Transplantation et transfert d’allergie

Transplantation et transfert d’allergie

Ann Dermatol Venereol 2004;131:236-8 Editorial Transplantation et transfert d’allergie Un risque théorique à prendre en considération ? C. HOARAU (1...

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Ann Dermatol Venereol 2004;131:236-8

Editorial

Transplantation et transfert d’allergie Un risque théorique à prendre en considération ? C. HOARAU (1, 2), Y. LEBRANCHU (1, 2, 3)

Q

uelques cas de transfert d’allergie du donneur au receveur ont été rapportés après transplantation et compte tenu de l’incidence élevée des maladies allergiques dans la population générale et du nombre croissant des greffes, le problème mérite d’être discuté [1-3]. Il faut cependant différentier dans cette problématique la greffe de moëlle osseuse ou de cellules souches hématopoiétiques et la greffe d’organe. Dans le cas de la greffe de moëlle osseuse, il existe une reconstitution des cellules du système immunitaire du receveur par les cellules d’un donneur. Pour peu qu’il existe une atopie chez le donneur, c’est-à-dire une capacité à produire des IgE spécifiques vis-à-vis d’antigènes environnementaux, le système immunitaire reconstitué possède les informations génétiques pour induire chez le receveur une maladie allergique. Dans une étude prospective, Agosti et al. ont étudié le transfert d’allergie du donneur au receveur au cours de greffe de moëlle osseuse [4]. Leur équipe a pu réaliser chez 12 receveurs et chez leurs 12 donneurs, avant et après la greffe de moëlle, des prick-tests vis-à-vis de nombreux allergènes IgE médiés. Ils ont ainsi observé une positivité des prick-tests (pour plusieurs allergènes) dans 50 p. 100 des cas à 30 jours, 100 jours et 1 an chez les receveurs ayant des prick-tests négatifs avant la greffe (R-) et ayant reçu des cellules d’un donneur ayant des prick-tests positifs (D+). Inversement, ils ont observé une négativité des prick-tests 1 an après la greffe chez tous les receveurs ayant des prick-tests positifs avant la greffe (R+) et qui avaient reçu des cellules d’un donneur ayant des prick-tests négatifs (D-), alors que les tests à 30 et 100 jours étaient encore positifs dans respectivement 40 et 60 p. 100 des cas. Pour les receveurs ayant des prick-tests négatifs avant la greffe (R-) et qui avaient reçu des cellules d’un donneur ayant des prick-tests négatifs (D-), il n’a pas été observé de modification des tests cutanés après la greffe. Plusieurs hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ces transferts d’allergies.

(1) Service d’Immunologie Clinique. (2) Equipe Cellules Dendritiques et Greffes (CDG), Faculté de Médecine, 37032 Tours. (3) Service de Transplantation, Hôpital Bretonneau, 2, boulevard Tonnellé, CHRU de Tours, 37044 Tours Cedex. Tirés à part : C. HOARAU, à l’adresse ci-dessus. E-mail : [email protected] The full text of this article is available in English, free of charge, on the Web on: www.e2med.com/ad

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La première est le transfert passif d’IgE spécifiques. Mais la demi-vie des immunoglobulines de type E étant limitée à quelques jours, ce mécanisme est très peu probable et ne peut expliquer les réactions allergiques tardives observées chez les greffés, même si la fixation des IgE sur les récepteurs de haute affinité comme les FcεRI des mastocytes peut modifier leur catabolisme et augmenter leur demi-vie. La seconde est l’activation spécifique des lymphocytes aboutissant à une réponse IgE de type allergique. Plusieurs possibilités peuvent alors être envisagées ; activation de lymphocytes B mémoires du donneur qui conduit à la production d’IgE et à l’apparition de la maladie, activation de lymphocytes T helper du donneur qui conduit au recrutement de lymphocytes B mémoires ; ou encore activation de lymphocytes T et B mémoires. Il s’agit dans ces cas d’un transfert d’allergie par des cellules immunocompétentes. La troisième hypothèse correspond à la production de nouvelles cellules dendritiques, recrutant des cellules naïves spécifiques d’un allergène et aboutissant, compte tenu du génome, au développement d’une maladie allergique chez le receveur. Il ne s’agit plus dans ce dernier cas d’un transfert d’allergie par des cellules lymphocytaires spécifiques mais du développement d’une maladie allergique dont le mécanisme se différencie de la GVH du fait de la

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Éditorial polarisation vers l’allergie. Dans le travail de Agosti, aucun cas de transfert d’allergie n’a été rapporté chez les receveurs qui ont développé une GVH. Dans le cas d’une transplantation d’organe, des lymphocytes et des cellules dendritiques du donneur peuvent être transférés au receveur avec l’organe transplanté. Le nombre de cellules varie cependant considérablement selon l’organe greffé : le foie possède ainsi des cellules souches hématopoïétiques et des cellules dendritiques en quantité plus importante que le rein ou le pancréas. Ceci peut ainsi expliquer l’apparition d’une véritable allergie aux arachides chez des patients après transplantation hépatique à partir de donneur allergique aux arachides [5-6]. Nous pouvons donc imaginer les mêmes mécanismes de « transfert actif » ou de « développement actif » d’allergie chez le receveur. Mais dans le cas de la greffe d’organe, le système immunitaire du receveur peut interférer avec les cellules transférées. De plus, les traitements immunosuppresseurs initiaux, réduisant les risques de la présentation directe par les cellules dendritiques du greffon, limitent les risques de voir se développer une réponse IgE spécifique donneur dépendant. Cependant, un microchimérisme a pu être observé au niveau du greffon et de la peau de certains receveurs 20 ans après transplantation rénale apportant la preuve qu’une survie prolongée des cellules immunitaires du donneur est possible au cours d’une greffe d’organe [7]. Que ce soit dans le cadre de la transplantation d’organes ou de la greffe de moëlle, plusieurs articles suggèrent un rôle favorisant de l’immunosuppression et notamment du tacrolimus dans le développent de la maladie allergique après transplantation, surtout vis-à-vis des allergènes alimentaires [8-9]. Selon les séries, le tacrolimus serait responsable dans 10 à 22 p. 100 d’allergies alimentaires post-transplantation hépatiques [10-12]. Si la responsabilité de la ciclosporine apparaît moins évidente, certains auteurs ont décrit des cas de transfert d’allergie sous ciclosporine (greffe de moëlle osseuse) [2, 4], d’autres ont rapporté une régression des manifestations allergiques lors de switch du tacrolimus pour la ciclosporine en transplantation hépatique [12], mais des régressions spontanées sans switch du tacrolimus ont également été décrites [11]. Cependant, l’essentiel des cas rapportés de transfert d’allergie sous immunosuppresseurs concerne de très jeunes enfants et correspondent à des transplantations hépatiques ou intestinales, organes riches en cellules dendritiques mais dont l’immunosuppression est surtout réalisée avec le tacrolimus [11]. Par ailleurs, dans ces cas d’allergies post-transplantations hépatiques, les allergènes sont tous d’origines alimentaires probablement en raison de la localisation anatomique du foie et de l’exposition aux peptides exogènes alimentaires. Les antécédents allergiques des donneurs (et des receveurs) ne sont cependant pas toujours précisés ce qui rend toujours délicat l’interprétation du rôle du tacrolimus dans le développement de l’allergie [13]. Récemment, un cas d’allergie aux acariens après greffe de moëlle a été rapporté chez un jeune homme n’ayant reçu ni ciclosporine, ni tacrolimus [14]. Le donneur était son frère qui vivait dans le même environnement, mais pour lequel aucune allergie n’a été retrouvée. Les auteurs évoquent le rôle du conditionnement de la greffe qui a orienté différemment les réponses immunes des 2 frères. Si le risque de transmission d’une maladie allergique après transplantation est théoriquement possible, il reste rare en transplantation d’organe où les cas cliniques se limitent à la transplantation hépatique et intestinale. La prudence doit cependant être de mise, surtout si l’allergie du donneur était sévère avec un risque vital potentiel. Sur le principe de précaution, l’éviction de l’allergène suspect doit être 237

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Éditorial réalisée chez le receveur lorsque cela est possible et une surveillance immuno-allergologique doit être programmée (prick-test et dosage des IgE spécifiques). Ceci suppose donc une meilleure connaissance du dossier médical des donneurs vis-à-vis des antécédents allergiques et implique de modifier ou adapter le transfert d’informations médicales au moment de la greffe.

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