Atteinte neurologique révélatrice d’une maladie de Behçet : deux observations pédiatriques

Atteinte neurologique révélatrice d’une maladie de Behçet : deux observations pédiatriques

Archives de Pédiatrie 9 (2002) 1160–1162 www.elsevier.com/locate/arcped Fait clinique Atteinte neurologique révélatrice d’une maladie de Behçet : de...

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Archives de Pédiatrie 9 (2002) 1160–1162 www.elsevier.com/locate/arcped

Fait clinique

Atteinte neurologique révélatrice d’une maladie de Behçet : deux observations pédiatriques Neurological signs revealing a Behçet’s disease: two pediatric cases C. Budin a, B. Ranchin a, C. Glastre c, A. Fouilhoux a, I. Canterino b, L. David a,* a Département de pédiatrie, hôpital Édouard-Herriot, 69437 Lyon cedex 03, France Service de radiologie pédiatrique, hôpital Édouard-Herriot, 69437 Lyon cedex 03, France c Service de pédiatrie centre hospitalier d’Annecy, BP 2 333, 74011 Annecy cedex, France

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Reçu le 13 août 2001; accepté le 31 juillet 2002

Résumé La maladie de Behçet peut se révéler par des signes neurologiques. Observations. – Nous rapportons deux cas pédiatriques de maladie de Behçet révélés par une thrombose veineuse cérébrale. Sous traitement par corticoïdes (deux cas) et anticoagulant (un cas), l’état clinique s’est normalisé. Un des enfants a présenté une récidive thrombotique à distance. Conclusion. – Une thrombose veineuse cérébrale peut révéler une maladie de Behçet. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Summary Behçet’s disease can be revealed by neurologic signs. Case reports. – We report two pediatric cases of Behçet’s disease which initially presented with cerebral venous thrombosis. Glucocorticoïds, associated with anticoagulant treatment allowed a rapid recovery. One of the children presented three years later a thrombotic recurrence. Conclusion. – A cerebral venous thrombosis may reveal Behçet’s disease. © 2002 E´ditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. All rights reserved. Mots clés: Behçet (maladie de); Thrombose veineuse cérébrale Keywords: Behçet’s syndrome; Cerebral embolism and thrombosis; Child

La maladie de Behçet est une vascularite systémique, évoluant par poussées. Son diagnostic est clinique : les manifestations les plus fréquentes sont l’aphtose buccale et génitale, et l’uvéite. On peut également observer des atteintes neurologiques, digestives, vasculaires, articulaires ou

cutanées. Nous rapportons deux observations de maladie de Behçet révélée par une thrombose veineuse cérébrale. 1. Observations 1.1. Cas 1

* Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (L. David). © 2002 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. PII: S 0 9 2 9 - 6 9 3 X ( 0 2 ) 0 0 0 9 6 - 9

Cet enfant de neuf ans se plaignait depuis six mois de céphalées partiellement soulagées par l’aspirine. Il a été

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hospitalisé pour syndrome méningé apyrétique, alors qu’il était traité par antibiotiques pour une angine. L’examen clinique retrouvait une raideur de nuque ; le reste de l’examen, en particulier neurologique était sans particularité. La tomodensitométrie cérébrale sans injection était normale. L’analyse du liquide céphalorachidien (LCR) montrait une hypercytose : 87 leucocytes (GB)/µl (50 % de polynucléaires neutrophiles) avec une protéinorachie à 0,20 g/l et une glycorachie à 2,87 mmol/l. Il a été traité par ceftriaxone par voie intraveineuse (IV) pendant cinq jours. Après disparition des céphalées durant quelques jours, il a été réhospitalisé devant leur réapparition ; l’examen clinique était normal mais il existait un syndrome inflammatoire biologique avec vitesse de sédimentation (VS) à 65 mm. Une nouvelle ponction lombaire a été réalisée : l’hypercytose avait disparu. L’examen du fond d’œil (FO) mettait en évidence un œdème papillaire bilatéral ; l’acuité visuelle était conservée. Au cours de l’hospitalisation, l’enfant a présenté pour la première fois des lésions aphtoïdes anales et buccales et on a noté l’apparition retardée de papulopustules aux sites de ponction veineuse (signe d’hypersensibilité aux points de piqûre), ce qui amenait à évoquer le diagnostic de maladie de Behçet. Une imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM) cérébrale, avec injection de gadolinium, mettait en évidence une thrombose du sinus longitudinal supérieur avec reperméabilisation partielle et une thrombose de plusieurs veines corticales. Un traitement et méthotrexate par prednisone (2 mg kg–1 j–1) (10 mg/semaine) a été institué, associé à un traitement par aspirine à doses anti-agrégantes ; un traitement anticoagulant n’a pas été prescrit car les lésions de thrombose veineuse à l’IRM semblaient anciennes (reperméabilisation partielle du sinus). Les céphalées ont régressé rapidement. Le bilan de thrombose (protéines C, S, et antithrombine III, anticoagulant circulant, test de résistance à la protéine C activée, mutation du gène du facteur II) était normal. Le syndrome inflammatoire a disparu après trois semaines de traitement. Le FO s’est normalisé en quatre mois. Deux ans plus tard, l’enfant allait bien, sous faible corticothérapie, méthotrexate, colchicine, et aspirine à doses antiagrégantes. 1.2. Cas 2 Cette enfant de 13 ans, présentait depuis deux semaines des céphalées, des vomissements, une anorexie, un amaigrissement et un état subfébrile. On notait dans ses antécédents un abcès vulvaire et des aphtes buccaux fréquents. À l’examen clinique, elle présentait un ptosis et un strabisme divergent de l’œil gauche. Il existait un syndrome inflammatoire biologique (VS : 50 mm). L’analyse du LCR montrait 3 GB/µl, une protéinorachie à 0,36 g/l et une glycorachie normale. Il existait une

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altération de l’acuité visuelle et un œdème papillaire bilatéral au FO. Une IRM cérébrale avec injection de gadolinium mettait en évidence une thrombose du sinus latéral droit. On a retenu le diagnostic de maladie de Behçet. Les taux plasmatiques des protéines C, S, et antithrombine III étaient normaux. L’enfant a été traitée par prednisone (60 mg/j) et héparine, avec relais par antivitamine K (AVK). Sous traitement, l’état général et l’examen se sont normalisés, les céphalées et le syndrome inflammatoire ont disparu rapidement, le FO s’est normalisé en six mois. Du méthotrexate (15 mg/semaine) a été introduit quatre mois plus tard et les corticoïdes ont été arrêtés au bout de 18 mois. Les AVK ont été interrompues après dix mois. À trois ans et demi d’évolution, sous méthotrexate, alors qu’il n’existait aucun signe d’évolutivité de la maladie, l’enfant a présenté brutalement des céphalées violentes conduisant à la découverte d’une thrombose des deux sinus latéraux et de la partie postérieure du sinus longitudinal supérieur. Le traitement a associé corticothérapie (60 mg/j), anticoagulation par héparine, puis AVK. L’évolution clinique a été rapidement favorable.

2. Commentaires Il n’existe pas de signe biologique spécifique de la maladie de Behçet dont le diagnostic est essentiellement clinique. L’International Study Group for Behçet’s Disease (ISGBD) a proposé en 1990 des critères diagnostiques [1] : des ulcérations buccales récurrentes (au moins trois fois en 12 mois) doivent être présentes, ainsi qu’au moins deux des critères suivants : • ulcérations génitales récurrentes ; • lésions oculaires (uvéite, hyalite ou vascularité rétinienne) ; • lésions cutanées (érythème noueux, pseudofolliculite, lésions papulopustuleuses ou nodules acnéiformes) ; • signe de pathergie (réaction d’hypersensibilité avec apparition d’une lésion papulopustuleuse 12 à 48 heures après une ponction sous-cutanée ou intraveineuse). Cette définition a fait l’objet de critiques, car elle reflète mal les formes de début chez l’enfant [2-4] et ne prend pas en compte certains aspects de la maladie de Behçet, notamment les thromboses veineuses et l’atteinte inflammatoire neuroméningée, retenues comme critères diagnostiques dans certaines définitions (critères d’O’Duffy et Goldstein, et critères de Mason et Barnes) [2]. Nos deux observations illustrent bien ces critiques car théoriquement, le diagnostic de maladie de Behçet ne pouvait pas être retenu sur la base des seuls critères de l’ISGBD. En effet, la première observation ne comportait pas le critère majeur d’aphtose buccale récidivante (première poussée d’aphtose buccale au cours de la seconde hospitalisation), et la

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deuxième observation n’associait qu’un signe mineur (atteinte génitale) au critère majeur. Or dans les deux cas, la découverte de la thrombose veineuse cérébrale dans un contexte inflammatoire a été l’élément déterminant pour le diagnostic de maladie de Behçet. Les manifestations neurologiques chroniques sont relativement fréquentes dans la maladie de Behçet. Chez l’adulte, elles ont été notées dans 10 à 20 % des cas (43 % si on intègre les céphalées isolées) [5]. Dans la série pédiatrique de Koné-Paut et Bernard, leur fréquence était de 27 %, (42 % avec les céphalées isolées) [6]. L’atteinte neurologique peut correspondre à une méningite, à une méningoencéphalite ou à une thrombose veineuse cérébrale [4] et les anciennes publications « d’hypertension intracrânienne bénigne » correspondaient probablement à des thromboses veineuses cérébrales non documentées. Plusieurs cas associant maladie de Behçet et hypertension intracrânienne, comme dans nos deux observations, ont été rapportés chez l’enfant [7-10]. Tous ces patients présentaient des céphalées, en général associées à un œdème papillaire. Rarement, ils souffraient de diminution de l’acuité visuelle. L’analyse du LCR montrait inconstamment une hypercytose. Actuellement, l’IRM cérébrale semble être le meilleur moyen pour faire le diagnostic de thrombose veineuse cérébrale. En cas de thrombophlébite, la corticothérapie a un effet spectaculaire, avec régression rapide des céphalées, et de l’œdème papillaire en quelques mois. Un traitement anticoagulant est indiqué en cas de thrombose récente, sans signes de reperméabilisation. Le pronostic neurologique des thromboses veineuses cérébrales est favorable, mais il existe un risque de récidive, illustré par notre deuxième observation, justifiant un traitement préventif par anti-agrégant plaquettaire [8].

3. Conclusion Les critères diagnostiques proposés par l’ISGBD ne permettent pas toujours de retenir le diagnostic de maladie

de Behçet chez l’enfant. Il est alors important de prendre en compte l’atteinte neurologique (méningoencéphalite ou thrombose veineuse cérébrale) comme critère diagnostique additionnel.

Références [1]

International Study Group for Behçet’s Disease. Criteria for diagnosis of Behçet’s disease. Lancet 1990;335:1078–80.

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Petty RE, Cassidy JT. Behçet’s disease and other vasculitis. In: Cassidy, editor. Textbook of pediatric rheumatology. Philadelphia: Saunders; 2001. p. 629–38.

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Hamza M. Maladie de Behçet. In: Kahn MF, Peltier AP, Meyer O, Piette JC, editors. Maladies et syndromes systémiques. Paris: Flammarion Médecine-Sciences; 2000. p. 883–924.

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Filali-Ansary N, Tazi-Mezalek Z, Mohattane A, Adnaoui M, Aouni M, Maaouni A, et al. La maladie de Behçet. Ann Med Interne 1999;150:178–88.

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Koné-Paut I, Bernard JL. La maladie de Behçet chez l’enfant. Arch Fr Pédiatr 1993;50:145–54.

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Ibrahimi A, Ouammou A, Assamti O, Mouine A, El Ouarzazi A. Hypertension intracrânienne dite « bénigne » et maladie de Behçet. Neurochirurgie 1983;30:263–8.

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Humberclaude V, Vallée L, Sukno S, Vamecq J, Dhellemmes S, Pruvo JP, et al. Thrombose veineuse cérébrale révélant une maladie de Behçet. Arch Fr Pédiatr 1993;50:603–5.

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Pamir MN, Kansu T, Erbengi A, Zileli T. Papilledema in Behçet’syndrome. Arch Neurol 1981;38:643–5.

[10] Koné-Paut I, Yurdakul S, Bahabri A, Shafae N, Ozen S, Ozdogan H, et al. Clinical features of Behçet’s disease in children : An international collaborative study of 86 cases. J Pediatr 1998;132: 721–6.