Condamnation des premières transfusions en France

Condamnation des premières transfusions en France

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Médecine & Droit 2004 (2004) 89–90 www.elsevier.com/locate/meddro

Droit médical

Condamnation des premières transfusions en France A. Chidiac Accepté le 22 juin 2004

Mots clés : Transfusion sanguine ; Histoire judiciaire ; Condamnation

1. Introduction À travers l’histoire de la médecine et pendant de nombreux siècles, le sang a été considéré comme symbole de vie et de mort ; il représentait la force, la santé, l’équilibre et la jeunesse [1,11] ce fluide était réputé comme étant le siège de l’âme et des grande vertus : bravoure et sagesse [8,11]. L’ancien droit français nous apprend que les premières transfusions pratiquées sur l’homme à partir d’un sang animal par Jean Baptiste Denis (de Commercy), médecin du roi Louis XIV, durant la période 1667/1668, ont été condamnées par le juge et le pouvoir royal [5]. Au regard du contexte judiciaire actuel, il semble utile de porter à la connaissance du monde médical et judiciaire les faits médicaux de l’époque ainsi que la portée de cette condamnation.

2. Faits médicaux Bien que l’histoire de la transfusion fasse état de transfusion, sans succès sur le pape Innocent VIII à la fin du XVe siècle, les premières transfusions sanguines documentées ne commencent qu’au XVIIe siècle une fois le système de circulation sanguine décrit par l’anglais William Harvey [3,8] et de la voie intraveineuse découverte [8], c’est également l’époque où l’homme parvient à s’affranchir de l’emprise de l’église [1]. Fin 1667 Denis J.B., médecin diplômé de la faculté de médecine de Montpellier, tenta les premières expériences transfusionnelles sur un malade mental receveur de sang d’agneau. Le jeune homme, Antoine Mauroy avait été trouvé nu dans les rues de Paris en train d’allumer des incendies. Il fut confié à Jean Baptiste Denis ; Mauroy fut le quatrième et dernier malade transfusé par Denis [7,8]. Adresse e-mail : [email protected] (A. Chidiac). 1246-7391/$ - see front matter © 2004 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.meddro.2004.06.003

Pour ce médecin, le sang de Mauroy était responsable de son comportement. Il décida donc de remplacer le sang corrompu circulant dans ses veines par celui d’un paisible agneau [7]. Trois transfusions furent pratiquées à quelques jours d’intervalles [1,3,8] : • La première après élimination d’un volume de dix onces (soit l’équivalent de 300 ml) du sang du malade ; quelques minutes après l’écoulement du sang d’agneau dans les veines du jeune homme, ce dernier commença à sentir une sensation de chaleur intense dans le bras qui avait reçu le sang de l’animal. L’effet fut immédiat, Mauroy semblait en forme et tout à fait détendu ; • La seconde transfusion fut pratiquée deux jours plus tard. Elle fut suivie de sensation de chaleur dans le bras, de douleurs lombaires et de malaises avec sueurs et diminution du pouls qui devint filant. Après une nuit de sommeil, le malade semblait rétabli, calme et détendu. Mais Denis fut étonné par la couleur noire des urines émises par son patient pendant quelques jours, « urines aussi noires que la suie... » [7,8] ; • La troisième et la dernière fut pratiquée à la demande de la femme de Mauroy, car son mari montrait de nouveau des signes de démence. Denis accepta, mais son patient mourut subitement en proie à de violents tremblements avant même que la transfusion ne fût achevée ou réalisée. Les adversaires de Denis ont poussé la femme de Mauroy, à poursuivre le médecin en justice pour meurtre.

3. Contexte judiciaire J.B. Denis fut le premier à expérimenter en France la transfusion sur l’homme. Sa première tentative ne relève cependant pas de l’esprit d’aventure tel qu’il est rencontré dans l’arrêt du Parlement de Paris du 25 avril 1427 ; dans cet arrêt il a été rapporté qu’un médecin a été réprimandé, pour la

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première fois dans l’ancien droit français [5] car il avait prescrit un remède d’extrême violence ayant causé la mort en quelques heures au malade, « avec défense de ne plus récidiver à peine d’être puni plus grièvement » [6,10] En effet, les premières tentatives transfusionnelles faites par ce médecin diplômé de la faculté de médecine de Montpellier, faisaient suite à de multiples expériences sur l’animal. Cependant la première transfusion animal/homme fut couronnée de succès, le jeune malade qui avait reçu du sang d’animal s’était rétabli rapidement. L’issue fatale de ce patient durant les soins transfusionnels donna prétexte à de nombreux opposants à Denis et notamment Pierre de la Martinière un autre médecin du roi, qui conseilla alors à la veuve de l’aliéné de saisir la justice et de mettre en cause la responsabilité du célèbre médecin. Ce médecin en réponse déposa une plainte pour injure. L’affaire fut jugée par le lieutenant criminel du Châtelet à Paris en 1668, la sentence rendue en première instance n’interdit pas le procédé de transfuser mais écarta habilement le seul médecin français qui l’avait pratiqué. Il avait été décidé « qu’à l’avenir la transfusion ne pourrait être faite chez l’homme sans l’approbation d’un médecin de la faculté de médecine de Paris » [5,10]. Mais la faculté de médecine de Paris n’accorda aucune autorisation pour la pratique de la transfusion [1,3] Cette sanction indirecte allait être suivie de l’interdiction totale de cette innovation thérapeutique par le Parlement de Paris dans un arrêt du 10 janvier 1670 qui déclarait « défense à tous médecins et chirurgiens d’exercer la transfusion du sang à peine de punition corporelle et de prison. Les épreuves extraordinaires sont généralement dangereuses : et pour une qui réussit, toutes les autres deviennent mortelles » [4], avis qui sera suivi par le Parlement anglais [8] Ces jugements empêchaient donc J.B. Denis, diplômé de la faculté de médecine de Montpellier, de pratiquer de nouvelles transfusions. Il s’est avéré ultérieurement que la cause du décès de Mauroy était une intoxication liée à l’arsenic [1].

4. Conclusion Bien que ces jugements n’aient pas condamné le premier transfusionniste français à des dommages et intérêts, car ce praticien fut reconnu innocent ; ils le sanctionnaient néanmoins adroitement pour sa pratique ainsi que tout médecin qui prendrait l’initiative d’une telle pratique [8,9]. À vrai dire ces jugements condamnaient la pratique transfusionnelle et non le praticien. Par conséquent ces jugements ont mis un terme à toute innovation thérapeutique qui n’a pas prouvé son efficacité. Mais ces tentatives transfusionnelles de Denis n’ont-elles pas incité plus tard le Docteur Philip Syng Physiks (1768–1837) de Philadelphie et le Docteur James Blundell – obstétricien et physiologiste (1790–1838) du Guy’s Hospital de Londres à reprendre cette pratique mais à partir du sang humain et non animal ? [2,8]

Références [1]

Bensa JC. Histoire de la Transfusion Sanguine. Sciences Humaines et Sociales Mars 2003; perso-wanadoo.fr/dms.efsra/histoire. [2] Blundell J. Experiments on the transfusion of blood by the syringue. Med. Chir. Trans. 1818;9:56. [3] Biet E. Histoire de la Médecine. Le Quotidien du Médecin 24/04/2003. [4] Brillon. Dictionnaire des arrêts, op. cit., p. 171 ss. [5] Careghi J. Christophe – Une responsabilité civile médicale a-t-elle existé dans l’ancien droit français (XVIè – XVIIIè siècles) ? RRJ 2003-2;I:835–62. [6] Cariage J-L. L’exercice de la médecine en France, op. cit., p. 309. [7] Denis JB. Philos. Transf. 1667;2:489. [8] Genetet B, Mannoni P. La Transfusion. Paris: Flammarion; 1978, p. 13–20. [9] Lacassagne. De la responsabilité médicale, op. cit. p.6. [10] Merlin. Répertoire Universel et Raisonné de Jurisprudence. 4e édition. Garnery libraire; 1813. p. 159. [11] Zmijewski CM, Fletcher JL. Immunohematology. 2nd ed. Meredith Corporation ed; 1972 New York.