Archives de pédiatrie 13 (2006) 1132–1134 http://france.elsevier.com/direct/ARCPED/
Fait clinique
Choc toxique staphylococcique maternofœtal sur chorioamniotite Maternal-fetal staphylococcal toxic shock syndrome with chorioamniotitis A. Lacoste, A. Torregrosa, S. Dubois, H. Apéré, V. Oyharçabal, M. Carré, C. Cayla-Embarek, X. Hernandoréna, P. Jouvencel * Service de pédiatrie et néonatologie, centre hospitalier de la Côte-Basque, 13, avenue Interne-J.-Loëb, 64100 Bayonne, France Reçu le 19 septembre 2005 ; accepté le 19 avril 2006 Disponible sur internet le 23 juin 2006
Résumé Le choc toxique staphylococcique néonatal est rare. Nous rapportons un cas de choc maternofœtal à Staphylococcus aureus producteur de toxines. Un nouveau-né à terme extrait par césarienne pour syndrome septique maternel en per-partum, a présenté l’association d’une insuffisance respiratoire, d’une hypertension artérielle pulmonaire, et d’une éruption maculopapuleuse diffuse qui a évolué vers une desquamation. Un syndrome inflammatoire et des signes biologiques d’atteinte polyviscérale étaient notés. L’étude des prélèvements périphériques et du placenta a identifié un S. aureus méthicilline sensible. La prise en charge a nécessité le recours à une ventilation à haute fréquence avec adjonction de monoxyde d’azote, des transfusions plaquettaires, un soutien hémodynamique et une antibiothérapie adaptée. L’évolution a été favorable. De manière concomitante, la mère a présenté un syndrome septique sévère avec rash cutané suivi de desquamation et un syndrome inflammatoire. L’étude du placenta a révélé un aspect de chorioamniotite à S. aureus producteur d’entérotoxines C et L, sans toxic shock syndrome toxin-1. Au cours d’une infection maternofœtale à S. aureus, la présence d’un choc avec atteinte cutanée et polyviscérale, doit faire rechercher un mécanisme toxinique. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract We report a rare case of mother-infant pair with Staphylococcal Toxic Shock Syndrome (TSS). A term neonate was born by caesarean section for maternal septic syndrome during per-partum. He presented with respiratory distress complicated by pulmonary hypertension, skin rash, and multiple organ system involvement. Staphylococcus aureus was isolated from placenta, surface swabs and gastric aspirate. He received adapted antibiotics, respiratory support by high frequency ventilation and NO. The mother had shock, skin rash and inflammatory syndrome. Outcome was good in both cases. The isolate produced enterotoxin C and L. Shock, exanthematous disease and multi-organ involvement complicating a staphylococcal infection in neonate must lead to suspect a TSS. © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Nouveau-né ; Choc toxique staphylococcique ; Hypertension artérielle pulmonaire Keywords: Toxic shock syndrome; Enterotoxin, staphylococcal; Persistent pulmonary hypertension of newborn; Infant, newborn
Les infections maternofœtales sévères à Staphylococcus aureus sont rares, malgré le portage possible de ce germe chez les femmes enceintes et les nouveau-nés [1,2]. Elles peuvent être responsables de complications variées, mais la possibilité d’une atteinte toxinique est rarement évoquée en période * Auteur
correspondant. Adresse e-mail :
[email protected] (P. Jouvencel).
0929-693X/$ - see front matter © 2006 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.arcped.2006.04.022
néonatale. Le choc toxique staphylococcique (CTS) a été décrit pour la première fois en 1978 chez l’enfant, compliquant des infections cutanées, viscérales ou osseuses [3,4]. Le diagnostic de choc toxique relève de critères cliniques et biologiques établis par le CDC (Centers for Disease Control) pour l’adulte et l’enfant, qui ne tiennent pas compte des spécificités néonatales. Nous rapportons 1 cas de choc toxique staphylococcique postnatal chez une mère et son enfant.
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1. Observation Il s’agit d’une première enfant, de sexe féminin. La grossesse a été marquée par une péricardite idiopathique d’évolution spontanément favorable et plusieurs cystites traitées par amoxicilline. Le prélèvement vaginal (PV) à 36 SA était négatif pour le streptocoque B. Le travail a débuté spontanément à 40 SA, sans rupture prolongée des membranes. En cours de travail, la mère a présenté une fièvre à 39 °C avec tachycardie et hypotension. Une antibiothérapie par amoxicilline a été débutée pour suspicion de chorioamniotite et une césarienne réalisée en urgence devant une tachycardie fœtale. À la naissance, le nouveau-né avait un poids de 3390 g, une température de 40,4 °C, un score d’Apgar à 3 à 1 minute. Une intubation trachéale et une ventilation artificielle ont été pratiquées en salle de naissance. Transférée dans le service, l’enfant présentait à son arrivée une insuffisance respiratoire modérée (FiO2 à 40 %), une tachycardie à 200/minute avec une PA de 63/42 mmHg, et un temps de recoloration cutanée normal. On ne retrouvait pas d’hépatosplénomégalie. Elle était hypotonique avec une fontanelle normotendue. La radiographie pulmonaire montrait des opacités alvéolaires bilatérales compatibles avec une infection. Le bilan biologique retrouvait : 9500 GB/mm3 avec 52 % de polynucléaires neutrophiles (PNN), une concentration d’Hb à 15,7 g/100 ml, 163 000 plaquettes/mm3, une CRP à 22 mg/l, et des cocci Gram positifs (CG+) à l’examen bactériologique direct du liquide gastrique. La prise en charge a associé un soutien ventilatoire et une antibiothérapie par amoxicilline, céfotaxime et gentamicine dans l’hypothèse d’une infection à streptocoque B. L’évolution initiale a été satisfaisante avec apyrexie et amélioration de l’insuffisance respiratoire. Devant l’identification de S. aureus au niveau du liquide gastrique, des prélèvements périphériques et du placenta, l’antibiothérapie a été modifiée à la 24e heure (j1) par vancomycine, oxacilline et amikacine. La vancomycine a été arrêtée au cours de la première heure devant l’apparition d’un érythème faisant suspecter une intolérance cutanée. L’état cardiorespiratoire s’est dégradé à j2 avec installation d’une hypoxémie réfractaire et de troubles hémodynamiques. La radiographie pulmonaire montrait des opacités alvéolaires bilatérales minimes ; l’échocardiographie a objectivé une hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) majeure. On notait une éruption maculopapuleuse diffuse à j2, sans atteinte muqueuse, un syndrome œdémateux avec oligoanurie et insuffisance rénale, une cytolyse hépatique sans cholestase (TGP = 394 UI/l, TGO = 210 UI/l), une thrombopénie sans CIVD associée (25 000 plaquettes/mm3), une hyperleucocytose (18 400/mm3), et une majoration du syndrome inflammatoire (CRP à 101 mg/l). À j7 l’éruption a évolué vers une desquamation discrète. L’étude du liquide céphalorachidien était normale et les hémocultures négatives. La prise en charge a associé ventilation assistée conventionnelle, puis à haute fréquence et monoxyde d’azote inhalé pendant 4 jours, expansions volémiques, dopamine et transfusion de culots plaquettaires, antibiothérapie adaptée par oxacilline (8 jours) et amikacine (4 jours) le S. aureus étant méthicilline sensible (Méti-S). Du fait de la gravité du tableau et de la possibilité d’une atteinte
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toxinique, des immunoglobulines polyvalentes (1 g/kg à j4) ont été associées. L’apparition secondaire d’une hyperthermie avec majoration du syndrome inflammatoire et polynucléose neutrophile a motivé un élargissement de l’antibiothérapie initiale par céfotaxime et vancomycine durant 5 jours. Le bilan bactériologique et mycologique étant négatif, ainsi que la recherche d’un foyer infectieux profond, les antibiotiques ont été arrêtés. Le syndrome inflammatoire s’est résolu spontanément. L’évolution à distance a été excellente, sans séquelles respiratoires ou neurologiques. De manière concomitante, la mère du nouveau-né a présenté un syndrome septique avec des troubles hémodynamiques transitoires, des œdèmes, un syndrome occlusif fonctionnel et enfin un rash cutané maculopapuleux suivi 1 semaine après d’une desquamation diffuse. Sur le plan biologique, on a retrouvé un syndrome inflammatoire isolé (CRP à 314 mg/l). Les hémocultures étaient négatives. L’étude placentaire a révélé un aspect de chorioamniotite à S. aureus. L’évolution maternelle a été favorable sous oxacilline. La souche de S. aureus était productrice d’entérotoxines staphylococciques C et L (Centre national de référence Professeur-Vandenesch, Lyon). La TSST-1 (toxic shock syndrome toxin-1) n’a pas été mise en évidence. L’association hyperthermie, éruption suivie de desquamation, hypotension et atteinte polyviscérale avec isolement de S. aureus producteur de toxines a fait retenir le diagnostic de CTS maternofœtal sur chorioamniotite à S. aureus méthicilline sensible. 2. Discussion Les infections néonatales à S. aureus relèvent de 2 mécanismes de transmission : maternofœtal ou nosocomial [5]. La transmission maternofœtale a lieu essentiellement en per-partum par ingestion ou inhalation par le fœtus de liquide amniotique infecté dans le cadre de chorioamniotite à S. aureus, ou au cours du passage dans la filière génitale colonisée par du S. aureus. Des manœuvres invasives pendant la grossesse peuvent favoriser la colonisation génitale à S. aureus [5]. Le prélèvement vaginal de fin de grossesse, réalisé uniquement pour rechercher le streptocoque B, n’a pas pu mettre en évidence le S. aureus. La colonisation par le S. aureus a aussi pu survenir après le prélèvement. Le diagnostic d’infection néonatale à S. aureus peut être évoqué sur la présence de cocci Gram+ en amas à l’étude du liquide gastrique, mais la disposition en amas n’est pas toujours observée à l’examen direct. La mise en évidence de S. aureus est confirmée par la culture. L’infection à S. aureus représente moins de 10 % des infections maternofœtales [5]. L’atteinte pyogène à S. aureus est la plus fréquente, avec des tableaux de septicémie, abcès, pleuropneumopathies. L’atteinte toxinique est plus rare, liée à la libération d’une exotoxine protéique à partir d’un foyer. La TSST-1 est impliquée dans le CTS et dans le « neonatal toxic shock syndrome like-exanthematous disease » (NTED) (exanthème diffus sans signe de choc, associé à l des 3 signes suivants : thrombopénie, augmentation de la CRP et température > 38 °C, en l’absence de processus pathologique connu) [6,7]. Certaines entérotoxines, comme dans notre cas, sont aussi res-
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Tableau 1 Critères diagnostiques du choc toxique staphylococcique (CTS)
3. Conclusion
4 critères majeurs présents
Chez un nouveau-né présentant des symptômes d’infection maternofœtale, l’identification de cocci Gram+ en amas à l’examen bactériologique direct des prélèvements peut faire évoquer la possibilité d’une transmission maternofœtale de S. aureus. L’existence de signes de choc, d’atteinte cutanée et polyviscérale chez le nouveau-né et/ou la mère fait discuter un mécanisme toxinique. Il est souhaitable de rechercher la production de TSST-1 ou d’entérotoxines. L’intérêt en est double : mieux connaître l’expression néonatale de cette pathologie et surveiller l’apparition de souches résistant à la méthicilline. L’utilisation de vancomycine, en association à une pénicilline M dans le CTS, est justifiée en première intention. L’antibiothérapie peut ensuite être adaptée aux données de l’antibiogramme.
Hyperthermie > 38,9 °C Hypotension Érythrodermie maculeuse diffuse ou localisée aux extrémités Desquamation secondaire + association à au moins 3 atteintes Digestive viscérales cliniques et/ou biologiques Muqueuse Musculaire Hépatique Hématologique Système nerveux Rénale En présence de 5 critères CTS certain En présence de 4 critères CTS probable ± isolement sur site périphérique de S. aureus producteur de TSST ou d'entérotoxines (avec hémocultures et culture de LCR négatives)
ponsables de CTS [8]. Les cas de CTS néonataux sont rares, et les critères diagnostiques (Tableau 1) ne sont pas validés en néonatologie [9–11]. Dans notre cas, l’hyperthermie initiale pouvait être liée à l’hyperthermie maternelle. L’éruption a probablement été confondue initialement avec une réaction cutanée à la vancomycine, et la desquamation, discrète chez notre enfant, pouvait faire discuter une desquamation physiologique. Il s’agit de la première description d’HTAP dans le cadre du CTS. Cette HTAP a probablement compliqué une pathologie alvéolaire à type de consommation de surfactant. Le cas que nous rapportons recouvrait tous les critères du CDC, mais il existe très certainement des formes frustes de CTS néonatal. Le diagnostic peut aussi être orienté par l’atteinte maternelle, mais celle-ci est inconstante [11]. La prise en charge du CTS repose sur une biantibiothérapie active sur le S. aureus. Les antibiothérapies répétées de la mère et la gravité de la symptomatologie ont motivé l’utilisation de vancomycine en association à une pénicilline M. De plus, dans le CTS et dans le NTED, des souches de S. aureus résistant à la méthicilline ont été rapportées dans la littérature [7]. La clindamycine aurait aussi pu être utilisée en association car elle diminuerait la production de toxines par le S. aureus [12]. Les immunoglobulines polyvalentes sont discutées dans les sepsis sévères du nouveauné [13]. Dans le CTS elles auraient une action antitoxinique limitant l’activation lymphocytaire. Clindamycine et immunoglobulines n’ont pas fait l’objet d’études contrôlées dans le CTS [12]. Le traitement symptomatique associe un soutien hémodynamique et respiratoire. La détresse respiratoire et l’HTAP, présentées par l’enfant, ont été améliorées par la ventilation à haute fréquence et le NO.
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