinique est celui dune n&rose hysterique severe. Lors du premier entretien la clinique de I’hysterie est la mieux reprtsentte. Le thtkralisme, l’histrionisme sont au premier plan. Le reel est falsifit (la version de la manikre dont l’enfant a ttt retrouvt), sans qu’il y ait d’enjeu utilitaire puisque les proc&s-verbaux temoignent de la veracite des faits. Le discours est repli de superlatif, tout en restant flou en ce qui concerne les enjeux reels de l’incarctration. Mme A. n’existe qu’au travers des personnages multiples qu’elle occupe. Ses facultes mentales sont intactes. ((Je me sentais telement ma! quej’ai dziagir aim pour que L’on sbccupe de moi. )>11 s’agit de la definition meme du syndrome de Munchausen ou syndrome de Munchausen par procuration, suivant la definition princeps en criminologie. Le diagnostic differentiel avec la maltraitance oh le parent tvite de consulter est l’appel multiple aux mtdecins. L’absence d’affects est caracttristique des parents, gtntralement ces enfants ont appris tres jeunes a mettre en place des mecanismes de defense. La plupart ont enseveli leurs ressentis affectifs et ont v&u dans le deni des souffrances infligees. En remsant inconsciemment de se souvenir, il y a alliance involontaire et identification aux parents terrorisants. Lorsque l’angoisse ressurgit, il faut l’kacuer a I’exttrieur par l’intermediaire de l’enfant. La personnalite de la mere n’est pas settle mise en cause dans ce syndrome particulier. 11 faut l’analyser comme une maladie de la relation mere-enfant-medecin. Cette fois-ci ce n’est pas a l’arsenal medical que la mere a eu affaire mais B celui de la justice. Dans ce cas ce ne furent pas les medecins qui entrerent dans ce trajet mais les magistrats qui furent manipuks soigneusement par une professionnelle qui sut saisir les failles entre les actions du juge des enfants et du juge d’instruction. Le contre-transfert fut d’ailleurs massif mais trop tard. Mme A. tchappa a la plupart des consequences de ses actes. Au clivage fonctionnel des parents &pond sans doute le clivage fonctionnel traumatique des praticiens ou, dans ce cas p&is, des services sociaux et judiciaires. Une attenuation de responsabilite fut reconnue en raison de troubles psychiques anttrieurs. On observe une faille narcissique importante, une sorte de mtsestime de soi issue de l’enfance, du lien avec leur propre mere. La mere ne s’aper$oit pas qu’elle a un petit affectivement vivant. L’enfant est utile dans une fonction qui peut conduire jusqu’au sacrifice. Ces meres, elies-m&mes sacrifites dans l’enfance, sacrifient leur propre corps. Bien que la mere agisse volontairement, elle ne fait pas le lien avec les consequences gravissimes qu’elle provoque. La encore comme dans sa propre enfance se met en place un

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phenomtne de clivage et de deni des repercussions possibles. 11 n’y a pratiquement jamais de jouissance Cprouvte dans la souffrance d’autrui, sauf dans le cas de pervers. L’ultime recompense reside dans I’attention que ces femmes font converger vers elle. Ce role de mere modtle que souligne le modtle medical est particulitrement gratifiant et concourre a combler la faille narcissique. Certains parents coupes de leurs souffrances infantiles vont les inclure et les enclore dans le corps meme de leur enfant chose, objet narcissique et non libidinalement investi. Les soins medicaux resultent du contre investissement rate des desirs d’infanticide maternel ou paternel, comme d’un rempart contre leurs propres phobies d’impulsion. La prise en charge prtcoce de cette pathologie assimilable au syndrome de Munchausen, au tout premier temps de la parentalite, permet de traiter simultantment les projections morbides des parents sur l’enfant et celles dont ils ont ttt eux-m&mes victimes dans leur enfance.

Le

syndrome

de

Munchausen

par

procuration

:

dtiftnition psychiatrique

I1 s’agit d’une maladie de l’enfant provoquee ou d’tme maladie reelle de l’enfant aggravee par la conduite parentale. La litterature pediatrique a isole ce syndrome posterieurement 1 la description de ce syndrome chez l’adulte lui-m&me. I1 s’agit g&t&alement d’enfants de moins de cinq ans dont la mere, appartenant a tme profession ayant un lien avec le monde medical, exerce activement les s&ices. Le p&e cautionnant plus ou moins passivement, tolerant ou ignorant la conduite de la-mere. La pathologie de la personnalite parentale sous-jacente peut &tre parandiaque, perverse ou narcissique. Certaines situations de maltraitance a enfants apparaissent ponctuelles. Dans la plupart des cas la maltraitance est prolongee, et reste lice a la qualite de I’investissement parental de l’enfant, a la place de l’enfant dans la famille, avec parfois, le mandat transgenerationnel. Le couple parental peut &tre conflictuel, violent (conflits regles par enfant interpose), instable, fusionnel ou inexistant. 11 est decrit en 1986 par R. Meadow en Irlande et P. Sigal en Israel. n Le syndrome de Munchausen en criminologie La victime designee n’est que le support qu’a choisi l’auteur de I’infiaction pour attirer l’attention sur lui-m&me.

Mots cl& : Munchausen (syndrome)

I infanticide

RLf&ences

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Fen&n

G. Le syndrome de Munchausen. Paris

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