Lysophospholipides et cancer : état des lieux et perspectives

Lysophospholipides et cancer : état des lieux et perspectives

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Pathologie Biologie 53 (2005) 57–62 www.elsevier.com/locate/patbio

Actualité biologique

Lysophospholipides et cancer : état des lieux et perspectives Lysophospholipids and cancer: current status and perspectives P. Raynal *, A. Montagner, M. Dance, A. Yart Département lipoprotéines et médiateurs lipidiques (LML), Inserm U563, IFR 30, centre de physiopathologie de Toulouse-Purpan, hôpital Purpan, 31059 Toulouse, France Reçu et accepté le 19 janvier 2004 Disponible sur internet le 12 février 2004

Résumé Des phospholipides circulants ne portant qu’une seule chaîne d’acide gras, appelés lysophospholipides, sont aujourd’hui considérés comme des médiateurs de la communication intercellulaire. Leurs principaux représentants sont l’acide lysophosphatidique et la sphingosine 1-phosphate, deux molécules biologiquement assimilables aux facteurs de croissance et cytokines, et pour lesquelles une famille de récepteurs couplés aux protéines G a été identifiée. Ils sont impliqués dans différents processus biologiques (développement du cerveau, angiogenèse...), mais un faisceau d’arguments suggère également une fonction dans le développement tumoral : i) ils stimulent la prolifération, survie et migration de diverses cellules tumorales (ovaire, prostate, glioblastomes...) ; ii) ils sont retrouvés en abondance dans certaines effusions malignes ; iii) les enzymes qui les produisent sont tumorigènes. Même s’il reste à mieux définir la participation de ces « oncolipides » au développement tumoral, notamment en regard des oncogènes et suppresseurs de tumeurs, ils pourraient être les médiateurs d’un système performant d’autostimulation des capacités prolifératives et invasives des cellules tumorales, ce qui en fait de nouvelles cibles potentielles en pharmacologie anticancéreuse. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Circulating phospholipids carrying a single esterified fatty acid, the so-called lysophospholipids, are now considered as mediators of the intercellular communication. Their major members are the lysophosphatidic acid and the sphingosine 1-phosphate, two molecules displaying biological activities similar to those of growth factors or cytokines, through a recently identified subfamily of G protein-coupled receptors. They are involved in various biological processes, e.g., brain development and angiogenesis, but the following evidences suggest that these lipids are also significant actors of tumour development: (i) they stimulate the growth, survival and migration of tumour cells from various origins (ovary, prostate, glioblastoma...); (ii) they are abundant in malignant effusions; (iii) the lysophospholipid-producing enzymes are tumourigenic. Even if it remains necessary to define the role of these “oncolipids” in relationship with oncogenes and tumor suppressors, they may well be the mediators of an efficient autostimulatory system of the proliferating and migratory capacities of cancer cells, suggesting that lysophospholipids could represent novel valuable targets for anticancer pharmacology. © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Acide lysophosphatidique ; Cancer ; Oncolipide ; Facteur de croissance ; Autotaxine ; Sphingosine 1-phosphate Keywords: Lysophosphatidic acid; Cancer; Oncolipid; Growth factor; Autotaxin; Sphingosine 1-phosphate

1. Introduction Au cours des années 1990, des molécules considérées jusqu’alors comme de simples intermédiaires du métabo* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (P. Raynal). © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.patbio.2004.01.005

lisme lipidique ont acquis le statut de médiateurs de la communication intercellulaire. Il s’agit de phospholipides portant une seule chaîne d’acide gras, appelés lysophospholipides, qui circulent dans l’organisme et présentent diverses activités biologiques. Leur prototype est l’acide lysophosphatidique (LPA), une molécule assimilable à un facteur de croissance car capable de stimuler la prolifération cellulaire

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par l’intermédiaire de récepteurs membranaires. Des données récentes suggèrent que des lysophospholipides sont impliqués non seulement dans des processus physiologiques survenant au cours du développement (vasculogenèse, développement du cerveau...) mais également dans des manifestations physiopathologiques de l’adulte, notamment la tumorigenèse. Le but de cette revue est de faire le point sur les connaissances actuelles dans ce domaine.

2. Généralités sur le LPA, un lipide bioactif Le LPA est un lipide véhiculé par l’albumine et présent en concentration micromolaire dans de nombreux fluides extracellulaires : les liquides séminaux, folliculaires et d’ascite, la salive, des effusions malignes, le plasma, et le sérum pour lequel le LPA serait responsable d’une grande partie de ses propriétés mitogènes. En effet, la principale activité biologique de ce lipide est sa capacité à stimuler la prolifération et/ou la survie d’un très grand nombre de cellules, normales ou transformées. On note cependant une relative préférence pour les cellules non-hématopoïétiques, par exemple : fibroblastes, cellules musculaires lisses, préadipocytes, neuroblastes, cellules de Schwann, cellules épithéliales (ovaire, prostate, etc.)... Le LPA peut également induire d’autres réponses plus spécifiques du type cellulaire considéré, telles que migration, contraction, changement morphologique, modification de perméabilité, dédifférenciation... (voir [1] pour revue récente). In vivo, les rôles biologiques du LPA ne sont pas encore définitivement établis. Cependant, des données convaincantes, obtenues notamment par l’inactivation de ses récepteurs chez la souris, suggèrent que ses propriétés prolifératives soient impliquées dans le développement du cerveau [2]. Il pourrait aussi participer aux processus de réparation tissulaire post-traumatique, les plaquettes étant une source abondante de LPA, mais également être impliqué dans l’athérosclérose en tant qu’ingrédient bioactif des lipoprotéines oxydées [3]. D’autres fonctions ont été proposées, notamment dans le développement du tissu gras, et nous verrons ci-dessous qu’il possède toutes les caractéristiques pour tenir le rôle d’un facteur d’autostimulation tumorale. Au niveau cellulaire, les effets biologiques du LPA sont transduits par au moins quatre récepteurs de type « à sept segments transmembranaires » appelés LPA1 (Edg2), LPA2 (Edg4), LPA3 (Edg7), et LPA4 (P2Y9/GPR23). Dans l’ensemble, ces récepteurs sont largement répandus, ce qui explique l’extrême diversité des types cellulaires répondant au LPA. Ils sont couplés à trois types de protéines G: Gi, Gq, et G12/13. Chacune pouvant activer différents effecteurs, la stimulation par le LPA génère dans la plupart des cellules un cocktail complexe de voies de signalisation (voir [1,4] pour revues récentes). Très schématiquement, la voie Gq active la phospholipase C des phosphoinositides, ce qui déclenche la mobilisation calcique et de la protéine kinase C ; Gi déclenche les modules Ras/Mitogen-activated protein kinases

(MAPK) et phosphoinositide 3-kinase (PI3K), deux voies essentielles à la croissance cellulaire qui font intervenir le recrutement précoce de protéine tyrosine kinases ; enfin G12/13 intervient dans la morphogenèse et la contraction via la petite GTPase RhoA. Récemment, la protéine PPARc, un facteur de transcription activé par liaison à des composés lipidiques, a été proposé comme un récepteur du LPA [5]. Ceci suggère que l’activité biologique de ce lipide ne soit pas totalement dépendante de ses récepteurs membranaires, une notion déjà évoquée dans le domaine, mais qui attend toujours une démonstration claire [6]. En effet, on ne voit pas comment le LPA aurait la capacité de traverser la membrane plasmique pour atteindre d’hypothétiques cibles intracellulaires, même si on a envisagé une intervention du CFTR, le transporteur défectueux dans la mucovicidose [7]. Alors que la mécanistique intracellulaire des effets biologiques du LPA est comprise à un niveau satisfaisant, son mode de production reste plus obscur. Un des premiers mécanismes proposés a été l’action d’une phospholipase A2 (PLA2) sécrétée sur l’acide phosphatidique, un phospholipide de la membrane plasmique (Fig. 1A, voie a) [8]. Toutefois, il semble aujourd’hui que ce mécanisme soit relativement marginal, dû notamment à l’inefficacité de cette PLA2 sur des cellules intactes [9]. Cependant, une avancée significative dans ce domaine vient d’être réalisée par plusieurs laboratoires qui ont découvert une voie de production provenant de l’hydrolyse de lysophosphatidylcholines circulantes par une lysophospholipase D (Fig. 1A, voie b). En fait, ils ont observé que cette activité est intrinsèque à une protéine transmembranaire connue pour présenter dans sa partie extracellulaire une activité de nucléotide phosphodiestérase. Cette enzyme avait été appelée autotaxine car elle fut initialement décrite comme un facteur de motilité autocrine des cellules de mélanomes, capable de stimuler le développement tumoral chez l’animal. Cependant, il était difficile d’établir un lien entre son activité nucléotide phosphodiestérase et son pouvoir tumorigène, même si une intervention des récepteurs purinergiques avait été naturellement imaginée. Or, plusieurs groupes qui cherchaient à comprendre le mode de production du LPA ont récemment observé que l’autotaxine était également capable d’hydrolyser la liaison phosphodiester des lysophospholipides. Il s’agit donc d’une véritable lysophospholipase D, qui a été rapidement reconnue comme une enzyme-clé dans la production de LPA dans divers systèmes cellulaires, ce qui permet aujourd’hui de mieux comprendre son pouvoir tumorigène (pour revues récentes, voir [10,11]).

3. LPA et tumeurs ovariennes Le concept que le LPA pourrait contribuer au développement tumoral a émergé lorsqu’on l’a retrouvé en abondance dans le liquide d’ascite de patientes atteintes de tumeurs ovariennes : sa concentration moyenne s’y situe autour de 20 µM, alors qu’elle n’y est au plus que de quelques micro-

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A

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O

O C

O

C

O

C O

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O P

PLA2

O

Acide phosphatidique

ATX/lysoPLD

O HO

_

O

_

O O P

a

O

b

_

O

CH2

CH2

C O O P

Acide lysophosphatidique (LPA)

OH

CH2 OH

NH3+

Sphingosine

Sphingosine kinase S1Pphosphatase

CH3 CH3

O O HO

B

N

Lysophosphatidylcholine

O C

CH3

+

O

_

O

O HO

_

OH LPPhosphatase

OH

Monoacylglycerol

O

CH2 O P O _ O NH3+

_

Sphingosine 1-phosphate (S1P) (cytoprotectrice)

Céramides (pro-apoptotiques)

Fig. 1. Voies métaboliques simplifiées du LPA et de la S1P. A : Le LPA peut être produit par deux voies distinctes : a, par hydrolyse de l’acide phosphatidique par une phospholipase A2 (PLA2) ; b, par hydrolyse de la lysophosphatidylcholine par l’activité lysophospholipase D de l’autotaxine (ATX/lysoPLD). Une fois produit, le LPA peut être dégradé en monoacylglycérol, un métabolite supposé inactif, par une lysophospholipide phosphatase (LP-phosphatase) B : La sphingosine kinase phosphoryle la sphingosine en S1P, médiateur intercellulaire cytoprotecteur. À l’opposé, la S1P-phosphatase dégrade la S1P en sphingosine qui est un précurseur des céramides, de puissants médiateurs intracellulaires de l’apoptose.

molaires chez des sujets sains [12,13]. Comme le LPA reproduit l’effet trophique du liquide d’ascite sur des cellules ovariennes cancéreuses, en activant prolifération, survie, migration et résistance au cisplatine, il contribue certainement au phénotype agressif des tumeurs ovariennes en favorisant leur potentiel prolifératif et métastatique [14,15]. Son mode de production par ce tissu n’est pas encore clairement établi, mais l’autotaxine a la faveur des pronostics car les PLA2 n’ont jamais pu être réellement impliquées. Ainsi, le LPA produit par les tumeurs ovariennes constitue sans doute un système de stimulation autocrine nécessaire à la progression tumorale [16,17]. Il semble même que l’on ait affaire à une véritable boucle d’amplification car la production de LPA par les cellules ovariennes peut être stimulée par des activateurs de la protéine kinase C, une enzyme très mobilisable par le LPA [18]. On peut donc imaginer que de futurs composés capables de bloquer ce « cycle infernal » seront potentiellement utiles pour freiner le développement tumoral. On envisage également d’utiliser le LPA comme marqueur précoce des tumeurs ovariennes, une intention louable dans la mesure où l’extrême sévérité du diagnostic provient surtout d’une détection trop tardive. Cette perspective repose sur les travaux du groupe de Y. Xu qui a observé que le LPA était environ dix fois plus concentré dans des plasmas de patientes atteintes de tumeurs ovariennes que dans des plasmas témoins [19], suggérant l’existence d’une corrélation entre les concentrations plasmatiques et ascitiques de LPA. Cependant, le groupe de G. Tigyi vient de malmener cette perspective après n’avoir observé que des variations mineures de la « LPAnémie » entre patientes et sujets sains [20]. Dernièrement, un troisième groupe n’a pu relever qu’une différence de 1,5 fois, mais sur un très petit nombre d’échan-

tillons [21]. Comme Y. Xu a confirmé ses observations au cours de récentes conférences, la controverse reste active. Elle repose probablement sur des différences technologiques et méthodologiques dans le dosage du LPA, une des possibilités étant qu’une activation plaquettaire fortuite pendant la préparation du plasma puisse fausser la mesure de LPAnémie. Notons qu’il s’agit d’un dosage par spectrométrie de masse qui exige donc un très haut niveau d’expertise. Enfin, une meilleure approche du lien entre cancer ovarien et LPA pourrait provenir de l’analyse chez les patientes de ses espèces moléculaires, c’est-à-dire de l’identification par des techniques chromatographiques de la chaîne d’acide gras portée par le LPA (saturé, mono-, poly-insaturé...). En effet, il semble que la structure de cette chaîne conditionne dans une certaine mesure l’affinité du LPA pour ses récepteurs, ce qui suggère qu’il puisse exister des relations spécifiques entre certaines espèces moléculaires du LPA et leur activité biologique [22,23]. Il est donc tentant d’imaginer que certaines sous-populations de LPA trouvées chez des patientes puissent témoigner d’un état tumoral particulier. Cette hypothèse a été récemment étayée par l’observation que des formes récurrentes de cancers ovariens paraissent associées à une prédominance d’espèces insaturées, même si l’on n’en comprend pas encore la signification biologique [24].

4. LPA et autres tumeurs Une série de publications indique que l’activité protumorale du LPA n’est apparemment pas spécifique des tumeurs ovariennes. In vitro le LPA stimule la prolifération et/ou la migration d’une grande variété de cellules tumora-

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les : glioblastome, « tête et cou », hépatome, côlon, thyroïde, prostate... [25–29]. Il reste à déterminer si le LPA est présent dans l’environnement de ces tumeurs, et l’on pourra alors envisager d’y étendre le rôle du LPA en tant que stimulant tumoral autocrine. Cette éventualité paraît d’autant plus probable qu’on en a déjà trouvé dans le surnageant de cellules de cancer prostatique en culture [23]. Notons également que des récepteurs du LPA peuvent être surexprimés par les tumeurs ovariennes et coliques, renforçant ainsi la notion de boucle d’amplification autocrine [27,30].

5. Implication de la sphingosine 1-phosphate dans le développement tumoral Un lysolipide de la famille des sphingolipides, la sphingosine 1-phosphate (S1P), présente également de très bonnes dispositions pour jouer un rôle dans le développement tumoral. La S1P, produite essentiellement par action de la sphingosine kinase sur la sphingosine, est une molécule fortement bioactive, mais qui possède une dualité d’effets biologiques. Grâce à cinq récepteurs transmembranaires (S1P1-5) couplés aux protéines G et très apparentés à ceux du LPA, elle peut déclencher différentes voies de signalisation (MAPK, PI3K, Ca2+...) lui conférant une fonction cytoprotectrice au sens large : stimulation de la prolifération, migration ou différentiation cellulaire. On la retrouve ainsi clairement impliquée dans l’angiogenèse, le développement cardiaque et la migration lymphocytaire (voir [31] pour revue récente). D’un autre côté, la S1P possède un important potentiel proapoptotique car, au contact de la S1P-phosphatase, elle est déphosphorylée en sphingosine qui est elle-même un précurseur des céramides, de puissants médiateurs de l’apoptose (Fig. 1B). Ainsi, la S1P-phosphatase favorise la réponse apoptotique induite par des agents antitumoraux [32], alors qu’à l’opposé la sphingosine kinase (voir Fig. 1B) possède un fort pouvoir oncogénique [33]. On assiste depuis peu à l’émergence d’un rôle potentiel de la S1P dans la progression tumorale, notamment dans le développement de tumeurs gliales. En effet, non seulement elle stimule fortement la prolifération et le potentiel métastatique de cellules de glioblastomes, mais on retrouve aussi ses récepteurs en abondance dans la plupart de ces tumeurs, et des taux importants de S1P ont été trouvés dans le cerveau ou sécrétés par des cellules de glioblastomes [34–37]. Elle pourrait donc avoir une fonction positive dans le développement des tumeurs gliales, rappelant le rôle du LPA dans le tissu ovarien. Cependant, à la différence du LPA, cette fonction pourrait être plus spécifique de l’origine tissulaire de la tumeur. Par exemple, sur des cellules de cancer du sein, une étude a montré que la S1P est plutôt inhibitrice du phénotype tumoral. Cet effet serait dû à l’activité intracellulaire de la S1P, indépendamment des récepteurs membranaires, peu exprimés dans les cellules mammaires étudiées [38]. Ceci suggère donc que l’activité protumorale de la S1P dépende du taux d’expression de ses récepteurs, mais elle est aussi très

probablement conditionnée par les niveaux cellulaires de S1P phosphatase et de sphingosine kinase qui interconvertissent S1P et sphingosine (voir [39] pour revue). Il semble donc qu’une meilleure compréhension du rôle de la S1P dans le développement tumoral nécessite de considérer pour une tumeur particulière les niveaux d’expression des récepteurs S1P1-5, ainsi que les taux cellulaires des enzymes qui contrôlent le métabolisme de la S1P. On pourra alors évaluer l’opportunité de développer à des fins de thérapie anti-tumorale des molécules synthétiques interférant avec cette voie. Une dernière caractéristique de la S1P pouvant jouer un rôle important dans le développement tumoral est son pouvoir angiogénique. En effet, l’inactivation du gène codant pour le récepteur S1P1 a démontré que la S1P est un facteur essentiel du développement vasculaire embryonnaire [31], ce qui suggère qu’elle pourrait aussi participer à des phases d’angiogenèse plus tardives. Ainsi, la S1P pourrait non seulement protéger les cellules tumorales en activant leurs voies de signalisation antiapoptotiques, mais également faciliter la vascularisation des tumeurs, une étape-clé de leur croissance. On peut donc imaginer que d’éventuels inhibiteurs de la sphingosine kinase ou des antagonistes des récepteurs de S1P soient particulièrement actifs sur certaines tumeurs en les attaquant sur deux fronts distincts.

6. Conclusion et perspectives On assiste donc à une accumulation d’arguments en faveur d’une implication du LPA et de la S1P dans le développement tumoral. De plus, d’autres lysophospholipides circulants ayant une activité mitogène, par exemple la sphingosylphosphorylcholine ou les lysophosphoinositides, pourraient à l’avenir être également impliqués dans cette pathologie [40,41]. Cependant, il faut reconnaître que, jusqu’ici, cette implication physiopathologique repose sur des déductions corrélatives, par exemple entre l’activité in vitro du LPA et sa présence dans les effusions malignes, sans que l’on ne connaisse réellement la contribution effective des lysolipides à la tumorigenèse. Il paraît donc essentiel de déterminer dans quelle mesure une intervention extérieure sur leur biodisponibilité ou leur activité peut influencer le développement tumoral, notamment in vivo. Cette approche semble enfin envisageable grâce à l’émergence de nouveaux outils (antagonistes sélectifs d’un récepteur, modèles murins d’inactivation de gènes intervenants dans les systèmes de production ou de réponse au LPA...), et une étape préliminaire dans cette direction a été récemment franchie par le groupe de G. Mills qui a observé que la surexpression d’une lysophospholipide phosphatase affaiblit la transformation de cellules de cancer ovarien [42]. Il sera également nécessaire de mieux définir le rôle des lysolipides par rapport aux autres acteurs de la tumorigenèse, et notamment en fonction des multiples altérations génétiques inhérentes aux tumeurs. À titre d’exemple, des modifications génomiques qui y sont fréquemment rencontrées

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comme la surexpression de tyrosine kinases conduisent à la dérégulation de voies de signalisation, notamment l’activation constitutive des voies MAPK et PI3K. Ceci confère alors à la cellule tumorale le potentiel de s’affranchir des stimuli externes normalement requis pour déclencher ces voies. Il est donc vraisemblable que la participation effective des lysolipides dans la progression tumorale soit conditionnée par le contexte génétique de la tumeur, c’est-à-dire par le profil d’oncogènes et de gènes suppresseurs de tumeur dérégulés dans le tissu cancéreux. À notre connaissance, ce domaine n’a pas encore été exploré. Malgré ces réserves, qui devraient être levées par de prochaines études, le lien entre lysolipides et cancer paraît tout à fait solide, ne serait-ce qu’en considérant que l’abondance de ces composés fortement bioactifs dans les effusions malignes ne peut être fortuite. Un concept qui pourrait émerger est que le couple autotaxine/LPA constitue par sa composante enzymatique un système d’autostimulation tumorale bien plus efficace que les associations facteur de croissance polypeptidique–récepteur. En effet, alors qu’une boucle autocrine de type facteur de croissance–récepteur fonctionne avec une stœchiométrie proche de l’équimolarité, quelques molécules d’autotaxine sur la surface cellulaire suffisent en théorie à produire du LPA sans limitation, le substrat étant très abondant dans la plupart des fluides extracellulaires (par exemple 100 µM de lysophosphatidylcholine dans le plasma). Les lysolipides et leurs effecteurs ont donc le potentiel de devenir de véritables cibles pour des approches innovantes en pharmacologie anticancéreuse, même si des études sont encore nécessaires pour mieux appréhender leur rôle dans la tumorigenèse. Stratégiquement, plusieurs approches sont envisageables. Des analogues synthétiques de lysolipides pouvant jouer le rôle d’antagonistes de leurs récepteurs ont été récemment développés, mais on ne sait pas encore s’ils possèdent un pouvoir antitumoral [43,44]. Il paraît également possible de diminuer la biodisponibilité des lysolipides en cherchant à inhiber pharmacologiquement les enzymes qui les produisent (autotaxine, sphingosine kinase...), ou à stimuler celles qui les dégradent (lysophospholipide phosphatases, S1P phosphatases). On peut dès aujourd’hui se poser la question de la toxicité de ces composés, étant donné que les récepteurs des lysolipides sont pour la plupart très ubiquitaires. Cependant, dans le cas du LPA, il n’y a pas encore d’argument fort pour penser qu’il joue un rôle majeur dans le fonctionnement normal d’un organisme adulte, et l’inactivation génique chez la souris des récepteurs LPA1 et LPA2 conforte ce point de vue [45]. Espérons donc que de nouveaux moyens seront accordés à ces approches pharmacologiques car elles pourront éventuellement générer des molécules antitumorales agissant sur de nouvelles cibles et donc susceptibles de potentialiser d’autres traitements antiprolifératifs. Enfin, outre le rôle morbide des lysophospholipides, il n’est pas impossible que leur première application clinique s’appuie sur leur pouvoir cytoprotecteur. En effet, des résultats spectaculaires ont été obtenus chez des souris exposées à

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des radiations ionisantes, car une simple administration orale de LPA semble réduire considérablement les dommages intestinaux causés par l’irradiation, en diminuant fortement les processus apoptotiques au niveau des entérocytes [46]. Ces résultats suggèrent donc que le LPA pourrait avoir un intérêt thérapeutique chez les patients subissant des traitements antitumoraux en limitant la toxicité intestinale des thérapies.

Remerciements Nous tenons à remercier l’Association pour la recherche sur le cancer et les comités départementaux (Haute-Garonne, Tarn, Tarn-et-Garonne) de la Ligue nationale contre le cancer pour leur soutien constant à notre activité de recherche. Merci également à Fabienne Briant-Mésange pour la réalisation de la Fig. 1.

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