Neurophysiologie clinique 33 (2003) 257–258 www.elsevier.com/locate/neucli
Éditorial invité
Conversations à Florence, autour de la stimulation par laser Pourquoi ce titre, et pourquoi ce volume monographique sur les potentiels évoqués par rayonnement laser ? L’histoire commence avec un souhait longtemps insatisfait, celui de trouver une méthode de laboratoire capable d’évaluer les fonctions nociceptives et facilement applicable en clinique. J’ai essayé pratiquement tout dans ces dernières années : microneurographie et stimulation intraneurale, réflexes en flexion, réflexes cornéens et de clignement, réflexe inhibiteur du masséter, période de silence, potentiels évoqués à la stimulation de la pulpe dentaire, EEG quantifié, SPECT et IRM fonctionnelle. Toutes ces méthodes sont, bien entendu, utiles et pourvoyeuses d’informations valables (que j’ai naturellement pris le soin de publier), mais toutes ont — du moins entre mes mains — des désavantages de taille. Certaines d’entre elles n’évaluent pas le système nociceptif, ou le font indirectement, et d’autres (qui nécessitent un équipement ultra-sophistiqué, ou des patients ultra-collaborateurs) sont plus aptes à la recherche en neurophysiologie qu’à l’application clinique au quotidien. Mais un jour j’eus l’occasion de tester un stimulateur laser-CO2, et fus enthousiasmé. Non seulement l’on pouvait obtenir des sensations clairement « piquantes » sans aucune contamination tactile, mais il était aussi possible de reconnaître la réponse de vertex presque sans moyennage, du moins lorsque nous stimulions la région faciale (un peu de patience supplémentaire était nécessaire en cas de stimulation des membres inférieurs, évidemment). Je ne connaissais, cependant, presque rien de la physique sousjacente à cette stimulation, ni des récepteurs impliqués dans la réponse, ni de la modulation possible des signaux enregistrés. Qui plus est, je n’étais pas capable d’obtenir des réponses dont la latence fût compatible avec une stimulation sélective des fibres amyéliniques. Je compris donc la nécessité d’une étude approfondie du problème. Comme je suis paresseux, au lieu de dépenser mon temps et mes efforts dans les livres, je trouvais beaucoup plus confortable d’appeler des gens compétents à ma rescousse. J’approchais donc Lars Arendt-Nielsen, Luis GarciaLarrea, Leon Plaghki, and Rolf-Detlef Treede. Je ne suis pas en train de dire qu’ils soient « les meilleurs » dans l’absolu — on trouve sans doute d’autres excellents scientifiques dans ce domaine — mais ils sont certainement très bons, tous passionnés de recherche clinique, et il se trouve que je les connaissais personnellement (comment aurais-je pu demander à quelqu’un avec qui je n’étais pas en bons termes ?). De plus, en dehors de leur expertise en potentiels évoqués par laser (PEL), chacun d’entre eux avait à mes yeux des © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.neucli.2003.10.006
connaissances particulières dans d’autres domaines, que ce fût la physique des radiations, la physiologie des récepteurs, les potentiels cognitifs ou les générateurs corticaux. Probablement parce que l’idée d’avoir un brin de causette sur les PEL, ou de se retrouver ensemble, ou de goûter à la cuisine florentine (ou tout à la fois) était attrayante, ils ont tous accepté de venir. Nous avons eu une réunion tout ce qu’il y a d’informel, avec pour audience uniquement une poignée de jeunes chercheurs de Rome et de Florence. Bien que chacun d’entre nous eût un sujet pré-défini à discuter, chaque présentation devint bientôt complètement libre, le plan original ne résistant pas aux questions et interruptions incessantes de l’audience (nous étions assis autour d’une table, avec un simple moniteur pour montrer dessins, diagrammes et signaux). Cela fut une réelle « immersion dans le laser », qui alla de la discussion sur la production industrielle des tubes jusqu’au débat sur les avantages et inconvénients des stimulateurs en milieu gazeux vs solide, l’effet des différentes longueurs d’onde sur l’absortion de l’énergie, les réponses des différentes classes de nocicepteurs, les voies afférentes, les vollées synchronisées ou dispersées, la nature sensorielle ou cognitive des réponses de scalp, la localisation des sources intracrâniennes, ou le rôle respectif des cortex somesthésique, insulaire et cingulaire. La discussion s’est poursuivie pendant dix heures, et a continué au cours de la dégustation du vin rouge de la Toscane au dîner. J’étais ravi. Nous avons tous appris énormement de choses. Le panel d’experts, si je peux le nommer ainsi, a même évité que je n’essaie de publier une étude (sur l’activation des récepteurs AMH type I) qui parut bien évidemment erronée après la démolition qu’ils en ont faite. Nous avons décidé de nous retrouver à nouveau, et de donner une « mémoire écrite » à ce colloque, après avoir soumis chaque contribution à l’expertise farouche de la lecture croisée entre participants, complétée par le regard de lecteurs externes. Il va de soi que les articles contenus dans ce volume de Neurophysiologie clinique/clinical Neurophysiology n’ont pu être aussi libres dans leur expression que le furent nos discussions à Florence. Chaque groupe a participé avec un article concernant son champ d’expérience privilégié ; le résultat couvre l’analyse des différentes sources de chaleur radiante, la biophysique de la stimulation laser et la physiologie des récepteurs, l’analyse critique des générateurs des réponses de scalp, ainsi que leur modulation attentionnelle et cognitive, le cas particulier des réponses trigéminales, et bien
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entendu les applications cliniques. Je crois sincèrement que les articles qui composent ce numéro donnent un très bon « état des lieux » sur la plupart des aspects théoriques et pratiques de l’enregistrement des PEL, qui devrait être particulièrement utile aux jeunes collègues désirant s’initier dans ce domaine. J’aimerais ajouter, pour conclure, que je crois avoir enfin trouvé la méthode de laboratoire à laquelle j’avais songé pendant ces dernières années. Tout médecin s’intéressant à la douleur sait combien le rapport subjectif et les analyses psychophysiques de ses patients sont souvent peu fiables du fait des influences contextuelles et culturelles. Tous les auteurs de ce volume reconnaissent que, si les PEL ne peuvent pas évaluer la douleur elle-même, ils fournissent, en revanche, une mesure utile de la fonction nociceptive qui aide à départager les douleurs nociceptives, neuropathiques et psychogènes. La stimulation laser est le plus souvent consi-
dérée par le patient comme moins désagréable que les stimulations électriques couramment utilisées en neurophysiologie clinique. Sur le plan technique, les enregistrements sont de réalisation relativement simple, et ne nécessitent pas un équipement sophistiqué, sauf si vous voulez effectuer des analyses topographiques complexes ou une localisation des sources. Les récentes recommandations européennes sur l’évaluation de la douleur neuropathique insistent sur le fait que « les PEL sont actuellement la méthode la plus facile et la plus fiable pour évaluer la fonction des voies nociceptives, leur limitation principale en pratique clinique étant le nombre encore trop limité de centres où on peut les obtenir. » G. Cruccu University « La Sapienza », Rome, Italy Adresse e-mail :
[email protected] (G. Cruccu).