pratique iatrogénie
Mort subite cardiaque et iatrogénie médicamenteuse En France, la mort subite cardiaque est responsable, chaque année, de 40 000 décès. Les sujets âgés de plus de 35 ans sont les premières victimes de cet accident, alors en lien avec une pathologie athéromateuse ou une insuffisance cardiaque. Chez les plus jeunes, ce sont les anomalies cardiaques qui prédominent. De nombreux médicaments sont également impliqués dans la survenue de la mort subite.
François PILLON
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Sudden cardiac death and medication-induced iatrogenesis. In France, sudden cardiac death is responsible, every year, for 40 000 deaths. People over the age of 35 are the main victims, due to an atheromatous-related pathology or heart failure. In younger people, heart anomalies are the predominant cause. A number of medications are also involved in the occurrence of sudden death. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved
L
es maladies cardiovasculaires représentent la principale cause de morbidité et de mortalité dans les pays industrialisés. Les événements majeurs cardiovasculaires sont de trois types : le syndrome coronarien aigu fatal, le syndrome coronarien aigu non fatal et la mort subite. Une mort subite se définit comme un décès inexpliqué survenant dans un intervalle de temps de 24 heures après le début des symptômes. Sur le plan épidémiologique, la mort subite représente la plus
importante des causes de mortalité cardiovasculaire (50 %). Ainsi, elle occasionne 40 000 décès chaque année en France avec un sex-ratio hommes-femmes de 2. La majorité de ces accidents est secondaire à une pathologie athéromateuse ou à une insuffisance cardiaque et affecte les plus de 35 ans. La mort subite ne concerne que 0,5 à 13 pour 100 000 sujets âgés de moins de 35 ans. Son épidémiologie est alors moins bien établie bien que les causes héréditaires et congénitales soient majoritaires.
De nombreux médicaments peuvent engendrer une mort subite cardiaque par différents mécanismes : troubles hydro-électrolytique à type d’hypokaliémie, allongement de l’espace QT1.
Quelles sont les causes de mort subite cardiaque ? La mort subite cardiaque constitue un problème majeur de santé publique. Si elle peut être causée par l’ischémie aiguë, les anomalies structurelles, la cicatrice du myocarde et/ou des mutations génétiques, une anomalie n’est pas toujours avérée.
Mots clés • Médicament allongeant l’espace QT • Médicament hypokaliémiant • Mort subite cardiaque
Keywords • Hypokalemic medication • QT-prolonging medications • Sudden cardiac death
Chez les sujets âgés de plus de 35 ans
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Les deux causes de mort subite les plus fréquentes chez les personnes âgées de plus de 35 ans sont la pathologie athéromateuse et l’insuffisance cardiaque auxquelles peuvent être associées toutes les autres causes.
Chez les sujets âgés de moins de 35 ans La mort subite représente la plus importante des causes de mortalité cardiovasculaire.
Actualités pharmaceutiques • n° 528 • septembre 2013 •
Chez les personnes plus jeunes, les anomalies ou les pathologies prédominent.
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Notes 1
L’intervalle QT est une des données électriques de l’électrocardiogramme. Il correspond à la durée électrique de la contraction cardiaque (systole).
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Segment ST : portion brève et isoélectrique du tracé électrocardiographique normal.
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F Les cardiomyopathies : cardiomyopathie hypertrophique, cardiomyopathie arythmogène du ventricule droit, cardiomyopathie dilatée, non compaction isolée du ventricule gauche. F Les anomalies des canaux ioniques. Le syndrome du QT long constitue une anomalie des canaux ioniques cardiaques prédisposant à une tachycardie ventriculaire et à la mort subite. Sa prévalence est de l’ordre d’un individu pour 2 500. Douze gènes seraient impliqués dont trois apparaissent prépondérants : • LQT-1 ; • LQT-2 (anomalies des canaux potassiques) ; • LQT-3 (anomalies des canaux sodiques). Des syncopes et des palpitations peuvent être inaugurales bien que la mort subite puisse être le premier événement à survenir. Les facteurs de risque de mort subite sont : un QTc > 500 ms et le génotype LQT-3. Le syndrome de Brugada, héréditaire, fait suite à une mutation des gènes codant pour les canaux sodiques des myocytes cardiaques. Sa prévalence est estimée à un pour 2 500 à 5 000 individus. Ce syndrome est caractérisé, à l’électroencéphalogramme (ECG), par une fluctuation entre la normalité et des anomalies caractéristiques (hémibloc de branche droit associé à un sus-décalage du segment ST2 dans les dérivations précordiales droites). Il peut se compliquer d’une arythmie et d’une mort subite. La maladie cardiaque progressive du tissu conductif est une anomalie des canaux sodiques cardiaques caractérisée par une altération progressive de la conduction cardiaque pouvant conduire à un bloc auriculo-ventriculaire de type 3 et à une mort subite. Le syndrome du QT court est caractérisé par un intervalle QT < 320 ms et par une mutation
Impact psychologique de la mort subite cardiaque La mort subite cardiaque correspond à un décès de survenue brutale, inattendue et extrêmement traumatisante pour l’entourage, susceptible d’occasionner un deuil pathologique avec apparition de symptômes psychiatriques (dépression, trouble de la vie instinctuelle, troubles psychosomatiques, éléments psychotiques, épisodes maniaques ou mixtes). En raison du caractère imprévu, cet accident peut être “désiré” par certains patients en raison de l’angoisse du cheminement vers une mort annoncée dans le cadre d’un cancer ou d’une pathologie chronique invalidante (sclérose latérale amyotrophique, sclérose en plaques…).
des gènes codant pour les canaux potassiques. F Les anomalies des artères coronaires sont des anomalies cardiaques congénitales.
Quels médicaments peuvent être responsables de mort subite cardiaque ? Bien que la mort subite cardiaque constitue un effet indésirable grave imposant l’obligation légale de déclaration, il est difficile de définir l’incidence de ce processus pathologique induit par les médicaments. D’un point de vue théorique, les médicaments augmentant l’intervalle QT et les hypokaliémiants sont susceptibles d’engendrer une mort subite cardiaque.
Les médicaments augmentant l’espace QT Les médicaments augmentant l’espace QT peuvent entraîner l’aggravation ou l’apparition de troubles du rythme ventriculaire : tachycardie ventriculaire, fibrillation ventriculaire et torsades de pointes.
Ces accidents sont favorisés par une hypokaliémie et/ou l’association à d’autres antiarythmiques et/ou à une cardiopathie sévère et/ou à un allongement préalable de l’espace QT. F Les antiarythmiques : • l’amiodarone, antiarythmique appartenant à la classe III de Vaughan Williams ; sous amiodarone, l’électrocardiogramme est modifié, cette modification “cordaronique” consistant en un allongement de l’espace QT traduisant celui de la repolarisation, avec éventuellement l’apparition d’une onde U ; • le disopyramide, antiarythmique appartenant à la classe Ia de Vaughan Williams, qui regroupe des pourvoyeurs bien établis de torsades de pointes ; • les quinidiniques, antiarythmique appartenant également à la classe Ia de Vaughan Williams ; • le sotalol. Le flécaïnide et la dronédarone peuvent également être cités. F De très nombreux médicaments non-arythmiques, appartenant à des classes thérapeutiques diverses pouvant augmenter l’intervalle QT, il est difficile d’en dresser une liste exhaustive. Certains sont toutefois couramment cités : • un anti-angoreux, la ranolazine ; • les neuroleptiques, y compris la dompéridone et le dropéridol ; • des fluoroquinolones, particulièrement la moxifloxacine ; • des macrolides, y compris la spiramycine, notamment par voie intraveineuse ; • des antiprotéases du virus de l’immunodéficience humaine (VIH) que sont l’atazanavir, le darunavir, le saquinavir et le lopinavir ; • des antihistaminiques H1, notamment la mizolastine et l’ébastine ; • des antipaludiques, l’halofantrine, la méfloquine et la chloroquine ; • des antiparasitaires, la pentamidine et le triclabendazole ;
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• des antifongiques, le fluconazole, le posaconazole et le voriconazole ; • des atropiniques utilisés dans l’incontinence urinaire comme le trospium ; • des médicaments des troubles de l’érection, le sildénafil, le tadalafil et le vardénafil ; • un chélateur du phosphore, le lanthane ; • des opioïdes, en particulier la méthadone ; • un anti-épileptique, le rufinamide ; • des antidépresseurs, la venlafaxine, le citalopram et les antidépresseurs tricycliques ; • des anti-émétiques, les sétrons ; • des bêta-2 mimétiques, qu’ils soient de courte durée d’action (salbutamol, terbutaline) ou d’action prolongée (salmétérol, formotérol, indacatérol) ; • des anticancéreux de la classe des tinib ; • un agoniste des récepteurs de la sérotonine 5-HT4 autorisé dans la constipation, le prucalopride.
Les médicaments hypokaliémiants L’hypokaliémie est un facteur favorisant l’apparition de troubles du rythme cardiaque, des torsades de pointes notamment. Les médicaments ou classes thérapeutiques susceptibles de la favoriser sont principalement : • les diurétiques hypokaliémiants seuls ou associés ; • les laxatifs stimulants ; • l’amphotéricine B (par voie intraveineuse) ; • les corticoïdes (gluco- ou minéralo-, par voie générale) ; • le tétracosactide. Par ailleurs, la réglisse est, elle aussi, bien connue pour ses propriétés hypokaliémiantes.
Ce qu’il faut retenir pour la pratique F L’association d’un médicament hypokaliémiant et d’un médicament augmentant
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Quels sont les facteurs de risques cardiovasculaires ? Les études rétrospectives et prospectives réalisées sur des populations importantes mettent en évidence des situations physiologiques, pathologiques et des modes de vie s’associant à la survenue d’accidents cardiovasculaires. F Facteurs de risque acquis : l’âge et le sexe, les antécédents cardiovasculaires familiaux au premier degré. F Facteurs de risque corrigeables par des règles hygiéno-diététiques : l’obésité abdominale, la sédentarité, la consommation d’alcool supérieure à 4 verres/jour, le tabagisme. F Facteurs de risque corrigeables par des règles hygiéno-diététiques et des traitements médicamenteux : l’hypercholestérolémie, le diabète, l’hypertension artérielle.
l’intervalle QT est déconseillée car elle est susceptible de favoriser la survenue de torsades de pointes. F Avant de recourir à un médicament qui expose à un risque d’allongement de l’intervalle QT, il convient : • de rechercher une hypokaliémie ; • de réaliser un ECG pour mesurer l’intervalle QT ; • de mesurer la fréquence cardiaque (qui favorise la survenue de torsades de pointes). La surveillance du rythme cardiaque, de la mesure de l’intervalle QT et de la kaliémie est justifiée pendant le traitement pour adapter les doses et donc prévenir la survenue de troubles du rythme et de mort subite cardiaque.
Peut-on prévenir la mort subite cardiaque ? La mort subite cardiaque est une entité hétérogène, souvent mal identifiée sur le plan clinique. De longue date, sa prévention a été associée à celle de la pathologie coronarienne.
Quelques points particuliers, utiles à la pratique officinale, doivent être connus. F Les médicaments antihypertenseurs n’auraient pas d’effets sur la prévention de la mort subite cardiaque chez l’hypertendu. F Les diurétiques hypokaliémiants, comme les diurétiques thiazidiques, seraient, quant à eux, associés à une augmentation du risque de mort subite cardiaque en raison des troubles ioniques générateurs de troubles du rythme cardiaque. F Les anti-aldostérones, comme la spironolactone ou l’éplérenone (Inspra®), auraient un effet bénéfique sur la mort subite cardiaque chez le sujet insuffisant cardiaque. F Les statines préviendraient efficacement la mort subite chez les patients à fort risque ischémique mais pas chez les sujets présentant une insuffisance cardiaque. F L’aspirine, agent antiagrégant plaquettaire, pourrait prévenir efficacement la mort subite chez le sujet à fort risque ischémique. Ceci explique le grand nombre de prescriptions d’aspirine à faibles doses. F Les médicaments antidiabétiques pourraient jouer un rôle intéressant dans la prévention de la mort subite cardiaque mais des études de fort niveau de preuve doivent être réalisées. F Par ailleurs, en prévention de la iatrogénie médicamenteuse, une surveillance électrocardiographique est nécessaire dans le cadre de la prescription de médicaments torsadogènes tout comme une surveillance de la kaliémie dans le cadre de la prescription de médicaments hypokaliémiants. w
Pour en savoir plus • Atwater BD, Thompson VP, Vest RN et al. Usefulness of the Duke Sudden Cardiac Death risk score for predicting sudden cardiac death in patients with angiographic (>75% narrowing) coronary artery disease. Am J Cardiol. 2009;104:1624-30. • Coll. Evaluation of drug treatment in mild hypertension: VA-NHLBI feasibility trial. Plan and preliminary results of a two-year feasibility trial for a multicenter intervention study to evaluate the benefits versus the disadvantages of treating mild hypertension. Prepared for the Veterans Administration-National Heart, Lung, and Blood Institute Study Group for Evaluating Treatment in Mild Hypertension. Ann N Y Acad Sci. 1978;304:267-92. • Papakadis M, Sharma S. Sudden Cardiac death. Cardiac Genetics. 2010;38:502-6. Scandinav Simvastatin Survival Study Group. Randomised trial of cholesterol lowering in 4444 patients with coronary heart disease: the Scandinavian Simvastatin Survival Study (4S). Lancet. 1994;344:1383-9. • Smith WM. Treatment of mild hypertension: results of a ten-year intervention trial. Circ Res. 1977 Mai;40(5 Suppl 1):98-105. • Vizzardi E, D’Aloia A, Giubbini R, Bordonali T, Bugatti S, Pezzali N et al. Effect of spironolactone on left ventricular ejection fraction and volumes in patients with class I or II heart failure. Am J Cardiol. 2010;106:1292-6.
Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
L’auteur François PILLON Docteur en pharmacie et en médecine, Service de pharmacologie clinique, Faculté de médecine Laennec, 8 rue Guillaume-Paradin, 69008 Lyon, France
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