L’homme et le chien domestique : une pathologie neuropsychiatrique commune ?

L’homme et le chien domestique : une pathologie neuropsychiatrique commune ?

Annales Médico Psychologique 161 (2003) 569–578 Mémoire original L’homme et le chien domestique : une pathologie neuropsychiatrique commune ? Man an...

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Annales Médico Psychologique 161 (2003) 569–578

Mémoire original

L’homme et le chien domestique : une pathologie neuropsychiatrique commune ? Man and the common dog: a common neuropsychiatric pathology? M. Bénézech * CH Charles Perrens, 121, rue de la Béchade, 33076 Bordeaux cedex, France Reçu le 26 juillet 2002 ; accepté le 18 septembre 2002

Résumé Psychiatres et vétérinaires utilisent une terminologie médicale identique pour décrire les troubles neuropsychiatriques observés chez l’homme et le chien domestique. Si le langage articulé est propre à l’homme, le chien possède un système organisé de signaux sonores et gestuels qui lui permet de communiquer avec ses congénères. Cet animal présente par ailleurs un certain nombre d’anomalies comportementales proches de la pathologie psychiatrique humaine : stress, anxiété, dépression, phobie, rituels obsessionnels compulsifs, dysthymie, dissociation « psychotique », hyperactivité-impulsivité, sociopathie, sénilité démentielle. Certaines entités nosographiques de la « folie » ne semblent donc pas spécifiquement humaines malgré le risque d’anthropomorphisme dans la description clinique des troubles comportementaux du chien. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Summary Psychiatrists and veterinary surgeons use the same medical terminology to describe the neuropsychiatric disorders observed in man and dog. While articulated language can only be produced by man, the dog possesses an organised system of sound and gestual signals allowing communication with their fellow creatures. Moreover, the dog presents a number of behavioral abnormalities which resemble those of human psychiatric pathology, such as stress, anxiety, depression, phobia, obsessive-compulsive rituals, dysthymia, “psychotic” dissociation, hyperactivity-impulsivity, sociopathy and senile dementia. Some nosographic entities of “madness” would therefore not seem to be specifically human, despite the risk of anthropomorphism in the clinical description of behavioral disorders in dogs. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Anthropomorphisme ; Chien ; Éthologie ; Genre humain ; Langage ; Nosographie ; Troubles mentaux Keywords: Anthropomorphism; Dog; Ethology; Language; Mankind; Mental disorders; Nosography

« Je vois un animal moins fort que les uns, moins agile que les autres, mais à tout prendre, organisé le plus avantageusement de tous ». J.-J. Rousseau « Tout nous incite à mettre fin à la vision d’une nature non humaine et d’un homme non naturel ». S. Moscovici * Auteur correspondant. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S0003-4487(03)00033-7

1. Introduction Tel maître tel chien, a-t-on coutume d’entendre lorsque le plus fidèle compagnon de l’homme partage avec ce dernier une bonhomie sympathique ou une agressivité patente. La question des relations entre comportement humain et canin n’est d’ailleurs pas nouvelle puisque C. Darwin l’avait déjà envisagée dans son ouvrage, L’Expression des émotions chez l’homme et les animaux, paru en 1872. Mais Darwin fait une autre remarque d’importance : il constate que les principales expressions humaines sont les mêmes dans le monde entier, quelles que soient la race et la culture. Il conclut qu’un

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certain nombre de manifestations expressives sont manifestement innées, instinctives et il partage l’avis du Docteur Maudsley qui rapproche l’idiot de la brute animale et qui se demande s’il ne faut pas voir dans diverses actions « un écho affaibli d’un passé lointain, qui témoigne d’une parenté dont l’homme s’est presque entièrement affranchi ». De telles hypothèses pourraient prêter à sourire si elles n’étaient largement confortées par les connaissances et les découvertes récentes des sciences neurobiologiques, anthropologiques, éthologiques et génétiques. Ainsi, les humains et les primates supérieurs (chimpanzés) sont semblables à 98,6 % sur les plans moléculaires et génétiques. Avec un autre mammifère aussi éloigné de nous que le chien domestique, nous avons cependant plus de 90 % de séquences d’ADN qui concordent [3]. De même, nous partageons ensemble le réseau neurologique de l’agressivité et de la rage qui, régulé en amont au niveau néocortical chez les primates, s’insère dans le système limbique. MacLean, fondateur en 1977 de la conception des « trois cerveaux en un » (reptilien, paléomammalien et néomammalien), assimile le système limbique au cerveau paléomammalien. Cet auteur lui assigne pour fonction majeure la genèse des émotions (emotional mind) et considère que le développement des fonctions cognitives (rational mind) est le propre du cerveau néomammalien [14]. Dans ce mémoire, il ne saurait être question de faire l’historique des idées sur l’activité mentale et la psychologie des animaux, le concept de zoopsychiatrie, les recherches éthologiques anciennes. On trouvera ces informations dans les traités classiques de E. Bleuler (Naturgeschichte der Seele, 1921 ; Die Psychoïde, 1925) et dans l’ouvrage collectif Psychiatrie animale publié en 1964 sous la direction de A. Brion et H. Ey [2]. Un autre travail magistral est la monographie de H. Verdoux et M. Bourgeois parue en 1991 et intitulée Modèles animaux et psychiatrie [26]. Ces auteurs s’interrogent longuement sur la pertinence (apport, validité/ validation) de la modélisation animale en pathologie médicale et tout particulièrement en ce qui concerne les troubles mentaux. Ils rappellent que l’on est passé de l’observation anecdotique de troubles du comportement spontanés chez l’animal à la description de perturbations comportementales induites expérimentalement chez des animaux de laboratoire, pour en arriver enfin à des études psychopharmacologiques et neurobiologiques permettant d’élucider les mécanismes d’action des substances psychotropes et de mettre au point des tests pharmacologiques susceptibles d’identifier de nouvelles molécules actives. La psychiatrie, comme d’autres spécialités médicales, bénéficie maintenant de l’apport de l’expérimentation animale et plus précisément de l’élaboration de modèles animaux des troubles mentaux [26]. Précisons que le manuel de P. Pageat, Pathologie du comportement du chien, sera notre référence constante pour toute la partie relative aux troubles comportementaux canins [21]. Nous emprunterons en particulier à ce livre très spécialisé la nosographie des entités cliniques, leur méthode d’éva-

luation et leurs thérapies. Un autre travail du même auteur nous guidera tout au long de ce mémoire. Il s’agit de L’Homme et le chien, ouvrage didactique destiné au grand public et qui vulgarise clairement les principales données psychopathologiques canines [22].

2. Le langage des gestes Avant de tenter de mettre en évidence les relations entre la pathologie psychiatrique de l’homme et du chien domestique, il nous semble indispensable de consacrer quelques lignes à la « science des gestes » dans les deux espèces. La théorie évolutionniste classique et divers linguistes (N. Chomsky par exemple) avancent que le langage structuré est le propre de l’être humain, ce qui lui confère un énorme avantage en terme de survie. Cette idée, que l’homme est une créature à part, n’est et n’a d’ailleurs jamais été unanimement partagée. Déjà Aristote, Thomas d’Aquin et Darwin pensaient que la différence entre humains et animaux était d’ordre davantage quantitatif que qualitatif. Cette opinion est à notre époque largement partagée par la communauté scientifique et si l’animal vertébré (le chien en l’occurrence) ne possède pas un appareil de phonation et un organe de contrôle (langue et lèvres) permettant l’émission de sons modulés et assemblés dans d’innombrables combinaisons, il est cependant capable des bruits moins complexes, les « vocalises », dont le registre tonal, la durée d’émission et la fréquence ont cependant valeur universelle de communication au sein de l’espèce et même entre espèces animales différentes [20]. Mais si le message sonore des mots est fondamental chez l’homo sapiens, un autre mode de communication naturelle ou culturelle persiste : ce sont les mouvements corporels (actions, attitudes, gestes, mimiques) innés ou acquis qui expriment nos besoins et nos sentiments. Ce langage du corps est volontiers international et nombre de nos comportements physiques, plus ou moins conscients, sont clairement interprétables par des individus appartenant à des milieux socioculturels très différents [17-19]. On peut en rapprocher le langage artificiel par gestes des sourds-muets ou celui, étrange et secret, entre vrais jumeaux pathologiques [28]. Si le chien « parle » (il sait aboyer, grogner, gronder, hurler, mugir, chanter, gémir, geindre, couiner, japper, pleurer, haleter, soupirer), ce canidé domestique a bien d’autres moyens corporels de s’exprimer et de communiquer avec ses congénères, moyens beaucoup plus développés que chez l’humain. Il possède en effet un langage codé des oreilles, des yeux, de la queue, des postures, signes gestuels communs à ceux de son espèce, sous réserve de quelques variations raciales (oreilles droites ou pendantes par exemple). Il en est de même des comportements et des signes liés aux relations hiérarchiques, à la sexualité (cour amoureuse) et à l’ensemble des messages olfactifs (odeurs corporelles, phéromones). Il existe donc un système précis de communication déchif-

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frable entre chiens et partiellement compréhensible pour la personne humaine qui sait décrypter ces signaux auditifs et visuels : aboiements et autres vocalises, expressions faciales, posture, mouvements de la queue et du corps [3]. Comme on le voit, la capacité relationnelle des chiens est beaucoup plus vaste et complexe qu’on ne l’avait d’abord pensé. Lorsqu’ils évaluent le niveau de performance linguistique, les psychologues considèrent que la gestuelle est une composante du langage au même titre que l’élocution et l’un des tests utilisés chez les enfants à partir de 2 ans, le MacArthur Communicative Development Inventory, comprend une partie intitulée « Gestes communicationnels ». Grâce aux signaux sonores et gestuels associés, les chiens s’entretiennent de leurs problèmes quotidiens, de leur organisation hiérarchique, de leurs liens sentimentaux [3]. Ils font comme les humains qui consacrent les deux tiers de leurs échanges verbaux à des thèmes d’ordre social ou affectif [4]. Notons encore qu’il semble démontré que le degré de capacité de communication des chiens adultes est quantitativement égal à celui des enfants de 2 ans et que le langage que l’on utilise souvent à l’adresse des chiens ressemble étonnamment à la manière spéciale dont on parle aux bébés [3,10].

3. La symptomatologie psychiatrique canine 3.1. Considérations générales Il est d’usage de diviser le développement comportemental du chien en trois périodes : néonatale, de transition (processus d’imprégnation et d’attachement à la mère), de socialisation [8]. On y ajoute maintenant la période prénatale. La période de socialisation, la plus complexe de la vie du chiot, commence vers la 3e semaine après la naissance et s’achève à la puberté, entre 6 et 18 mois. C’est une étape qui se caractérise par l’acquisition de quatre éléments fondamentaux constituant l’ossature du processus de socialisation: les autocontrôles, la communication, les règles de la vie en meute (hiérarchisation) et enfin le détachement. Au cours de cette période, le chiot va apprendre à communiquer en utilisant ses différents systèmes sensoriels (tactile, olfactif, auditif, visuel) et en exécutant les séquences comportementales (postures et mimiques spécifiques) des rituels liés à des fonctions vitales ou sociales. Des perturbations lors de ces apprentissages de l’attachement–détachement et des conduites sociales (5–12 semaines) peuvent avoir des conséquences psychopathologiques. Ainsi, l’absence d’acquisition de la hiérarchie alimentaire semble corrélée à la dissocialisation primaire alors que le non apprentissage de l’inhibition de la morsure l’est au syndrome hypersensibilité–hyperactivité. Les autres conséquences d’une mauvaise insertion dans le groupe sont le syndrome de privation sensorielle et la dépression de détachement précoce [21,22].

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3.2. La consultation comportementale Le vétérinaire clinicien procède habituellement de la façon suivante : • entretien avec les propriétaires. L’exposé du motif de consultation est suivi d’une discussion visant à préciser les caractéristiques émotionnelles et réactionnelles du chien, l’organisation hiérarchique du groupe où il vit, le déroulement de son développement comportemental ; • examen somatique. Il doit être obligatoirement effectué, même si le tableau clinique présenté paraît purement comportemental. Il recherchera une affection organique à l’origine des troubles, les maladies intercurrentes qui limiteraient l’emploi de certains psychotropes, les lésions ou les modifications physiologiques et morphologiques associées aux états pathologiques. Ces dernières peuvent être directes (tachycardie, tachypnée, dyspepsie, diarrhée, ptyalisme, énurésie) ou indirectes (dermatite de léchage, onychophagie, boulimie et obésité, polyuro-polydipsie) ; • observation directe du comportement. Elle se déroule pendant toute la consultation mais se fait plus précise après l’examen organique du chien. Les attitudes pathologiques seront recherchées à travers quatre types de comportements différents : C exploratoire ; C d’agression ; C stéréotypies, activités de substitution, rituels ; C manifestations hallucinatoires ; • échelles d’évaluation. Les commémoratifs, l’anamnèse, l’observation et l’examen clinique seront complétés par trois grilles d’évaluation principales qui ont subi un protocole de validation suffisant pour confirmer leur fiabilité et leur sensibilité. Le rôle essentiel de ces instruments de mesure chiffrée est de faciliter l’identification du stade évolutif, de repérer l’évolution de l’état morbide et donc d’objectiver les effets du traitement. Il s’agit de l’Échelle d’évaluation de l’agressivité chez le chien, de l’Échelle d’évaluation des troubles émotionnels du chien (ETEC) et de l’Échelle d’évaluation du vieillissement émotionnel et cognitif (EVEC). 3.3. Classification des entités cliniques Là encore, nous suivrons le plan de P. Pageat fondé sur l’analyse de plus de 10 000 dossiers médicaux canins [21]. Cette nosographie comporte sept catégories de troubles comportementaux du chien : • ceux apparaissant durant l’enfance ou l’adolescence ; • de la relation avec le milieu extérieur ; • associés à une affection somatique ; • des conduites sociales de l’adulte ; • anxieux de l’adulte ; • thymiques de l’adulte ; • liés au vieillissement.

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4. Troubles débutant dans l’enfance et l’adolescence

cognitives : habituation, désensibilisation, contre-conditionnement, structuration par le jeu, détachement.

4.1. Syndrome hypersensibilité–hyperactivité (HS-HA) 4.3. Dépression de détachement précoce (DDP) C’est le chiot puis le chien hypervigilant qui ne tient jamais en place, qui peut jouer jusqu’à l’épuisement, qui s’intéresse à tout ce qui se passe sans possibilité de focaliser son attention en vue de son éducation. Si la pathologie se limite à cet état d’hyperactivité et d’hypersensibilité, le chien est capable de dormir et a des périodes d’accalmie (stade 1). Si la symptomatologie est plus importante avec une surexcitation permanente, de la brutalité, des morsures, des dégâts matériels, de l’hyperphagie, on parle de stade 2. Le syndrome HS-HA pose de graves problèmes aux maîtres de l’animal malade et se traite par les neuroleptiques antiproductifs (sultopride, sélégiline), la fluoxétine, l’acétate de cyprotérone, les thérapies de jeu et d’apprentissage des inhibitions sociales. 4.2. Syndrome de privation sensorielle Cette entité regroupe des tableaux cliniques variés, secondaires à un développement du chiot en milieu hypostimulant. Le déficit de stimulation (chenil isolé, sous-sol obscur, expérience de privation sensorielle) est classé en trois degrés de gravité évolutive : • stade 1 ou phobies ontogénétiques. L’animal est présenté comme peureux dès son arrivée dans son nouveau milieu de vie. Il est immédiatement incapable de supporter un ou plusieurs stimuli identifiables par ses propriétaires : voitures, bruits urbains, foule, enfants, etc. Le chiot a alors une réaction émotionnelle d’irritation ou de peur et tente de fuir, de se cacher, d’agresser. Des phénomènes d’anticipation surviennent rapidement et augmentent le nombre de situations phobogènes. On peut associer à ces attaques de panique ontogénétiques l’anthropophobie familiale du Pointer, maladie à prédisposition héréditaire ; • stade 2 ou anxiété de privation. On se trouve ici devant des troubles très invalidants, l’animal se cachant au moindre changement de son environnement, notamment spatial et temporel. Il est impossible de faire sortir le chien qui manifeste des signes d’anxiété permanente, d’inhibition (blocage, ralentissement moteur) et des activités de substitution : exploration statique, posture d’expectative, potomanie. Les crises de panique avec hurlements sont souvent accompagnées de dégâts matériels ; • stade 3 ou stade dépressif. C’est un état de dépression chronique typique caractérisé par la disparition du comportement exploratoire et des activités ludiques. Le chiot est couché, prostré dans un recoin dont il ne sort que la nuit, présentant une encoprésie et une énurésie. On note encore des phases d’agitation intermittentes. La prise en charge du syndrome de privation sensorielle comprend les anxiolytiques, les antidépresseurs sérotoninergiques et tétracycliques, les thérapies comportementales et

Souvent confondue avec le syndrome de privation, la DDP résulterait du refus de la mère chien d’avoir des contacts avec ses chiots et plus généralement de l’absence totale de maternage au cours des quatre premières semaines de la vie. Cette entité nosologique est souvent diagnostiquée à un âge avancé devant un comportement profondément déficitaire qui a commencé tôt : chiot sage sans signe d’attachement intra- et extraspécifique. Le chien n’émet pas de signaux de communication, n’a aucun comportement exploratoire ou ludique : la face est immobile, inexpressive, le regard fuyant, le contact physique déclenche des accès de panique. On note encore une anorexie et un sommeil perturbé par l’hypersensibilité aux bruits. L’évolution du trouble est stable et son traitement fait appel au sulpiride, au sultopride, aux antidépresseurs du type miansérine, à la thérapie de structuration par le jeu associée à la mise en place d’un lien d’attachement. 4.4. Anxiété de séparation Dès qu’il est séparé de ses maîtres, le chiot ou le chien présente un comportement anormal : il émet des vocalises, détruit le mobilier, urine, défèque et vomit sur place. Ces troubles anxieux de détresse surviennent lorsque les propriétaires sont absents du domicile ou la nuit si l’animal dort seul dans une autre pièce. Les retrouvailles déclenchent une « fête » spectaculaire, le chien étant décrit par ses maîtres comme infantile, collant, les suivant partout pas à pas, manifestant les signes d’un hyperattachement et d’une dépendance affective prolongée. L’évolution du trouble est chronique avec un risque accru de développer sur le tard une dépression d’involution. Les traitements consistent en anxiolytiques et bêtabloquants facilitant une thérapie de détachement et de déritualisation du départ et du retour. 4.5. Dissocialisation primaire Nous sommes ici confrontés au problème fréquent du chien de plus de trois mois dit « délinquant », psychosociopathe, impulsif, sans maîtrise de ses envies et motivations. Il est l’auteur d’agressions hiérarchiques et par irritation. Toute tentative par ses propriétaires de contrôler ses activités entraîne une réponse immédiate à type de violente morsure « tenue ». Si le chien a faim, il vole la nourriture disponible. S’il veut garder un jouet, il mord l’enfant qui cherche à le récupérer. En cas de conflit avec un de ses congénères, il est incapable de se soumettre s’il est le plus faible et de mesurer la puissance de sa morsure. Ce chien « méchant » par défaut de hiérarchisation présente donc une extrême dangerosité pour son environnement canin et humain, son hyperagressivité primaire étant à l’origine de combats sévères et sanglants ainsi que de blessures graves sur les membres de la famille qui l’entoure. Le traitement associera des antidépresseurs

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(clomipramine), des neuroleptiques (pipampérone, sultopride), des normothymiques (carbamazépine) et des techniques cognitivo-comportementales (régression sociale dirigée, autocontrôle par le jeu). 4.6. Autres troubles précoces Nous ne ferons que mentionner les imprégnations hétérospécifiques à une mère non canine de substitution, les troubles anxieux de l’enfance et de l’adolescence (stéréotypies de contrainte, énurésie des jeunes chiens au travail de dressage) et les graves dépressions réactionnelles du chiot à tout stress violent. 5. Troubles de la relation avec le milieu extérieur Il s’agit essentiellement du syndrome « dissociatif » (selon la terminologie utilisée par P. Pageat) qui débute entre 7 et 31 mois chez certains chiens ayant une prédisposition raciale (berger allemand, bull-terrier) et familiale (lignées pathologiques). L’affection est très invalidante et le suivi thérapeutique doit être poursuivi durant toute la vie de l’animal. La caractéristique symptomatique majeure est une perte progressive des relations avec le monde réel. Le chien présente en effet des épisodes dissociatifs de sévérité croissante, volontiers décrits comme « étranges » par ses maîtres, au cours desquels il a des activités répétitives (tournis, claquement des mâchoires, sautillements) et où il semble stimulé par des facteurs inexistants. Après une phase prémorbide marquée par de l’évitement ou de l’impulsivité, on observe des états hallucinatoires à thèmes invariables, des stéréotypies, des phases d’hébétude, de la brutalité lors d’interactions affectives. Le pronostic est médiocre, surtout si le premier épisode ne paraît pas suivre un stress important. La chimiothérapie antipsychotique représente l’essentiel du traitement : sélégiline, fluoxétine, sultopride, amisulpride, rispéridone. Les analogies de cette entité clinique canine avec la schizophrénie humaine sont nombreuses [21]. 6. Troubles associés à une affection somatique En sus des processus néoplasiques cérébraux et des dysendocrinies, on regroupe les troubles comportementaux suivants : • syndrome « agressivité réactionnelle » des états algiques. Parmi les affections algogènes, l’arthrose, les lésions péri-anales, les otites, certaines dermatoses sont susceptibles de créer une séquence d’agression par irritation chez des chiens jusqu’alors sans méchanceté et bien intégrés dans la vie familiale. Après un premier stade réactionnel à la douleur, on peut observer une évolution vers une hyperagressivité au contact humain, puis finalement l’apparition d’une dysthymie ; • eidolies hallucinosiques des chiens atteints de dystrophie des photorécepteurs. Ces troubles se rencontrent

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chez des chiens appartenant aux races prédisposées et atteints de lésions ophtalmiques intéressant le segment postérieur de l’œil : dystrophie rétinienne en période dégénérative. Les anomalies comportementales surviennent le soir ou dans des lieux mal éclairés et se présentent sous trois formes d’agression : de prédation, par irritation, par peur. Les animaux ont tendance à éviter les zones ombragées ou sombres. Le diagnostic se confirme par un examen ophtalmologique et électrorétinographique ; • troubles toxiques ou médicamenteux. Ils apparaissent après une anesthésie générale à la kétamine ou à la tilétamine associée au zolazépam. La symptomatologie comprend une photophobie par hypersensibilité à des stimuli lumineux, une anxiété intermittente, des réponses d’évitement ou d’agression alors que l’animal est au repos dans un environnement hypostimulant (flashs eidoliques). 7. Troubles des conduites sociales de l’adulte 7.1. Troubles de la communication L’anxiété de déritualisation s’observe parfois chez le chien adulte qui vient de changer de groupe social (famille ou meute) et qui est de ce fait obligé de perdre ses anciens rituels pour s’adapter aux signaux fonctionnels de communication de son nouvel environnement. L’ambiguïté qui résulte des interactions sociales va engendrer de l’anxiété avec attitudes de retrait, émission de signaux ambivalents, épisodes agressifs par peur ou irritation lors des contacts prolongés, stéréotypies, dermatite de léchage au bout de quelques mois. La guérison spontanée survient dans un tiers des cas et la prise en charge associe les psychotropes aux thérapies comportementales. Le « syndrome du chien simulateur » est une ritualisation de conduites induites par une affection somatique. C’est la survenue d’un rituel organisé à partir des symptômes typiques d’une atteinte physique dont l’animal a souffert dans le passé : léchage et mordillements qui accompagnent le prurit, toux, vomissements, boiterie, consommation d’eau ou de nourriture. C’est donc une persévération de signes cliniques alors que le chien est complètement guéri. Le traitement est purement relationnel : thérapie de déritualisation et thérapie systémique stratégique si nécessaire. 7.2. Phobies sociales Sous cette dénomination, on range des situations où le chien adulte est incapable de supporter l’interaction avec un autre être vivant (humain ou animal) sans présenter une réaction émotionnelle violente comme la fuite ou l’attaque. Cet état phobique est sans relation avec l’environnement physique ou avec l’individu rencontré. La peur ne vise en effet que l’interaction elle-même (regard, contact physique, vocalise). Le chien réagit habituellement par une rupture

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brutale du contact, en s’éloignant de son protagoniste quels que soient l’individu et le lieu. Le diagnostic repose sur cet évitement systématique alors que la bête conserve un répertoire social normal dans les autres secteurs. Les animaux en cause ont pour la plupart souffert dans les premières semaines de leur vie d’un déficit de stimulation. L’évolution éventuelle vers des troubles anxieux dépend de la fréquence des événements phobogènes et de l’attitude adoptée par les propriétaires du chien. Comme pour les troubles de la communication, le traitement par des techniques de contreconditionnement est essentiel, mais ici la chimiothérapie est nécessaire pour supprimer les réactions émotionnelles de fuite : bêtabloquants, neuroleptiques (thioridazine, fluphénazine). 7.3. Troubles de l’organisation hiérarchique ou sociopathies Les conflits hiérarchiques entre chiens (sociopathies dans les effectifs canins) sont l’un des motifs les plus fréquents de consultation en médecine vétérinaire. Au sein d’un groupe, ils trouvent généralement une solution naturelle par l’établissement d’un rapport hiérarchique en l’absence de toute intervention humaine. Toutefois, si les propriétaires s’en mêlent, ces comportements peuvent devenir pathologiques lorsqu’un nouveau chien est introduit dans la meute ou à l’occasion de la maturité sexuelle d’un chiot. En empêchant les combats de se poursuivre jusqu’à la soumission du vaincu ou en provoquant des situations absurdes au plan de la hiérarchie canine, l’être humain amplifie et pérennise le conflit, en rendant les chiens chroniquement hypervigilants. Il en résulte une augmentation des comportements agressifs hiérarchiques (compétitions pour la nourriture, le territoire, la sexualité) qui peut évoluer vers une anxiété et des désordres affectant la reproduction. La prise en charge est principalement axée sur la thérapie systémique et secondairement sur les thymorégulateurs (carbamazépine). Les conflits hiérarchiques homme-chien (sociopathies dans les groupes homme–chien) sont extrêmement fréquents et obéissent au même type de mécanisme étiologique et pathogénique que les sociopathies à l’intérieur d’une meute. Les agressions contre l’humain, de la part d’un chien dominant hypervigilant qui veut tout contrôler, sont de trois catégories : • lors de situations de conflits hiérarchiques (couchage, nourriture, protection d’un chien de sexe opposé), la personne mordue étant toujours un adulte de même sexe que le chien agressif ; • lors d’un contact physique douloureux avec l’animal (agression par irritation) ; • lors des entrées et des sorties du domicile des membres du groupe ou des visiteurs (agression liée à la territorialité). Ces trois formes d’agression (irritation, hiérarchique, territoriale) constituent ce que l’on appelle la « triade » des sociopathies. Le pronostic doit être soigneusement évalué en raison du risque que la bête fait courir à la famille. Dans les

cas les plus graves (animal hyperagressif de grande taille, enfants à la maison) l’euthanasie peut être préconisée. Dans les autres, le traitement associera les psychotropes (carbamazépine, pipampérone, cyprotérone) à une thérapie systémique de régression sociale dirigée. 8. Troubles anxieux de l’adulte 8.1. Phobies chez l’adulte Ce sont des symptômes post-traumatiques qui surviennent à la suite d’un événement sensibilisant et qui peuvent évoluer de la phobie simple (état de crainte, stade 1) à la phobie complexe (généralisation, stade 2) puis vers l’anxiété (manifestations organiques anxieuses, stade 3). Les phobies du chien adulte ne doivent pas être confondues avec les phobies ontogéniques du chiot (sans épisode traumatique initial), les phobies sociales, les accès phobiques des sociopathies et les phases productives pseudo-phobiques des dysthymies. Les plus fréquentes de ces phobies de l’adulte sont par ordre décroissant les engins motorisés, les orages, les détonations (coups de feu), les hommes, les vélos, les sonneries de téléphone, les oiseaux, les lumières vives, le vent, la pluie [21]. Sous traitement, le pronostic est généralement favorable si la patience et la motivation des maîtres ne sont pas en cause. On utilise les psychotropes selon le degré évolutif de la maladie (anxiolytiques, antidépresseurs, neuroleptiques antiproductifs) ainsi que les techniques de désensibilisation systématique, de contre-conditionnement, de mesure des flux de communication et enfin de jeux. 8.2. Anxiétés de l’adulte On range sous cette dénomination les troubles anxieux primaires (apparus d’emblée) ou secondaires, c’est-à-dire résultant de l’évolution des phobies et autres affections comportementales du chien. Le diagnostic se fonde sur la mise en évidence des symptômes spécifiques : agressions par peur et irritation, troubles digestifs et cardiorespiratoires, mictions fréquentes, ptyalisme, dermatite de léchage, diminution du comportement exploratoire et de la motricité volontaire, stéréotypies. L’anxiété de l’adulte se présente sous trois formes cliniques principales : paroxystique, intermittente, permanente. La première se traduit uniquement par des manifestations organiques neurovégétatives, la deuxième par des agressions surajoutées aux phénomènes neurovégétatifs et la troisième par de l’inhibition psychomotrice associée à des activités substitutives visant à diminuer la tension émotionnelle : stéréotypies gestuelles à type d’actes « compulsifs » de léchage entraînant des troubles cutanés. Cette dermatite de léchage (acral lick dermatitis) du chien anxieux chronique constituerait un modèle animal des troubles obsessionnels compulsifs (TOC) de type trichotillomanie et pourrait résulter d’un dysfonctionnement sérotoninergique [1,24,25]. Selon la gravité de l’affection et ses formes de transition, le

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traitement fera appel à des psychotropes variés (propranolol, sulpiride, clomipramine, carbamazépine) et à diverses thérapies : multiplication des expériences sensorielles, modulation des flux d’information, jeux. 9. Troubles thymiques de l’adulte 9.1. Troubles dépressifs de l’adulte La dépression réactionnelle se caractérise par de l’anorexie, de l’hypersomnie, des gémissements et une perte de l’activité motrice volontaire, notamment du comportement exploratoire. Cette forme de dépression apparaît une dizaine de jours après un stress important : accident de la circulation, détonation proche, blessure ou abandon de l’animal, décès du maître. Environ un tiers des chiens atteints vont guérir spontanément tandis que les autres vont évoluer vers une dépression chronique en l’absence de traitement. Ce dernier se limite généralement à la prescription d’antidépresseurs (miansérine, amineptine). La dépression chronique se manifeste par une perte d’intérêt pour toutes les stimulations et les activités habituelles du chien qui gémit, traîne les pattes, est malpropre, dort difficilement, présente des réactions violentes avec vocalises et agitation par diminution du contrôle de ses émotions. Si la cause de la maladie est endogène (hypothyroïdie, Cushing) le traitement sera étiologique, alors que les dépressions exogènes seront soignées par tranquillisants et antidépresseurs (fluvoxamine, fluoxétine) associés à une thérapie visant à soutenir la reprise d’initiative. Le syndrome d’hyperattachement de l’adulte ressemble cliniquement à l’anxiété de séparation du jeune chien mais s’accompagne de manifestations neurovégétatives dépressives et anxieuses permanentes. La séparation momentanée avec l’être humain d’attachement entraîne de façon non constante une phase d’agitation pendant laquelle le chien détruit le mobilier et se montre bruyant et sale. Il développe un rituel de départ et/ou d’accueil avec cette personne. À noter que l’apparition de l’état d’hyperattachement survient chez un animal adulte qui jusqu’alors avait un comportement relationnel normal (détachement acquis). Le pronostic est favorable en cas de bonne collaboration avec les propriétaires, la prise en charge comprenant chimiothérapie et thérapie de détachement. Signalons pour mémoire la dépression dissociante du Basset-hound, affection rarissime et grave qui touche exclusivement cette race de chien. Elle comporte un tableau de dépression chronique, une hypersensibilité au bruit et une désorganisation croissante des composantes émotionnelles des rituels qui deviennent contradictoires : par exemple dissociation entre l’avant du corps qui exprime la peur et l’arrière qui communique la joie. 9.2. Troubles dysthymiques de l’adulte La dysthymie unipolaire du chien adulte se traduit par des phases productives alternant avec des périodes de comporte-

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ment normal. Les phases pathologiques associent hypervigilance-hyperexcitabilité, diminution considérable du temps de sommeil, agitation ou prolongation anormale de l’activité motrice. Le chien est irritable, agressif, en alerte et en mouvements permanents, tous les sens en éveil, les pupilles dilatées. On observe souvent des stéréotypies, de la voracité et surtout des moments de fixité du regard. L’organisation cyclique de la maladie est variable chez les mâles alors qu’elle est synchronisée par les cycles ovariens chez les femelles. Une prédisposition génétique pourrait exister, certaines races et lignées étant sur-représentées. L’aggravation consiste en un raccourcissement des périodes normales. Le traitement est uniquement biologique avec la prescription de thymorégulateurs : carbonate et gluconate de lithium, valpromide, carbamazépine, sélégiline. La dysthymie bipolaire de l’adulte se caractérise par l’alternance de phases productives de type unipolaire et de phases déficitaires de type dépressif. Des périodes normales peuvent exister entre les phases pathologiques, notamment en début de maladie. Comme pour la dysthymie unipolaire, il semble y avoir des prédispositions raciales et familiales. La mydriase est constante au cours des épisodes productifs alors que la pupille est de diamètre normal pendant les phases intercalaires et dépressives. La prise en charge thérapeutique est la même que pour la dysthymie unipolaire. La dysthymie du Cocker spaniel évolue d’abord sur un mode unipolaire avant de devenir bipolaire. Le symptôme pathognomonique de cette curieuse affection est, au cours des phases productives, l’appropriation par le chien d’un objet quelconque qu’il emporte partout avec lui et place toujours à un endroit où il peut le surveiller sans relâche. Toute personne qui le regarde ou qui passe à côté de cet objet est immédiatement mordue. Les agressions sont donc déclenchées par tout mouvement dans la zone où se trouvent le Cocker et son bien. Le pronostic est réservé, la guérison de ce trouble comportemental étant exceptionnelle. Cette dysthymie est soignée par les sels de lithium ou la sélégiline. 10. Troubles liés au vieillissement 10.1. Hyperagressivité du vieux chien Cette entité clinique est le seul trouble des conduites sociales que l’on connaisse chez le chien âgé de plus de 7 ans qui n’a jamais eu antérieurement de problèmes. L’animal se met à avoir des comportements hiérarchiques inadaptés et extravagants comme voler la nourriture de son maître qui mange ou uriner sur le canapé sur lequel la famille est installée. Par ailleurs, il a tendance à présenter des séquences d’agression de structure inversée dans tous les domaines de la vie sociale, le chien mordant d’abord et grognant ensuite. Cette maladie du chien le rend dangereux et en présence d’enfants en bas âge ses maîtres le font souvent euthanasier. Le traitement est essentiellement chimique : fluoxétine, clomipramine, fenfluramine (amphétamine très efficace dans ce trouble).

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10.2. Syndrome confusionnel ou démence du vieux chien Il existe ici une altération progressive et profonde des capacités cognitives de l’animal qui provoque une altération globale des apprentissages et acquis comportementaux. Les troubles se manifestent de façon intermittente en début d’évolution puis deviennent permanents. Ils consistent en une perte des acquis (malpropreté, ne fait plus sa promenade, ne joue plus, ne reconnaît pas ses proches, ne répond plus aux ordres, a une activité désordonnée), des problèmes de repérage dans le temps et dans l’espace (il dort le jour et erre la nuit, se perd dans la maison ou en revenant de sa promenade, fugue). Le tableau clinique est donc celui d’une désorganisation cognitive démentielle et ce d’autant que l’on retrouve sur le tissu nerveux des bêtes malades des plaques amyloïdes caractéristiques. L’analogie avec la maladie d’Alzheimer a été proposée [21,22]. 10.3. Dépression d’involution Il y a dans cet état à la fois désorganisation cognitive et affective avec retour à des comportements infantiles. Le vieux chien déprimé devient malpropre, explore par voie buccale comme un jeune chiot, ingère des corps étrangers, ne s’intéresse plus à rien, gémit sans raison, perd sa position hiérarchique, s’isole, dort très mal avec des réveils brutaux, mange irrégulièrement. Il peut y avoir en outre une dermatite de léchage, de l’hyperattachement et des destructions de mobilier lors de séparation. La prise en charge médicale est celle d’un état dépressif chronique et d’une remise en contact avec le groupe familial (chien exclu du fait de ses souillures). 10.4. Dysthymie du vieux chien D’abord unipolaire puis secondairement bipolaire, ce trouble tardif de l’humeur oscille entre deux pôles pathologiques encadrant des périodes de comportement normal : une irritabilité explosive en phases productives et de l’inhibition en phases dépressives. Deux éléments majeurs sont à souligner. Le premier est l’extrême dangerosité du chien en phase productive, n’importe quel stimulus pouvant déclencher une agression (morsure, destruction d’un bien). Le risque est maximum au moment des phases de fixité du regard où l’animal en mydriase est capable d’attaquer brusquement n’importe qui et n’importe quoi (switch des troubles maniaques). Le second élément est d’ordre cognitif puisque le chien âgé dysthymique a perdu la capacité d’évaluer la taille d’un passage par rapport à sa propre largeur. Voulant absolument forcer l’étroitesse de l’obstacle, il pourra rester coincé pendant des heures en gémissant, les tentatives pour le libérer provoquant des réponses violentes. Le pronostic de cette affection est réservé, le seul psychotrope efficace étant la sélégiline. 11. Discussion Ainsi, notre meilleur ami le chien partage-t-il avec notre espèce nombre de troubles neuropsychiatriques. Comme

nous, il peut être stressé, anxieux, déprimé, phobique, compulsif, dissocié, halluciné, maniaco-dépressif, hyperactifimpulsif, psychopathe–antisocial, simulateur, dément. Comme nous, il souffre de la privation sensorielle, d’une séparation maternelle précoce, du changement de milieu de vie, de facteurs environnementaux pathogènes, d’un attachement excessif, de vieillissement anormal. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les travaux de psychiatrie vétérinaire canine font volontiers référence à la classification de l’association américaine de psychiatrie (DSM-III-R le plus souvent) et qu’ils reprennent largement les hypothèses concernant la genèse des troubles mentaux humains aussi bien sur les plans psychodynamique que neurobiologique et génétique. Enfin, ce fidèle compagnon de l’homme est soigné pour des états pathologiques élémentaires (phobique, anxieux, dépressif, dysthymique) avec les mêmes psychotropes que pour les troubles neuropsychiatriques « similaires » de ses maîtres, sans oublier les « psychothérapies » comportementales, cognitivo-comportementales, systémiques. Faut-il s’étonner d’une telle identité psychopathologique apparente entre l’homme et le chien domestique ? N’appartiennent-ils pas tous deux à l’ordre des mammifères, n’ont-ils pas un héritage phylogénétique commun avec plus de 90 % de matériel génétique semblable, ne vivent-ils pas depuis si longtemps et si complémentairement ensembles, s’observant mutuellement, en dépit de leurs différences de nature et de culture ? Le vieux débat opposant l’instinct et la nature (de l’animal) à l’intelligence et à la culture (de l’homme) est, on le sait depuis longtemps, totalement obsolète. D’une part, les primates supérieurs, dont l’être humain fait partie, gardent des comportements innés phylogénétiquement hérités de leurs lointains ancêtres (notre part d’animalité) alors que les animaux ne sont nullement insensibles à l’influence de l’environnement dans lequel ils vivent, cet acquis étant à l’origine de modifications adaptatives de comportement [5,6,12,13]. D’autre part, les opérations dites cognitives sont loin d’être l’apanage de l’humain, toutes les recherches en éthologie prouvant que les langages sans mots, mais pas sans bruits, des autres animaux constituent des systèmes de communication gestuelle et sonore intelligents, un monde varié de significations intelligibles leur permettant de s’organiser, se protéger, échanger, s’adapter. H. Ey écrit à ce sujet : « Si du point de vue de l’instinct on peut dire que les espèces animales en sont plus pourvues que de raison, si au point de vue de l’intelligence on peut dire que l’homo faber ou l’homo loquens est un être dont la raison ne saurait se réduire au « discernement » ou à l’« estimative » des animaux, il n’en reste pas moins que chez tout être animal l’instinct et l’intelligence se complètent » [7]. Par ailleurs, les rapports entre le groupe humain et le groupe canin sont étroits, complexes et anciens. L’ethnozoologie nous apprend qu’ils passent par la mise au travail ou par l’utilisation ludique de cette espèce grâce à la domestication qui, par ses pratiques sélectives, a privilégié les aptitudes remarquées dans ses différentes variétés. Selon la race et le

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dressage, le chien est animal de boucherie, de trait, de nettoyage des déchets, de chasse, de surveillance, de compagnie, de concours, de course, de combat, de jeux et divertissements, guide d’aveugle, secouriste, dépisteur de drogue et d’explosifs. Son apprivoisement par l’homme, fondé sur la communication nécessaire des comportements, des pensées et des sentiments, correspond à un fort désir réciproque de compréhension et d’intégration. L’un et l’autre acquièrent des aptitudes nouvelles et l’on entend souvent dire du chien de famille : « Il ne lui manque que la parole » [23]. Pour ce qui est précisément de la psychiatrie canine, les choses ne sont cependant pas simples pour de multiples raisons. D’abord, il s’agit dans ce travail du chien domestique, les animaux sauvages en liberté ne présentant pas, semble-t-il, les mêmes troubles du comportement que ceux apprivoisés ou en captivité [15]. Ensuite, l’objection d’anthropomorphisme ne peut être écartée. En l’absence de possibilité de communication verbale et au vu d’une simple similitude de comportement, on risque d’attribuer au chien des affects, motivations et significations propres à l’humain alors que la fonction des divers « symptômes » observés est en fait radicalement étrangère à notre espèce. La traduction d’un comportement animal en termes cognitifs et émotionnels a pour corollaire le risque d’interprétation abusive [11,26,27]. N’y a-t-il pas en effet une dimension spécifiquement humaine, étrangère à la loi naturelle, qui ôterait toute valeur scientifique à une comparaison psychopathologique avec l’animal ? Bien qu’il existe une unité biologique des primates, avec des universaux, unité directement vérifiable au niveau comportemental, l’hominisation a développé certaines caractéristiques qui différencient l’homme de ses frères aînés et a fortiori des espèces hiérarchiquement inférieures sur le plan cognitif. Ces caractères, qui font de l’être humain en station debout permanente un « animal » unique dans le règne vivant grâce en particulier au développement de l’encéphale et à la libération du membre antérieur, sont le langage articulé, la conscience réfléchie, la force des aptitudes éducatives, la créativité technique et artistique, la pensée morale et métaphysique, enfin peut-être... la folie. C’est donc le développement de la composante psychique qui crée l’homme et le milieu humain [9,16]. De surcroît, il est intéressant de constater que la classification comportementale utilisée par les vétérinaires est calquée ou du moins fortement inspirée du DSM dont les catégories diagnostiques sont disjonctives et sujettes à révision, la validité de certains cadres nosographiques n’étant pas acquise [26,27]. En dépit de toutes ces réserves et sans doute bien d’autres, l’étude comparative de la pathologie psychiatrique humaine et canine laisse à penser que le chien domestique partage a minima avec l’homme plusieurs comportements psychopathologiques de base comme le stress, l’anxiété, la dépression, la dissociation « psychotique », le trouble panique, les rituels obsessionnels compulsifs, le dyscontrôle émotionnel ou thymique, la sénilité cognitive. Poé-

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tiquement parlant, faut-il s’en étonner de la part d’une bête de compagnie si proche et familière depuis l’aube de l’humanité ? 12. Conclusion « Plus je vois les hommes, plus j’admire les chiens » écrit Madame de Sévigné. L’auteur de tant de lettres brillantes et légères a vraisemblablement raison et sa remarque pourrait s’appliquer à presque tout le règne animal. C’est l’espèce humaine avec son intelligence, son orgueil, son ambition, sa « folie » illimitée de possession, de pouvoir et de puissance qui apporte à notre planète guerre, désordre, pollution et danger d’extinction future de la vie. Le chien, au cours des millénaires, se contente quant à lui de rester notre meilleur ami envers et contre tout. S’il nous mord quelquefois, il nous aime constamment, veille fidèlement sur notre quiétude, ne nous laisse jamais seul dans la peine et le désarroi. Thomas Mann raconte dans Maître et chien (Herr und Hund, 1919) le compagnonnage heureux avec Bauschan, un chien d’arrêt allemand qui présenta une grave dépression réactionnelle à sa mise en observation en milieu vétérinaire pour des hémorragies inexpliquées. Avant lui, l’écrivain avait eu Percy, un berger écossais de race aristocratique, qui fut pour sa part « un fou, un détraqué, le type du déséquilibré décadent ». Les difficultés relationnelles entre l’homme et le chien n’expliquent pas l’ensemble de la pathologie comportementale de ce dernier mais aggravent toujours le tableau clinique. Des facteurs comme les caractéristiques physiques du lieu de naissance du chiot, son premier environnement, l’organisation de ses relations à sa mère, l’âge de son adoption dans une nouvelle famille, l’écart entre son milieu de naissance et son milieu actuel sont des éléments essentiels pour son développement et la compréhension de ses troubles [21]. Si le chien semble être un modèle psychopathologique intéressant en matière de neurobiologie, l’est-il dans le domaine nosographique ? Nous ne pouvons répondre définitivement et affirmativement à cette question, les conditions scientifiques de l’expérimentation animale n’étant pas toujours suffisamment rigoureuses [27]. Quoi qu’il en soit, les origines complexes de la maladie mentale chez l’homme ne doivent pas nous faire oublier que la psychiatrie est aussi du domaine cérébral, organique, c’est-à-dire de la nature avec sa phylogénèse et que l’on ne saurait en avoir une interprétation purement et essentiellement anthropologique [7]. C’est ce que nous démontre tous les jours la recherche clinique et pharmacologique sur l’animal. Références [1]

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