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Éditorial
Actualité des diurétiques dans la prévention cardiovasculaire chez l’hypertendu Diuretics and cardiovascular outcome in hypertensive patients: an update P.-F. Plouin *, G. Bobrie Unité d’hypertension artérielle, hôpital européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, 75908 Paris cedex 15, France Reçu le 8 mars 2003 ; accepté le 17 mars 2003
Mots clés : Accident vasculaire cérébral ; Diurétiques ; Hypertension ; Insuffisance cardiaque ; Maladie coronaire Keywords: Cerebrovascular accident; Coronary disease; Diuretics; Heart failure; Hypertension
L’histoire de la prévention cardiovasculaire chez l’hypertendu recoupe celle des diurétiques. Le premier essai montrant l’utilité du traitement de l’hypertension en termes de bénéfice clinique est celui de Hamilton et al. en 1964 [1]. Comparant 2 groupes de patients ayant une pression artérielle à l’inclusion de 239/136 mmHg (groupe traité) et de 219/129 mmHg (groupe témoin), cet essai montrait que le traitement antihypertenseur réduisait de 59 % l’incidence des événements cardiovasculaires mortels ou non par comparaison à l’abstention. Le traitement était alors une combinaison de diurétiques thiazidiques et de ganglioplégiques, avec addition si nécessaire de méthyldopa. Près de 40 ans plus tard, la prévention continue de reposer, pour la majorité des patients, sur une polythérapie contenant un diurétique. L’étape suivante de cette histoire à succès est en effet la démonstration que les diurétiques sont efficaces pour la prévention cérébrovasculaire et la prévention coronaire, chez l’homme et chez la femme, avant et après 60 ans, dans l’hypertension systolodiastolique ou dans l’hypertension systolique isolée, et que cette efficacité est au moins égale en comparaison face à face à celle des bêtabloquants [2,3]. Une nouvelle méta-analyse montre ensuite que les diurétiques, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion et les antagonistes calciques (dihydropyridines à longue durée d’action) ont une * Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (P.-F. Plouin). © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/S0248-8663(03)00135-8
efficacité voisine pour la prévention cardiovasculaire chez l’hypertendu [4]. À cette époque — c’est l’an 2000 — beaucoup pensent que la hiérarchie des valeurs entre diurétiques, antagonistes calciques et inhibiteurs de l’enzyme de conversion va basculer au profit de ces derniers. On manque en effet de comparaisons face à face suffisamment puissantes pour l’affirmer, mais on croit à un bénéfice lié à la neutralité métabolique et à l’effet de remodelage cardiovasculaire de ces médicaments plus récents. Les fabricants et les nombreux prescripteurs de ces médicaments, qui sont un succès commercial, attendent pour conclure les résultats de l’essai Allhat. Ce vaste essai (initialement 42 424 patients répartis en 4 groupes parallèles) a été spécialement conçu par le National Heart, Lung, and Blood Institute pour comparer avec la puissance et la méthodologie requises les effets d’un diurétique thiazidique, la chlorthalidone, d’un inhibiteur de l’enzyme de conversion, le lisinopril, d’une dihydropyridine, l’amlodipine, et d’un alphabloquant, la doxazosine. La population incluse est celle des personnes de 55 ans et plus ayant une hypertension systolique ou diastolique et au moins un facteur de risque supplémentaire. En 2000, un excès de mortalité par insuffisance cardiaque a justifié l’arrêt du bras alphabloquant de l’essai pour éviter aux patients concernés une perte de chance [5]. Reste une comparaison à 3 bras totalisant 33 357 patients dont le suivi moyen sera de 4,9 ans. Allhat a été publié en décembre 2002 et a conclu qu’on ne fait pas mieux que les diurétiques [6].
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Ce résultat mérite quelques précisions. La population de Allhat est typique des hypertendus traités américains : âge moyen de 67 ans, 53 % d’hommes, 32 % d’africains américains, 36 % de diabétiques, 52 % de patients ayant un antécédent cardiovasculaire, index de corpulence moyen de 28,8 kg/m2. Les médicaments choisis sont actifs en prise unique quotidienne. La chlorthalidone est un thiazidique classique et sa posologie — 12,5 mg/j, doublée si nécessaire — est conforme à l’emploi actuel des diurétiques à faibles doses. Le lisinopril et l’amlodipine sont des produits bien étudiés et largement répandus, également utilisés aux doses recommandées : 10 à 40 mg/j pour le premier, 2,5 à 10 mg/j pour le second. Ces prescriptions sont le traitement initial dans chaque groupe de randomisation, traitement qu’on peut compléter si nécessaire en deuxième étape par un bêtabloquant ou un antihypertenseur central. En troisième étape, on a le choix entre l’hydralazine ou le recours à l’un des 2 autres médicaments de première étape. En conséquence, on observera une « contamination » autorisée et logique des médicaments de la randomisation initiale : 14,9 % des patients du groupe lisinopril et 11,6 % du groupe amlodipine recevront de la chlorthalidone. Le critère principal de jugement est la morbimortalité coronaire. Elle est identique dans les 3 groupes : 1,91 % par an sous chlorthalidone, 1,90 sous lisinopril et 1,88 sous amlodipine. Il en est de même pour la mortalité toutes causes. En revanche, la comparaison de plusieurs critères secondaires est défavorable aux nouveaux venus : par comparaison à la chlorthalidone, il y a significativement plus d’insuffisances cardiaques sous amlodipine et sous lisinopril, et plus d’événements cardiovasculaires et d’accidents vasculaires cérébraux sous lisinopril. Les auteurs concluent logiquement que « les diurétiques de type thiazidique sont supérieurs pour la prévention d’un ou plusieurs événements cardiovasculaires majeurs et sont moins coûteux ». Doit-on généraliser cette conclusion ? À ne pas commencer un traitement antihypertenseur par un diurétique, expose-t-on les hypertendus à une perte de chance ? Deux arguments préviennent le recours obligatoire à un diurétique en première intention. Le premier tient à la population de l’étude. L’âge moyen de 67 ans ne permet pas d’extrapoler à une population plus jeune. D’autres caractéristiques documentées (corpulence, proportion de personnes d’ascendance africaine) ou probables (apport sodé élevé) sont plus favorables aux diurétiques qu’aux inhibiteurs de l’enzyme de conversion et plus fréquentes aux États-Unis qu’en Europe. Notamment le surcroît d’accidents cardiovasculaires, particulièrement celui des accidents vasculaires cérébraux, n’était présent que chez les patients d’ascendance africaine. D’ailleurs, l’essai tout récent du second Autralian National Blood Pressure Study group [7] n’a pas trouvé de différence entre enalapril et hydrochlorothiazide en termes d’accidents vasculaires cérébraux dans une population similaire mais d’origine caucasienne. Le second argument tient à une différence dans l’effet sur la pression artérielle des traitements à l’étude. La moyenne sur 5 ans de la systolique était significativement plus basse sous chlorthalidone
(134 mmHg) que sous lisinopril (136 mmHg), une différence qui explique en partie l’écart observé dans l’incidence des accidents vasculaires cérébraux. On peut arguer qu’un meilleur contrôle tensionnel sous 12,5 à 25 mg de chlorthalidone que sous 10 à 40 mg de lisinopril est au crédit de la première option. Toutefois cette donnée indique que la différence entre diurétique et inhibiteur de l’enzyme de conversion en termes de prévention pouvait être hémodynamique et non liée à un effet spécifique de ces molécules. De nombreux patients de Allhat ont eu besoin d’une polythérapie, comme dans la majorité des essais et dans la pratique clinique. Ce besoin a fait le succès des combinaisons en monoprise du type diurétique plus bêtabloquant, diurétique plus inhibiteur de l’enzyme de conversion, diurétique plus antagoniste AT1, ou bêtabloquant plus dihydropyridine. Dans Allhat, les participants du groupe chlorthalidone avaient en deuxième étape une combinaison diurétique plus bêtabloquant et ceux du groupe amlodipine une combinaison dihydropyridine plus bêtabloquant, 2 combinaisons connues comme synergiques. En revanche, ceux du groupe lisinopril avaient la combinaison non synergique d’inhibiteur de l’enzyme de conversion et de bêtabloquant. Dans Allhat, la supériorité de la chlorthalidone (sans inhibiteur de l’enzyme de conversion) sur le lisinopril (sans diurétique) reflète la supériorité d’une stratégie d’association plutôt que la supériorité d’une monothérapie initiale. Elle peut s’exprimer comme suit : toute polythérapie chez un hypertendu de plus de 55 ans devrait contenir un diurétique, sauf contre-indication à cette classe thérapeutique. Le même commentaire s’applique au paradoxe d’une plus grande fréquence de l’insuffisance cardiaque sous lisinopril que sous chlorthalidone, alors que l’effet favorable des inhibiteurs de l’enzyme de conversion sur la survie des insuffisants cardiaques est bien connu. Dans les essais sur l’insuffisance cardiaque, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion étaient toujours ajoutés à un traitement diurétique, ce qui n’était pas le cas dans Allhat où la bithérapie prévue était une combinaison inhibiteur de l’enzyme de conversion plus bêtabloquant. En conclusion, le XXIe siècle voit la consécration des diurétiques dans une affection qui touche près de 50 % des personnes après 55 ans. Les données disponibles montrent l’importance de la rétention sodée dans la genèse de l’hypertension et l’utilité d’une composante diurétique dans toute polythérapie, du moins dans cette tranche d’âge et en dehors de ses contre-indications. Les autres antihypertenseurs — bêtabloquants, inhibiteurs de l’enzyme de conversion et vraisemblablement inhibiteurs AT1, antagonistes calciques à longue durée d’action — restent des prescriptions légitimes en seconde intention, ou en première intention chez des sujets plus jeunes, ou s’il existe une indication spécifique à ces agents du fait d’une comorbidité (atteinte rénale, angor, tachyarythmie, migraine, etc.), ou encore une contreindication relative aux diurétiques (goutte, hypokaliémie) [8].
P.-F. Plouin, G. Bobrie / La revue de médecine interne 24 (2003) 495–497
Références [1]
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