Journal français d’ophtalmologie (2014) 37, 42—46
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ARTICLE ORIGINAL
Le fovéoschisis du myope fort : signes cliniques et tomographiques Foveoschisis in highly myopic eyes: Clinical and tomographic features A. Maalej ∗, C. Wathek , A. Khallouli , R. Rannen , S. Gabsi Service d’ophtalmologie, Military Hospital of Tunis, place de Tunis, Montfleury, 1008 Tunis, Tunisie Rec ¸u le 24 janvier 2013 ; accepté le 11 mars 2013 Disponible sur Internet le 25 octobre 2013
MOTS CLÉS Myopie forte ; Fovéoschisis ; OCT ; Signes associés ; Pronostic fonctionnel
∗
Résumé Introduction. — Le fovéoschisis maculaire du myope fort est une pathologie rare caractérisée par un clivage intra-rétinien associé à des anomalies du cortex vitréen et parfois à une rétraction corticale. L’évolution est imprévisible, le traitement est chirurgical avec un pronostic fonctionnel souvent favorable. Matériel et méthodes. — Nous rapportons 7 cas de fovéoschisis maculaire sur des yeux myopes forts. Nous décrivons les aspects OCT de ces fovéoschisis, ainsi que les signes associés tout en essayant de les corréler au niveau d’acuité visuelle. Résultats. — Le fovéoschisis était muet à l’examen clinique et découvert uniquement à l’OCT dans 4 yeux. L’épaisseur centrofovéolaire moyenne était de 540 m. L’acuité visuelle moyenne était de 1/10—P10. Plus la rétine était épaissie, moins bonne était l’acuité visuelle. La présence d’un décollement séreux de la rétine ne semble pas influer le niveau d’acuité visuelle. Une membrane épimaculaire ou une rétraction du cortex vitréen serait une cause de baisse de l’acuité visuelle. Conclusion. — L’OCT se révèle particulièrement utile dans le diagnostic des causes de baisse visuelle chez le myope fort, notamment le fovéoschisis. Les corrélations anatomiques et fonctionnelles au cours du fovéoschisis du myope fort ne sont pas encore clarifiées. Le décollement de la rétine du pole postérieur et le trou maculaire sont les complications les plus graves. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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Le fovéoschisis du myope fort : signes cliniques et tomographiques
KEYWORDS High myopia; Foveoschisis; Optical coherence tomography; Associated signs; Functional prognosis
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Summary Introduction. — Foveoschisis is a rare condition in highly myopic eyes, characterized by intraretinal cleavage associated with abnormalities of the vitreous cortex and occasionally cortical retraction. The natural history of foveoschisis is unpredictable. The functional prognosis is often favorable after surgical treatment. Materials and methods. — We report 7 cases of macular retinoschisis in highly myopic eyes. We describe the optical coherence tomographic features as well as associated signs. The correlation with visual acuity was assessed. Results. — Foveoschisis was undetected on clinical exam and visualized only on optical coherence tomography (OCT) in 4 cases. Mean central foveal thickness was 540 , mean visual acuity was 1/10—P10. The thicker the macula was, the worse was the visual acuity. The presence or absence of serous retinal detachment did not affect visual acuity, whereas an epiretinal membrane or retraction of the vitreous cortex appeared to induce visual loss. Conclusion. — OCT has been demonstrated to be particularly useful for the diagnosis of visual loss in the high myope, notably in the case of foveoschisis. Anatomic-functional correlations in high myopic foveoschisis are not yet well clarified. Posterior pole retinal detachment and macular hole are the most serious complications. © 2013 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.
Introduction Le rétinoschisis maculaire est l’une des causes de baisse d’acuité visuelle chez le myope fort. Caractérisé par un clivage intra-rétinien, se développant préférentiellement au fond d’un staphylome, le fovéoschisis du myope fort est difficilement mis en évidence par le seul examen du FO. L’OCT permet désormais d’objectiver et d’imager cette complication en montrant une distension des différentes couches de la rétine, principalement au niveau de la couche des fibres de Henlé et de la nucléaire externe. L’OCT est aussi utile pour détecter des signes associés au fovéoschisis pouvant concourir à la baisse de la vision tels qu’un décollement séreux de la rétine (DSR) ou une anomalie de l’interface vitréo-rétinienne.
Matériel et méthodes Notre étude rétrospective concernait 7 yeux myopes forts chez qui un rétinoschisis maculaire était mis en évidence et confirmé à l’examen OCT. Le fovéoschisis était bilatéral chez deux patients et unilatéral chez trois autres. Une mesure de la meilleure acuité visuelle corrigée de loin et de près était effectuée, ainsi qu’un examen du segment antérieur et une biomicroscopie du fond d’œil (FO). Un examen OCT était pratiqué pour tous les patients avec des coupes en B et C scans, complétées par une mesure de l’épaisseur maculaire, soit manuellement ou par une topographie maculaire. Une analyse fine de l’aspect tomographique du fovéoschisis avec détection des signes associés était réalisée. Nous avons essayé d’étudier la corrélation entre l’état anatomique de la macula et le niveau de l’acuité visuelle.
Résultats L’âge moyen de nos patients était de 52 ans (27 à 68 ans). Tous nos patients étaient de sexe masculin. L’équivalent sphérique moyen était de 13,5 dioptries (−6,5 à −18 dioptries). Le fovéoschisis était objectivé
uniquement à l’OCT (cliniquement muet) dans trois yeux parmi les sept (Fig. 1 et 2). Le fovéoschisis était visible sur les coupes OCT sous forme d’un clivage au niveau des couches internes ou externes de la rétine avec un cisaillement des différentes couches du neuro-épithélium, surtout au niveau de la couche des fibres de Henlé et de la nucléaire externe (Fig. 1). Des espaces hyporéflectifs intra-rétiniens avec parfois l’aspect de gros kystes centrofovéolaires ont été observés (Fig. 3). Un épaississement maculaire était noté dans tous les cas. Des signes associés étaient mis en évidence (DSR, décollement de l’épithélium pigmentaire [DEP] (Fig. 1), traction par hyaloïde postérieure ou par membrane épimaculaire [MEM] (Fig. 3)). L’acuité visuelle (AV) moyenne était de 1/10—P10. L’épaisseur maculaire centrale moyenne était de 540 m. Nous avons remarqué l’absence de corrélation entre l’AV de loin et de près. L’épaisseur maculaire était mieux correlée à l’AV de près (coefficient de corrélation r = 0,7) qu’à l’AV de loin (r = 0,3). Plus la rétine était épaissie, moins bonne était l’AV (r = −0,54) (Tableau 1). Un DSR était mis en évidence à l’OCT dans 3 yeux, il était invisible à l’examen du FO dans tous les cas (Fig. 3). L’association d’un DSR n’était pas la cause d’une baisse significative de l’AV (test de Chi2 , p = 0,07). Nous avons noté la présence d’une MEM pour 2 yeux
Tableau 1
Acuité visuelle et épaisseur maculaire. AVL
Œil Œil Œil Œil Œil Œil Œil
no 1 no 2 no 3 no 4 no 5 no 6 no 7
4/10 1/10 1/20 3/10 2/10 1/40 1/10
(−8) (−11) (−14) (−6,5) (−7) (−18) (−12)
AVP
ECM (m)
P6 P8 P12 P6 P10 P12 P14
410 585 823 485 536 628 712
AVL : acuité visuelle de loin ; AVP : acuité visuelle de près ; ECM : épaisseur centro-maculaire.
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A. Maalej et al.
Figure 1. FO : disparition du reflet fovéolaire, aspect rétracté de la macula, déformation des vaisseaux rétiniens ; OCT : clivage dans les couches internes de la rétine : fovéoschisis, voile de traction pré-rétinien ; DEP intermaculo-papillaire.
Figure 2. FO : disparition du reflet fovéolaire ; AGF : absence d’anomalie maculaire ; OCT : clivage dans les couches externes de la rétine : fovéoschisis infraclinique.
(Fig. 3). Elle était suspectée à l’examen du FO pour un œil, pour le second le diagnostic était uniquement tomographique. Cette MEM entraînait une augmentation significative de l’épaisseur maculaire (p = 0,0009) et par conséquent une altération de la vision (p = 0,0003).
Discussion Le rétinoschisis ou fovéoschisis est une affection assez fréquente chez le myope fort, elle touche 10 à 20 % des yeux
myopes forts avec staphylome postérieur [1]. Sa physiopathologie est complexe : il existe, au niveau des yeux myopes forts, un allongement du globe oculaire entraînant une augmentation des contraintes mécaniques sur la rétine. Le rétinoschisis se développe préférentiellement au fond d’un staphylome, là où l’allongement de l’œil est maximal. La structure de la rétine, pour faire face aux forces de tractions, se dissocie avec un clivage des différentes couches rétiniennes. La présence d’une membrane épimaculaire contractile ou des résidus de hyaloïde postérieure à
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Figure 3. FO : disparition du reflet fovéolaire, aspect de kyste fovéoalire ; OCT : clivage dans les couches externes de la rétine : fovéoschisis, décollement fovéolaire, traction par l’hyaloide post + MEM.
la surface de la rétine est un facteur favorisant et aggravant le fovéoschisis [2]. Le diagnostic clinique du fovéoschisis est souvent délicat surtout aux stades de début, l’examen du FO d’un œil myope étant généralement difficile. L’angiographie est souvent sans anomalie, surtout pas de diffusions maculaires, ce qui élimine le diagnostic d’œdème maculaire [3]. Le diagnostic anatomique se fait de fac ¸on rapide et fiable grâce à l’OCT qui montre bien l’aspect délaminé et épaissi de la rétine avec une distension des différentes couches rétiniennes. Des espaces cystoïdes à différents niveaux de la rétine sont souvent visibles. La distension microkystique peut se développer dans la rétine externe (couche des fibres de Henlé, plexiforme externe) et/ou dans la rétine interne (plexiforme interne, entre membrane limitante interne et fibres optiques). La distension de la rétine externe est souvent spéctaculaire, des travées verticales continuant d’unir la couche nucléaire externe et la rétine interne. Le profil antérieur est nettement moins concave que la courbure sclérale, si bien que l’épaississement microkystique est plus important au centre qu’en périphérie [2]. L’OCT permet aussi de visualiser certains signes associés tels qu’un DSR fovéolaire, une composante tractionnelle par l’hyaloïde postérieure ou par une MEM. Dans la macula distendue par le schisis, il n’est pas rare d’observer un trou lamellaire faisant suite probablement à l’ouverture du toit du kyste centrofovéolaire du schisis [4]. Le décollement fovéolaire peut être considéré comme signe associé au schisis, certains auteurs le considèrent comme une complication évolutive, inconstante du fovéoschisis [4,5]. Lorsqu’il existe, ce décollement peut être minime ou, à l’inverse, toute la région maculaire peut être complètement décollée. Dans ces cas, il existe un amincissement centrofovéolaire très important qui expose au risque de survenue d’un trou maculaire [5].
Des anomalies de la jonction vitréo-rétinienne sont assez fréquemment découvertes à l’OCT. La membrane limitante interne peut être partiellement clivée des fibres optiques sous-jacentes, cela s’explique par la rigidité de cette membrane qui l’empêche d’épouser la forme du staphylome [2]. Les membranes épirétiniennes des fovéoschisis sont souvent associées à un décollement incomplet du cortex vitréen. La MEM est souvent plus hyperréflective et plus épaisse que la hyaloide postérieure. La contraction de la MEM entraîne souvent des plis rétiniens [6]. Une traction par hyaloide postérieure prend généralement la forme d’une ligne hyperréflective raccordée à la rétine, souvent convexe ou tendue en corde d’arc devant la rétine. Le diagnostic différentiel du rétinoschisis se fait essentiellement avec un décollement de la rétine, un trou maculaire ou un œdème maculaire. L’OCT permet souvent de redresser le diagnostic. Dans certains cas, le rétinoschisis se prolonge par un décollement de rétine maculaire en raison du passage partiel de son contenu sous la rétine maculaire par une déchirure du feuillet externe, cette dernière forme bénéficie indiscutablement du diagnostic OCT [1,5]. Certains fovéoschisis du myope fort sont asymptomatiques et d’aspect anatomique stable, découverts lors d’un examen OCT systématique chez un myope fort. D’autres peuvent être responsables d’une baisse d’acuité visuelle progressive de près et de loin. Il n’y a en général pas de métamorphopsies [2]. Le retentissement fonctionnel du clivage intra-rétinien, ainsi que les corrélations anatomo-fonctionnelles sont controversées. C’est surtout la vision de près qui est le plus souvent affectée, Cependant, un P2 peut être longtemps conservé malgré des images OCT surprenantes [2]. Cette variabilité pourrait être expliquée par l’intrication, parfois
46 de plusieurs lésions maculaires chez le myope fort pouvant aggraver la perte visuelle. Une évaluation correcte de la responsabilité du rétinoschisis dans la baisse de l’AV s’avère donc indispensable avant de poser l’indication chirurgicale afin de prévoir le résultat post-opératoire [7]. La corrélation entre l’épaisseur maculaire et le niveau d’AV a été étudiée par Gualino qui a noté l’absence de corrélation entre les deux [2], alors que dans notre série, plus l’épaisseur maculaire était élevée, moins bonne était l’AV surtout de près. Des anomalies maculaires associées au rétinoshisis étaient décrites. Fang et al. ont retrouvé un décollement fovéolaire dans 83 % des cas de fovéoschisis [6], contre 34,5 % pour Gaucher [7], un trou maculaire laméllaire dans 22 % des cas (20,7 % pour Gaucher) et une MEM dans 61 % des cas. Ces signes ne semblent pas influencer la récupération visuelle post-opératoire. Cependant, ces différents signes associés au fovéoschisis peuvent concourir à une dégradation visuelle plus rapide, c’est ce que nous avons constaté chez nos patients. Gaucher notait que la présence d’un DSR était un facteur de risque pour l’évolution vers un trou laméllaire et que la présence d’une MEM était responsable d’une baisse supplémentaire de l’AV [7].
Conclusion Le fovéoschisis du myope fort est une affection encore à découvrir, désormais mieux connue grâce à l’OCT. Les corrélations anatomo-fonctionnelles au cours du fovéoschisis du myope fort ne sont pas encore bien clarifiées. Plusieurs lésions maculaires associées pouvant affecter le niveau d’acuité visuelle. L’évolution est imprévisible et
A. Maalej et al. la surveillance est basée sur l’AV surtout de près et les lésions anatomiques observées à l’OCT permettant de poser l’indication opératoire.
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt en relation avec cet article.
Références [1] Takano M, Kishi S. Foveal retinoschisis and retinal detachment in severely myopic eyes with posterior staphyloma. Am J Ophthalmol 1999;128:472—6. [2] Gualino V. Rétinoschisis du myope fort : du diagnostic au traitement. Realites Ophtalmologiques 2011;185:1—3. [3] Benhamou N, Massin P, Haouchine B, Erginay A, Gaudric A. Macular retinoschisis in highly myopic eyes. Am J Ophthalmol 2002;133:794—800. [4] Tang J, Rivers MB, Moshfeghi A. Pathology of macular foveoschisis associated with degenerative myopia. J Ophthalmol 2010;2010:175613. [5] Ip M, Garza-Karren C, Duker JS, Reichel E, Swartz JC, Amirikia A. Differentiation of degenerative retinoschisis from retinal detachment using optical coherence tomography. Ophthalmology 1999;106:600—5. [6] Fang X, Weng Y, Xu S, Chen Z, Liu J, Chen B, et al. Optical coherence tomographic characteristics and surgical outcome of eyes with myopic foveoschisis. Eye 2009;23:1336—42. [7] Gaucher D, Haouchine B, Tadayoni R, Massin P, Erginay A, Benhamou N, et al. Long-term follow-up of high myopic foveoschisis: natural course and surgical outcome. Am J Ophthalmol 2007;143:455—62.