Biomarqueurs et thérapies ciblées dans le cancer bronchique non à petites cellules : traitement d’aujourd’hui et de demain

Biomarqueurs et thérapies ciblées dans le cancer bronchique non à petites cellules : traitement d’aujourd’hui et de demain

Revue de Pneumologie clinique (2011) 67, S36-S40 Biomarqueurs et thérapies ciblées dans le cancer bronchique non à petites cellules : traitement d’au...

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Revue de Pneumologie clinique (2011) 67, S36-S40

Biomarqueurs et thérapies ciblées dans le cancer bronchique non à petites cellules : traitement d’aujourd’hui et de demain Biomarkers and targeted therapies in non-small cell lung cancer: present and future treatments D. Plancharda,b, E. Giroux Leprieurc,* aDépartement

d’oncologie médicale, institut Gustave Roussy, 114, rue Edouard Vaillant, 94805 Villejuif, France bLaboratoire de recherche translationnelle (Unité INSERM U981), institut Gustave Roussy, 114, rue Edouard Vaillant, 94805 Villejuif, France cService de Pneumologie, Hôpital Ambroise Paré, 9, avenue Charles-de-Gaulle, 92100 Boulogne-Billancourt, France

MOTS CLÉS Mutations EGFR ; ALK-EML4 ; HER2 ; c-Met ; Typage moléculaire ; Cancer bronchique non à petites cellules

*

Résumé Depuis plusieurs années, la prise en charge du cancer bronchique a considérablement évolué. On est en effet passé d’une classification simple basée sur l’histologie à un démembrement moléculaire, permettant d’isoler de nombreux soustypes de tumeurs en fonction de leur profil d’altération moléculaire. Les mutations du récepteur à l’EGF définissent ainsi un groupe de cancers particulièrement sensibles aux inhibiteurs de tyrosine kinase (TKI) de l’EGFR. Le gefitinib a par exemple montré son efficacité en termes de réponse et de survie en première ligne pour le traitement des CBNPC mutés pour l’EGFR. Très récemment a été mis en évidence dans environ 5 % des CBNPC la présence d’une translocation ALK-EML4, accessible à une thérapie ciblée (crizotinib), avec également des taux de réponse de l’ordre de 60 %. Les tumeurs mutées ou amplifiées pour HER2 seraient accessibles à un traitement par trastuzumab, tandis que des traitements ciblant Met sont actuellement en cours de développement. Enfin, plusieurs drogues actives en cas d’altération de la réparation d’ADN, comme les inhibiteurs de PARP, ont déjà montré leur efficacité dans certains types de cancer bronchique. Dans un avenir très proche, le screening moléculaire de ces altérations moléculaires devra être systématique dès le diagnostic, afin de permettre l’accès du patient à un traitement « à la carte » selon son profil de mutations. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (E. Giroux Leprieur).

© 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Biomarqueurs et thérapies ciblés dans le CBNPC : traitement aujourd’hui et demain

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Summary Since several years, the perception of lung cancer has considerably evolved. Indeed, we have proceeded from a simple classification based on histology to a molecular dismemberment, with a lot of subtypes of tumors according to there molecular alteration profile. Mutations of the EGFR receptor define so a group of cancers particularly sensitive to EGFR tyrosine kinase inhibitors (TKI). Gefitinib has shown its efficacy in term of response and survival in first line treatment of NSCLC arboring EGFR mutations. Recently, the ALK-AML4 translocation has been found in approximately 5 % of NSCLC, accessible to a specified targeted therapy (crizotinib) with response rate around 60 %. NSCLC with HER2 mutation or amplification could be treated with trastuzumab, whereas treatments targeting Met pathway are currently in development. At last, several drugs active in case of DNA repair dysfunction, like PARP inhibitors, have already shown there efficacy in particular types of NSCLC. In a very near future, molecular screening of these molecular alterations should be systematic from the diagnostic, to allow a personalized treatment according to the mutation profile. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

KEYWORDS EGFR mutations; ALK-EML4; HER2; c-Met; Molecular profiling; Non-small cell lung cancer

Perspective historique : le cancer maladie d’organe histo-définie versus le cancer processus biologique La perception et la définition du cancer bronchique n’a cessé d’évoluer. La perception « ancienne » caractérisait ainsi le cancer comme le développement d’une tumeur au sein d’un organe normal. Par la suite ont été séparés les cancers bronchiques à petites cellules des non à petites cellules, avec au sein de ces derniers les carcinomes épidermoïdes, les adénocarcinomes et les carcinomes à grandes cellules. Enfin, ces dernières années ont été individualisés de nombreux sous-types tumoraux, notamment au sein des adénocarcinomes (bronchiolo-alvéolaire, acinaire, papillaire…). Ces

différents sous-types correspondent à plusieurs signatures moléculaires, témoins de voies de signalisation préférentielles intra-cellulaires (EGFR, FGFR, KRAS, BRAF, PI3 kinase/ AKT…) [1]. La vision actuelle du cancer est donc celle d’une maladie liée au génome [1-3]. Dans le cancer bronchique, de multiples mutations ont ainsi été identifiées (Fig. 1). La fréquence et le type de ces mutations diffèrent selon le type histologique (Tableau 1).

Une nouvelle classification du CBNPC Cette nouvelle perception du cancer bronchique permet de reclasser les CBNPC en fonction de la présence ou non d’une addiction oncogénique identifiée (Fig. 2). Ceci

70

60 Significatif sur la base des trois méthodes

Nombre de mutations

50

Significatif sur la base de deux méthodes Significatif sur la base d’une méthode

40

30

20

10

Figure 1.

Principales mutations décrites dans le cancer bronchique. D’après [1].

SLC38A3

NRAS

ZMYND10

PAK3

INHBA

LTK

GNAS

PDGFRA

EPHA5

NTRK3

RB1

NTRK1

FGFR4

KDR

ERBB4

PTPRD

CDKN2A

EPHA3

APC

ATM

NF1

LRP1B

EGFR

STK11

KRAS

TP53

0

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D. Planchard, E. Giroux Leprieur

a pour principales implications de proposer une thérapie adaptée, ciblée sur une anomalie moléculaire, en fonction du profil mutationnel de la tumeur (nombreuses validations en cours). En considérant les altérations moléculaires les plus fréquentes connues dans le CBNPC (mutations d’EGFR, translocation EML4-ALK, amplification de MET et de HER) auxquelles correspond une thérapie ciblée, il est possible de cibler environ 20 % des CBNPC actuellement.

Tableau 1 Fréquence des principales mutations en fonction du type histologique de CBNPC. Carcinome Adénoépidermoïde carcinome Mutation KRAS 5% 10-30 % Mutation BRAF 3% 2% EGFR Mutation TK 2-5 % 10-40 % Amplification 30 % 15 % Mutation variant III 5% Rare HER 2 Mutation TK Rare 2-4 % Amplification 2% 6% ALK (fusion) Rare 7% MET Mutation 5% 5% Amplification < 10 % < 10 % P53 mutation 60-70 % 50-70 % LKB1 mutation 10-20 % 30-40 % PIK3CA Mutation 2% 2% Amplification 33 % 6%

CBNPC 80% Pas d’événement oncogénique

20%

Grandes cellules

Adénocarcinomes

Le CBNPC oncogène – dépendant et ses implications thérapeutiques Mutations d’EGFR La présence d’une mutation de l’EGFR est corrélée à une réponse majeure aux inhibiteurs de tyrosine kinase (TKI) de l’EGFR, entre 50 % et 90 % selon les études [4]. L’essai IPASS, étude de phase III randomisée comparant le gefitinib à un doublet par carboplatine-paclitaxel en première ligne sur une population de CBNPC de stade IV enrichie sur des critères cliniques pour les mutations d’EGFR, a permis de démontrer une supériorité en termes de survie globale sur l’ensemble de la population et sur la survie sans progression (SSP) pour les patients ayant une mutation de l’EGFR, tandis que les patients EGFR sauvage bénéficient plus de la chimiothérapie [5]. Ces résultats ont été confirmé dans l’essai OPTIMAL qui comparait l’erlotinib à une chimiothérapie par carboplatine-gemcitabine dans une population asiatique de sujets avec une mutation de l’EGFR, avec un HR extrêmement bas pour la SSP de 0,16 (0,1-0,25, p < 0,0001) [6].

Translocation ALK-EML4 La translocation ALK-EML4 a été identifiée pour la première fois dans le CBNPC en 2007 par Soda et al., avec une fréquence d’environ 4 % [7]. Elle est présente de manière préférentielle dans les adénocarcinomes, et chez les sujets anciens ou non fumeurs. Par ailleurs, la présence de cette translocation ALK-EML4 est généralement exclusive avec les mutations EGFR et KRAS. Après avoir étudié plus de 1 500 patients porteurs d’un CBNPC, Kwak et al ont inclus 82 patients transloqués ALK dans une étude d’extension de phase I, testant le crizotinib en monothérapie chez des sujets déjà poly-traités (41 % avec ≥ 3 lignes de traitements) [8]. Les résultats sont impressionnants avec un taux de réponse partielle de 57 % (47/82 patients avec une réponse partielle et une réponse complète), un taux de survie sans progression à 6 mois de 72 % et une durée moyenne du traitement de 6,4 mois (données encore non matures) (Fig. 3). Le crizotinib a peu d’effets secondaires (principalement des toxicités digestives et troubles visuels).

Épidermoïde

Altération d’HER2

Addiction oncogénique Cisplatine + pemetrexed HER2 Ct-trastuzumab ALK translocation

Doublet + bevacizumab

Doublet à base de platine

EGFR mutation Gefitinib,

La présence d’une mutation d’HER2, présente chez environ 2 % des CBNPC, est accessible à un traitement par trastuzumab, avec une efficacité démontrée en association avec le paclitaxel [9]. Par ailleurs, les tumeurs qui sont amplifiées pour l’HER2 (2 %) pourraient être traitées par un pan-HER inhibiteur (comme le PF299804 par exemple) [10].

Amplification de MET Figure 2.

Classification des CBNPC en fonction du profil moléculaire et choix thérapeutiques possibles (certains n’étant pas validés et en cours d’études).

MET est amplifié, muté ou surexprimé dans un grand nombre de tumeurs solides. Son expression est associée à un mauvais pronostic dans le CBNPC, et son activation

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Modification maximale de la taille tumorale (%)

60

40

20

0

-20 PR -40 PD -60

SD PR

-80

CR

-100 Figure 3.

Pourcentage de modification tumorale sous crizotinib chez des patients porteurs d’un CBNPC avec la translocation ALK. D’après [8].

est impliquée dans la résistance aux TKI de l’EGFR chez des patients ayant une mutation activatrice de l’EGFR. L’anticorps MetMAb est un anticorps monoclonal monovalent qui se fixe au récepteur, et empêche ainsi la fixation du ligand l’HGF, ce qui bloque ainsi la transmission de signaux intra-cellulaire de croissance, migration et de survie cellulaire. Les résultats préliminaires avec cet anticorps montrent un allongement non statistiquement significatif de la SSP (HR = 0,56, 0,31-1,02, p = 0,054) et de la survie globale (HR = 0,55, 0,26-1,16, p = 0,113) en association avec l’erlotinib par rapport à l’erlotinib seul dans le sous groupe des patients qui présentent une hyper-expression du récepteur c-Met en immunohistochimie [11]. Un autre traitement ciblant le récepteur Met est une petite molécule qui se fixe sur la partie intra-cellulaire du récepteur, l’ARQ 197-209, qui a été testé en association avec l’erlotinib, là encore avec un bénéfice sur la SSP par rapport à l’erlotinib seul (HR ajusté = 0,68, 0,47-0,98, p < 0,05) et un bénéfice sur la survie globale dans le groupe non-épidermoides (HR ajusté = 0,58, 0,34-0,99, p < 0,05) [12]. Par ailleurs le bénéfice apparaissait plus important chez les patients non mutés EGFR et chez les patients mutés Kras. Des études de phase III sont en cours chez les patients sur-expriment c-Met en immunohistochime avec l’anticorps MetMab et chez les patients non-épidermoides avec l’ARQ 197-209.

Perspectives et utilité des biomarqueurs L’« addiction oncogénique » peut donc expliquer un certain nombre de réponses à des thérapies ciblées (EGFR et gefitinib/erlotinib, ALK et crizotinib). Il semble donc important d’avoir une approche moléculaire du CBNPC, par l’étude du transcriptome, de CGH et de séquençage. Dans un futur proche, à partir de biopsies ou même de prélèvements de sang périphérique, outre le diagnostic positif de cancer, l’établissement d’un portrait moléculaire

du cancer bronchique devra pouvoir être fait en routine, afin de pouvoir prescrire la thérapie ciblée adéquate. La démarche pourrait être la suivante : une fois le diagnostic de cancer posé, une recherche de mutations/amplifications accessibles à un traitement spécifique sera réalisée (EGFR, ALK, Met, FGFR1). En l’absence de ces mutations, un traitement par chimiothérapie guidée par l’histologie sera entrepris. Dans ce groupe de tumeurs, une analyse génomique de dysfonction de l’ADN pourra être faite, avec dans ce cas un accès possible à des thérapies anti-PARP par exemple. Plusieurs produits inhibant l’activité des PARP ont été développés par différents laboratoires, sous forme orale ou intra-veineuse. Les patients porteurs d’un cancer ayant une mutation des gènes BRCA1 ou BRCA2, présentent une anomalie constitutionnelle de la réparation de l’ADN (anomalie de réparation de la voie « homologous recombination »). En cas d’utilisation d’un inhibiteur de PARP (inhibition de la voie de réparation « base excision repair ») dans ces tumeurs déficientes en activité BRCA, l’accumulation des cassures simple brin aboutit à des cassures double brin qui vont bloquer la fourche de réplication et entraîner la mort des cellules cancéreuses par synergie létale « synthetic lethality ») [13,14]. Ces résultats sont confirmés dans une phase II chez des patientes porteuses d’un cancer du sein triple-négatifs (absence d’expression des récepteurs hormonaux et du récepteur HER2) [15]. Plusieurs inhibiteurs de PARP sont actuellement en développement dans des essais de phase I à III, notamment dans le CBNPC. La construction d’essais testant des thérapies ciblées basées sur le profil moléculaires des tumeurs repose sur quatre scénarii possibles. Le premier scénario est de détecter une seule altération moléculaire dans l’essai thérapeutique. Les patients sont donc screenés, et seuls ceux qui présentent l’altération moléculaire (le plus souvent une minorité, environ 10 %) sont inclus dans l’essai. Un exemple de cette stratégie est l’essai de Sequist et al. qui a étudié le neratinib, un TKI pan-ErbB dans une phase II [16]. Tous les patients devaient

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D. Planchard, E. Giroux Leprieur

avoir une recherche de mutation de l’EGFR. Dans cet essai, le temps médian entre la signature du consentement du patient et le début du traitement (après screening) était de 33 jours. Dix pour cent des 172 patients screenés n’avaient pas assez de matériel pour le test moléculaire. Le deuxième scénario est de détecter un nombre limité de cibles moléculaires en amont de l’inclusion dans les essais. Les patients sont screenés en amont de la progression tumorale, et sont donc inclus dans des essais différents en fonction de leurs cibles moléculaires identifiés au moment de la progression. Le troisième scénario est une stratégie de screening moléculaire très large, utilisant des technologies comme la CGH array, le sequenome… Cette stratégie permet d’inclure une grande proportion de patients dans des essais dédiés, même en cas d’altérations moléculaires rares. Enfin, le quatrième scénario possible est de sélectionner les patients sur des critères cliniques prédictifs d’altération génomique. Le meilleur exemple est l’essai IPASS [5], qui se basait sur une population asiatique enrichie en facteurs cliniques associées à la présence de mutations d’EGFR (peu/pas fumeurs, adénocarcinomes, sujets asiatiques). Des études de sous-groupe selon le statut mutationnel sont faites secondairement, afin de démontrer l’efficacité de la drogue en cas de présence de l’altération génomique, et de son absence d’efficacité en l’absence de cette altération.

Conflit d’intérêt D. Planchard : essais cliniques : en qualité de co-investigateur, expérimentateur non principal, collaborateur à l’étude pour Roche, Pfizer, Nerviano, Boehringer, Merck, Amgen, Sanofi-Aventis, Novartis, Celgene, Lilly, GSK E. Giroux Leprieur : aucun

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