Syndrome neurologique post-paludisme compliquant une rechute d’accès palustre à Plasmodium falciparum initialement traité par atovaquone-proguanil

Syndrome neurologique post-paludisme compliquant une rechute d’accès palustre à Plasmodium falciparum initialement traité par atovaquone-proguanil

Médecine et maladies infectieuses 41 (2011) 41–43 Cas clinique Syndrome neurologique post-paludisme compliquant une rechute d’accès palustre à Plasm...

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Médecine et maladies infectieuses 41 (2011) 41–43

Cas clinique

Syndrome neurologique post-paludisme compliquant une rechute d’accès palustre à Plasmodium falciparum initialement traité par atovaquone-proguanil Post-malaria neurological syndrome complicating a relapse of Plasmodium falciparum malaria after atovaquone-proguanil treatment E. Forestier a,∗ , A. Labe a , D. Raffenot b , C. Lecomte a , O. Rogeaux a a

Service de maladies infectieuses, centre hospitalier, BP 1125, 73011 Chambéry cedex, France Laboratoire de microbiologie, centre hospitalier, BP 1125, 73011 Chambéry cedex, France

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Rec¸u le 18 mars 2010 ; rec¸u sous la forme révisée 1er juin 2010 ; accepté le 20 juillet 2010 Disponible sur Internet le 25 aoˆut 2010

Mots clés : Paludisme ; Plasmodium falciparum ; Atovaquone-proguanil ; Syndrome neurologique post-paludisme Keywords: Malaria; Plasmodium falciparum; Atovaquone-proguanil; Post-malaria neurological syndrome

1. Introduction Des échecs de traitement, ou des rechutes d’accès palustres à Plasmodium falciparum ont été récemment décrites lors de l’utilisation de l’association atovaquone-proguanil (AP) (Malarone® ) [1–3]. Or l’inefficacité occasionnelle des antipaludiques pourrait entraîner une réaction inflammatoire excessive et/ou prolongée au niveau du système nerveux central (SNC), et favoriser ainsi la survenue d’un syndrome neurologique postpaludisme (SNPP), complication rare des accès palustres à P. falciparum [4–6]. Nous rapportons l’observation d’un patient ayant présenté un SNPP après la rechute d’un accès palustre à P. falciparum initialement traité par AP et secondairement guéri par l’association arthémeter-luméfantrine (Riamet® ). 2. Observation Un homme franc¸ais de 50 ans, sans antécédent ni traitement particulier, était hospitalisé en janvier 2009 dans notre service pour un accès palustre à P. falciparum contracté au Cameroun 15 jours plus tôt (absence de prophylaxie). À l’admission,



Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Forestier).

0399-077X/$ – see front matter © 2010 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medmal.2010.07.007

l’examen clinique était sans particularité en dehors d’une fièvre à 39,5 ◦ C et d’un état général très altéré. Sur le plan biologique, la parasitémie était à 2 %. L’hémogramme montrait des plaquettes à 23 G/L et une hémoglobine à 107 g/L. La créatinine était à 102 ␮mol/L et l’urée à 13 mmol/L. Le pH artériel était à 7,52 avec des bicarbonates à 20 mmol/L. La glycémie était normale. Le bilan hépatique retrouvait une cytolyse avec des ASAT 208 UI/L et des ALAT à 82 UI/L, ainsi qu’une hyperbilirubinémie totale à 62 ␮mol/L et conjuguée à 31 ␮mol/L. L’évolution était favorable sous AP (quatre comprimés par jour en une prise pendant trois jours). Il retournait à son domicile après cinq jours d’hospitalisation justifiés par une apyréxie longue à obtenir. Le frottis de contrôle deux jours après sa sortie montrait uniquement la présence de gamétocytes (< 0,1 %). À j 21 de la première hospitalisation, il était admis pour une fièvre à 40 ◦ C évoluant depuis 24 heures. Il n’existait aucune défaillance circulatoire, respiratoire ni neurologique à l’examen clinique. La CRP était à 70 mg/L. L’hémoglobine était à 88 g/L et les plaquettes étaient normales. La créatininémie était à 73 ␮mol/L, la réserve alcaline à 26 mmol/L. Le bilan hépatique montrait uniquement des ASAT discrètement augmentées à 64 UI/L. Le frottis-goutte épaisse retrouvait du P. falciparum avec une parasitémie à 3 %. Devant cette rechute de l’accès palustre, alors que le patient n’avait pas quitté la France depuis sa précédente hospitalisation, un traitement par arthémeter/luméfantrine (six prises de quatre comprimés sur trois jours)

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était mis en place. L’apyréxie était obtenue en 48 heures et il retournait rapidement à son domicile. Les frottis réalisés deux jours et sept jours après le début de ce nouveau traitement étaient négatifs. Il était réhospitalisé à j 44 de la première hospitalisation en raison d’un ralentissement psychomoteur et d’une confusion apparus brutalement depuis 48 heures. Le reste de l’examen clinique était normal. Le bilan biologique standard était sans particularité, il n’y avait pas de syndrome inflammatoire. Le frottis-goutte épaisse était négatif. L’analyse du LCR montrait une méningite lymphocytaire normoglycorachique (leucocytes 43 par millimètre cube dont 95 % de lymphocytes, protéinorachie 1,2 g/L). L’examen direct et la culture du LCR avec recherche de BK étaient stériles. La PCR HSV était négative. Les sérologies VIH, rickettsies, Lyme, syphilis, fièvre Q et trypanosomiase étaient négatives. Les sérologies EBV et CMV étaient en faveur de primo-infections anciennes. L’électroencéphalogramme montrait un tracé d’encéphalopathie avec un ralentissement diffus de l’activité. Le scanner et l’IRM cérébrale étaient normaux. Il était traité pendant 24 heures par aciclovir intraveineux (45 mg/kg par jour) qui était stoppé après réception du résultat de la PCR HSV. L’évolution était alors spontanément favorable avec disparition complète des troubles neuropsychiatriques en cinq jours. Le diagnostic de SNPP était retenu et le patient retournait à son domicile. L’EEG et l’IRM de contrôle réalisés dix jours plus tard étaient strictement normaux. L’absence d’anomalie résiduelle était confirmée lors d’une consultation de suivi six mois plus tard. 3. Discussion Le SNPP (traduction littérale du terme anglais post-malaria neurological syndrome) est une entité rare définie par la survenue de troubles neurologiques dans les deux mois suivants un accès palustre à P. falciparum guéri [4,6]. Le terme a été utilisé pour la première fois en 1996 par Nguyen et al. [4]. Le spectre très large de ses manifestations cliniques, allant des simples troubles neuropsychiatriques bénins avec imagerie cérébrale normale, aux déficits neurologiques sévères en rapport avec une encéphalomyélite aiguë disséminée à l’IRM, a été précisé plus tard par Schnorf et al. [5]. Chez notre patient, le diagnostic de SNPP paraît certain : les troubles neuropsychiatriques sont la manifestation la plus fréquente du SNPP ; ils sont survenus un mois et demi après l’accès palustre initial alors que le frottis-goutte épaisse était négatif ; ils étaient secondaires à une atteinte du SNC, puisque l’analyse du LCR mettait en évidence une méningite lymphocytaire aseptique (relativement courante dans le SNPP [36 % des patients de Nguyen et al.]) et que l’EEG était perturbé ; la recherche d’autres causes s’est révélée négative ; enfin, l’évolution a été spontanément favorable [4]. La physiopathologie du SNPP reste mystérieuse. L’hypothèse d’une réaction inflammatoire excessive et retardée est généralement avancée [6]. Cet état hyperinflammatoire pourrait être favorisé par la sévérité de l’accès palustre initial. En effet, la plupart des cas de SNPP rapportés dans la littérature sont surve-

nus après des accès palustre graves (21 des 22 patients d’Nguyen et al.) [4]. Mais de manière intéressante, notre patient n’avait présenté aucun signe de gravité lors de la rechute de l’accès palustre. On peut donc supposer que l’échec du traitement par AP a été responsable d’une inflammation prolongée au niveau du SNC conduisant à la survenue d’un SNPP. Cependant, il n’existe aucun élément dans la littérature permettant d’évoquer un lien de causalité entre l’utilisation d’un traitement à base d’AP et la survenue d’un SNPP. Nguyen et al. avaient soulevé l’hypothèse qu’un traitement curatif par méfloquine pouvait favoriser la survenue d’un SNPP [4]. Cela n’a pas été confirmé par la suite puisque les autres cas de SNPP rapportés dans la littérature avaient été traités indifféremment par quinine ou dérivés de l’artéméther. Il semble donc que la nature et le mode d’action du traitement antipaludique n’influencent pas la survenue d’un SNPP. L’association AP est recommandée en première ligne pour le traitement des accès palustres à P. falciparum en France comme aux États-Unis. Néanmoins, des échecs du traitement ou des rechutes d’accès palustres ont été décrits à plusieurs reprises ces dernières années lors de l’utilisation de cet antipaludique [1–3]. Ils étaient principalement attribués à la présence ou à la sélection de mutations de résistance à l’AP au niveau du codon 268 du cytochrome b du parasite (mutations pfcyt-b Tyr268Ser ou Tyr268Asn), mais d’autres mécanismes pourraient exister [1,2]. L’hypothèse d’une biodisponibilité insuffisante de l’AP a également été évoquée, notamment chez les patients pesant plus de 100 kg [3]. Concernant notre patient, cette hypothèse paraît peut probable dans la mesure où il a pris la totalité du traitement lors de l’hospitalisation, n’a pas vomi, et pesait 82 kg. Toutefois, il faut préciser qu’aucun dosage d’atovaquone ni de proguanil n’a été réalisé lors du traitement initial. Celui-ci n’est pas pratiqué en routine et ne paraissait pas nécessaire étant donné l’évolution initialement favorable et l’absence de facteur pouvant être responsable d’un sous-dosage. La sélection d’un mutant résistant sous traitement pourrait donc expliquer la rechute de l’accès palustre. Nous n’avons cependant pas pu réaliser la recherche des mutations de résistance sur la souche de Plasmodium incriminée. 4. Conclusion L’inefficacité partielle ou totale d’un antipaludique de première ligne au cours du traitement d’un accès palustre pourrait favoriser la survenue d’un SNPP. Les cliniciens doivent connaître cette complication rare, polymorphe et généralement bénigne des accès palustres à P. falciparum. Conflit d’intérêt Aucun auteur n’a de conflit d’intérêt à déclarer. Références [1] Sutherland CJ, Laundy M, Price N, Burke M, Fivelman QL, Pasvol G, et al. Mutations in the Plasmodium falciparum cytochrome b gene are asso-

E. Forestier et al. / Médecine et maladies infectieuses 41 (2011) 41–43 ciated with delayed parasite recrudescence in malaria patients treated with atovaquone-proguanil. Malar J 2008;7:240. [2] Wichmann O, Muehlen M, Gruss H, Mockenhaupt FP, Suttorp N, Jelinek T. Malarone treatment failure not associated with previously described mutations in the cytochrome b gene. Malar J 2004;3:14. [3] Durand R, Prendki V, Cailhol J, Hubert V, Ralaimazava P, Massias L, et al. Plasmodium falciparum malaria and atovaquone-proguanil treatment failure. Emerg Infect Dis 2008;14(2):320–2. [4] Nguyen TH, Day NP, Ly VC, Waller D, Mai NT, Bethell DB, et al. Postmalaria neurological syndrome. Lancet 1996;348(9032):917–21.

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[5] Schnorf H, Diserens K, Schnyder H, Chofflon M, Loutan L, Chaves V, et al. Corticosteroid-responsive post-malaria encephalopathy characterized by motor aphasia, myoclonus, and postural tremor. Arch Neurol 1998;55(3):417–20. [6] Prendki V, Elziere C, Durand R, Hamdi A, Cohen Y, Onnen I, et al. Postmalaria neurological syndrome – two cases in patients of African origin. Am J Trop Med Hyg 2008;78(5):699–701.