Peau et neurologie : signes cutanés d’intérêt pour le neurologue

Peau et neurologie : signes cutanés d’intérêt pour le neurologue

Pratique Neurologique – FMC 2013;4:166–172 Pour la pratique Peau et neurologie : signes cutanés d'intérêt pour le neurologue Skin and neurology: Con...

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Pratique Neurologique – FMC 2013;4:166–172

Pour la pratique

Peau et neurologie : signes cutanés d'intérêt pour le neurologue Skin and neurology: Contribution of the dermatological examination for the neurologist A. Mahé a S. Banea a F. Sellal b

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Service de dermatologie, hôpital Pasteur, hôpitaux civils de Colmar, 39, avenue de la Liberté, 68000 Colmar cedex, France b Service de neurologie, hôpital Pasteur, hôpitaux civils de Colmar, 39, avenue de la Liberté, 68000 Colmar, France

RÉSUMÉ Du fait de son accessibilité clinique immédiate ainsi que de sa richesse sémiologique, l'examen dermatologique est susceptible de constituer une aide rapide au diagnostic de nombreuses affections « internes ». La neurologie ne fait pas exception à la règle. Lors de cette présentation, centrée sur la reconnaissance des lésions dermatologiques caractéristiques d'une sélection d'affections d'intérêt pour le neurologue, nous tâcherons d'en donner un aperçu significatif. © 2013 Publié par Elsevier Masson SAS.

SUMMARY Immediate clinical accessibility and a rich cohort of symptoms make the dermatological examination an important tool for rapid diagnosis of numerous "internal'', including neurological, conditions. This presentation will focus on the characteristic skin lesions observed in a selection of neurological diseases. © 2013 Published by Elsevier Masson SAS.

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u fait de son accessibilité clinique immédiate ainsi que de sa richesse sémiologique, l'examen dermatologique est susceptible de constituer une aide rapide au diagnostic de nombreuses affections « internes ». La neurologie ne fait pas exception à la règle. Lors de cette présentation, centrée sur la reconnaissance des lésions dermatologiques caractéristiques d'une sélection d'affections d'intérêt pour le neurologue, nous tâcherons d'en donner un aperçu significatif.

NEUROFIBROMATOSE DE VON RECKLINGHAUSEN Les signes cutanés ne sont démonstratifs que dans la neurofibromatose de type I, qui n'est pas la plus « neurologique » de ce groupe d'affections (Bessis et al., 2012). Les taches café au lait représentent un critère diagnostique de cette maladie si elles sont au nombre d'au moins six (avec une taille minimale de

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5 mm pour les enfants et 15 mm après la puberté) (Fig. 1). Les éphélides (lentigos) axillaires – qui correspondent en fait à des petites taches café au lait – ont la même valeur et apparaissent dans l'enfance (Fig. 1). Les neurofibromes apparaissent quant à eux plus tardivement (Fig. 2). Les neurinomes de l'acoustique (schwannomes vestibulaires) ne se rencontrent qu'au cours de la neurofibromatose de type II qui est une affection distincte de la neurofibromatose de type I, et dont les signes cutanés se résument éventuellement à une ou plusieurs taches café au lait (présentes chez un tiers de patients) ou à des schwannomes.

SCLÉROSE TUBÉREUSE DE BOURNEVILLE Les signes cutanés de cette affection apparaissent progressivement avec l'âge. Il s'agit avant tout des hypochromies maculeuses,

Mots clés Neurofibromatose Sclérose tubéreuse Maladie de Behçet Syndrome de Sneddon Syphilis Lèpre Cryptococcose cutanée DRESS syndrome Zona Érythème migrant

Keywords Neurofibroma Tuberous sclerosis Behçet's disease Sneddon syndrome Syphilis Leprosy Cutaneous cryptococosis DRESS Herpes zoster Migrating erythema

Auteur correspondant : A. Mahé, service de dermatologie, hôpital Pasteur, hôpitaux civils de Colmar, 39, avenue de la Liberté, 68024 Colmar cedex, France. Adresse e-mail : [email protected]

© 2013 Publié par Elsevier Masson SAS. http://dx.doi.org/10.1016/j.praneu.2013.07.008

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Figure 3. Sclérose tubéreuse de Bourneville : hypochromie « en feuille de sorbier » du dos.

ongles des pieds) (Fig. 4), des angiofibromes médiofaciaux (Fig. 5), et des zones dites en « peau de chagrin ». Figure 1. Neurofibromatose de von Recklinghausen de type I : taches café au lait et éphélides axillaires multiples caractéristiques.

MALADIE DE BEHÇET

typiquement « lancéolées » (Fig. 3) et dont la mise en évidence peut être aidée par l'utilisation de la lumière de Wood, des tumeurs de Koënen, qui correspondent à des fibromes péri-unguéaux (présents notamment au niveau des

Même s'il existe de rares cas de maladie de Behçet sans manifestations cutanéomuqueuses, celles-ci représentent des critères fondamentaux du diagnostic de cette maladie. Les aphtes buccaux sont particuliers par leur caractère

Figure 2. Neurofibromatose de von Recklinghausen de type I : neurofibromes profus.

Figure 4. Sclérose tubéreuse de Bourneville : tumeurs de Koënen périunguéales.

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Figure 5. Sclérose tubéreuse de Bourneville : angiofibromes médiofaciaux.

récidivant (au moins trois récidives en 12 mois sont nécessaires pour avoir une valeur diagnostique) ainsi que, inconstamment, leur sévérité (Fig. 6). Les aphtes génitaux sont plus rares, mais plus significatifs (Fig. 7) ; ils peuvent laisser des cicatrices de même signification. L'érythème noueux correspond en réalité souvent à une vascularite, potentiellement accessible à une biopsie ; ailleurs, un tel aspect peut correspondre à une phlébite superficielle. Des pseudofolliculites sont également possibles. La pathergie (réaction inflammatoire isomorphe au site d'une IDR au sérum physiologique ou à un site de ponction veineuse) en représente une variante plus rare mais de grande valeur diagnostique (Fig. 8).

SYNDROME DE SNEDDON

Figure 7. Maladie de Behçet : aphte génital.

contributive. La présence d'anticorps antiphospholipides est possible.

SYPHILIS

Ce syndrome rare associe un livedo pathologique (à grandes mailles qui sont ouvertes, ce qui le distingue des beaucoup plus fréquents livedos physiologiques), de siège variable (tronc, membres) (Fig. 9), en principe non infiltré, associé ou précédant (parfois de plusieurs années) les accidents vasculaires cérébraux. La biopsie cutanée est généralement peu

Si la neurosyphilis est classée classiquement parmi les syphilis tertiaires, il peut s'agir d'une complication relativement précoce de la syphilis vénérienne, dès le stade secondaire (méningo-encéphalite). Une atteinte oculaire spécifique aurait la même signification. Aussi est-il utile de connaître les manifestations cutanéomuqueuses les plus courantes de la syphilis secondaire, la « grande simulatrice » : roséole syphilitique,

Figure 6. Maladie de Behçet : aphte gingival (ici d'aspect clinique banal mais récidivant).

Figure 8. Maladie de Behçet : phénomène de pathergie (réaction isomorphe aux points de ponction veineuse).

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Figure 9. Livedo dit « racemosa » (à grandes mailles ouvertes).

prenant la forme d'un exanthème plus ou moins marqué faisant discuter une virose ou une toxidermie (Fig. 10), syphilides, extrêmement polymorphes mais souvent évocatrices par leur caractère papuleux et leur siège palmaire et/ou plantaire (Fig. 11), ou encore plaques dépapillées « fauchées » linguales (Fig. 12).

LÈPRE (MALADIE DE HANSEN) La lèpre, affection cutanéo-neurologique par excellence, est une « maladie neurologique dont le diagnostic est dermatologique ». Des cas de lèpre sont occasionnellement observés en France métropolitaine chez des immigrés ou chez des sujets originaires des DOM-TOM. Les formes purement nerveuses de cette maladie sont rares. Les manifestations

Figure 10. Exanthème pur (non infiltré) difficilement visible d'une roséole syphilitique.

Figure 11. Lésions papuleuses palmaires typique de syphilides ; noter la desquamation périphérique de certains éléments (collerette de Biette).

cutanées en représentent des manifestations très fréquentes, précoces et permettant un diagnostic de certitude aisé. Les signes cutanés de cette affection très polymorphe sont fonction de la forme anatomoclinique, qui dépend elle-même de la réponse immunologique de l'hôte vis-à-vis de Mycobacterium leprae : macules, particulières par leur caractère hypochromique (mais jamais achromique), et qui seront dans les cas les plus typiques hypoesthésiques (Fig. 13) ; papules, caractéristiques des formes lépromateuses lorsqu'elles sont multiples (Fig. 14) ; lésions annulaires des formes « borderline » instables immunologiquement (Fig. 15). L'érythème

Figure 12. « Plaque fauchée » du dos de la langue (syphilis secondaire).

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Figure 13. Vaste macule hypochromique et hypoesthésique du dos dans un cas de lèpre tuberculoïde.

noueux lépreux (réaction de type II) est caractérisé par la survenue de nodules inflammatoires de petite taille, plus proches en fait de ce que l'on voit lors d'une vascularite classique que d'un érythème noueux proprement dit ; le tableau neurologique souvent associé (multinévrite) peut égarer le diagnostic vers une périartérite noueuse, y compris sur le plan histologique si l'on ne pense pas à effectuer une coloration des bacilles de Hansen (coloration de Ziehl dite « à l'huile »). La neuropathie lépreuse est très particulière par la présence d'une hypertrophie nerveuse, palpable et parfois même visible à l'œil nu (Fig. 16).

Figure 15. Lésions annulaires d'aspect étrange au cours d'une lèpre « borderline » chez un européen (cliché Pr Marc Géniaux).

CRYPTOCOCCOSE CUTANÉE DE L'IMMUNODÉPRIMÉ Au cours des états d'immunodépression profonde comme lors des stades tardifs de l'infection par le VIH, la cryptococcose neuroméningée peut s'accompagner de lésions cutanées papuleuses ombiliquées simulant pour un œil non averti de banals molluscums contagiosums (Fig. 17). La biopsie cutanée (ou même un simple frottis) permettent de redresser le diagnostic.

Figure 14. Papules multiples (lépromes) déformant l'oreille dans un cas de lèpre lépromateuse.

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Figure 16. Hypertrophie nerveuse du nerf péronier superficiel au cours d'une lèpre.

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Figure 17. Cryptococcose cutanée satellite d'une atteinte méningée chez un patient infecté par le VIH.

DRESS SYNDROME Parmi les différentes variétés de toxidermie, les plus graves, menaçant potentiellement le pronostic vital, sont le syndrome de Lyell et de le « DRESS syndrome » (drug rash with eosinophila and systemic symptoms). De nombreux antiépileptiques peuvent provoquer l'une ou l'autre de ces complications. Le DRESS se distingue des autres toxidermies par sa survenue nettement retardée par rapport à l'introduction du

Figure 18. Exanthème généralisé et infiltré au cours d'un DRESS (ici induit par le Keppra).

Figure 19. Zona profus compliqué d'une paralysie faciale (noter l'atteinte de la conque de l'oreille qui, ici, n'était pas isolée).

Figure 20. Érythème migrant centré sur le point de piqûre d'une tique infectée par Borrelia burgdorferi.

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Pour la pratique médicament responsable (3 à 12 semaines), et par le caractère croisé de la réaction entre les différents antiépileptiques aromatiques lorsque l'un d'eux est responsable. Les symptômes associés à l'exanthème étendu, qui se trouve généralement au premier plan de la symptomatologie avec dans les cas les plus typiques une composante œdémateuse marquée (Fig. 18), consistent en des signes « systémiques » (fièvre, polyadénopathie, hépatite potentiellement grave, insuffisance rénale aiguë, myocardite, pneumopathie. . .) et hématologiques (hyperéosinophilie, présente en fait dans seulement la moitié des cas, syndrome mononucléosique, lymphopénie). On incrimine dans la physiopathologie du DRESS des perturbations immunologiques du patient induites par le médicament en cause et conduisant à une réactivation de virus latents (HHV-6 notamment). Outre l'arrêt indispensable et précoce du médicament responsable, le traitement du DRESS repose surtout sur une corticothérapie locale forte ; les corticoïdes par voie systémique ne sont envisagés que si le pronostic vital est en jeu. L'évolution de ce syndrome est souvent prolongée, même après l'arrêt du médicament déclenchant.

surtout les algies post-zostériennes, de traitement parfois problématique.

ÉRYTHÈME MIGRANT (ANCIENNEMENT ÉRYTHÈME DE LIPSCHUTZ) L'érythème migrant est une aire d'érythème allant de quelques centimètres à plus de 10 cm de diamètre, de forme circulaire ou ovalaire, apparaissant de trois à 30 jours après une piqûre de tique contaminée par Borrelia burgdorferi. La rougeur cutanée apparaît d'abord au point de piqûre puis a une extension centrifuge, reflétant la progression des spirochètes de la maladie de Lyme à travers les lymphatiques cutanés. L'effacement secondaire des régions centrales peut donner à cet érythème un aspect en cible (Fig. 20). Il est très évocateur de la maladie de Lyme, dont il est le signe le plus précoce, mais il n'est présent que dans environ 50 % des infections (Hildenbrand et al., 2009). Déclaration d'intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d'intérêts en relation avec cet article.

ZONA Le zona intéresse le neurologue à plusieurs titres. Tout d'abord, l'épisode aigu peut se compliquer de manifestations neurologiques déficitaires, la plus classique étant la paralysie faciale par atteinte du ganglion géniculé. Sur le plan sémiologique, l'atteinte de la zone du tégument dite « de Ramsay-Hunt » (conque de l'oreille, conduit auditif externe) est classique ; elle peut être isolée ou intégrée au sein de lésions plus profuses (Fig. 19). Secondairement, on redoute

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RÉFÉRENCES Bessis D, Francès C, Guillot B, Guilhou JJ. Manifestations dermatologiques des maladies d'organe.Bessis D, editor. Dermatologie et médecine, Tome 4. Paris, France: Springer Verlag; 2012. Hildenbrand P, Craven DE, Jones R, Nemeskal. Lyme neuroborreliosis: manifestations of a rapidly emerging zoonosis. Am J Neuroradiol 2009;30:1079–87.