Neuropathie optique rétrobulbaire cécitante révélatrice d’un lupus érythémateux systémique

Neuropathie optique rétrobulbaire cécitante révélatrice d’un lupus érythémateux systémique

Pratique Neurologique – FMC 2013;4:184–186 Cas remarquable Neuropathie optique rétrobulbaire cécitante révélatrice d'un lupus érythémateux systémiqu...

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Pratique Neurologique – FMC 2013;4:184–186

Cas remarquable

Neuropathie optique rétrobulbaire cécitante révélatrice d'un lupus érythémateux systémique Blinding retrobulbar optic neuropathy as the first manifestation of systemic lupus erythematosus Y. Sekkach F. Mekouar N. Elomri M. Elqatni J. Fatihi D. Ghafir

Département de médecine interne-B, hôpital militaire d'instruction Med-V, Hay Riad, 10100 Rabat, Maroc

RÉSUMÉ Si l'atteinte oculaire est une complication connue du lupus érythémateux systémique (LES), la neuropathie optique est en revanche très rare et exceptionnellement révélatrice. Nous rapportons une observation de névrite optique rétrobulbaire (NORB) inaugurant un LES. Le signe d'appel était une baisse brutale de l'acuité visuelle avec un fond d'œil normal et une angiographie rétinienne normale. Le diagnostic de névrite optique lupique était retenu sur un faisceau d'arguments appropriés cliniques, biologiques, immunologiques et neurophysiologiques. Quant à la conduite thérapeutique, elle était basée sur les corticoïdes et les immunosuppresseurs. L'évolution était péjorative sur le plan visuel avec la survenue d'une cécité bilatérale. Nous insistons sur le caractère rare de cette complication et son pronostic sombre pouvant inaugurer une collagénose. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Mots clés Névrite optique rétrobulbaire Lupus érythémateux systémique Anticorps antinucléaires

Keywords Retrobulbar optic neuritis Systemic lupus erythematosus Antinuclear antibody

SUMMARY While ocular lesions are commonly known in systemic lupus erythematosus, optic neuropathy is very rare and exceptionally inaugural. We report a case of retrobulbar optic neuritis revealing systemic lupus erythematosus. The initial symptom was a sudden loss of visual acuity with normal ophthalmoscopy and fluoroscein angiogram. The diagnosis was confirmed by clinical, biological, immunological and neurophysiological examinations. Corticosteroid and immunosuppressive therapy was given with poor visual response. Retrobulbar optic neuritis is a rare complication of systemic lupus erythematosus. There is some controversy about its pathogenesis and treatment. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

INTRODUCTION Le lupus érythémateux systémique (LES) est une affection systémique chronique dysimmunitaire d'étiologie inconnue. Au niveau oculaire, la maladie lupique peut occasionner différentes manifestations : palpébrales, cornéo-conjonctivales, orbitaires, choroïdiennes et rétiniennes (Palejwala et al., 2012 ; Kittisupamongkol, 2010). La névrite optique rétrobulbaire (NORB) est une complication rare de la maladie et exceptionnellement révélatrice. Sa

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physiopathologie n'est pas claire et il n'y a pas de traitement bien défini. Nous rapportons l'observation d'une jeune patiente avec une neuropathie optique bilatérale comme initiale manifestation ayant conduit au diagnostic d'un LES.

OBSERVATION Une patiente de 53 ans, de race noire, droitière, était admise pour une baisse brutale et

Auteur correspondant : Y. Sekkach, département de médecine interne-B, hôpital militaire d'instruction Med-V, Hay Riad, 10100 Rabat, Maroc. Adresse e-mail : [email protected]

© 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. http://dx.doi.org/10.1016/j.praneu.2013.07.004

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Figure 1. IRM cérébrale coupe axiale, séquence flair.

Figure 2. IRM cérébrale coupe axiale séquence T2.

bilatérale de l'acuité visuelle. Ses antécédents personnels et familiaux étaient sans particularité. La symptomatologie avait débuté un mois avant son hospitalisation par l'installation rapidement progressive d'une baisse de l'acuité visuelle bilatérale avec une douleur intense à la mobilisation du globe oculaire et sans aucun symptôme extra-ophtalmologique. L'examen général trouvait une patiente consciente, apyrétique, sa tension artérielle était de 120/80 mmHg ; La patiente ne présentait pas de lésions cutanéo-muqueuses ni de douleur à la mobilisation des articulations périphériques. À l'examen ophtalmologique, la patiente comptait les doigts au niveau de l'œil droit et voyait les objets bouger au niveau de l'œil gauche. Le réflexe photomoteur était aboli de façon bilatérale et la pression intra-oculaire était normale. Le fond d'œil était sans anomalie, les vaisseaux rétiniens étaient indemnes, le champ visuel était altéré et l'acuité visuelle relevée était inférieure à 1/20e. L'examen neurologique ne retrouvait ni déficit sensitivomoteur ni atteinte des autres paires crâniennes. Le reste de l'examen physique était sans particularités. Devant ce tableau clinique et en l'absence de signes systémiques évocateurs, une angiographie rétinienne réalisée n'avait pas révélé d'anomalie, en revanche les potentiels évoqués visuels mettaient en évidence un retard de la latence du P100 compatible avec une NORB bilatérale de type axonale. Les potentiels évoqués somesthésiques et auditifs étaient en revanche normaux. Le diagnostic de NORB était ainsi retenu, et un bilan étiologique comprenant une imagerie par résonance magnétique orbito-encéphalique a été pratiqué. L'IRM mettait en évidence de multiples images de la substance blanche périventriculaire sus- et sous-tentorielle en hypersignal T2 ne prenant pas le contraste après injection de gadolinium (Fig. 1 et 2). Les images orbitaires n'ont pas retrouvé d'anomalie de signal à niveau mais ne comportaient pas de coupe fine sur les nerfs optiques. L'électromyogramme était sans anomalie, de même que l'étude cytochimique du LCR qui n'objectivait pas de synthèse d'immunoglobulines en intrathécal. L'hémogramme avait montré un taux de globules blancs à 3000/mm3 (valeur normale : 4000 à 10 000/mm3) avec un taux de lymphocyte à 800/mm3 (valeur normale : 1000 à 4000/

mm3), des plaquettes à 100 000/mm3 (valeur normale : 150 à 450 000/mm3), et une hémoglobine à 12,5 g/dl (valeur normale : 12 à 15 g/100 mL). La vitesse de sédimentation était accélérée à 50 mm la première heure, alors que les autres protéines de l'inflammation (protéine C-réactive et fibrinogène) étaient normales. Le bilan immunologique retrouvait des anticorps antinucléaires positifs à un taux de 1/640 à fluorescence homogène avec une positivité des anti-ADN-natifs et des antiSm. Les anticorps anti-SSA, anti-SSB, anticardiolipines, antib2 glycoprotéines1, anti-CCP et les ANCA étaient négatifs. La protéinurie était négative, la fonction rénale était conservée et le dosage des fractions C3 et C4 du complément sérique était normal. Il n'y avait pas de cryoglobulinémie et les anticorps anti-NMO étaient revenus négatifs. Le diagnostic retenu était celui d'une NORB bilatérale et cécitante dans le cadre d'un LES. La patiente a été mise initialement sous bolus de méthylprednisolone (1 g/j pendant trois jours) relayé par une corticothérapie per os (1 mg/kg/j de prednisone pendant trois semaines). L'absence d'amélioration de la symptomatologie oculaire justifiait l'introduction du cyclophosphamide mensuel à la dose 1 g en intraveineuse pendant six mois, puis trimestriel pendant six mois. L'évolution s'était faite vers une récupération très partielle de l'acuité visuelle. Après un recul de 12 mois, la réponse au traitement demeurait défavorable avec installation d'une cécité bilatérale avec une pâleur papillaire bilatérale au fond d'œil.

DISCUSSION Le diagnostic du LES est essentiellement clinique et se base généralement sur la présence de quatre ou plus des 11 critères révisés établis par l'ACR présents simultanément ou successivement sans limitation du temps d'observation (Tan et al., 1982). Bien qu'aucun de ces critères n'incluent l'atteinte oculaire, cette dernière est présente chez un tiers des patients présentant un LES. Notre patiente remplit quatre sur

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Y. Sekkach et al.

Cas remarquable 11 critères pour le diagnostic de LES, mais sa manifestation initiale était une névrite optique bilatérale. L'atteinte du nerf optique au cours du LES, rare, est estimée à 1 % (Hochberg et al., 1985 ; Jabs et al., 1986) ; il peut s'agir d'une névrite optique mais aussi d'une neuropathie optique ischémique (antérieure ou postérieure). Feingless et al. (1976) ont rapporté un cas de neuropathie optique chez 140 patients suivis pour lupus; Douglass et al. (1986) ont rapporté sept cas de neuropathies optiques associés au lupus, cependant chez aucun de ces patients la névrite optique n'a été la première manifestation révélatrice de la maladie. Contrairement à la névrite optique lupique, la neuropathie optique dans le LES associe une baisse brutale et souvent bilatérale de l'acuité visuelle à des douleurs lors de la mobilisation oculaire (Lin et al., 2009). En l'absence d'autres manifestations systémiques du LES, il peut être très difficile de distinguer ce type de névrite optique d'une autre atteinte oculaire dans le cadre d'une maladie démyélinisante (Ahmadieh et al., 1994). La pathogénie de la neuropathie optique au cours du lupus n'est pas encore bien élucidée. Giorgi et Balacco Gabrieli (1999) ont conclu que les cas peu sévères de neuropathies optiques caractérisés par une démyélinisation sont dus à une atteinte ischémique modérée et répondent bien à la corticothérapie. Inversement, les cas plus sévères et irréversibles caractérisés par une nécrose axonale sont dus à une ischémie sévère comme ce fut le cas de notre patiente. La thérapeutique repose sur la corticothérapie par des bolus de méthylprednisolone (1 g/j pendant au moins trois jours) relayée par voie orale (1 mg/kg/j) à doses dégressives jusqu'à amélioration clinique et biologique de la maladie. Dans les cas où la neuropathie optique est réfractaire à la corticothérapie (Galindo-Rodriguez et al., 1999), le cyclophosphamide a donné de bons résultats dans des essais cliniques. Cependant, ces études ne sont ni randomisées ni contrôlées (Asheron et al., 1989). Le pronostic visuel est généralement faible, bien que de bons résultats aient été rapportés. La récurrence aggrave habituellement le pronostic.

CONCLUSION Les manifestations oculaires du lupus peuvent menacer le pronostic visuel et peuvent constituer un indicateur d'activité de la maladie systémique. La NORB est une complication rare, exceptionnellement révélatrice, mais potentiellement grave de la maladie dont le diagnostic doit être urgent. Le traitement fait souvent appel aux immunosuppresseurs dans l'espoir de nouvelles bases sur un choix thérapeutique approprié.

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Déclaration d'intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article.

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