© Masson, Paris, 2004
J. Réadapt. Méd., 2004, 24, n° 3, pp. 77-80
MÉMOIRE
Stratégies et indications des allongements des membres inférieurs M.S. DAGHFOUS (1), W. BOUGHZALA (1), F.Z. BEN SALAH (2), C. DZIRI (2), O. ZOUARI (1) (1) Service d’Orthopédie Pédiatrique ; (2) Service de Médecine Physique et de Rééducation Fonctionnelle, Institut Kassab d’Orthopédie, Tunisie.
INTRODUCTION
La marche est asymétrique pouvant aller d’une boiterie modérée à une impossibilité d’appui dans les hypoplasies majeures. En effet, chez l’enfant jeune, on observe très souvent une compensation par un mauvais appui ou un équin. Puis se développe le risque de contrainte asymétrique sur les articulations et plus particulièrement sur la hanche du côté le plus long avec risque de coxarthrose [6, 11]. Les conséquences sur le rachis sont très débattues et il semble bien qu’à partir de 20 mm d’inégalité, le risque de lombalgie par arthrose lombaire soit multiplié par cinq audelà de cinquante ans [11]. Ces troubles peuvent être aggravés par des anomalies d’axe, en particulier valgus au genou ou du tibia et par des anomalies rotationnelles souvent associées.
sans trop d’erreur (malformations, séquelles de traumatisme) à celles dont le pronostic est mal cerné (séquelles neurologiques, ostéochondrodystrophies comme la maladie d’Ollier…). L’examen clinique pré-décisionnel est fondamental : mesure de l’inégalité, analyse des tissus mous (capacité fonctionnelle musculaire, vascularisation, innervation, état cutané…), analyse des articulations (mobilité, instabilité objective, instabilité potentielle par dysplasie de hanche, du genou ou de cheville). La prévision de la taille globale et de l’inégalité est d’autant plus difficile à faire que l’enfant est jeune et est fonction de l’étiologie. En effet si le pourcentage de différence entre le côté normal et le côté court reste stable dans les malformations, ceci n’est pas toujours vrai dans les autres étiologies. De surcroît un allongement important (dépassant 20 %) peut entraîner une modification de la croissance résiduelle du membre opéré [6, 16, 17, 20]. Il faut aussi apprécier les capacités de l’enfant et de son entourage à accepter la longueur et les difficultés du traitement. Dans ce sens une consultation auprès d’un psychologue peut être souhaitable. En effet, la durée du traitement et la perturbation d’un rythme scolaire normal, les anesthésies répétées, les douleurs ressenties, les contraintes rééducatives et posturales, le résultat qui n’est pas toujours celui espéré par le patient entraînent bien souvent un retentissement psychologique, parfois grave [8, 13].
LE PRÉJUDICE ESTHÉTIQUE
RÈGLES GÉNÉRALES
La difficulté de proposer une stratégie cohérente de traitement tient en partie aux très nombreuses étiologies entraînant des déformations parfois majeures et complexes, mais aussi aux très nombreuses techniques tant dans l’appareillage que dans la chirurgie. Deux raisons essentielles poussent à allonger les membres inférieurs.
LA GÊNE FONCTIONNELLE
Il peut être important avec perturbation dans la perception de l’image corporelle pouvant induire des troubles dans la construction de la personnalité.
APPRÉCIER L’INÉGALITÉ ET LE TERRAIN La recherche d’une étiologie est en général aisée car les tableaux cliniques et les évolutions pendant la croissance sont bien connus. On peut schématiquement opposer les formes dont l’inégalité terminale peut être prévue
L’égalisation ne peut se fait qu’après avoir résolu deux préalables obligatoires : — il faut un axe mécanique normal • c’est-à-dire absence d’attitudes vicieuses articulaires ; on doit d’abord corriger les défauts articulaires et plus particulièrement les flexums de hanche ou de genou et les valgus de cheville ; et sans désaxation osseuse. — une stabilité articulaire avant et particulièrement pendant l’allongement. Il convient donc de prévoir une probable installation, souvent insidieuse : troubles d’antéversion, dysplasie cotyloïdienne…
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• d’une luxation de la hanche devant des anomalies architecturales (coxa vara, troubles d’antéversion, dysplasie cotyloïdienne). • d’une luxation antérieure ou surtout postérieure du genou par anomalies des ligaments croisés. • d’une déviation du pied en équin valgus ou varus… Une correction chirurgicale préventive est toujours préférable à la correction secondaire. Dans certains cas difficiles on peut ponter une articulation (en général la cheville, parfois le genou) avec l’appareil d’allongement [16, 29]. Il faudra en permanence pendant le traitement s’assurer du respect absolu de ces deux principes +++ D’autres règles relatives : • éviter d’opérer avant 10 ans, mais les inégalités très graves peuvent imposer une chirurgie plus précoce pour essayer de gagner une étape. • éviter autant que possible d’opérer le membre normal, mais une épiphysiodèse du côté long peut faire partie d’un programme d’égalisation, isolément ou en complément d’allongement controlatéral [11, 14, 26].
rieur à 40 %. Il faut avoir la preuve de l’évolutivité de l’inégalité, ce qui est en général assez facile car elle s’associe souvent à des troubles d’axes qui peuvent être corrigés dans le même temps opératoire. b) L’inégalité neuro-musculaire les séquelles de la poliomyélite ont servi de terrain de réflexion et d’apprentissage à l’allongement [31]. c) L’inégalité post-infectieuse est souvent difficile à soigner : • en cas de séquelles d’une ostéo-arthrite, le pronostic est davantage dans l’avenir de l’articulation que dans l’inégalité. La stabilisation chirurgicale difficile de ces articulations très souvent abîmées, contre-indique souvent une égalisation chirurgicale [6, 8, 9, 29]. • Au contraire, après ostéite ou ostéomyélite, si les axes sont souvent perturbés, la structure osseuse de qualité très variable, permet en pratique un allongement. C’est dire la prudence qu’il convient d’avoir : corriger dans un premier temps les défauts articulaires, puis réaligner et à distance allonger [6, 8].
L’inégalité malformative INDICATIONS EN FONCTION DE L’IMPORTANCE DE L’ILMI — Inégalités minimes entre 3 et 4 cm : un allongement seul, quelle que soit la technique, réalisé sur le segment le plus court, doit dans la grande majorité des cas, donner un résultat satisfaisant. — Inégalités de moyenne importance entre 4 et 12 cm : un allongement seul, deux allongements ou la combinaison d’un allongement du segment le plus court associé au raccourcissement extemporané du segment le plus long permet théoriquement l’égalisation au prix, là aussi, d’un taux de complications acceptables. — Grandes inégalités entre 12 et 20 cm ou au-delà de 20 cm : les techniques seront également mixtes : un ou deux allongements, allongements itératifs, allongements combinés à une épiphysiodèse controlatérale. Il faut savoir, ici, que le taux de complications est directement proportionnel à l’importance de l’allongement et au caractère itératif de ceux-ci, si l’on va au-delà de deux allongements sur le même segment de membre. Dans les grandes inégalités, supérieures à 20 cm, il faudra, avant de proposer une égalisation, présenter de façon très claire, au patient et à sa famille, les risques encourus, afin que le programme thérapeutique n’aboutisse pas à une catastrophe fonctionnelle, psychique ou sociale.
EN FONCTION DE L’ÉTIOLOGIE
Est évidemment la plus complexe à traiter. En effet, certaines formes sont majeures dès la naissance et nécessiteront des gestes chirurgicaux le plus souvent péri-prothétiques comme cela est le cas dans la plupart des aplasies fémorales proximales [7, 8, 10, 14]. D’autres formes à squelette continu, portant sur les deux segments, ont des prévisions d’inégalité entre 12 et 20 cm et poussent le thérapeute à des prouesses parfois réussies, mais parfois aussi à des catastrophes difficilement récupérées. La décision entre chirurgie et prothétisation doit être mûrement réfléchie [6, 8]. En fonction des anomalies rencontrées plusieurs problèmes particuliers doivent être envisagés.
Hypoplasie fémorale Une coxa vara de moins de 100° est souvent associée à une dysplasie cotyloïdienne : il faut une chirurgie préalable de valgisation fémorale et d’ostéotomie pelvienne [14, 16, 27].
Ectromélie longitudinale externe (hémimélie fibulaire) Le traitement dépend non seulement de l’importance de l’inégalité attendue, mais aussi de la morphologie et de la fonction de la cheville et du pied. Dans certains cas, une libération des parties molles avec résection du péroné vestigial peut être discutée vers l’âge de 9-12 mois, suivie d’un allongement en un ou deux temps [1, 7, 10, 17].
Inégalités acquises
Aplasie du tibia
a) L’inégalité post-traumatique est assez particulière car l’environnement des parties molles est en général normal, ce qui permet des allongements « faciles », d’autant que la différence de longueur est en règle modérée [11]. — Une désépiphysiodèse doit être envisagée chez l’enfant aux physes encore actives et avec un pont de fusion infé-
Seule l’amputation permet de traiter une aplasie totale, par contre si la métaphyse tibiale supérieure est présente la tibialisation de la fibula ou la fusion tibiofibulaire supérieure peut permettre de garder un genou mais celui-ci est souvent instable de même que le pied ce qui nécessite le port d’une orthèse ou une arthrodèse
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fibulo-talienne. L’allongement peut être réalisé si le pied est stabilisé [20, 29].
bien sûr le plan technique, et qui est donc connue par l’équipe soignante et paramédicale surtout.
MÉTHODES D’ALLONGEMENT
RÉFÉRENCES
L’ALLONGEMENT EXTEMPORANÉ Il ne paraît plus une technique à proposer habituellement. En effet les risques ne sont pas négligeables (paralysie sciatique, longueur de consolidation) par rapport à l’allongement obtenu (3 à 4 centimètres chez l’adolescent) [7, 8, 11, 13, 18, 21].
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LA MÉTHODE DE WAGNER Elle n’est plus utilisée en raison du risque infectieux lors de la pose de la plaque et de la greffe après l’allongement [1, 4, 5, 26, 31].
LA MÉTHODE D’ILIZAROV Malgré ses difficultés techniques (construction du montage la veille de l’intervention, complexité de mise en place, vérification régulière de la tension des broches, multiplicité des anneaux et boulons…), elle a pour avantage indéniable sa modularité pouvant s’adapter à tout âge et toute anomalie axiale. Un autre intérêt réside dans la contention aisée des défauts du pied (tenue à 90°). C’est une bonne méthode pour allonger une jambe ou les deux os de l’avant bras [1, 7-9, 13, 17, 23, 26].
[10] DAMSIN JP, POUS JG, GHANEM I. Therapeutic approach to severe congenital lower limb length discrepancies: surgical treatment versus prosthetic management. J Pediatr Orthop 1995 ; 4 : 164-70.
LA MÉTHODE DE VÉRONE
[11] DIMEGLIO A. Les inégalités de longeur des members inférieurs. 1994, Masson éd., Collection de pathologie locomotrice, 28.
Elle est plus simple sur le plan technique, avec un encombrement modeste, en particulier au niveau de la cuisse, facilitant position assise et déambulation. L’utilisation du rail en T de Garches permet des allongements avec une bonne stabilité évitant le risque valgisant. Cependant les problèmes cutanés sont plus fréquents et plus difficiles à traiter qu’avec la méthode précédente [2, 3, 7, 8, 13, 25, 28].
[12] GOEL A, LOUDON J, NAZARE A, RODINELLI R, HASANEIEN K. Joints moments minor limb length discrepancy: a pilot study. Am J Orthop 1997 ; 26 : 852-6.
LE CLOU D’ALLONGEMENT Il semble la méthode idéale par absence de matériel externe. Malheureusement cette méthode ne peut être utilisée pour des allongements importants (supérieur à 6 cm) et impose un diamètre médullaire suffisant. La fixation par vissage aux extrémités nécessite une parfaite technique dans la visée [7, 15, 23].
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CONCLUSION
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Les méthodes d’allongement sont multiples et il faut utiliser la méthode que l’on a apprise, que l’on contrôle
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