Comorbidité entre les troubles du comportement alimentaire et les troubles anxieux Première partie : revue méthodologique

Comorbidité entre les troubles du comportement alimentaire et les troubles anxieux Première partie : revue méthodologique

MÉTHODOLOGIE Comorbidité entre les troubles du comportement alimentaire et les troubles anxieux. Première partie : revue méthodologique N.-T. GODART ...

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MÉTHODOLOGIE

Comorbidité entre les troubles du comportement alimentaire et les troubles anxieux. Première partie : revue méthodologique N.-T. GODART (1), F. PERDEREAU (1), PH. JEAMMET (1), M.-F. FLAMENT (2)

Résumé. Nous avons souhaité réaliser une revue critique de la littérature à propos des études évaluant la prévalence des troubles anxieux chez les sujets souffrant de troubles du comportement alimentaire (TCA) : anorexie (AN) et boulimie (BN). Dans la première partie (cet article), nous avons discuté les problèmes méthodologiques posés par les études de comorbidité entre TCA et troubles anxieux, et dans la seconde (deuxième article), nous exposerons les résultats. Nous avons réalisé une revue de la littérature par Medline, concernant toutes les études publiées sur la comorbidité entre TCA et troubles anxieux pendant la période 1985-2002, afin de ne considérer que des études ayant utilisé des critères diagnostiques homogènes pour les deux types de troubles (le plus souvent les critères RDC, DSM III, DSM III-R, ou DSM IV). Nous avons réalisé, dans cette première partie, une revue de la méthodologie des études concernant principalement la composition des échantillons, les lieux de recrutement, les critères diagnostiques utilisés, les instruments diagnostiques, l’âge des sujets et la durée d’évolution des troubles. À la lumière des disparités méthodologiques mises en évidence, nous discutons la valeur des résultats des études de comorbidité et les conséquences pour les études futures. Mots clés : Anorexie mentale ; Boulimie nerveuse ; Comorbidité ; Revue de la littérature ; Troubles anxieux.

Comorbidity between eating disorders and anxiety disorders. First part : methodological review Summary. The objective of our work is to conduct a critical literature review on studies assessing the prevalence of anxiety disorders (AD) in subjects with eating disorders (ED) (anorexia nervosa and bulimia nervosa). In the first part (this paper), we will discuss methodological issues relevant to comorbidity studies between ED and AD. Method – We performed a manual and computerised search (Medline) for all published studies on comorbidity between ED and AD, limit-

ing our search to the 1985-2002 period, in order to get sufficiently homogeneous diagnostic criteria for both categories of disorders (most often RDC, DSM III, DSM III-R, or DSM IV criteria). Results – We review methodological issues regarding population sources, general methodological procedures, diagnostic criteria for ED and AD, diagnostic instruments, age of subjects and course of the eating disorder. Discussion – We give implications for reviewing the results of published studies and planing future research. Key words : Anorexia nervosa ; Anxiety disorders ; Bulimia nervosa ; Comorbidity ; Review.

INTRODUCTION Les patients anorexiques (AN) et boulimiques (BN) présentent souvent des symptômes anxieux. Les cliniciens soignant ces patients connaissent bien ce phénomène largement décrit (1, 16, 17, 36, 49, 55). Cependant, la présence de symptômes anxieux chez des sujets présentant des troubles du comportement alimentaire (TCA) ne suffit pas à porter un diagnostic de trouble anxieux. En effet, si l’on suit la définition de critères de recherche tels ceux du DSM IV, un trouble est défini par un ensemble de symptômes précis, combinés entre eux de façon variable, associés bien souvent à une durée minimale d’évolution et parfois à des critères d’exclusion. La comorbidité est définie comme la présence de plus d’un trouble précis, pendant une période de temps donnée. Par exemple, on peut parler de comorbidité vie entière, décrivant le fait qu’un patient peut, pendant sa vie, présenter plusieurs troubles simultanément ou non. On peut aussi parler de comorbidité actuelle concernant une période qui est définie soit comme le jour de l’évaluation, soit sur le mois précédent, soit sur les six derniers mois (63).

(1) Département de Psychiatrie, Institut Mutualiste Montsouris, 42, boulevard Jourdan, 75014 Paris, France. (2) INSERM/CNRS UMR 7593, Hôpital La Salpêtrière, 43, boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France. Travail reçu le 20 novembre 2003 et accepté le 9 janvier 2004. Tirés à part : N. Godart (à l’adresse ci-dessus). 44

L’Encéphale, 2005 ; 31 : 44-55, cahier 1

L’Encéphale, 2005 ; 31 : 44-55, cahier 1

Comorbidité entre les troubles du comportement alimentaire et les troubles anxieux

Nous avons réalisé une revue de la littérature sur la comorbidité entre les TCA et les troubles anxieux. En effet, les taux de comorbidité des troubles anxieux chez les sujets souffrant de TCA sont extrêmement variables d’une étude à l’autre. Par exemple, la prévalence sur la vie de « au moins un trouble anxieux », chez les BN, varie de 25 % (38) à 75 % (53) et chez les AN de 23 % (42) à 54 % (46). Parmi ces études, très peu ont inclus des groupes témoins et, dans la mesure où les troubles anxieux sont l’un des troubles psychiatriques les plus fréquents dans la population générale féminine – leur prévalence varie entre 12,7 % et 18,1 % (62) –, il est difficile de savoir si les troubles anxieux sont plus fréquents parmi les femmes souffrant de TCA (AN ou BN) que parmi les femmes en population générale. Il n’y a pas à notre connaissance, dans la littérature, de revue concernant précisément ce sujet. En effet, les seuls articles concernant les liens entre troubles anxieux et TCA ont abordé cette question sous plusieurs angles complémentaires (présence de symptômes anxieux, comorbidité et traitement des troubles anxieux dans les TCA, anomalies biologiques), mais aucun n’a fait une revue détaillée des études de comorbidité entre troubles anxieux et TCA (11, 29, 64). L’objectif de notre travail a donc été de réaliser une revue critique de la littérature concernant les études de prévalence des troubles anxieux chez les sujets TCA (AN ou BN). Dans la première partie de ce travail (cet article), nous discuterons les problèmes méthodologiques posés par les études de comorbidité trouvées dans la littérature, dans la deuxième partie (article 2), en tenant compte de ces problèmes, nous résumerons les données chiffrées de prévalence des troubles anxieux chez les sujets TCA.

MÉTHODE Nous avons réalisé une recherche bibliographique par Medline concernant toutes les études publiées à propos de la comorbidité entre troubles anxieux et TCA. Nous nous sommes limités à la période 1985-2002, afin de considérer des études utilisant des critères diagnostiques homogènes pour les troubles anxieux et les TCA [le plus souvent Research Diagnostic Criteria [RDC] (54), DSM III (2), DSM III-R (3), ou DSM IV (4)]. Nous avons ainsi répertorié 36 études publiées depuis 1985. La comorbidité entre les troubles anxieux et les TCA a été étudiée dans des populations variées (population clinique en soins actuellement ou lors d’études de suivi, patients recrutés par la voie des médias, population générale). La majorité de ces études n’a pas eu comme objectif principal d’étudier la comorbidité des troubles anxieux et des TCA, le plus souvent elles ont été réalisées pour étudier la comorbidité des TCA avec les troubles dépressifs, la comorbidité avec les troubles anxieux et des TCA n’étant qu’en objectif secondaire (32, 33, 57).

RÉSULTATS Populations de recrutement Les échantillons considérés dans les études de comorbidité des troubles anxieux et des TCA sont d’origines variées : population clinique avec un diagnostic actuel de TCA, patients suivis après plusieurs années d’évolution, population générale. La plupart des études (24 études, tableau I) ont été réalisées parmi des patients de centres spécialisés pour le traitement des TCA, avec un diagnostic actuel de TCA, qui étaient soit suivis en ambulatoire ou hospitalisés, soit inscrits sur une liste d’attente pour être traités, soit volontaires pour participer à une recherche. D’autres études ont été réalisées au cours d’études de suivi de patients ayant souffert de TCA (9 études, tableau II). Enfin, de rares études (4 études, tableau III) ont été réalisées en population générale, dont 2 dans des populations de jumeaux. Nous pensons que les résultats obtenus par ces études doivent être considérés séparément. En effet, comme l’ont fait remarquer certains auteurs, les patients recrutés dans des échantillons cliniques ne sont pas représentatifs de tous les patients souffrant de TCA (14). Un effet filtre survient lors de l’accès aux soins (24). De plus, les patients présentant des diagnostics multiples sont plus enclins à se présenter pour demander un traitement que ceux présentant un seul diagnostic, ce qui a été communément appelé le « biais de Berkson » (6). Quand on se focalise sur les études de patients actuellement traités pour leurs TCA, on constate aussi que ces études incluent soit des patients hospitalisés, soit des patients vus en ambulatoire, soit les deux. Il apparaît difficile de considérer ces sujets conjointement, dans la mesure où la sévérité de leurs troubles semble différente. En effet, les taux de comorbidité variant en fonction du lieu de recrutement, hospitalier ou ambulatoire, il semblerait que les taux de comorbidité soient plus élevés chez les patients hospitalisés (50) que chez les patients vus en ambulatoire (34). Enfin, pour un même lieu de recrutement les critères d’indication d’hospitalisation peuvent varier et rendre difficile la comparaison [par exemple : (8) les auteurs ont considéré des patients qui avaient été hospitalisés après échec d’un traitement ambulatoire]. Les études de suivi de sujets souffrant de TCA ont évalué des sujets ayant eu, au cours de leur vie, un diagnostic de TCA qui, au moment de l’évaluation, était soit passé soit actuel ; de ce fait, ces sujets sont différents de ceux présentant tous actuellement un trouble du comportement alimentaire, sur plusieurs plans qui seront discutés dans ce qui va suivre (par exemple : âge, durée de la maladie, état nutritionnel actuel…). Enfin, les échantillons recrutés en population générale sont hétérogènes ; ces études portent généralement sur un petit nombre de cas. Elles ont inclus des sujets présentant un diagnostic actuel ou passé, traités ou non traités, et bien souvent les investigateurs, du fait de la rareté des TCA, ont élargi leur étude à des troubles n’ayant pas tous les critères diagnostiques de l’anorexie ou de la boulimie, mais seulement une partie d’entre eux. 45

Références pays Piran et al., 1985 Canada Viesselman et al., 1985, États-Unis Walsh et al., 1985, États-Unis

Hudson et al., 1987, États-Unis Laessle et al., 1987, Allemagne

22,2±4,6 22,4±4,5 22,1 23,5 39,7 25,7±6,2 22,6±5,1 25,4±6,1

85,2±16,6 70,9±12,0 – – – 101±11 96±12 79±8

BN atBN DM T AN-R AN-BN BN DM BN TB SCZ BN

51 19 28 24 13 26 13 47 105 40 46 30

– – – – 2,7±1,6 6,0±3,5 6,3±5,2 – – – – –

18,0±4,0 18,5±3,4 – – 16,3±4,4

26,3±5,4a 25,1±3,5 33,2±5,9 30,6±8,5 21,5±3,0 22,1±3,1 24,9±5,7 27,3±3,8 27,2±7,1 – – 28,8

– – – – – – – – – – – (85-130)

23 27 21 20 69 51 24 28 24 21 18 41 98 90 51 51 20 22 20 20 24

7,8 6,5a 3,9 4,6 NR

– – – – 20±5,3 18,0±4,6 –

– – – 5,2 4,8 9,2 NR NR – – – – 7,1±4,0

– – – 19,1±6,4f 18,8±4,0 17,5±4,6 14,3

92,0±16,1 100,4±18,5 70,6±7,1c 72,6±3,9c 102±16 101±19 98±16 104±18 – – – 74±9f 104±15 86±14

19,7±4,8gh 24,9±10,9 27,8±8,4 15,3±7,4i 17,4±3,9

22,8±4,0 24,3±4,7b 20,9±4,1 22,1±4,2 28±6,6a 26±5,4de 33±5,9 31±8,5 – – – 22,8±7,4f 24,8±6,1 26,1±6,6 16,0 16,0 26,3±6,4gh 41,1±7,7 31,5±6,9 34,7±9,7 23,1±4,3

104,5±12,5 157,9±31,8 – – (93,3-110,8)

SADS

Créés par l’auteur critères de Feighner TCA : DSM III A : RDC diagnostics probables etdéfinitifs DSM III



BN AN-R AN-R Bulimarexia Boulimie BN BN atAN AN-BN

DSM III

SADS

DIS

CIDI

DSM III-R

SCID-P

DSM III

CIDI

Kecket al., 1990, États-Unis

DSM III-R

SCID

17,9±3,3 19,8±4,7 20,7±7,6 – – –

Âge moyen actuel % PI (m±ds) ou Moyenne±ds (années) (Intervalle)

DSM III-R

SCID

BN atAN BN AN-R AN-BN BN DSM III-R BN DSM III DM T AN BN AN-BN AN BN AN-BN AN (T) BN OBE P PS BN

DSM III-R

SCID

BN

59









DSM III-R

SCID-P

AN-R AN-BN BN BN at AN

34 22 31 18

6,8-7,2

(16,9-18,1)

24,8 24,2 25,0 23,8

76,2j 80,2 104,8 112,1

TCA : TCA cliniques DSM III-R MD et AD : SADS-L RDC TCA : DSM III-R EAT-SADS-L TA et TH : RDC LIFE base DSM III ou DSM IIISCID R pour AN DSM III-R Spet P : ADIS-R

L’Encéphale, 2005 ; 31 : 44-55, cahier 1

16,9±3,8 18,0±4,0 – – – 17,8±3,1 15,1±2,4 18,8±3,1

DSM III

Powers et al., 1988, Etats Unis Laessle et al., 1989, Allemagne

Bossert-Zaudiget al., 1993, Allemagne Brewerton et al., 1993, Etats Unis Braun et al., 1994, États-Unis

– – – – –

N

DIS

Rastam et al., 1992, Suède Schwalberg et al., 1992, États-Unis

33 14 13 39 43 34 7 9

Sujets

DSM III

Herzog et al., 1992, États-Unis

Âge de début (m±ds) (années)

Instruments diagnostiques

Hudson et al., 1988, États-Unis

Fornari et al., 1992, Etats-Unis

Durée du TCA (m±ds) (années)

Critères diagnostiques

N.-T. Godart et al.

46

TABLEAU I. — Études en population clinique .

Instruments diagnostiques

Sujets

N

Durée du TCA (m±ds) (années)

Âge de début (m±ds) (années)

Bushnell et al., 1994, Nouvelle Zélande

DSM III

DIS

SCID

5,1±3,9 5,7±4,9 8,4±7,1 – –

– 17,9±3,4 17,9±2,9 – –

(85-115) – – –

DSM III-R

25 11 9 777 59

23,5±5,9 26,3±7,0 28,2±5,5 –

Brewerton et al., 1995, Etats Unis Thiel et al., 1995, Allemagne

BN BN population at BN population TR BN

28,4±6,6



DSM III-R

OCD : YBOCS ≥ 16

Bulik et al., 1996, Nouvelle-Zélande Grilo et al., 1996, États-Unis

DSM III-R

SCID SADS-L

AN BN AN-BN BN

12 60 21 114

– – – –

– – – 20±5

– – – 26,0

– – – –

DSM III-R

SADS SCID

AN BN TCANS Thosp AN+atAN BN DM TR AN

11 9 11 105 68 116 56 98 35

– – – – – – – – –

– – – – 16,9±4,1 19,7±4,9 21,2±10,3k – –

BN TCA AN-R AN-BN BN TCANS-R TCANS -B/P TCANS AN-R BN T AN-R BN AN-R AN-BN BN-P BN-NP

33 112 47 6 11 18 10 18 26 47 44 29 34 62 36 57 16

– – – – – – – – – – – 2,4 ±3,2 19,5±4,6

– – – – – – – – 16,3±4,3 16,9±3,2 – 15,9±2,7 7,1 ±6,4 2,8±3,9 5,4±3,2* 3,7±3,2 3,7±2,8

Bulik et al., 1997, Nouvelle-Zélande

DSM III-R

Thornton et al., 1997, Australie

DSM III-R

AN et RC : DIGS BN et MD : SCID OCD : CIDI

Geist et al., 1998, Canada

DSM IV

DICA-R

DSM III-R

K-SADS SADS

TCA : DSM IV TA : DSM III-R DSM IV

CIDI SADS-LA-R TCA : critères DSM-IV SCID-P

Lilenfeld et al., 1998, États-Unis Godart et al., 2000, France Iwasaki et al., 2000, Japon

18,5±4,1 18,7±3,3 18,5±3,5 18,4±3,0

Âge moyen actuel % PI (m±ds) ou Moyenne±ds (années) (Intervalle)

19,8±6,5 20±4,4 31,3±4,9m 26,0±5,9 30,6±10m 35,5±6,2l –

– – – – – – – – –

– 14,5±3,3

– BMI : Femmes 18,1±4,7 Hommes 18±1,1

24,5±5,9 25,3±5,9 26,1±6,2 17,9±4,3o 26,6±6,5 21,3±5,5 24,2±4,7 22,2±3,7 22,1±3,8

90,4±18,8n 106,6±13 107,9±9,7 – – 63,3±7,8 68,5±9,0 92,3±12,7*= 96,4±12,9*=

At : antécédents ; AN : anorexie mentale ; AN-R : anorexie mentale restrictive ; AN-BN : anorexie-boulimie ; ASc : apparentés de sujets schizophrènes ; ATB : apparentés troubles bipolaires ; BN : boulimie ; BN-P : boulimie type avec vomissements ou prise de purgatifs ; BN-NP : boulimie type sans vomissements ni prise de purgatifs ; BMI : Body Mass Index ; DM : dépression majeure ; ds : déviation standard OBE ; obèses ; P : trouble panique ; PI : poids idéal ; PS : phobie sociale ; SCZ : schizophrénie ; T : témoins ; Thosp : témoins hospitalisés ; TA : trouble anxieux ; TB : troubles bipolaires ; TCA : trouble du comportement alimentaire ; TCANS : troubles du comportement alimentaire non spécifié par ailleurs ; TH : troubles de l’humeur ; TR : témoins randomisés. ADIS-R : Anxiety Disorder Interview Schedule Revised ; CIDI : Composite International Diagnostic Interview ; DIGS : Diagnostic Interview for Genetic studies ; DIS : Diagnostic Interview Schedule ; EAT-SADS-L : Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia Lifetime ; K-SADS : Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia ; SADS-LA-R : Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia Lifetime for children epidemiologic version ; LIFEbase : Longitudinal Interval Follow up Evaluation ; SADS : Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia ; SADS-LA-R : Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia Lifetime modified for DSM III-R modified for DSM III-R ; SCID-P : Structured Clinical Interview for DSM III Patient version ; SCID-R : Structured Clinical Interview for DSM III-R ; YBOCS : Yale Brown obsessions and compulsions scale. a significativement plus jeunes que DM et T ; b comparaison avec AN-R, p < 0,05; c comparaison avec BN et BNatAN, p < 0,05; d comparaison avec DM, p < 0,001 ; e comparaison avec T, p < 0,05 ; f comparaison des trois groupes, p < 0,0001 ; gcomparaison des 4 groupes, p < 0,0001 ; h comparaison avec les obèses et trouble panique, p < 0,05 ; i comparaison avec les troubles panique, p < 00,05 ; j comparaison des 4 groupes, p < 0,001 ; k DM > AN et BN > AN ; l TR > AN, BN, DM ; m AN > BN and DM > BN ; n comparaison avec BN et T, p < 0,01 ; o AN-R versus BN, p < 0,0001.

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Comorbidité entre les troubles du comportement alimentaire et les troubles anxieux

Critères diagnostiques

Références pays

L’Encéphale, 2005 ; 31 : 44-55, cahier 1

TABLEAU I. — Études en population clinique (Suite).

N.-T. Godart et al.

Problèmes méthodologiques généraux Beaucoup d’études évaluant la prévalence des troubles anxieux chez les sujets souffrant de TCA présentent de nombreux problèmes méthodologiques : 1) Les échantillons sont souvent petits (25/36 études comportent au moins un groupe de moins de 30 sujets), et de ce fait les comparaisons intergroupes manquent de puissance. 2) À l’exception de quelques études parmi les plus récentes (13, 40, 44, 61), les résultats présentés ne donnent pas les intervalles de confiance ou les odd ratios des estimations de prévalence. 3) Les refus de participation, qui sont un possible biais de sélection des sujets, ne sont la plupart du temps pas mentionnés, à l’exception de quelques études (14, 23, 30) où respectivement 10/35, 39/268 et 13/76 sujets ont refusé de participer. 4) Les études de devenir s’exposent à la difficulté particulière des « perdus de vue », qui peut compromettre la représentativité de l’échantillon. Par exemple, une étude a pu localiser 74 patients d’un échantillon composé initialement de 149, et seuls 49 ont été évalués (58) ; une autre étude, qualifiée « d’étude pilote » (31), a seulement évalué 16 sur 168 sujets, selon la disponibilité des sujets ou de l’interviewer. 5) Quelques études ont inclus à la fois des hommes et des femmes (21, 23, 28, 34, 42, 59). Or, en population générale, les femmes ont plus de troubles anxieux que les hommes (62). De plus, les TCA sont rares chez les hommes, et ceux-ci présentent des caractéristiques cliniques qui semblent différentes de celles des femmes ; les études concernant exclusivement les hommes ne seront donc pas revues dans ce travail (15, 56). 6) Quinze études sur 36 ont été réalisées avec des groupes témoins. Quand ces groupes ont été constitués, ils n’ont pas le plus souvent pas été appariés avec les sujets souffrant de TCA, que ce soit pour l’âge ou pour d’autres caractéristiques importantes. Seules 3 études ont réalisé un appariement à la fois pour l’âge et le niveau socio-économique (26, 44, 51). 7) La définition du caractère actuel de la prévalence varie en fonction des études [sur le mois passé (28), ou les six derniers mois (51), ou l’année passée (26)]. Critères diagnostiques des troubles du comportement alimentaire L’évolution des critères diagnostiques pour les troubles anxieux et les TCA au cours des dernières années [critères de Feighner (20), RDC, DSM III, DSM III-R, DSM IV ou autres critères] a eu un impact important sur le recrutement des patients et la prévalence des troubles (62). Par exemple, les critères de Feighner pour l’anorexie mentale (20) nécessitaient la présence de 6 manifestations cliniques incluant un âge de début avant 25 ans, l’absence d’autres troubles psychiatriques connus – pas 48

L’Encéphale, 2005 ; 31 : 44-55, cahier 1

de troubles de l’humeur précédant l’anorexie, pas de névrose obsessionnelle compulsive, et pas de névrose phobique –, en revanche l’aménorrhée n’était pas nécessaire. De plus, les critères de poids permettant le diagnostic d’anorexie mentale ont changé au fil du temps, depuis une perte d’au moins 25 % du poids que pesait antérieurement le sujet dans les critères de Feighner, jusqu’à une perte de 25 % en dessous du poids attendu dans les critères du DSM III-R (3), et plus récemment dans les critères (reprenant un critère du DSM III) du DSM IV, une perte de poids de seulement 15 % sous le poids attendu. Enfin, le critère indispensable de la présence d’une aménorrhée a été ajouté dans le DSM III-R, et maintenu dans le DSM IV (4). Le critère de dénutrition qui permet le diagnostic d’anorexie mentale a donc varié au fil des années. De plus, le poids attendu n’a jamais été clairement défini par les critères diagnostiques et les auteurs se sont appuyés sur des systèmes différents. Ainsi, en 1988 Beumont et al. faisaient déjà remarquer que les références utilisées pour définir le poids idéal attendu dans la définition de l’anorexie mentale entraînaient l’inclusion de patients différents (7). Le poids attendu des critères du DSM III, ou du DSM III-R, a été progressivement remplacé par la notion de poids idéal [Ideal Body Weight (IBW)], défini par les compagnies d’assurances américaines, à partir du poids moyen des populations américaines en 1959 ou 1983 (voir plus bas). Ce poids moyen n’est pas forcément un poids qui reflète un état nutritionnel optimal, il peut varier en fonction des cultures et des époques. Les chercheurs ont utilisé successivement des définitions différentes de ce poids idéal, par exemple le poids idéal défini en 1959 par la « Metropolitan Life Insurance Company » (43), ou en 1983 par la « Metropolitan Height-Weight Tables » (50). Or, il apparaît que les normes proposées par ces deux tables sont extrêmement différentes. De plus, alors que le poids et la taille, sur un plan clinique, doivent être mesurés sans chaussures et lorsque le sujet est déshabillé, ces tables dérivent de mesures sur des personnes habillées normalement (7). Plus récemment, l’indice de Quelelet [Indice de masse corporelle (IMC) ou BMI (Body Mass Index)], défini comme le poids en kg/(taille en mètre)2, a été proposé pour définir le poids attendu. Cependant, les auteurs ne sont pas tous d’accord sur les limites de BMI qui permettent de parler d’anorexie mentale : ainsi, un BMI inférieur à 15 est retenu par certains (45), alors que pour d’autres c’est un BMI inférieur à 16 qui est un critère de malnutrition sévère chez les adultes ou les adolescents de plus de 14 ans (7). De plus, le BMI varie en fonction du sexe, de l’âge (plus bas à l’adolescence qu’à l’âge adulte), et des sujets (52). Certains auteurs ont proposé de prendre en compte ces variations pour le diagnostic d’anorexie mentale et suggéré d’utiliser les courbes de percentiles pour déterminer pour chaque sujet, en fonction de son âge, le BMI attendu et, en fonction des percentiles, la zone à partir de laquelle on peut estimer qu’il est dans un état de dénutrition compatible avec le diagnostic d’anorexie mentale (27).

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Comorbidité entre les troubles du comportement alimentaire et les troubles anxieux

Dans le DSM III, la présence d’un double diagnostic d’anorexie mentale et de boulimie n’était pas permise. De ce fait, le diagnostic de boulimie pouvait concerner des patients qui seraient maintenant inclus, dans le DSM IV, comme anorexiques avec crises de boulimie/vomissements ou prise de purgatifs. Par exemple, Piran et al. ont un échantillon de boulimiques dont 67 % ont un poids inférieur de 15 % au poids attendu (46). Enfin, le DSM III avait inclus dans les critères de définition de la boulimie, la présence d’une humeur dépressive et de pensées d’autodépréciation après les crises, critère qui a pu sélectionner des patients présentant des symptômes dépressifs ou des troubles dépressifs plus souvent que les autres systèmes. Ce critère a été abandonné dans le DSM III-R, alors qu’a été ajouté un critère pouvant lui aussi faire varier le recrutement : la présence d’« au moins 2 crises de boulimie par semaine ». L’état nutritionnel reflété par le poids ou le BMI actuel n’a pas toujours été rapporté et, quand il l’a été, il varie considérablement d’une étude à l’autre. Or, la malnutrition peut exacerber l’intensité des symptômes anxieux (48). De ce fait, le moment d’évaluation des troubles anxieux lors de la prise en charge prend une importance considérable. Si les patients sont évalués en début d’hospitalisation, le taux actuel de troubles anxieux peut être artificiellement augmenté du fait de la dénutrition (60). En revanche, les taux observés en fin d’hospitalisation pourraient être plus faibles (44). Certains auteurs ont créé leurs propres critères diagnostiques (boulimiarexia et boulimie sans vomissements) rendant ainsi impossible la comparaison de leurs résultats avec ceux d’autres études (59).

Fornari et al. (21) ont réalisé une équivalence entre les critères RDC et DSM III-R, sans que l’on sache exactement comment ils ont procédé. Certains auteurs ont spécifié que les investigateurs étaient formés à l’importance d’un diagnostic différentiel entre troubles anxieux et troubles alimentaires, comme cela est spécifié pour certains troubles dans le DSM III-R (53). Par exemple, une peur excessive concernant le poids et ses conséquences ne peut rentrer dans le cadre d’un trouble anxieux généralisé. De même, le diagnostic de trouble obsessionnel compulsif ne peut être porté si les obsessions et les compulsions ne concernent que l’alimentation. Ces précisions diagnostiques n’existaient pas dans le DSM III, mais certains auteurs les avaient anticipées (35). De même, dans la phobie sociale, les situations qui concernent la peur de montrer des comportements alimentaires anormaux ne peuvent être considérées dans le diagnostic de phobie sociale. Là encore, ce critère a été appliqué par certains auteurs utilisant les critères du DSM III (58), mais n’est pas mentionné par d’autres. Concernant les différences entre le DSM III et le DSM III-R, il faut aussi souligner que les critères de durée ne sont pas forcément les mêmes. La durée minimale pour un diagnostic de trouble anxiété généralisée est de 1 mois dans le DSM III et de 6 mois dans le DSM III-R. L’ensemble de ces différences peut expliquer que l’on observe des prévalences extrêmement variables pour l’anxiété généralisée, le trouble obsessionnel compulsif et la phobie sociale dans les études répertoriées. Enfin, la prévalence d’« au moins un trouble anxieux » varie considérablement d’une étude à l’autre, car elle prend en compte un nombre de troubles variable d’une étude à l’autre (entre 2 et 6).

Critères diagnostiques des troubles anxieux Les critères RDC et les critères DSM III ne permettaient pas le diagnostic simultané d’un trouble dépressif et d’un trouble anxieux. Ce critère d’exclusion a été clairement appliqué dans certaines études (30), mais pas dans d’autres (14, 21, 34, 35, 46), dans d’autres encore cela n’a pas été précisé (42, 43, 47, 51, 58, 60). Parmi ces dernières études, certaines ont retrouvé des prévalences de troubles anxieux extrêmement basses (47, 60), et il semble que l’exclusion des diagnostics des troubles anxieux face à un trouble dépressif ait été réalisée. Dans d’autres études [par exemple (43)], les prévalences de dépression et de troubles anxieux sont supérieures à 100 % si on les additionne, ce qui peut faire penser que le critère n’a pas été appliqué. Ce point nous semble extrêmement important, et permet de comprendre pourquoi certaines études dans la littérature ont obtenu toujours des prévalences de troubles anxieux parmi les plus basses, voire même plus basses qu’en population générale (30). Les critères RDC utilisés dans 4 des études revues ici (tableau I), permettaient de porter des diagnostics « définis » ou « probables », parfois clairement colligés dans certaines études (60), alors que d’autres n’ont pas spécifié leur conduite face à cette particularité (30).

Instruments diagnostiques Les instruments diagnostiques utilisés varient considérablement en fonction des études, et parfois même au sein d’une même étude (12). De là ont pu résulter des différences de procédures pour l’établissement des diagnostics. Par exemple, comme l’ont mentionné Bulik et al., l’exploration du diagnostic de trouble anxieux généralisé n’était pas réalisée avec le SCID (DSM III-R) chez les sujets présentant un diagnostic actuel de trouble de l’humeur (12). Or, sur les 11 études ayant évalué la présence du trouble anxiété généralisée, 7 ont utilisé le SCID (9, 10, 13, 40, 50, 51, 61). Compte tenu de la présence fréquente d’un trouble de l’humeur actuel chez les sujets souffrant de TCA, la prévalence du trouble anxieux généralisé dans ces études ne pouvait être que très basse. Cependant, un seul auteur a commenté cette exclusion et, de ce fait, n’a pas donné de prévalence pour le trouble anxiété généralisée (13). Dans les autres études, les prévalences étaient extrêmement basses, certains ont dit « avoir suivi les recommandations du manuel » (9) ou mentionné « avoir eu recours à des personnes formées à l’utilisation de cet instrument » (10, 40, 51, 61) ; nous faisons l’hypothèse que les investigateurs n’ont pas évalué 49

Références pays Durée du suivi

Critères diagnostiques

Sujets

N

Durée du TCA (m±ds) (années)

Âge de début (m±ds) (années)

Âge moyen actuel (m±ds) (années)

DIS

AN T

47 26







DIS

AN T

62 62

9,6±0,8



29±5,2 27,4±6,5



AN

16







SCID-R

AN T

23 23

6 et 11,8 mois –

15,5 –

22,1±2,1 15,3±2

-

AN

84





20,7±6 32,5±6,5

SADS-L

RA BA

13 11

NR

15±3

24±4

SCID

AN T

51 51

6,7 NR

14,3 –

21,0 20,8

CIDI

AN

34

8,9

14,9

23,7

AN et TR : DIGS BN et DM : SCID –

AN BN actuelles DM actuelle TR AN

68 116 56 98 87 81

NR NR NR – –

16,9±4,1a 19,7±4,9 21,2±10,3 – –

31,3±4,9 26,0±5,9c 30,6±10,1 35,5±6,2b 14,5 24,2

SCID

AN-R

48

8,7

14,6±1,6

22,9±2,8

SCIDI/P

BN

173

5,9±3,6 présentation initiale

16,8±2

35,3±5,1

CIDI

AN T

39 39

12,4±1,3

14,9±1,6

27,1±1,9

At : antécédents ; AN : anorexie mentale ; AN-R : anorexie mentale restrictive ; AN-BN : anorexie-boulimie ; ASc : apparentés de sujets schizophrènes ; ATB : apparentés troubles bipolaires ; BN : boulimie ; BN-P : boulimie type avec vomissements ou prise de purgatifs ; BN-NP : boulimie type sans vomissements ni prise de purgatifs ; BMI : Body Mass Index ; DM : dépression majeure ; ds : déviation standard ; PI : poids idéal ; T : témoins ; TA : trouble anxieux ; TCA : trouble du comportement alimentaire ; TH : troubles de l’humeur ; TR : témoins randomisés. CIDI : Composite International Diagnostic Interview ; DIGS : Diagnostic Interview for Genetic Studies ; DIS : Diagnostic Interview Schedule ; SADS-L : Schedule for Affective Disorders and Schizophrenia Lifetime version ; SCID : Structured Clinical Interview for DSM III a MD > AN et BN > AN ; b T > AN, BN, MD ; c AN > BN et MD > BN.

L’Encéphale, 2005 ; 31 : 44-55, cahier 1

Toner et al., 1988 AN : cliniques Canada TA : DSM III 5-14 ans après le début Halmi et al., 1991 Feighner États-Unis DSM III-R 10 ans après le début Hsu et al., 1992 AN : Crisp Grande-Bretagne TA : DSM III-R 17-44 ans après le début Smith et al., 1993 DSM III-R États-Unis 6 ans après le diagnostic Deter et Herzog, 1994 DSM III-R Allemagne 11,8 ans après le début Deep et al., 1995 DSM III-R États-Unis 1 an après la guérison Rastam et al., 1995 DSM III ou Suède DSM III-R 6,7 ans après le début Herpertz-Dahlmann et al., 1996 DSM III-R Allemagne 7 ans après le traitement DSM III-R Bulik et al., 1997 Nouvelle Zélande Suivi de durée inconnue : AN premier contact entre 1981 et 1984 Saccomani et al., 1997 Anorexie Feighner 9,16 ans de suivi DSM III ou DSM III-R Autre : ICD-9 DSM III ou DSM III-R Reclassification DSM IV Pla et al., 1999 DSM III Espagne 5-14 ans après le début Keel et al., 1999 DSM IV États-Unis 11,5±1,9 ans de suivi Herpertz-Dahlmann et al., 2001 DSM III-R DSM IV Allemagne rétrospectivement 10 ans après l’admission pour TCA

Instruments diagnostiques

N.-T. Godart et al.

50

TABLEAU II. — Études de devenir.

L’Encéphale, 2005 ; 31 : 44-55, cahier 1

Comorbidité entre les troubles du comportement alimentaire et les troubles anxieux

dans ces cas la présence du trouble anxiété généralisée en cas de troubles dépressifs actuels. Recrutement d’échantillons particuliers Certains auteurs ont recruté des sujets souffrant de TCA présentant des caractéristiques particulières susceptibles de diminuer la fréquence des troubles anxieux. Certains ont exclu tous les sujets avec un diagnostic comorbide d’abus de substances (8, 39, 60). Or, il a été montré que les troubles anxieux sont fréquemment associés avec la prise de substances, particulièrement chez les sujets souffrant de TCA : ainsi, la prévalence de troubles anxieux a été évaluée à 65 % dans un échantillon de boulimiques avec une dépendance actuelle légère ou modérée à l’alcool, versus 42 % dans un échantillon de sujets boulimiques sans dépendance à l’alcool (12). Dans la population générale, la prévalence sur la vie de la dépendance à l’alcool est multipliée par 2,8 chez les sujets souffrant de trouble anxieux généralisé, par 3,8 chez ceux souffrant de trouble panique, par 2,1 chez ceux souffrant de phobie simple, par 1,7 chez ceux souffrant d’agoraphobie et par 2,3 (concernant l’abus d’alcool) en cas de phobie sociale (63). Certaines études ont exclu les patients recevant actuellement des traitements psychotropes et donc tous ceux traités pour anxiété ou dépression (12, 13, 19, 39). D’autres ont exclu les patients avec des antécédents d’épisode maniaque ou des antécédents médicaux contre-indiquant l’utilisation de tricycliques, et les patients prenant des médicaments potentiellement impliqués dans l’étiologie d’un épisode dépressif actuel (13), les sujets avec des idées suicidaires actuelles (39), ou ceux présentant des symptômes psychotiques ou un diagnostic de psychose (10, 23, 34, 39). Les critères d’inclusion et d’exclusion varient d’une étude à une autre, d’un critère unique (par exemple inclusion de toutes les femmes consécutivement hospitalisées pour anorexie mentale) (25), à une série complexe de critères d’inclusion dans des protocoles médicamenteux (13, 39). Certains auteurs ont ajouté des critères personnels d’inclusion concernant la fréquence des vomissements, le poids idéal, la durée de la maladie (12, 13, 50), ou des critères d’exclusion, par exemple exclusion de 33 sujets sur 138 (31 d’âge inférieur à 18 ans, et 2 pour un diagnostic de trouble de la personnalité de type personnalités multiples), parce que les auteurs estimaient que leurs réponses au questionnaire étaient sujettes à caution (9). Age des sujets et durée d’évolution du trouble du comportement alimentaire Selon les études, le diagnostic de TCA était soit actuel, soit vie entière. De ce fait, la moyenne d’âge des patients et la durée moyenne de la maladie varient de façon considérable. Dans les études longitudinales de devenir, les périodes de suivi varient en fonction des études de durée moyenne

de 1 an (19) à 22 ans (31) et au sein des études ellesmêmes – par exemple, de 17 ans à 44 ans (31). L’âge des sujets souffrant de TCA varie de 16 à 65 ans dans les études répertoriées, et les âges des différents sous-groupes diagnostiques étaient parfois significativement différents, sans que ces variations n’aient été prises en compte (39, 43, 53), à l’exception d’une étude (13). Dans la population générale, la prévalence sur la vie des troubles anxieux varie avec l’âge, mais de manière complexe. Pour le trouble panique, l’agoraphobie et la phobie simple, les prévalences les plus élevées sont retrouvées chez les sujets âgés de 25 ans à 44 ans (62), et les prévalences les plus basses chez les sujets plus âgés. Chez les adolescents, la prévalence du trouble anxiété de séparation tend à diminuer avec l’âge, alors que les peurs sociales tendent à augmenter, tout comme les autres symptômes anxieux (37). Aussi, peut-on penser que les variations de prévalence des troubles anxieux durant l’adolescence peuvent expliquer certaines variations observées d’une étude à l’autre ou d’un groupe diagnostique à un autre. Troubles du comportement alimentaire cliniques et sub-cliniques Les études réalisées en population générale (tableau III) ont inclus des sujets répondant au diagnostic DSM III-R actuel ou vie entière d’anorexie ou de boulimie, mais aussi des sujets présentant « la plupart, mais pas tous les critères du DSM III-R », sous la dénomination de boulimie « possible » ou « probable » (40), « syndrome partiel de boulimie » (22), « anorexie clinique possible » (61). Rastam et al. ont aussi inclus un échantillon hétérogène de 51 sujets répondant aux critères DSM III, ou DSM III-R pour l’anorexie, dont 3 sujets avec un syndrome partiel d’anorexie mentale (51). Il est vrai qu’aucune de ces études n’a rapporté de différence entre les sous-groupes de TCA considérés pour la comorbidité avec les troubles anxieux ; cependant, les échantillons étant très petits, il semble difficile de conclure définitivement à l’absence de différence entre ces sousgroupes de diagnostics complets ou partiels. Dancyger et al. (18) ont montré que les sujets répondant aux caractéristiques d’un syndrome d’anorexie ou de boulimie complet présentaient significativement plus de symptômes dépressifs mesurés sur l’échelle de Beck (Beck Depression Inventory) (5)que les sujets présentant un syndrome partiel ou les sujets témoins, et que les sujets avec un trouble partiel avaient significativement plus de symptômes dépressifs que les sujets témoins (18). Ces auteurs ont alors défendu l’idée d’un modèle continu des TCA, avec un gradient de gravité de la symptomatologie alimentaire, mais aussi dépressive. Aussi est-il possible que les études ayant inclus des TCA de définition partielle aient sousestimé l’importance des troubles anxieux, dans la mesure où symptômes anxieux et dépressifs sont bien souvent associés. 51

Références pays Kendler et al., 1991, États-Unis Bushnell et al., 1994, Nouvelle-Zélande

Garfinkel et al., 1996, Canada Garfinkel et al., 1995, Canada

Walters et al., 1995, États-Unis

Critères diagnostiques

Instruments diagnostiques

DSM III-R

SCID-R

DSM III

DIS

DSM III-R

UM-CIDI

DSM III-R

CIDI

DSM III modifiés en DSM III-R

SCID

Durée du TCA (m±ds) (années)

Sujets

N

BN BN probable BN possible BN soignés BN population at BN TR BN-P BN-NP BN sp BN

– – – 5,1±3,9 5,7±4,9 8,4±7,1 –

T

32 28 63 25 11 9 777 17 45 55 22 4 208

AN 1 AN 2 AN 3

11 24 45

– – –

– – –

Âge de début (m±ds) (années)

Âge moyen actuel (m±ds) (années) –

20,9±6,5 20,5±5,3 – 17,9±3,4 17,9±2,9 – 16,6±5,9 23,1±10,6a 21,4±10,1 21,4±13,0 – 18,7 – –

N.-T. Godart et al.

52

TABLEAU III. — Études en population générale.

23,5±5,9 26,3±7,0 28,2±5,5 – 27,8±10,2 37,0±13,6a – – – 28,5 – –

at : antécédents de ; AN : anorexie mentale ; AN1 : diagnostic d’anorexie mentale basé sur un algorithme informatique à partir des réponses aux items du SCID ; AN2 : anorexie mentale, définition clinique large (AN et diagnostic possible et probable d’AN) basé sur toutes les informations cliniques disponibles et non sur des algorithmes informatiques, AN3 : diagnostic possible d’anorexie mentale ; BN : boulimie ; BN-P : boulimie type avec vomissements ou prise de purgatifs ; BN-NP : boulimie type sans vomissements ni prise de purgatifs ; Probable : ne remplissent pas tous les critères de façon certaine mais ont des troubles psychiatriques avec des symptômes de type AN ou BN ; Possible : ne remplissent pas tous les critères de façon certaine mais ont certainement des troubles psychiatriques de type TCA. sp : syndrome partiel ; T : témoins ; TR : témoins randomisés. CIDI : Composite International Diagnostic Interview ; UM-CIDI : University of Michigan Composite International Diagnostic Interview ; DIS : Diagnostic Interview Schedule ; SCID : Structured Clinical Interview for DSM III ; SCID-R : Structured Clinical Interview for DSM III-R.

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Comorbidité entre les troubles du comportement alimentaire et les troubles anxieux

DISCUSSION Cette revue de la littérature souligne l’hétérogénéité des méthodes utilisées dans les études sur la comorbidité des TCA avec les troubles anxieux. Elle incite à une grande prudence dans l’interprétation des résultats. L’objectif de notre travail n’était pas de minimiser l’importance des résultats fournis par les études passées, mais de pouvoir reconsidérer la littérature des 15 dernières années à la lumière des progrès considérables réalisés, aussi bien en termes de méthodologie qu’en termes de compréhension clinique des TCA. Les revues mentionnées au début de ce travail plaident en faveur d’un lien particulier entre TCA et troubles anxieux (11, 29, 64). Mais la nature de ce lien, encore en 2003, n’est pas totalement élucidée. S’il existe une association fréquente des symptômes anxieux avec les TCA, cette association n’est pas synonyme de comorbidité. Une partie des symptômes anxieux présents chez les sujets souffrant de TCA reflète simplement un chevauchement symptomatique, c’est-à-dire que certains symptômes peuvent se retrouver aussi bien chez les sujets souffrant de troubles anxieux que chez ceux souffrant de TCA. La différenciation entre symptômes anxieux et symptômes liés aux TCA s’est faite au fil des années ; par exemple, l’angoisse concernant le poids ne peut plus être un critère diagnostique d’anxiété généralisée, ou les obsessions concernant la nourriture un critère diagnostique de trouble obsessionnel compulsif. Les études anciennes, qui ont montré une prévalence élevée des troubles anxieux, en particulier le touble obsessionnel compulsif (TOC), ne prenaient bien souvent pas en compte cette nuance diagnostique. Aussi peut-on penser que l’on a pu surestimer la fréquence du TOC chez les sujets souffrant de troubles alimentaires. De plus, il est maintenant reconnu que les troubles anxieux sont extrêmement fréquents en population générale, particulièrement chez les femmes (62). Or, les sujets souffrant de TCA sont majoritairement des femmes, et la plupart des études sur la comorbidité avec les troubles anxieux n’ont pas inclus de groupe témoin issu de la population générale ; il n’est donc pas évident que cette comorbidité soit spécifique aux TCA. Une autre question importante reste mal étudiée, c’est l’effet de la dénutrition et/ou de la malnutrition sur la prévalence des troubles. Certains auteurs ont pourtant souligné la difficulté de réaliser un diagnostic de trouble anxieux chez des sujets anorexiques extrêmement malnutris (58), dans la mesure où des symptômes physiologiques de type anxieux ont pu être observés comme la conséquence directe et transitoire de la dénutrition (41). Seules quelques études ont évalué le taux de troubles anxieux indépendamment d’un état de dénutrition ou de malnutrition, en examinant des sujets anorexiques après que leur poids ait été restauré (à 85 % de leur poids idéal) (44), ou partiellement restauré (c’est-à-dire à mi-chemin entre le poids d’hospitalisation et le poids de sortie) (23). Il n’existe, à notre connaissance, aucune étude comparant

les prévalences actuelles de troubles anxieux chez les sujets souffrant de TCA avant et après renutrition.

CONCLUSION Si les liens entre TCA et troubles anxieux doivent être évalués à des niveaux différents et complémentaires – biologique, génétique et thérapeutique –, il est important de souligner que de telles investigations ne peuvent être réalisées que sur la base d’études cliniques solides sur les associations entre symptômes anxieux, TCA et comorbidité anxieuse. Les problèmes méthodologiques et les disparités observés dans l’ensemble des études traitant du sujet ne permettent pas de répondre précisément à la question de la fréquence des troubles anxieux chez les personnes souffrant de TCA. Ceci souligne l’importance de réaliser d’autres études sur le sujet. Ces nouvelles études devront tout d’abord avoir pour objectif principal l’étude des troubles anxieux dans les TCA, dans la mesure où la plupart des données existantes sont des annexes d’études sur les troubles dépressifs, d’études thérapeutiques, ou d’études de devenir. Ces nouvelles études devront inclure des groupes témoins appariés, au moins pour le sexe et l’âge des sujets. Il est souhaitable que l’état nutritionnel soit pris en compte, en contrôlant le moment de l’évaluation en fonction de l’évolution de la maladie. Ces études devront considérer la prévalence de tous les troubles anxieux, séparément chez des sujets souffrant actuellement de TCA ou chez des sujets guéris, et comparer ces deux types de population à des sujets issus de la population générale. Comme le font remarquer Bulik et al., les résultats obtenus dans les échantillons cliniques doivent aussi être vérifiés empiriquement avec des groupes témoins issus aléatoirement de la population générale, avec des groupes témoins souffrant d’autres troubles psychiatriques, et des groupes de sujets issus d’échantillons non inclus dans les programmes thérapeutiques (13). Ces auteurs ont souligné aussi l’importance de démontrer la spécificité des liens entre TCA et troubles anxieux. Il est souhaitable que ces études soient réalisées sur des échantillons plus importants que les études antérieures, et tous les sous-groupes diagnostiques définis par le DSM IV devront être considérés. Au-delà de ces sousgroupes diagnostiques, il est nécessaire que soient évaluées des variables comme les antécédents d’anorexie en cas de boulimie. Compte tenu de la multiplicité des variables impliquées dans la comorbidité, les analyses statistiques devront être envisagées sous un versant multivarié, incluant les facteurs de variation que sont l’âge, le sexe (si les hommes sont inclus), le caractère ambulatoire ou hospitalier des soins, la durée d’évolution de la maladie et d’autres variables potentiellement repérées comme cliniquement valides. Une meilleure connaissance des taux réels de prévalence des troubles anxieux dans les TCA permettrait 53

N.-T. Godart et al.

d’orienter les recherches étiologiques sur l’anorexie mentale et la boulimie, et les recherches thérapeutiques.

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