Algodystrophie gardénalique : présentation de huit nouveaux cas africains et revue de la littérature

Algodystrophie gardénalique : présentation de huit nouveaux cas africains et revue de la littérature

Rec¸u le : 18 septembre 2009 Accepte´ le : 3 fe´vrier 2012 Disponible en ligne 7 mai 2012 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Appareil l...

233KB Sizes 7 Downloads 111 Views

Rec¸u le : 18 septembre 2009 Accepte´ le : 3 fe´vrier 2012 Disponible en ligne 7 mai 2012

Disponible en ligne sur

www.sciencedirect.com

Appareil locomoteur Gardenalic algodystrophy: Eight new African cases and general review of bibliography A.K. Ndaoa,*, N.S. Diagneb, M. Ndiayeb, L.B. Seckb, M.S. Diop-Seneb, A.G. Diopb, M.M. Ndiayeb a Centre national d’appareillage orthope´dique de Dakar, BP 5066, Dakar-Fann, Dakar, Se´ne´gal

Algodystrophie garde´nalique : pre´sentation de huit nouveaux cas africains et revue de la litte´rature

b

Clinque neurologique du CHUN de Fann, Dakar, Se´ne´gal

Summary

Re´sume´

We report eight new cases concerning African patients with complication induced by phenobarbital treatment for epilepsy, collected at a physical medicine department in Dakar, Senegal. The comparison with previous works, which also concerned small series, brings to light: the feminine ascendancy, the development after an important duration of exposure (8 years on average). The forerunners are especially pain and joint limitations. Upper limbs are mostly affected, sometimes in a bilateral way that is suggestive of a medicinal cause. Biological tests are useless. Radiographies can help the diagnosis. The treatment is at first the replacement of gardenal and physical therapy. The results are favourable, in most of the cases. ß 2012 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

Nous rapportons huit nouvelles observations de patients africains (six femmes et deux hommes) atteints d’algodystrophie garde´nalique prescrits pour une e´pilepsie et suivis dans un service de re´e´ducation fonctionnelle, a` Dakar, au Se´ne´gal. La confrontation avec les travaux pre´ce´dents qui portent aussi sur de petites se´ries met en e´vidence une pre´dominance fe´minine et une survenue apre`s une dure´e importante d’exposition (huit anne´es en moyenne). Les signes annonciateurs sont surtout les douleurs et les limitations articulaires. Les membres supe´rieurs sont le plus souvent atteints, parfois de fac¸on bilate´rale, ce qui est e´vocateur d’une cause me´dicamenteuse. La biologie n’est d’aucun secours. Les radiographies peuvent orienter. Le traitement est d’abord le remplacement du garde´nal et le re´e´ducation fonctionnelle. Les re´sultats sont, le plus souvent, favorables. ß 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s.

Keywords: Gardenalic algodystrophy, Gardenalic rheumatism, Epilepsia, Africa, Physical medicine

Mots cle´s : Algodystrophie garde´nalique, Rhumatisme garde´nalique, E´pilepsie, Afrique, Me´decine physique

Introduction

nos cas, aussi bien au plan e´pide´miologique, clinique, paraclinique, que the´rapeutique et e´volutif.

Notre e´tude a porte´ sur huit cas de rhumatisme garde´nalique observe´s a` la clinique neurologique de Fann, avec pour objectifs de comparer les donne´es de la litte´rature avec celles de

Patients et me´thodes

* Auteur correspondant. e-mail : [email protected]

Il s’agit d’une e´tude re´trospective des dossiers de huit patients atteints de rhumatisme garde´nalique, suivis par le service de

0242-648X/$ - see front matter ß 2012 Elsevier Masson SAS. Tous droits re´serve´s. 10.1016/j.jrm.2012.02.001 Journal de re´adaptation me´dicale 2012;32:66-69

66

Algodystrophie garde´nalique : pre´sentation de huit nouveaux cas africains

re´e´ducation fonctionnelle de la clinique neurologique du CHU de Fann de de´cembre 1992 a` mai 2003. Tous nos patients e´taient de race noire, aˆge´s de 13 a` 83 ans. Six d’entre eux e´taient des femmes. Pour chaque patient, nous avons recueilli :  les donne´es sur sa maladie e´pileptique, son anciennete´ et les traitements suivis ;  Les donne´es concernant le rhumatisme garde´nalique : de´lais d’installation des symptoˆmes, circonstances de de´couverte, aspects cliniques et paracliniques, traitements et donne´es e´volutives. Les re´sultats obtenus ont e´te´ compare´s avec ceux trouve´s dans la litte´rature.

Re´sultats Donne´es e´pide´miologiques Incidence Les huit cas rapporte´s sur la pe´riode de 1992 a` 2003 par rapport au nombre de consultations annuelles (3900 patients) montrent la rarete´ du rhumatisme garde´nalique dans le recrutement d’un centre de re´e´ducation fonctionnelle africain implante´ dans un service de neurologie. Sexe Six de nos patients sur huit e´taient de sexe fe´minin. ˆ ge A L’aˆge de nos patients variait de 13 a` 71 ans, avec une moyenne de 45 ans. Une seule de nos patientes avait moins de 20 ans. La moyenne d’aˆge des deux hommes e´tait de 35 ans, celle des femmes de 42 ans.

Donne´es paracliniques Le bilan inflammatoire e´tait normal chez tous nos patients. En imagerie me´dicale, le bilan radiographique standard a re´ve´le´ des signes de de´mine´ralisation en bande, avec aspect mouchete´ de la trame osseuse chez quatre de nos patients. L’interligne articulaire e´tait respecte´ pour toutes les articulations explore´es.

Donne´es the´rapeutiques Le traitement a consiste´ d’abord a` arreˆter le garde´nal chez tous nos patients, avec substitution par le valproate de sodium, sauf pour deux patients traite´s par la phe´nitoı¨ne ou la carbamaze´pine. La moitie´ des patients a rec¸u des antiinflammatoires non ste´roı¨diens et cinq d’entre eux ont e´te´ traite´s par grise´ofulvine forte pendant six semaines. Tous nos patients ont be´ne´ficie´ d’une re´e´ducation fonctionnelle selon un protocole approprie´, comprenant des techniques de re´cupe´ration et de gain d’amplitudes articulaires, comple´te´s par des exercices de restauration fonctionnelle et de re´entrainement a` l’effort. Nous avons observe´ six bons re´sultats, un re´sultat moyen. Un patient a e´te´ perdu de vue.

Discussion Il faut replacer ces observations dans le contexte sanitaire actuel du Se´ne´gal ou` l’acce`s a` certains traitements reste difficile et l’information sur les nouveaux traitements parfois de´faillante, ce qui explique que le garde´nal continue a` eˆtre l’un de traitements de l’e´pilepsie, le plus utilise´. Une autre raison est son faible cou ˆ t. Il s’ensuit que l’algoneurodystrophie garde´nalique peut encore y eˆtre observe´e et qu’elle apparaıˆt comme l’une des pathologies que les me´decins de re´adaptation de ce pays peuvent rencontrer.

Incidence Anciennete´ des crises et dure´e d’exposition au garde´nal A` l’exception d’un seul cas, l’anciennete´ des crises et du traitement par le garde´nal e´tait de trois a` 22 ans, avec une moyenne de huit ans. Un seul patient avait eu une dure´e d’exposition de moins d’un an, alors que pour un autre patient il a fallu attendre 16 ans de crises avant la mise en place d’un traitement par le garde´nal.

Donne´es cliniques La symptomatologie clinique est faite de douleurs et de limitations des amplitudes articulaires, occasionnant ge`nes et difficulte´s dans les activite´s de la vie quotidienne, surtout en ce qui concerne la pre´hension. Les membres supe´rieurs e´taient souvent atteints de fac¸on distale, aussi bien que proximale. Un seul patient a pre´sente´ une localisation au membre infe´rieur. Dans la moitie´ de nos cas, la symptomatologie e´tait bilate´rale.

Le nombre de cas obtenus sur dix ans d’e´tude rapporte´s au nombre de consultants de notre structure sur la meˆme pe´riode est relativement faible, mais elle ne refle`te probablement pas la re´alite´ de ce type de complication au sein de la population expose´e. L’absence de donne´es fiables sur la population exacte de patients expose´s ayant fre´quente´ notre e´tablissement durant la pe´riode de l’e´tude nous empeˆche d’avancer un taux significativement valable. En effet selon Karfo, cette estimation doit eˆtre revue a` la hausse dans nos pays en voie de de´veloppement ou` le nombre d’e´pileptiques, est quatre, voire cinq fois plus important que dans les pas industrialise´s [1].

ˆ ge A Dans une e´tude publie´e par Carydakis et Laplane, l’aˆge des patients atteints variait entre 49 et 66 ans, avec une moyenne

67

Journal de re´adaptation me´dicale 2012;32:66-69

A.K. Ndao et al.

53,2 chez les hommes et, chez les femmes, de 19 a` 57 ans avec une moyenne de 39 ans [2]. Ces re´sultats ne sont pas tre`s e´loigne´s de ceux retrouve´s dans notre se´rie ou` l’aˆge varie de 13 a` 55 ans, avec une moyenne de 42 ans chez les femmes et de 53,5 ans.

Donne´es paracliniques

Dans notre e´tude, six femmes e´taient atteintes pour deux hommes. Cela semble montrer une pre´dominance de cette affection chez la femme et confirme ainsi les re´sultats de Camus et Paul [3]. En revanche, sur un e´chantillon de la meˆme taille que le noˆtre (neuf patients) Carydakis et Laplane ont retrouve´ cinq hommes et quatre femmes [2]. Ces re´sultats contradictoires et la taille tre`s re´duite des populations e´tudie´es invitent a` eˆtre prudent sur le roˆle du sexe dans la survenue de cette affection.

Le bilan biologique sanguin normal chez la totalite´ de nos patients te´moigne de l’absence d’une phase inflammatoire, comme l’a affirme´ aussi Eulry dans son e´tude [8]. Quant au bilan radiologique standard, re´alise´ souvent plusieurs fois chez nos patients, il est en tout point de vue comparable aux re´sultats d’Eulry, avec une de´mine´ralisation en bande dans deux tiers des cas, un aspect « mouchete´ » dans un tiers des cas, associe´s a` un respect de l’interligne articulaire dans la totalite´ des cas [8]. Les autres examens d’imagerie me´dicale (scintigraphie, IRM, TDM) ont e´te´ tre`s peu utilise´s chez nos patients du fait des difficulte´s conside´rables pour les obtenir et d’autres priorite´s e´videntes dans le contexte se´ne´galais. Leur inte´reˆt re´side surtout dans un diagnostic plus pre´coce, selon Gaucher et al. et Chiano et al. [9,10].

Donne´es sur la maladie e´pileptique

Donne´es the´rapeutiques

Nous entendons par anciennete´ des crises le temps compris entre le de´but des premie`res crises e´pileptiques et la date de la premie`re consultation en re´e´ducation fonctionnelle. A` l’exception de deux de nos patients, nous avons constate´ une corre´lation entre l’anciennete´ des crises et la dure´e d’exposition au garde´nal. Celle-ci variait dans notre e´tude de trois mois a` 22 ans, avec une moyenne de huit ans, alors que Doury l’a estime´ entre 19 jours et 25 ans [4]. La concordance de ces diffe´rents re´sultats, laisse pre´sager d’une dure´e relativement longue de la pe´riode d’exposition avant que n’apparaissent les premiers signes, avis partage´ par Carli et Chagnon [5].

Donne´es sur l’algodystrophie

L’arreˆt du phe´nobarbital et son remplacement a eu un effet positif sur l’algodystrophie, comme cela avait e´te´ montre´ par Tre`ves et al. [6]. Deux cas seulement ont rec¸u de la grise´ofulvine, en prenant soin de l’arreˆter si aucun effet n’e´tait ressenti au bout de 12 a` 15 jours. Tous nos patients ont be´ne´ficie´ de re´e´ducation fonctionnelle, avec un accent particulier pour les agents avec application de douches e´cossaises chez cinq patients, comple´te´s par les techniques de mobilisation et de postures en kine´sithe´rapie. Cette re´e´ducation fonctionnelle donne de bons re´sultats, comme en attestent nos donne´es e´volutives et les constatations d’autres auteurs (surtout pendant la seconde phase, c’est-a`-dire au moment de l’installation des troubles trophiques, des re´tractions en particulier) [11–13].

Aspects cliniques

Donne´es e´volutives

Sexe

Apre`s une pe´riode d’exposition assez longue la douleur apparaıˆt comme e´tant le signe annonciateur le plus fre´quent. La plupart de nos patients avaient, pour motifs de consultation, une douleur associe´e ou non a` une limitation des amplitudes articulaires. Cette douleur peut e´voluer de trois a` neuf mois selon Tre`ves et al., dans le cas d’une localisation de type syndrome e´paule-main, localisation caracte´ristique du rhumatisme garde´nalique, retrouve´e chez trois des sept patients sur huit ayant une atteinte des membres supe´rieurs, contre trois patients sur neuf dans l’e´tude de Carydakis et Laplane [2,6]. La totalite´ de nos patients avait une atteinte de l’e´paule, dont quatre de fac¸on bilate´rale. Cette meˆme constatation a e´te´ faite par Arlet et al., qui ont retrouve´ une atteinte bilate´rale neuf fois sur dix patients e´pileptiques souffrant de l’e´paule [7]. Ils concluaient qu’une algodystrophie bilate´rale doit faire rechercher, en premie`re intention, une cause me´dicamenteuse.

68

Le pronostic e´tait bon dans la moitie´ de nos cas, avec une gue´rison comple`te ; il e´tait moyen chez deux de nos patients, un patient a e´te´ perdu de vue en cours de traitement. Ces re´sultats confirment ceux de Carli et Chagnon, qui ont rapporte´ 50 % de bons re´sultats apre`s l’arreˆt du phe´nobarbital [7]. La dure´e de l’e´volution est relativement longue, comme cela a e´te´ confirme´ par l’e´tude de Tre`ves et al. [6].

Conclusion L’algodystrophie garde´nalique est une entite´ pathologique qui a e´te´ de´crite pour la premie`re fois par Maillard et Renard [14]. Depuis 1934, cette affection est connue sous le nom de « rhumatisme garde´nalique » et semble eˆtre en relation avec un de´re`glement du syste`me nerveux ve´ge´tatif, provoque´ par le phe´nobarbital et responsable de perturbations de la vasomotricite´ anormalement intenses et prolonge´es. Ce rhumatisme garde´nalique se rencontre habituellement lors des traitements prolonge´s, a` fortes doses (100 a` 200 mg par

Algodystrophie garde´nalique : pre´sentation de huit nouveaux cas africains

24 heures) et s’observe surtout chez les personnes e´pileptiques. De fre´quence faible dans nos structures de re´e´ducation fonctionnelle, il concerne plus la femme que l’homme, apre`s une pe´riode d’exposition au risque relativement longue, pouvant atteindre 20 ans. Son tableau clinique, domine´ par la douleur et les troubles trophiques (re´traction capsulaire, amyotrophie), est caracte´rise´ par son atteinte volontiers bilate´rale. La radiologie contribue au diagnostic. Son traitement, bien codifie´, passe avant tout par l’arreˆt du phe´nobarbital et la substitution de celui-ci par d’autres mole´cules anti e´pileptiques de´nue´es de toxicite´ pour le syste`me locomoteur. Le traitement physique, essentiellement base´ sur la re´e´ducation fonctionnelle, est un apport incontournable.

[4]

[5] [6]

[7] [8] [9]

[10]

De´claration d’inte´reˆts Les auteurs de´clarent ne pas avoir de conflits d’inte´reˆts en relation avec cet article.

[11] [12]

Re´fe´rences [1] [2] [3]

Karfo K. Le ve´cu de l’e´pilepsie grand mal au Se´ne´gal [the`se de me´decine]. Dakar; 1991. Carydakis C, Laplane D. Les effets secondaires des traitements antie´pileptiques. Rev Neurol (Paris) 1985;141:447–55. Camus JP, Paul D. Rhumatisme garde´nalique. Rev Prat (Paris) 1972;22:1963–7.

[13]

[14]

Doury P. Les algodystrophies : e´tiologie, particularite´s cliniques et e´volutives selon l’e´tiologie. Sem Hop (Paris) 1994;70(33–39): 999–1000. Carli P, Chagnon A. Rhumatismes iatroge`nes. Concours Med 1992;16-05:1531–2. Tre`ves R, Archambeaud-Mouveroux F, Nouaille Y, DesprogesGotteron R. Les algodystrophies iatroge`nes. In: He´risson C, Simon L, editors. Les algodystrophies sympathiques re´flexes. Paris: Masson; 1987. p. 98–9. Arlet J, Rascol A, Mole J, Roger JA. Observation du rhumatisme garde´nalique. Rev Rhum 1967;34:193–8. Eulry F. Les signes biologiques et me´taboliques de l’algodystrophie. Sem Hop (Paris) 1994;70(33–34):1010–5. Gaucher A, Raul P, Wiederkehr R, Pourel J, Bertrans A, Colomb JN, et al. E´tude scintigraphique des algodystrophies re´flexes. Rev Rheum 1984;49:841–6. Chiano A, Lafforgue P, Acquaviva PC. Tomodensitome´trie et IRM au cours de l’algodystrophie. Sem Hop (Paris) 1994;70(33–34): 1016. Bre´geon C, Massaon C, Colin D. Syndromes algodystrophiques physiothe´rapie et re´e´ducation. Presse Med 1990;19:1967–9. Breton G, Carzon J, Courtillon A, Daniel F, Darnault A, Heuleu JN. La re´e´ducation est elle une contre-indication dans le traitement des algodystrophies re´flexes re´centes ? In: He´risson C, Simon L, editors. Les algodystrophies sympathiques re´flexes. Paris: Masson; 1987. p. 236–40. He´risson C, Simon L. Plaidoyer pour la re´e´ducation dans les algodysthophies sympathiques re´flexes. In: He´risson C, Simon L, editors. Les algodystrophies sympathiques re´flexes. Paris: Masson; 1987. p. 232–5. Maillard G, Renard G. Un nouveau traitement de l’e´pilepsie : le phe´nyle´thylmalonylure´e (rutonal). Presse Med 1925;33:315–7.

69