Mort subite cardiaque du sujet jeune et tests génétiques post-mortem : enjeux éthiques et légaux

Mort subite cardiaque du sujet jeune et tests génétiques post-mortem : enjeux éthiques et légaux

La revue de médecine légale (2013) 4, 171—174 Disponible en ligne sur ScienceDirect www.sciencedirect.com MISE AU POINT Mort subite cardiaque du s...

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La revue de médecine légale (2013) 4, 171—174

Disponible en ligne sur

ScienceDirect www.sciencedirect.com

MISE AU POINT

Mort subite cardiaque du sujet jeune et tests génétiques post-mortem : enjeux éthiques et légaux Sudden death and post-mortem genetic testing: Ethical and legal problems A. Fontaine *, P. Barraine, C. Pavic ´ decine le ´ gale, CHU La-Cavale-Blanche, boulevard Tanguy-Prigent, 29609 Brest cedex, France Service de me Disponible sur Internet le 19 novembre 2013

MOTS CLÉS Mort subite ; Analyse génétique ; Cardiopathie ; Éthique

KEYWORDS Sudden death; Genetic analysis; Cardiopathy; Ethical

Résumé Une partie non négligeable des cas de morts subites du sujet jeune est en relation avec des affections cardiaques génétiques. La mise en évidence de ces gènes représente un outil diagnostique. La législation française fixe les conditions d’utilisation des tests génétiques mais le cadre juridique des tests génétiques post-mortem dans ce contexte reste ambigu. Ceci soulève de plus des questions éthiques notamment sur le devoir d’information du médecin concernant les proches confrontés à une mort subite. # 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Summary A significant proportion of cases of sudden death in young people is related to identify genetic heart disease. The identification of these genes is a diagnostic tool. French law establishes the conditions for use of genetic testing but there is a legal vacuum regarding consent from the deceased. Moreover it is not without raising ethical issues including the role to be performed by the doctor vis-à-vis family faced with sudden death. # 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

La mort subite cardiaque correspond, selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé, au décès inattendu d’une personne en bonne santé apparente, dans l’heure suivant l’apparition des premiers symptômes. L’étiologie varie en fonction de l’âge du patient.

* Auteur correspondant. E-mail address: [email protected] (A. Fontaine).

Une partie non négligeable des cas de morts subites du sujet jeune est en relation avec des affections cardiaques génétiques. Certaines de ces affections ne présentent pas d’anomalie morphologique et leur identification post-mortem ne peut reposer que sur la pratique de tests génétiques [1]. La mise en évidence de ces gènes représente donc un outil diagnostique pour confirmer la pathologie cardiaque et identifier son origine. Des prélèvements post-mortem à visée génétique peuvent être effectués, soit dans le cadre d’une autopsie judiciaire ou scientifique, soit au décours d’une

1878-6529/$ — see front matter # 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.medleg.2013.10.001

172 réanimation. Ces prélèvements sont aussi pratiqués dans l’intérêt des proches [2]. Des mesures médicales thérapeutiques et ou préventives pourront leur être proposées pour éviter la récurrence d’une mort subite dans la famille, si une mutation est identifiée. Cette forme de « médecine prédictive » peut permettre de prévoir ou de prévenir l’apparition de certaines maladies avant l’expression de leurs symptômes [3]. La législation française fixe les conditions d’utilisation des tests génétiques. Les premières dispositions datent des lois dites de bioéthiques du 29 juillet 1994 [4]. Elles précisent les conditions de prescription et de réalisation des tests à des fins médicales et de recherche. Quatre principes régissent les règles de bonne pratique en médecine prédictive : respect de l’autonomie, choix éclairé, droit de ne pas savoir du consultant et confidentialité des résultats. Cependant ces dispositions n’abordent pas le problème des tests génétiques post-mortem. Dans les cas de mort subite d’origine cardiaque génétique, la démarche a la particularité d’être initiée à partir d’un sujet décédé. Ceci ne va pas sans poser de problèmes éthiques et légaux. Dans ce contexte, quel rôle doit tenir le médecin vis-à-vis des proches confrontés à une mort subite (I) et comment aborder la question du consentement chez le défunt (II) ?

Le médecin face à l’obligation d’information génétique familiale Un devoir d’information La mort subite d’une personne jeune est toujours un choc. Les victimes souvent en bonne santé apparente ne présentaient aucun symptôme particulier. La cause du décès peut rester inconnue même lorsqu’une autopsie est pratiquée. Chez le sujet jeune dans ce contexte, il y a forte présomption de maladie cardiaque génétique et il est probable que d’autres membres de la famille soient atteints [5]. Dans ce cas, le médecin, qu’il soit urgentiste, généraliste ou même légiste, peut-il ou doit-il prévenir les proches de ce risque ? La communication d’un risque génétique peut générer une forte anxiété parfois injustifiée des apparentés, car il ne s’agit à ce stade que d’une simple présomption. En pratique, le médecin invite les proches à bénéficier d’une consultation génétique afin d’établir un risque de maladie génétique en fonction de l’histoire médicale familiale. Le débat reste ouvert quant à l’information systématique d’une cause génétique possible après le décès subit d’un proche. L’article L1131-1-2 du code de la santé publique fait état du risque qu’un silence ferait courir aux membres de la famille potentiellement concernés par la découverte d’une anomalie génétique grave. Dans la mesure où l’on ne peut écarter formellement une maladie génétique cardiaque, il paraît préférable de proposer aux apparentés une consultation de génétique médicale, surtout s’il existe des mesures préventives et thérapeutiques permettant de réduire les effets d’une anomalie génétique. Si le devoir d’information s’impose au médecin, comment doit-il s’y prendre ? L’annonce d’un tel diagnostic est délicate pour les membres d’une famille que le médecin ne connaît pas et qui n’ont pas requis cette information.

A. Fontaine et al. Comment alors contacter la famille (lettre, téléphone, rendez-vous) ? Le médecin sera-t-il responsable du suivi médical des proches qu’il aura contacté ou pourra-t-il se contenter de leur fournir l’information ? Le décret relatif aux conditions de mise en œuvre de l’information de la parentèle dans le cadre d’un examen des caractéristiques génétiques à finalité médicale apporte des éléments de réponse [6]. Il définit un modèle de lettre [7] adressé par le médecin aux membres de la famille potentiellement concernés par une anomalie génétique. S’inspirant de ce modèle, un courrier pourrait être transmis aux personnes concernées, les invitant à consulter un médecin généticien et leur fournissant les coordonnées des centres les plus proches. Libre à eux ensuite de ne pas donner suite à ce courrier.

Devoir d’information et secret médical La diffusion de l’information génétique dans une famille où le sujet index est décédé, se trouve confrontée au secret médical [8]. Des dérogations au secret médical sont cependant prévues par la loi. L’article L1110-4 du code de la santé publique dispose notamment que « le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès ». Alerter les membres d’une famille sur un risque de maladie génétique pourrait être rattachable à cette disposition mais dans ce cas, quels sont les membres de la famille auxquels l’information doit être transmise ? Les situations familiales sont parfois complexes et quelles personnes est-il légitime d’informer en priorité. Le décret relatif à l’information de la parentèle apporte là encore un élément de réponse. Le terme de « membre de la famille potentiellement concerné » reste certes assez vague. Ces membres seront identifiés en fonction du contexte. L’information sera transmise, dans un premier temps, au moins aux apparentés au premier degré. Il est surtout précisé que ces membres sont invités à se rendre à une consultation génétique « sans que leur soit dévoilé ni le nom de la personne, ni l’anomalie génétique, ni le risques qui lui sont associés ». C’est le médecin pourvoyeur de l’invitation qui tiendra le médecin consulté du contexte médical.

Consentement et tests génétiques postmortem Lorsqu’une maladie cardiaque génétique est présumée, la réalisation d’un test génétique chez le cas index décédé s’impose, afin d’identifier la mutation princeps. L’obtention d’un consentement exprès est la règle qui pèse sur les professionnels pratiquant des examens des caractéristiques génétiques. Quelle est alors la conduite à tenir quant au consentement aux tests génétiques post-mortem ?

Pratique des tests génétiques post-mortem La révélation du port d’une mutation génétique peut être vécue comme traumatisante. Cette spécificité de

Mort subite cardiaque du sujet jeune et tests génétiques post-mortem l’information a conduit le législateur à toujours demander le recueil du consentement de la personne chez laquelle un test génétique est pratiqué. Ainsi, l’article 16-10 du code civil dispose-t-il que le consentement libre et éclairé par une information préalable est nécessaire à la réalisation des tests génétiques prédictifs. Le consentement individuel doit être donné par écrit. Concernant les tests sur des personnes décédées, l’article 16-11 affirme l’impossibilité de réaliser des tests génétiques post-mortem sauf accord exprès manifesté du vivant de la personne. Cette disposition concerne l’identification par empreinte génétique, mais il en est de même en matière d’examens des caractéristiques génétiques [9]. Or dans ce contexte de mort subite du sujet jeune, le consentement pré-mortem est rarement recueilli. Faut-il pour autant renoncer dans la mesure où ces tests sont effectués pour le bénéfice des membres de la famille ? La réponse est non et même si l’impossibilité est la règle, quelques dérogations apparaissent. Tout d’abord l’article L1131-1 du code de la santé publique dispose que lorsque le recueil du consentement est impossible, l’examen ou l’identification peut être entrepris à des fins médicales dans l’intérêt de la personne. Même s’il ne s’agit pas ici de l’intérêt de la personne, on peut l’extrapoler à celui des proches. De plus, l’arrêté du 27 mai 2013 définissant les règles de bonnes pratiques applicables à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins médicales [9] mentionne que l’examen peut être réalisé à titre exceptionnel « en cas de nécessité impérieuse pour la santé publique et en l’absence d’autres procédés permettant d’obtenir une certitude diagnostique sur les causes de la mort ». La notion de nécessité impérieuse pour la santé publique reste floue. Elle semble davantage faire référence aux maladies infectieuses et apparaît peu adaptée au contexte. Toutefois, ces tests peuvent permettent d’obtenir une certitude diagnostique sur les causes de la mort. Ces dispositions ouvrent ainsi une brèche dans un des principes fondamentaux qu’est le consentement. Il faut par ailleurs souligner une autre dérogation en matière de recherche médicale. En effet, selon l’article L1131-1-1 du code de la santé publique, l’examen des caractéristiques génétiques de la personne, à partir d’éléments biologiques prélevés sur elle à d’autres fins, est possible, sauf si dûment informée, elle ne s’y est pas opposée. Non seulement, la personne ne doit plus consentir de manière expresse à l’utilisation seconde des prélèvements effectués sur elle, mais de plus, il est dérogé à ce dispositif si la personne source ne peut être retrouvée. En l’espèce, la personne source étant décédée, cela revient-il à se dispenser de consentement en matière de recherche médicale ?

Une situation à clarifier On souligne donc l’ambiguïté des textes en matière de tests génétiques post-mortem à visée médicale. En pratique, la recherche du consentement prime. Pour le défunt mineur ou majeur sous tutelle, le consentement est donné par les titulaires de l’autorité parentale ou par le tuteur. Mais concernant le défunt majeur, quelle personne peut légitimement le représenter ? Si les ayants droit disposent effectivement de prérogatives en matière d’information, ces

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droits ne répondent pas toujours aux enjeux médicaux. Un refus du conjoint ou d’un partenaire lié par un PACS est-il recevable, surtout en l’absence de descendance ? Dans la mesure où cette personne n’apparaît pas concernée par la transmission de la maladie, est-il possible de passer outre ce refus, dans l’intérêt des proches, comme le rappellent les textes [10]. Les règles de bonnes pratiques applicables à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins médicales n’apportent de réponse claire sur ce sujet. On peut également regretter que la question n’ait été abordée dans les règles de bonnes pratiques en génétique constitutionnelle à des fins médicales [11]. Peut-on imaginer alors que le consentement soit établi par une équipe pluridisciplinaire médicale et se dispenser de l’accord des proches ?

Conclusion Les connaissances en matière de génétique et de mort subite cardiaque ne font que s’accroître. Alors que plusieurs textes récents ont clarifié la conduite à tenir en matière d’examen des caractéristiques génétiques à des fins médicales et que l’Agence de biomédecine a élaboré des règles de bonne pratique en génétique constitutionnelle à des fins médicales, peu de précisions ont été apportées sur les tests génétiques post-mortem. Les dérogations au consentement se multiplient sans pour autant définir clairement la conduite à tenir dans ce contexte. Il conviendrait de définir des règles de bonne pratique en matière de prise en charge familiale en cas de mort subite d’un sujet jeune, pour améliorer et simplifier la prise en charge des proches.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Références [1] Michaud K, Mangin P, Elger BS. Genetic analysis of sudden cardiac death victims: a survey of current forensic autopsy practices. Int J Legal Med 2011;125:359—66. [2] Elger BS, Michaud K, Fellman F, Mangin P. Sudden death: ethical and legal problems of post-mortem forensic genetic testing for hereditary cardiac diseases. Clin Genet 2010;77:287—92. [3] Fellmann F, Michaud K. Mort subite cardiaque dans la famille : quel bilan chez les proches ? Real cardiol 2011 [Cahier 1]. [4] Loi no 94—654 du 29 juillet 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal. JORF 1994;175. p11060. [5] Fellmann F, Michaud K. Mort subite cardiaque dans la famille : quel bilan chez les proches ? Real Cardiol 2011. Cahier 1. [6] Décret no 2013—527 du 20 juin 2013 relatif aux conditions de mise en œuvre de l’information de la parentèle dans le cadre d’un examen des caractéristiques génétiques à finalité médicale. JORF 2013;0143. p10403. [7] Arrêté du 20 juin 2013 fixant le modèle de lettre adressée par le médecin aux membres de la famille potentiellement concernés en application de l’article R. 1131-20-2 du code de la santé publique. JORF 2013;0143.

174 [8] CCNE no 76 : à propos de l’obligation d’information génétique familiale en cas de nécessité médicale. 2003 ; Les cahiers du CCNE. N˚36. [9] Arrêté du 27 mai 2013 définissant les règles de bonnes pratiques applicables à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne à des fins médicales. JORF 2013;0130. p9469.

A. Fontaine et al. [10] Article L1131-1 du Code de la santé publique. [11] Bonnes pratiques en génétique constitutionnelle à des fins médicales (hors diagnostic prénatal). Agence de la biomédecine. Adoption du projet par la haute autorité de santé le 19 décembre 2012, n˚2012.0198/DC/SBPP, www.has-sante.fr.