Annales françaises d’oto-rhino-laryngologie et de pathologie cervico-faciale (2013) 130, 228—231
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CAS CLINIQUE
Aplasie bilatérale des canaux semi-circulaires夽 R. Breheret a,∗, C. Brecheteau a, J.-Y. Tanguy b, L. Laccourreye a a b
Service d’oto-rhino-laryngologie et chirurgie cervico-faciale, CHU d’Angers, 4, rue Larrey, 49100 Angers, France Service de radiologie, CHU d’Angers, 4, rue Larrey, 49100 Angers, France
MOTS-CLÉS Aplasie des canaux semi-circulaires ; Syndrome CHARGE ; Malformation congénitale de l’oreille interne
Résumé Introduction. — L’aplasie bilatérale des canaux semi-circulaires (CSC) est extrêmement rare et en pratique de découverte fortuite lorsque l’appareil cochléo-vestibulaire est normal et qu’il n’existe pas de surdité. Présentation du cas. — Les auteurs rapportent les cas d’un patient de 24 ans présentant une aplasie bilatérale des CSC. Cette découverte était fortuite dans le cadre du bilan d’une surdité mixte unilatérale avec audition controlatérale subnormale. Cette malformation ne s’inscrivait pas dans un contexte syndromique. Discussion/Conclusion. — La fréquence de cette anomalie isolée n’est pas connue mais l’absence de symptomatologie nous laisse supposer qu’elle est largement sous-estimée. À notre connaissance, il s’agit du deuxième cas décrit présentant une aplasie bilatérale de l’ensemble des CSC, avec atteinte auditive unilatérale. Une revue de la littérature est proposée sur les aspects embryologiques et moléculaires de cette aplasie. © 2013 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Introduction Les malformations congénitales du vestibule sont rares et souvent découvertes lors du bilan d’une surdité congénitale de l’enfant. Cependant, quelques cas d’anomalies isolées du vestibule sans atteinte auditive sont décrits dans le cadre de pathologies syndromiques ou non. Le caractère asymptomatique de cette malformation isolée explique qu’elle
DOI de l’article original : http://dx.doi.org/10.1016/j.anorl.2012.10.005. 夽 Ne pas utiliser pour citation la référence franc ¸aise de cet article mais celle de l’article original paru dans European Annals of Otorhinolaryngology Head and Neck Diseases en utilisant le DOI ci-dessus. ∗ Auteur correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (R. Breheret).
soit peu recherchée et donc peu décrite dans la littérature. Nous rapportons le cas d’un patient de 24 ans présentant une surdité mixte unilatérale avec une audition controlatérale subnormale. Une imagerie par tomodensitométrie et résonance magnétique (IRM) a mis en évidence une aplasie bilatérale complète des canaux semi-circulaires (CSC).
Cas clinique M. L., 24 ans, se présentait à la consultation pour hypoacousie droite. On retenait dans ses antécédents une atrésie de l’œsophage, opérée au premier jour de vie. Le patient ne présentait ni vertige ni acouphène et l’otoscopie était normale. L’audiométrie tonale liminaire mettait en évidence une surdité mixte à droite et une audition gauche subnormale (Fig. 1). En audiométrie vocale, le seuil d’intelligibilité était de 35 dB à gauche avec un maximum d’intelligibilité de
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Figure 1 Audiométrie tonale liminaire avec valeur du masquage en conduction aérienne (CA) et osseuse (CO). Audition subnormale gauche et surdité mixte droite.
100 %. À droite, aucune courbe n’était obtenue. Le test de Weber était latéralisé à droite sur les fréquences graves. Une tomodensitométrie des rochers était réalisée et mettait en évidence une malformation bilatérale des CSC, avec aplasie complète et bilatérale des canaux postérieurs et supérieurs et hypoplasie importante des canaux latéraux (Fig. 2). Il n’était pas retrouvé de malformation ossiculaire mais un rétrécissement bilatéral de la fenêtre ovale. En dehors de l’absence des CSC, les labyrinthes osseux présentaient des vestibules hypoplasiques et globuleux et une malformation des deux cochlées (hypoplasie des modioli, troisième tour à peine ébauché et sténose des canaux des nerfs cochléaires).
L’IRM (Fig. 3) confirmait ces données et mettait en évidence, à droite seulement, une agénésie du nerf vestibulaire inférieur et un nerf cochléaire non visualisé. Les explorations fonctionnelles vestibulaires retrouvaient une verticale subjective normale et une oculographie normale. Les épreuves caloriques mettaient en évidence une aréflexie bilatérale et le video-Head Impulse Test (vHIT) ne retrouvait aucune réponse sur chacun des six canaux. Les potentiels évoqués otolithiques (PEO) n’étaient pas retrouvés à droite et des ondes précoces P13 et N23 étaient présentes à gauche, d’amplitudes et de latences normales. Enfin, l’étude génétique par séquenc ¸age n’a mis en évidence ni
Figure 2 Tomodensitométrie des rochers en coupe axiale : aplasie bilatérale des canaux semi-circulaires (CSC), hypoplasie cochléo-vestibulaire mineure bilatérale, prédominant à droite.
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R. Breheret et al.
Figure 3 Reconstruction 3D IRM des labyrinthes membraneux. A. Vue supérieure oreille gauche. B. Vue latérale oreille gauche. C. Vue supérieure oreille droite. D. Vue latérale oreille droite.
mutation du gène CHD7, à l’origine de l’association CHARGE, ni micro-remaniement chromosomique.
Discussion Épidémiologie Les dysplasies ou aplasies des CSC, en particulier du canal latéral, sont les malformations congénitales les plus fréquentes de l’oreille interne [1,2]. Cependant, l’aplasie complète et bilatérale des CSC est très rare [3]. La première description d’agénésie complète sans anomalie cochléaire a été publiée en 1990 à propos de deux cas [2]. Satar et al. [3] ont rapporté en 2003 une série de 15 patients présentant une aplasie des CSC (plus grande série publiée), dont dix présentaient une association CHARGE. Dans cette série, trois patients seulement présentaient une malformation des CSC sans malformation majeure cochléo-vestibulaire, comme illustré dans notre cas, mais tous présentaient une atteinte auditive profonde. Les données existantes [3,4] indiquent que les patients porteurs de cette malformation présentent systématiquement des troubles de l’audition. Un seul article [4] fait état d’une aplasie associée à une audition normale (oreille gauche de notre cas) alors qu’il était habituellement reconnu que les malformations du labyrinthe postérieur étaient toujours associées à une surdité de perception ou mixte. Il s’agit donc ici du deuxième cas décrit d’aplasie complète et bilatérale des CSC avec malformation cochléaire mineure et avec audition subnormale d’un côté. En 2002, Sennaroglu et Saatci [5] ont proposé une classification des malformations cochléo-vestibulaires. Ces travaux mettaient en évidence des aplasies ou hypoplasies des CSC dans 26 % des cas de malformation de l’oreille interne (23 patients), sans qu’aucun patient n’ait un appareil cochléo-vestibulaire normal. Cette anomalie est donc fréquente mais exceptionnellement isolée.
Embryologie Le développement de l’oreille interne débute vers la sixième semaine de vie fœtale, avec la dissociation de la vésicule otique en deux parties. La partie ventrale (pars inferior) est à l’origine du saccule et du canal cochléaire qui termine sa formation vers la neuvième semaine. La partie dorsale (pars superior) est à l’origine de l’utricule puis des CSC à partir de la huitième semaine [6], le canal latéral étant le dernier à se former. Il est admis que les malformations de l’oreille interne sont liées à un arrêt brutal de son développement au cours de ces étapes successives [2]. C’est pourquoi le canal latéral est le plus souvent atteint. Dans la séquence des stades d’arrêt de l’embryogénèse expliquant les différentes malformations classiquement retrouvées, il apparaît qu’une aplasie des canaux avec un appareil cochléo-vestibulaire normal est chronologiquement impossible, puisque le labyrinthe membraneux vestibulaire se forme avant la formation définitive de la cochlée [5]. Ce modèle séquentiel est de plus en plus remis en question [2], au profit d’un modèle moléculaire et génétique permettant d’expliquer les malformations répertoriées. Il a été proposé que les développements de la cochlée et du vestibule fassent appel à des mécanismes indépendants et n’interagissent pas lors de leurs développements. Beaucoup de données génétiques du modèle animal sont rapportées à ce sujet. La formation des CSC est encodée par la partie proximale du chromosome 4 au niveau du 14e centromère [7]. Chez la souris, les gènes Otx-1 et Nkx51 semblent impliqués. Leurs mutations isolées entraînent des malformations du CSC latéral sans atteinte cochléaire radiologique ou histologique [8]. Les homologues humains de ces gènes pourraient être mutés chez les patients présentant une aplasie isolée des CSC.
Contexte syndromique Les aplasies des CSC peuvent être isolées ou associées aux syndromes de Goldenhar [9], aux trisomies 11 et 18 et
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aux associations CHARGE [10] (colobome, malformation cardiaque, atrésie choanale, retard de croissance et/ou retard mental, hypoplasie génitale, surdité et/ou anomalie des oreilles). Dans l’association CHARGE, des anomalies des CSC ont été retrouvées dans 50 à 100 % des cas [4,11]. Dans une série de 13 patients présentant cette association, Morimoto et al. [11] retrouvaient 100 % d’aplasie des CSC, 91 % de dysplasies cochléaires, 12 % d’aplasies de la fenêtre ronde, 91 % de la fenêtre ovale, 58 % de malformations vestibulaires, 46 % d’anomalies de l’aqueduc du vestibule, 88 % d’anomalies du canal du nerf facial et 93 % d’anomalies ossiculaires. D’autres anomalies moins fréquentes peuvent également être associées à ce syndrome, telles que des anomalies faciales (asymétrie, hypoplasie, fentes palatines), des malformations laryngées et œsophagiennes. Si aucun des critères cliniques et génétiques n’existaient pour porter le diagnostic de CHARGE, il est toutefois intéressant de noter l’association d’une atrésie œsophagienne et de l’aplasie bilatérale des CSC chez notre patient.
dans les bilans de surdité congénitale. La description de ce deuxième cas d’aplasie complète, avec audition subnormale d’un côté, illustre la très probable sous-estimation de la fréquence de cette malformation asymptomatique. L’aplasie des CSC associée à des malformations mineures de l’appareil cochléo-vestibulaire conforte la révision d’un modèle séquentiel d’embryopathogénie en un modèle génétique et moléculaire, pour expliquer les anomalies du développement embryonnaire de l’oreille interne. De telles malformations doivent toujours faire rechercher une association syndromique et pratiquer une analyse génétique.
Explorations fonctionnelles
Les auteurs remercient le Dr Franc ¸ois Vignaux, radiologue au CH de Laval pour la réalisation et l’interprétation des examens d’imagerie.
Les résultats audiométriques du cas présenté sont compatibles avec les données de la littérature. D’un côté, l’audition n’est pas atteinte tel un cas rapporté par Dallan et al. [4]. De l’autre, il existe une surdité mixte qui peut être expliquée par une malformation du labyrinthe membraneux antérieur, comme cela a pu être décrit [4]. L’existence de ce Rinne audiométrique serait due à la fois à une hypoplasie de la fenêtre ovale et à la fois à une conduction osseuse rendue anormalement bonne du fait de la malformation labyrinthique et à un abaissement de la conduction aérienne, liée à une diminution des mouvements de la platine par augmentation de la pression périlymphatique [12]. La transduction des vibrations crâniennes se trouve ainsi améliorée au niveau des liquides labyrinthiques mais entrave la conduction aérienne. La surdité mixte à droite peut également être expliquée par des anomalies cochléaires trouvant leur origine au niveau moléculaire. Les épreuves vestibulaires rendaient parfaitement compte des malformations retrouvées en TDM et IRM. Comme attendu, et déjà décrites par plusieurs auteurs [2,11], les épreuves caloriques retrouvaient une aréflexie bilatérale tandis que l’absence de réponse au vHIT sur les six canaux reflétaient l’agénésie bilatérale des CSC. La présence des PEO à gauche confirmait le caractère fonctionnel du saccule de ce côté, leur absence en controlatéral témoignant de l’absence de nerf vestibulaire inférieur droit (nerf sacculaire et ampullaire postérieur) comme l’IRM l’avait révélé.
Conclusion Les malformations congénitales isolées des CSC sont peu décrites car rares et asymptomatiques. Elles sont donc en pratique peu recherchées et sont de découverte fortuite
Déclaration d’intérêts Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.
Remerciements
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