Utilisation de la thérapie par pression négative dans le traitement des fistules pharyngo-cutanées

Utilisation de la thérapie par pression négative dans le traitement des fistules pharyngo-cutanées

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Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 131 (2014) 338–342

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Article original

Utilisation de la thérapie par pression négative dans le traitement des fistules pharyngo-cutanées夽 E. Loaec a,∗ , P.-Y. Vaillant a , L. Bonne a , R. Marianowski b a b

Service ORL-CCF, hôpital d’instruction des armées Clermont-Tonnerre, rue Colonel-Fontferrier, CC 41, 29241 Brest, France Service d’ORL-CCF, hôpital Morvan, CHRU de Brest, 2, avenue Foch, 29609 Brest cedex, France

i n f o

a r t i c l e

Mots clés : Thérapie par pression négative Fistule pharyngo-cutanée Tumeurs de la tête et du cou Laryngectomie totale Laryngectomie partielle

r é s u m é Introduction. – La fistule pharyngo-cutanée est une complication connue de la chirurgie cervicale carcinologique. L’objectif de cette étude est de préciser l’intérêt de la thérapie par pression négative (TPN) dans le traitement de ces fistules. La TPN est utilisée dans de nombreuses spécialités mais peu décrite en ORL. Elle permet d’accélérer la cicatrisation, tout en étant un dispositif intéressant sur le plan économique. Patients et méthodes. – Il s’agit d’une étude rétrospective monocentrique concernant 7 patients ayant présenté une fistule pharyngo-cutanée dans les suites d’une chirurgie pour carcinome épidermoïde entre janvier 2011 et avril 2013. Le traitement de ces fistules a été réalisé grâce à l’utilisation de la thérapie par pression négative (TPN). Résultats. – Les sept patients étaient des hommes. L’âge moyen était de 65 ans et 9 mois. La durée moyenne du traitement était de 23 jours (de 11 à 42 jours). Deux patients présentaient des antécédents de radiothérapie pour un cancer pharyngo-laryngé. Le traitement par pression négative a permis d’obtenir la guérison de la fistule chez tous les patients, avec une tolérance satisfaisante. La durée moyenne de suivi était de 10 mois (6 mois à 2 ans). Conclusion. – La thérapie par pression négative représente dans certaines situations une alternative thérapeutique pour la prise en charge des fistules pharyngo-cutanées compliquant les chirurgies carcinologiques cervico-faciales. © 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

1. Introduction Les troubles de la cicatrisation en chirurgie carcinologique cervico-faciale sont fréquents. Ils surviennent souvent chez des patients dénutris, ayant rec¸u une radiothérapie et/ou une chimiothérapie. La muqueuse pharyngo-laryngée et les tissus cervicaux présentent une trophicité altérée et subissent l’agression de la salive, voire celle d’un reflux gastro-œsophagien. La fistule pharyngo-cutanée augmente la morbi-mortalité et prolonge l’hospitalisation. Elle se situe fréquemment à proximité du trachéostome, rendant sa gestion délicate et pouvant imposer une reprise chirurgicale. La thérapie par pression négative (TPN) se pose en alternative pour leur prise en charge. L’utilisation de la TPN en pansement a été rapportée par Fleischmann et al., en 1993 [1], puis 1995 [2]. Puis de nombreuses

DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.anorl.2013.12.001. 夽 Ne pas utiliser pour citation la référence franc¸aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck Diseases en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Loaec). http://dx.doi.org/10.1016/j.aforl.2014.06.001 1879-7261/© 2014 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

publications l’ont décrite pour le traitement des lésions sternales, sacrées, des membres supérieurs et inférieurs, des plaies du périnée et de l’abdomen [3]. Peu d’articles rapportent son utilisation en chirurgie cervico-faciale. En 2006, Schuster et al., [4] publient le premier succès de cette thérapie sur une lésion complexe du visage. La même année, Andrews et al., [5] rapportent le traitement de blessures complexes de la tête et du cou, puis en 2008, ils montrent l’intérêt de la TPN dans le traitement de fistules pharyngo-cutanées chez 2 patients en 6 et 11 jours, respectivement [6]. En 2005, Rosenthal et al., [7] traitent également par la TPN des complications après chirurgie carcinologique cervico-faciale chez 23 patients dont 4 avec une fistule pharyngo-cutanée. La durée moyenne du traitement était de 6,25 jours pour ces 4 patients. Dans notre étude, nous décrivons l’utilisation spécifique de la TPN dans le traitement des fistules pharyngo-cutanées survenant après une chirurgie d’un cancer pharyngo-laryngé ou de la cavité buccale et les résultats obtenus. 2. Patients et méthodes Une étude rétrospective monocentrique a été réalisée de janvier 2011 à avril 2013 sur les patients du service d’ORL et de chirurgie

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Tableau 1 Dispositifs et fabricants de la thérapie par pression négative. Nom du dispositif médical

Fabricants ou distributeurs

ATMOS SO 41 Engenex Exsudex VAC therapy RENASYS Venturi WOUND assist

ATMOS Médical, France Boehringer, Phoenix, États-Unis Synergy Healthcare plc, Swindon, Royaume-Uni KCI, San Antonio, États-Unis Smith & Nephew, Londres, Royaume-Uni Talley, Romsey, Royaume-Uni HNE Medical, Limonest, France

VAC : vacuum-assisted closure.

cervico-faciale de notre établissement ayant présenté une fistule pharyngo-cutanée suite à une laryngectomie partielle, totale ou à une bucco-pharyngectomie trans-mandibulaire, et pour lesquels la thérapie par pression négative a été utilisée. Les données épidémiologiques étaient recueillies dans le dossier médical. La fistule pharyngo-cutanée était définie par une fuite de salive au niveau cervical. En cas de doute, elle pouvait être objectivée par le test au bleu de méthylène. Aucun patient n’a bénéficié en parallèle d’une oxygénothérapie hyperbare. L’évolution de la plaie était évaluée à chaque changement de pansement, soit toutes les 48 à 72 h, jusqu’à cicatrisation. Le pansement était refait systématiquement par le chirurgien ou l’interne au lit du malade. Le pansement était conservé jusqu’à guérison de la fistule (absence d’écoulement visible lors de la réfection du pansement ± test au bleu de méthylène). La suite de la prise en charge consistait en une cicatrisation dirigée. Plusieurs sociétés proposent actuellement le dispositif de TPN, notamment en France : RENASYS, vacuum assisted closure therapy (VAC) et WOUND ASSIT (Tableau 1). Dans notre étude, nous utilisons le système RENASYS de Smith et Nephew, en mode continu, avec des pressions allant de −100 à −125 mmHg. En effet, le mode est variable, avec une pression continue ou intermittente, ainsi que la puissance qui va de 25 à 200 mmHg. Les fistules salivaires nécessitent une pression relativement élevée pour obtenir un joint occlusif [7]. Sept patients ayant présenté une fistule salivaire en postopératoire entre janvier 2011 et avril 2013 ont été inclus dans notre étude. Cette série est composée sept hommes. La moyenne d’âge est de 65 ans et 9 mois. Les interventions réalisées ont été une laryngectomie totale, une pharyngo-laryngectomie totale circulaire, deux laryngectomies partielles, une bucco-pharyngectomie trans-mandibulaire et deux laryngectomies totales de rattrapage. Seuls ces deux derniers patients avaient des antécédents de radiothérapie externe pour un premier carcinome ORL. Un seul patient était diabétique insulinodépendant. 3. Résultats Sept patients ont été inclus dans notre étude. Le pansement était bien toléré par tous les patients lors des changements mais aussi au long cours. La durée moyenne du pansement par TPN était de 23 jours, avec un maximum de 42 jours et un minimum de 11 jours. Tous les pansements par TPN ont permis la guérison de la fistule. La durée moyenne de suivi était de 10 mois avec un maximum de 2 ans et un minimum de 6 mois. Une récidive précoce a été constatée à une semaine, avec une fistule à faible débit de résolution simple en cinq jours sans utilisation de TPN. Le patient 1 âgé de 77 ans a été traité par laryngectomie totale et évidement jugulo-carotidien bilatéral pour un carcinome épidermoïde du larynx T3N2aM0. Le patient a présenté une pneumopathie à j3 post-opératoire imposant une hospitalisation en

Fig. 1. Mise en place d’un corps gras dans les plis cutanés.

réanimation de 5 jours et entraînant une altération de l’état général. À j15, une fuite salivaire cervicale a été constatée à proximité du trachéostome. Compte tenu de l’état général, une chirurgie n’a pas été retenue. L’utilisation de la TPN a été décidée. Sept jours après le début du traitement par TPN, des difficultés pour obtenir un pansement étanche sont survenues du fait de la proximité avec le trachéostome et des plis cutanés. Grâce à l’utilisation de tulle gras qui était aspiré dans les zones de fuite, le pansement a pu être étanche (Fig. 1). Après 18 jours de TPN, la fistule était tarie. La cicatrisation dirigée avec méchage par alginate a été poursuivie 7 jours jusqu’à l’obtention d’une cicatrisation cutanée complète. Le suivi à 2 ans confirmait l’absence de récidive de la fistule. Le patient 2 âgé de 72 ans, éthylo-tabagique, a été opéré d’une bucco-pharyngectomie trans-mandibulaire avec évidement jugulo-carotidien fonctionnel homolatéral pour un carcinome épidermoïde de l’oropharynx droit classé T3N2bM0. À j6 postopératoire, on observait une désunion précoce de la cicatrice avec fuite salivaire. Une reprise chirurgicale a été décidée pour parage et fermeture avec mise en place d’un lambeau musculo-cutané de grand pectoral droit. À j7, le patient a présenté une cellulite cervicale traitée médicalement entraînant l’apparition d’une nouvelle fistule pharyngo-cutanée. La TPN a été installée à j12 post-opératoire, pendant 18 jours. À j26, on constatait également des fuites d’air liées à la conformation de la plaie et à la proximité du trachéostome. Ce problème a été contourné par l’utilisation de tulle gras. À j30, la fistule était fermée et la TPN stoppée. La cicatrisation complète était obtenue à j40. Le contrôle clinique à 10 mois ne retrouvait pas de récidive de fistule. Le patient 3, âgé de 57 ans, diabétique, insulinodépendant aux antécédents de carcinome épidermoïde du larynx traité par radiothérapie (65 Gy) dix ans auparavant, a présenté un carcinome laryngé classé T3N0M0. Une laryngectomie totale de rattrapage a été proposée. L’évolution initiale a été satisfaisante, sans problème de cicatrisation malgré des difficultés d’équilibration du diabète. À j30, le patient a présenté un tableau infectieux brutal avec un abcès cervical responsable d’une désunion cervicale avec fistule pharyngo-cutanée droite à proximité directe du trachéostome. Une tentative de fermeture directe par suture muqueuse sous anesthésie générale a été inefficace. À j39, un lambeau musculo-cutané de grand pectoral gauche a été réalisé. Compte tenu de l’altération des tissus, il a été décidé de fermer en mettant en place la TPN en per-opératoire. L’intérêt était de diriger la fistule à distance du trachéostome afin de simplifier la réfection des pansements ultérieurs.

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Malgré ces précautions, une désunion cervicale basse est survenue à gauche, 3 jours plus tard. Un deuxième pansement par TPN a été mis en place à j42 de la première intervention. On a observé la fermeture des deux fistules après 21 et 24 jours de TPN, respectivement. Des pansements ont été poursuivis par méchage à l’alginate pendant 7 jours après l’arrêt de la TPN, jusqu’à cicatrisation complète. Le suivi à 1 an montrait une cicatrisation complète et l’absence de récidive. Le patient 4, âgé de 65 ans, avait pour antécédent un carcinome épidermoïde laryngé classé T2N0M0, traité par radiothérapie externe à la dose de 65 Gy trois ans plus tôt (refus de chirurgie). Il a présenté une récidive locorégionale classée T4N2M0, imposant une laryngectomie totale de rattrapage avec fermeture par un lambeau musculaire de grand pectoral droit. À j10 post-opératoire, une fistule pharyngo-cutanée est survenue dans un contexte de sepsis local et général. Une reprise chirurgicale pour drainage, lavage et reprise des sutures muqueuses a permis de fermer la fistule. La vitalité du lambeau restait satisfaisante. Compte tenu des conditions locales, malgré l’absence de fistule, il a été décidé de fermer sur TPN. La mousse a été installée au niveau de la loge cervicale. L’évolution a d’abord été favorable, puis une nouvelle fistule est apparue dans l’orifice de trachéostomie. Devant l’impossibilité de réaliser les pansements par TPN, la fistule a été redirigée à distance du trachéostome en l’abordant directement. Notre objectif était, d’une part, d’installer la TPN dans une zone où le pansement était réalisable, et d’autre part, de fermer la partie distale de la fistule par l’action conjuguée de l’assèchement et du collapsus lié à l’hypopression. Une contre incision au-dessus et à distance du trachéostome, sur le trajet de la fistule a été effectuée sous AL. Cette option s’est avérée efficace permettant la fermeture de la fistule. La TPN a été arrêtée après 42 jours au total et la poursuite des pansements par alginate a permis une cicatrisation définitive en 6 jours. Après 9 mois de suivi, il n’y avait pas de récidive de la fistule. Le patient 5, âgé de 72 ans, aux antécédents de bronchopneumopathie chronique obstructive, présentait un carcinome épidermoïde de la vallécule gauche, T2N2cM0 s’étendant à l’épiglotte et à la zone des trois replis gauche. Le traitement a consisté en une laryngectomie supra-glottique avec évidement radical modifié bilatéral, sous couvert d’une trachéotomie temporaire. À j7 post-opératoire, un abcès cervical est survenu avec désunion cicatricielle et fistule salivaire. La TPN a été mise en place d’emblée, avec la fermeture rapide de la fistule et un retrait de la TPN à j11. Un suivi de 6 mois confirmait l’absence de récidive de la fistule. Le patient 6, âgé de 54 ans, éthylo-tabagique chronique, présentait un carcinome épidermoïde de la vallécule droite s’étendant au sinus piriforme droit jusqu’à la base de langue, T3N0M0. Une laryngectomie partielle horizontale sus-glottique avec évidement jugulo-carotidien droit a été réalisée. Dès j1, un tableau infectieux avec abcès, puis fistule pharyngo-cutanée droite a conduit à la mise en place de la TPN pendant 25 jours avant d’obtenir l’arrêt de l’écoulement de salive. Les pansements ont été poursuivis par méchage classique pendant 7 jours. Le contrôle à 6 mois ne retrouvait pas de fistule salivaire. Le patient 7, âgé de 62 ans, présentait une double localisation tumorale du mur pharyngo-laryngé associée à une localisation de la paroi pharyngée postérieure, classé T4N2cM0. Une pharyngolaryngectomie totale circulaire a été réalisée, avec évidement cervical bilatéral et reconstruction par lambeau libre musculocutané antébrachial. À j1, le patient a présenté un hématome cervical extensif imposant une reprise pour hémostase. À j8, un abcès cervical est apparu, puis une fistule pharyngo-cutanée abondante. Une reprise chirurgicale a été décidée pour parage et fermeture. Le lambeau présentait une vitalité satisfaisante et le pédicule vasculaire était perméable.

À j10 de la chirurgie initiale, deux fistules pharyngo-cutanées sont apparues de chaque côté, à distance du trachéostome. La TPN a été mise en place à j13. Celle-ci a été interrompue après 22 jours à gauche et 26 jours à droite. La poursuite des soins a été faite par pansement avec alginates. Un abcès est réapparu à droite, puis une fistule de faible débit. Devant son caractère peu productif, il a été réalisé une cicatrisation dirigée avec utilisation d’un mélange de miel et biscottes ingérés deux fois par jour, associée à une antibiothérapie par voie intraveineuse par amoxicilline. La fistule s’est refermée en 7 jours. Le suivi à 6 mois ne retrouvait pas de récidive de fistule pharyngocutanée. 4. Discussion Dans la chirurgie des cancers des voies aéro-digestives supérieures, différents facteurs s’associent et expliquent les difficultés de cicatrisation cervicale et la survenue d’une fistule pharyngocutanée. Les facteurs de risque de complications post-opératoires identifiés dans la littérature sont principalement des antécédents de radiothérapie pré-opératoire, un faible taux d’albumine, un diabète et un allongement du temps opératoire [8]. Il y a plus de risques de fistule post-opératoire chez les patients opérés d’une laryngectomie de rattrapage, surtout si celle-ci est réalisée dans les 12 mois après une irradiation à forte dose (supérieure à 65 Gy) ou s’il existe un antécédent de traitement par radio-chimiothérapie concomitante [9]. Bohannon et al., ont cherché à identifier les facteurs de risque de récidive de fistulisation lors des laryngectomies de rattrapage. Ils montrent qu’outre l’irradiation, l’hypothyroïdie est un facteur de risque statistiquement significatif de récidive de fistule pharyngocutanée [10]. L’utilisation chronique de corticostéroïdes et le reflux gastro-œsophagien ont été évoqués comme facteurs de risque de survenue de fistule mais sans certitude statistique [10]. Différentes prises en charge des fistules pharyngo-cutanées ont été relatées dans la littérature : • l’oxygénothérapie hyperbare peu efficace sur les fistules [11] ; • l’ingestion d’une association miel-biscotte en comblement de fistule [12] ; • l’utilisation de pansement type alginates à fort pouvoir drainant [13] ; • la fermeture chirurgicale par lambeau pédiculé de grand dorsal ou lambeau libre de jéjunum [14] ; • l’utilisation de Tachosil® sur la suture en T de la laryngectomie totale en première intention en cours d’évaluation [15]. Dans ces situations de troubles de cicatrisation, la TPN paraît être une alternative intéressante. En chirurgie cervicale non carcinologique, elle est déjà utile pour le traitement des abcès profonds du cou, difficile à prendre en charge par des pansements classiques [16,17]. La thérapie par pression négative correspond à l’application d’une différence de pression entre une plaie scellée par un pansement étanche et le milieu extérieur. On transforme ainsi cette plaie ouverte en plaie fermée contrôlée avec gestion des exsudats. Cette pression négative s’applique grâce à une mousse de polyuréthane découpée à la taille de la plaie. Cette mousse est placée sous un pansement occlusif dans lequel on réalise un orifice. Le volume ainsi créé est relié par une corolle adhésive prolongée d’un tube stérile à une unité générant la pression négative. La corolle est collée de fac¸on hermétique sur le pansement occlusif, avec l’orifice de la corolle en regard du trou auparavant réalisé dans le pansement. À l’autre extrémité du tube se situe un réservoir servant à

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Fig. 2. Confection du pansement.

recueillir les exsudats qui se fixe sur l’unité centrale. Cette unité de contrôle, portable, alimentée par secteur ou batterie, régule la dépression appliquée à la plaie de −25 à −200 mmHg, en mode continu ou intermittent. La réalisation du pansement est résumée dans la Fig. 2. Les principaux effets attendus de la TPN sont de diminuer la taille et la complexité de la plaie et par ce biais, de diminuer la complexité d’une éventuelle reconstruction chirurgicale. Elle permet le développement de la granulation et donc de la cicatrisation [18,19]. Enfin, la TPN permet une gestion des exsudats dans un système clos parfaitement étanche avec une réduction de fréquence des pansements, ainsi que la prévention du risque infectieux par probable réduction du taux de bactéries [20]. Les pansements classiques effectués pour les fistules salivaires, avec irrigation, puis méchage sont souvent répétés (biquotidiens), mobilisant une ou deux infirmières. La TPN permet de diminuer le rythme des pansements (tous les 48–72 h) et de fait, la charge de travail de l’infirmière, mais aussi l’inconfort des patients liés à la fréquence des pansements ou à la stagnation des sécrétions partiellement absorbées. Nous avons fait le choix de faire réaliser le pansement par un médecin du fait des difficultés techniques et de la nécessité d’adapter l’attitude thérapeutique à l’évolution de la fistule. Une utilisation en ambulatoire comme dans d’autres spécialités semble peu réaliste dans le contexte spécifique des fistules post-chirurgicales. L’utilisation de la TPN dans les pansements cervicaux, en particulier chez des patients trachéotomisés, pose des problèmes spécifiques. Bien que la TPN soit très flexible et permette la réalisation de pansements très variables, il est parfois difficile de maintenir l’étanchéité du fait de la localisation de la fistule. Si la fistule est trop proche du trachéostome, le pansement peut être irréalisable. Or l’étanchéité est une condition indispensable à l’efficacité de la TPN. La zone cervicale comprend également des zones pileuses et des zones de plis, sources de macération et de décollement des pansements. Enfin, les secrétions provenant d’un trachéostome compliquent encore la situation. Il faut donc établir des stratégies pour gérer la TPN dans un contexte de fuites et de difficultés de collage en milieu humide, dans une zone anatomiquement peu favorable. Quels sont les moyens nous permettant d’éviter ces fuites dues à la proximité du trachéostome ? Nous avons utilisé avec efficacité un tulle gras disposé au niveau des zones de fuites qui est aspiré dans ces dernières (Fig. 1). Par ailleurs, nous utilisons de fac¸on systématique des pansements hydrocolloïdes en interface entre le pansement polyuréthane et la peau afin de protéger le capital cutané pour ces pansements répétés avec risques de lésions cutanées d’arrachage. Enfin, le dispositif qui nous est apparu le plus adapté pour permettre de maintenir des collages étanches est le socle de colostomie dont le principe même est de maintenir une étanchéité en

Fig. 3. Utilisation d’un socle de colostomie pour faire l’étanchéité.

conditions humides. Il présente, d’autre part, une excellente tolérance cutanée (Fig. 3). Le dispositif TPN présente des contre-indications générales : • infection non contrôlée de la plaie [18] ; • présence de tissu nécrotique nécessitant un parage ; • absence d’interface entre le tube digestif et le système en dépression ; • insuffisance artérielle non revascularisée ; • persistance de tissu tumoral après exérèse ; • en présence de plus de 50 % de fibrine ou en présence d’une escarre. Des précautions théoriques sont également à prendre dans certaines situations mais elles restent relatives et à adapter au patient : devant les fistules cutanéo-digestives et les cavités, devant des troubles de la coagulation (risques de saignement) et enfin devant la présence de vaisseaux ou organes exposés. Les effets indésirables de la TPN sont peu nombreux mais à prendre en compte. Le patient peut présenter des douleurs plus ou moins intenses, notamment à la réfection des pansements. Il a été décrit l’instillation de lidocaïne 0,2 % directement dans la mousse avant son ablation. Cette méthode simple est efficace sur les douleurs [21]. Si la douleur est présente lors de la mise sous pression de la mousse, il est conseillé de diminuer la pression jusqu’à ce que la douleur disparaisse. Dans notre étude, aucune injection de lidocaïne n’a été réalisée. Le système constitue également une contrainte permanente pour les patients et reste bruyant en permanence.

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E. Loaec et al. / Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale 131 (2014) 338–342

Concernant la pression à établir sur la plaie, il n’y a pas encore de recommandations précises. Timmers et al., [22] ont évalué le flux sanguin cutané sur la peau d’un bras sain après application d’une pression négative à travers une mousse, allant de −25 à −300 mmHg, grâce à un doppler. Ils constatent une augmentation croissante du flux sanguin pour des pressions négatives allant jusqu’à −300 mmHg. Mais ils ne retrouvent pas de diminution du flux. On peut donc penser qu’une pression élevée sera plus efficace. D’autant plus que pour nos patients, il faut appliquer une pression permettant d’obtenir l’étanchéité. En revanche, la limite principale sera la douleur. Une pression autour de −100/−125 mmHg nous a paru un bon compromis. Le mode continu ou pulsé n’a pas non plus été étudié. Le coût élevé de la TPN fait l’objet de discussions : une unité centrale coûte de 3500 à 15 000 euros, et le prix de chaque pansement est d’environ 50 euros. En revanche, il est estimé que la réduction de la charge de travail des infirmières, la diminution du rythme des pansements et la guérison plus rapide des plaies conduiraient à une hospitalisation plus courte [23]. Une étude nantaise a montré que le coût d’hospitalisation en chirurgie plastique est significativement plus bas pour les patients bénéficiant de la TPN (p = 0,02) que les autres, avec une réduction moyenne de coût de 6000 D par patient dans cette étude [24]. En 2010, au vu des enjeux financiers pour les hôpitaux, de l’apparition de plusieurs systèmes concurrents et des attentes des utilisateurs en termes de recommandations de bon usage, la Haute Autorité de santé a décidé d’évaluer la TPN. En comparant de multiples études, l’HAS [25] a montré que dans le cas des désunions de plaies opératoires étendues ou avec localisation défavorable, avec ou sans surinfection, préalablement parée si besoin, la TPN a pour objectif de favoriser la formation plus rapide d’un tissu de granulation de qualité, permettant de diminuer la complexité et/ou la taille de la plaie, d’éviter la rétraction des berges cutanées, d’accélérer la possibilité de fermeture secondaire et de drainer les exsudats. Les éléments de preuve sont absents de la littérature. Néanmoins, le groupe d’étude de l’HAS considère que compte tenu de la gravité des pathologies et de l’efficacité du TPN constatée en pratique courante, une étude randomisée n’est actuellement pas nécessaire. 5. Conclusion Les fistules pharyngo-cutanées constituent une complication redoutée des chirurgies carcinologiques des voies aéro-digestives supérieures, en particulier des laryngectomies et pharyngolaryngectomies totales. Elles sont favorisées par la dénutrition, le diabète et des antécédents de radiothérapie cervicale, situation fréquente du fait de la tendance actuelle en faveur des stratégies de conservation laryngée. Leur prise en charge passe par une approche globale : d’abord préventive en agissant sur les principaux facteurs de risque, puis curative. Si la reprise chirurgicale pour fermeture directe utilisant si besoin des lambeaux musculaires reste au premier plan, la TPN apparaît comme une alternative, en particulier dans des situations de reprises chirurgicales itératives ou en cas de rapport bénéfice/risque défavorable à la chirurgie.

Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. Références [1] Fleischmann W, Strecker W, Bombelli M, et al. [Vacuum sealing as treatment of soft tissue damage in open fractures]. Unfallchirurg 1993;96:488–92. [2] Fleischmann W, Becker U, Bischoff M, et al. Vacuum sealing : indication, technique, and results. Eur J Orthop Surg Traumatol Springer 1995;5:37–40. [3] Argenta LCL, Morykwas MJM. Vacuum-assisted closure: a new method for wound control and treatment: clinical experience. Ann Plast Surg 1997;38:563–77. [4] Schuster RR, Moradzadeh AA, Waxman KK. The use of vacuum-assisted closure therapy for the treatment of a large infected facial wound. Am Surg 2006;72:129–31. [5] Andrews BT, Smith RB, Goldstein DP, et al. Management of complicated head and neck wounds with vacuum-assisted closure system. Head Neck 2006;28:974–81. [6] Andrews BT, Smith RB, Hoffman HT, et al. Orocutaneous and pharyngocutaneous fistula closure using a vacuum-assisted closure system. Ann Otol Rhinol Laryngol 2008;117:298–302. [7] Rosenthal EL, Blackwell KE, McGrew B, et al. Use of negative pressure dressings in head and neck reconstruction. Head Neck 2005;27:970–5. [8] Schwartz S. Predictors of wound complications after laryngectomy: a study of over 2000 patients. Otolaryngol Head Neck Surg 2004;131:61–8. [9] Dirven R, Swinson BD, Gao K, et al. The assessment of pharyngocutaneous fistula rate in patients treated primarily with definitive radiotherapy followed by salvage surgery of the larynx and hypopharynx. Laryngoscope 2009;119:1691–5. [10] Bohannon IA, Carroll WR, Magnuson JS, et al. Closure of post-laryngectomy pharyngocutaneous fistulae. Head Neck Oncol 2011;3:29. [11] Cordova A, Corradino B, Pirrello R, et al. Surgical treatment of pharyngostomes in irradiated patients. Our experience with musculocutaneous pectoralis major flap and hyperbaric oxygen therapy. Acta Otolaryngol 2005;125:759–64. [12] Werner A, Laccourreye O. Le miel en oto-rhino-laryngologie : quand, pourquoi et comment ? Ann Fr Otorhinolaryngol Pathol Cervicofac 2011;128:153–7 [Elsevier Masson SAS]. [13] Diallo BKB, Lacher-Fougere SS, Baltazart BB, et al. [Results of alginate and hypertonic solution in wound healing of head and neck cancers]. Rev Laryngol Otol Rhinol (Bord) 2007;129:289–92. [14] Mclean JN, Nicholas C, Duggal P, et al. Surgical management of pharyngocutaneous fistula after total laryngectomy. Ann Plast Surg 2012;68:442–5. [15] Caluraud S, Hibon R, Drahy A, et al. Rôle du Tachosyl® dans la prévention des pharyngostomes et des fistules salivaires post-chirurgicaux. Ann Fr Otorhinolaryngol Pathol Cervicofac 2012;129:A66. [16] Gallo O, Deganello A, Meccariello G, et al. Vacuum-assisted closure for managing neck abscesses involving the mediastinum. Laryngoscope 2012;122:785–8. [17] Dhir K, Reino AJ, Jon L. Vacuum-assisted closure therapy in the management of head and neck wounds. Laryngoscope 2009;119:54–61. [18] Orgill DP, Bayer LR. Update on negative-pressure wound therapy. Plast Reconstr Surg 2011;127:105S–15S. [19] Morykwas MJ, Simpson J, Punger K, et al. Vacuum-assisted closure: state of basic research and physiologic foundation. Plast Reconstr Surg 2006;117:121S–6S. [20] Schintler MV.Negative pressure therapy: theory and practice. Diabetes Metab Res Rev 2012;28:72–7. [21] Franczyk M, Lohman RF, Agarwal JP, et al. The impact of topical lidocaine on pain level assessment during and after vacuum-assisted closure dressing changes: a Double-Blind, Prospective Randomized Study. Plas Reconstr Surg 2009;124:854–61. [22] Timmers MS, Le Cessie S, Banwell P, et al. The effects of varying degrees of pressure delivered by negative-pressure wound therapy on skin perfusion. Ann Plast Surg 2005;55:665–71. [23] Benech A, Arcuri F, Poglio G, et al. Vacuum-assisted closure therapy in reconstructive surgery. Acta Otorhinolaryngol Ital 2012;32:192–7. [24] Le Franc B, Sellal O, Grimandi G, et al. Évaluation coût-efficacité de la thérapie par pression négative dans la préparation chirurgicale des pertes de substance cutanée. Ann Chir Plast Esthet 2010;55:195–203. [25] Haute Autorité de santé. Traitement des plaies par pression négative (TPN) : des utilisations spécifiques et limitées, 15. HAS; 2011. p. 1–4.